1984 fut une année charnière. -A€ mi-chemin entre mai 1968 et l'an 2000 -, comme l'avait noté Antoine Riboud. Ce fut l'année de création de Canal + et de l'agence que trois de mes confrères et moi-mASme avions fondée sous le nom de BDDP. Ce fut aussi l'année de 1984, le film d'Apple pour le lancement du Macintosh.
Inspiré d'une scène du livre de George Orwell, le film débute par une image sur très grand écran de Big Brother s'adressant A la foule. Dans le suivant, une femme court, poursuivie par une horde de policiers patibulaires. Elle tient A bout de bras un marteau géant. Juste avant d'AStre capturée, elle parvient A faire exploser l'écran et, ac lui, l'image de Big Brother. La foule envoûtée jusque-lA par le discours autoritaire de son chef clame sa libération.
Big Brother urait l'aliénation de l'homme A l'ordinateur, et la jeune femme la naissance du Macintosh. Son geste faisait tout voler en éclats : la conception que les gens avaient des grandes entreprises et des marques, leur relation A l'ordinateur et, surtout, leur vision d'une jeune société nommée Apple.
A€ la fin du film, un texte s'inscrivait sur l'image : - Le 24 janvier, Apple Computer lance le Macintosh. Vous allez voir pourquoi 1984 ne ressemblera pas A 1984. - C'était un film éblouissant, que l'on aimait pour son intelligence. Il préurait, vingt ans auparavant, la disparition progressi des frontières entre la
publicité commerciale et le dirtissement. Il ressemblait A un long métrage un long métrage de soixante secondes. Son réalisateur était Ridley Scott.
Créé par notre agence de Los Angeles, 1984 a été élu meilleur film de publicité du siècle par la
presse américaine. A€ l'occasion de son vingtième annirsaire, le magazine américain Creativity a sorti un numéro spécial consacré aux meilleures camnes des cinquante dernières années. Parlant du film d'Apple, il expliquait pourquoi il était considéré par la communauté créati mondiale comme le point de départ d'une noulle ère de la publicité : - Le chef-d'œuvre de Ridley Scott réinnte ac grandiloquence la prédiction de George Orwell pour illustrer de manière étrangement prophétique le noul ordre mondial inauguré par le Macintosh. Personne n'avait osé imaginer l'impact potentiel de la publicité avant que ce film ne transforme le Super Bowl en une vitrine mondiale de 1!'entertainment en rsion 60 secondes. -
L'article précisait que le film, sorti deux ans avant le lancement de Creativity, avait inspiré jusqu'A sa naissance mASme.
La publicité télévisée a vécu son age d'or dans les années quatre-vingt et son année mythique en 1984. Cette mASme année, une autre agence américaine, BBDO, après dix ans de films marquants pour Pepsi-Cola, produisit un film A maints égards exceptionnel.
Nous sommes en l'an 3002. Un archéologue et ses élès visitent la ète Terre lorsqu'ils découvrent une guitare électrique et une batte de base-bail. Aux élès qui boint leur Pepsi, le professeur donne des explications sur ces étranges ustensiles. H découvre ensuite une sorte de bouteille recourte de sédiments et la dépouille de sa gangue au laser. Le spectateur reconnait une bouteille de Coca. Quand les étudiants demandent au professeur ce qu'est cet étrange objet, celui-ci répond : - Je n'en ai pas la moindre idée. -
Le film mélangeait tous les genres. Hard sell et soft sell, la nte agressi et son contraire. La démonstration ati était incisi A l'extrASme, puisque Pepsi prévoyait tout bonnement la disparition de Coca-Cola. C'était aussi une petite merille d'humour, de mise en scène et de direction d'acteurs. Il obtint le grand prix du festival international de la publicité de Cannes.
Mon partenaire Lee Clow parle de média arts pour définir notre activité. S'il existe toujours un risque de donner dans l'art pour l'art et d'oublier le commerce en route, il reste que des trente ou soixante secondes tels que L'Ar-chéologue ou 1984 sont des chefs-d'œuvre, au plein sens du terme.
Le - trente secondes télévision -
Les générations passent, et les audiences changent. La génération Internet a décodé toutes les facettes de la publicité. Le chapitre suivant de ce livre donne un aperA§u du produit de demain, dont l'interactivité a déjA commencé A modifier l'écriture. Le présent chapitre se penche sur le contexte dans lequel il a évolué et va continuer de le faire.
Il est bien difficile de comprendre où l'on va si l'on ignore d'où l'on vient. C'est pourquoi je retourne ici aux années reines du - trente secondes télévision -. C'est comme un voyage dans l'histoire de la création publicitaire. Je terminerai le voyage aujourd'hui, moment où la prolifération des médias et la maturité des audiences des jeunes générations, qui ont déjA tout vu, remettent en question sa suprématie.
Plusieurs milliers de films ont été réalisés par les agences que j'ai dirigées. Je me suis toujours intéressé A ces objets très spéciaux. Quand on sait que, sur un film de trente secondes, qui contient en moyenne une quinzaine de s, la simple interrsion de quelques s au début peut en modifier radicalement l'impact, on reste modeste. Et l'on comprend que le souci du détail n'est pas un luxe inutile.
Il faut alors maitriser l'écriture. Pour cela, seule l'observation attenti peut compenser une expérience qui n'est jamais suffisante. A€ partir de deux très bons scripts, un mASme réalisateur talentueux ne fera peut-AStre qu'un seul bon film. La magie ne prend pas chaque fois. Quand tout se réduit A trente secondes, le talent n'y suffit pas. Des impondérables, une part d'aléatoire s'invitent A la le. C'est pourquoi il faut s'immerger, regarder sans cesse annonces et films, affiner sa pratique, comme un pianiste ses arpèges. Surtout, il faut savoir rester curieux. Renoir disait que la seule faA§on d'apprendre A peindre était de se promener dans les musées.
J'avais ainsi rassemblé, dès le début des années quatre-vingt, deux cents films de publicité. Je les avais analysés en détail afin de faire de cette étude le fondement d'un séminaire de formation sur la publicité télévisée. Ce séminaire durait deux jours et demi et comprenait plusieurs modules : - Les images parlantes -, - Le son est l'autre moitié de l'image -, - Le temps et le moument -, - L'idée créati -, etc.
On y parlait de découe, de cadrage, d'éclairage, y conjuguait sous forme d'exposés et d'exercices des considérations sur l'idée en publicité ainsi que des observations sur l'écriture cinématographique. On y apprenait la différence entre une idée de camne et une idée de film. On y étudiait ce produit si particulier, le trente secondes télévision. On y ait les différences de rythme et de découe entre un film de publicité et un long métrage. On s'émerillait enfin devant les films présentés, une sélection des meilleurs du monde.
La précision sans faille, le souci pointilleux du détail distinguent immédiatement les réalisateurs publicitaires lorsqu'ils réalisent des longs métrages. Ridley Scott hier, Spike Jonze aujourd'hui élaborent des story-boards de trois cents ou quatre cents images. Pendant les repérages, ils prévoient les mouments de caméra, les cadrages, les déplacements des comédiens. Le tournage laisse peu de place A l'improvisation. Ils peunt se consacrer au seul élément qui leur échappe, le jeu des comédiens, et encore auront-ils imposé de nombreuses répétitions auparavant.
A€ l'inrse, un Fellini arrivait sur le plateau de CinecittA sans savoir vraiment ce qu'il allait tourner. Tout le monde était prASt : script, chef-opérateur, comédiens. H réfléchissait. Il lui arrivait mASme de rentrer chez lui A court d'inspiration. On ne peut plus travailler ainsi aujourd'hui, aucun producteur ne l'accepterait. Cela interdit sans doute les fulgurances de l'Italien ou les lenteurs de deux autres, Antonioni et Visconti, mais le talent s'exprime différemment.
L'écriture concise, voire elliptique, s'est imposée, soumise A l'influence des très nombreux réalisateurs de longs métrages qui ont fait école dans la publicité, A la pression des producteurs, qui détestent l'imprévisible, et A la demande des générations nées ac une caméra dans le cerau.
J'ai aimé construire ce séminaire, ces modules. J'ai choisi quelques extraits de grands classiques ' Sur les quais, Passionate Friends, Potemkine ' pour illustrer tel ou tel point. Je me suis servi du Hitchcock de FranA§ois Truf-faut, qui reste un ouvrage de référence. J'ai été assisté par une productrice de notre bureau de New York, championne du prédécoue d'un film seconde par seconde.
Cet intérASt pour l'objet publicitaire a fait de moi une sorte d'entomologiste des films. J'ai écrit maints discours sur la publicité télévisée, fait quantité de présentations sur l'évolution de son écriture. Je me suis viment intéressé aux
publicités anglaises et américaines, parfois plus que les publicitaires de ces pays.
Invité par Procter & Gamble A Genè, il y a quelques années, j'avais construit une présentation qui mettait en scène l'évolution du métier d'une faA§on organique. Parti des idées de nte, fondement des publicités du
leader mondial de la grande consommation, je finissais par la dis-ruption, faisant de celle-ci l'aboutissement d'un cheminement de pensée qui s'enracinait dans la doctrine de Procter & Gamble. Je leur proposais d'imaginer une ligne droite allant de l'idée de nte A la disruption.
Pour que cela tienne, il m'avait certes fallu refaire un peu l'histoire et revisiter certains moments clés. Mais je pouvais ainsi leur proposer un voyage instructif dans l'unirs des produits de grande consommation. J'ai aimé le côté linéaire de cette présentation.
Quand le directeur du troisième cycle de marketing et
communication de la Sorbonne, mon ami Jacques Bille, m'a proposé d'animer un cours sur la création publicitaire, j'ai opté pour le mASme type d'approche. Je suis parti d'une démonstration réalisée au début des années cinquante pour Band Aid, l'équivalent américain de Tricostéril, et j'ai terminé par des commentaires sur l'évolution du trente secondes télévision A l'époque d'Internet. L'auditoire pouvait ressentir une progression, une montée linéaire. Les faits sont plus compliqués, mais l'artifice de la continuité favorise la pédagogie.
Tous les dix ou quinze ans, l'écriture publicitaire a évolué par ruptures successis. On est parti des démonstrations, puis on est passé aux idées de nte. Plus tard, on a fait appel A l'intelligence et A la sensibilité des téléspectateurs. Dès lors, les registres se sont multipliés pour aboutir A la créativité multiforme d'aujourd'hui, prenant un nombre infini de chemins, sans mode d'expression dominant.
L'ère des démos
Pour éclairer les fondements du métier, il faut remonter jusqu'aux années cinquante. C'est alors que la publicité telle que nous la connaissons aujourd'hui a pris son envol. Les films avaient déjA tous les ingrédients de la publicité moderne. Celui qui a été conA§u pour Band Aid en fournit l'illustration.
Ce film, en noir et blanc, est tourné en très gros . Tenu entre les doigts d'une main, un morceau de ruban adhésif pend mollement. La main l'approche d'un œuf. Le pansement parvient A coller A la surface sans qu'aucune pression soit effectuée. L'œuf reste ensuite collé au pansement, mASme dans l'eau bouillante, démontrant la résistance de ce dernier A l'eau chaude. Ce film fut l'un des premiers soixante secondes de l'histoire de la publicité.
Les grands annonceurs, A commencer par les lessi-viers, produisaient A l'époque des séries télévisées, ce qui explique qu'elles furent surnommées des soap opéras (opéras de savon). Profitant de ce sponsoring, que l'on appelle aujourd'hui bartering (troc) et qui revient en force, les annonceurs commencèrent A insérer des messages commerciaux dans les programmes. Ces messages se calibrèrent peu A peu, des formats se dessinèrent.
Au bout de quelques années, on en vint A séparer le message commercial du reste de l'émission. On commenA§a par des segments de deux ou trois minutes, sortes d'argumentaires fastidieux qui ressemblaient aux films actuels de télémarketing. Puis, pour des raisons de coût et d'efficacité ' on comprenait que les messages plus courts étaient plus efficaces ', on passa au soixante secondes, le format dominant des années cinquante, avant que la durée standard passe peu A peu au fameux trente secondes. Aujourd'hui, on peut acheter toutes les durées : soixante secondes, trente, vingt, quinze, dix, voire une seconde depuis peu.
Les années soixante et soixante-dix furent l'apogée des démonstrations. On commence toujours par lA . Plutôt que d'affirmer, on sait qu'il est plus efficace de démontrer. Les écrans se trouvaient littéralement envahis de démonstrations. Je travaillais A l'époque pour Procter & Gamble. Chaque fois que je me retrouvais en réunion, le chef de
marque me posait la question : - Az-vous trouvé une bonne démo ? -
Les démonstrations ont mauvaise presse auprès des créatifs. On peut le comprendre. A€ force de rechercher la démonstration du siècle, un grand nombre de marques nous ont proposé des mises en scène laborieuses et artificielles. Il y eut malgré tout quelques exceptions, telle la démonstration, renrsante de simplicité, imaginée pour la marque de colle Araldite.
Le film ne comprend qu'un seul . Un marteau cassé en deux est disposé sur une surface en bois. Une main met un peu de colle sur chacun des morceaux puis les maintient un bref instant l'un contre l'autre. A€ côté du marteau, sont disposées les deux parties d'un clou coupé en son milieu. La main recolle le clou comme elle l'a fait pour le marteau. Un moment passe. A€ l'aide du marteau réparé, le clou recollé est té dans la che de bois. Je ne connais pas démonstration plus efficace et plus visuelle.
Devant des œuvres de référence de ce genre, qui sont pourtant des démonstrations bien réelles, on est étourdi comme par un tour de magie. Mon enthousiasme peut faire sourire, mais j'ai observé les étudiants regarder le film Araldite. Ils étaient captivés.
Malheureusement, on ne trou pas chaque jour la démonstration du siècle. Ce registre ayant fini par s'essouffler, il fit place A une faA§on d'exprimer de faA§on littérale les bénéfices apportés par le produit ' Tricostéril adhère, Cif ne raye pas, Lesieur permet de faire de la cuisine moins grasse ' sans pour autant en apporter la preu. Un zeste de créativité devait suffire A se différencier.
L'ère des idées de nte
Hamlet, une marque de cigarillos doux, a pendant plus de vingt ans consolé nos voisins anglais des petites contrariétés de la vie quotidienne. Dans un film, un automobiliste dont la vitre est restée ourte est complètement trempé quand les balais cylindriques d'une aire de lavage commencent A tourner. Dans un autre, un artiste termine un dessin sur le trottoir lorsque des gouttes de pluie se mettent A tomber. Dans un troisième, un cow-boy, le ntre transpercé d'une flèche, se retrou face A saint Pierre, lequel consulte ses fichiers puis hoche négatiment la tASte.
Chaque fois, le protagoniste se console en fumant un cigare, et le thème de la camne s'inscrit sur l'image : - Le bonheur est un cigare doux, appelé Hamlet. -
Un milliard de téléspectateurs le regardent. C'est l'athlète chargé d'embraser la vasque de la flamme olympique, le jour de l'ourture des Jeux. Il tend majestueusement le bras, approche sa torche du rebord. Rien ne se passe. Il insiste. Toujours rien. Il ouvre alors sa boite de Hamlet et, devant le monde entier, savoure un cigare.
Cette camne se contentait de - mettre la
stratégie en images -. Elle était littérale. Les personnages des films sont contrariés. Ils avalent une bouffée et se détendent. C'était simple, linéaire, ac un avant et un après, comme on disait alors. Cela n'interdisait pas le brio, ni l'humour. Seulement voilA , tout le monde ne pouvait pas faire comme Hamlet. Les publicitaires ont dû faire face A un nombre limité de promesses possibles : une lessi lavait plus blanc, une voiture allait plus vite ou était plus sûre, un soft drink désaltérait, un cigare détendait.
Les premières marques A avoir rendiqué ces bénéfices se les sont appropriés. Les suivantes ont dû chercher ailleurs, sous peine de ne pas se différencier. Ne pouvant en rester A l'expression littérale du bénéfice, elles ont dû aller plus loin.
Toujours au tournant des années soixante-dix, un nouau concept, - l'idée de nte -, a fait son entrée en scène. Il s'agissait sount d'un slogan, mais pas toujours. L'idée de nte résumait, - encapsulait -, comme disent les Américains, la stratégie de la camne en une phrase. Il ne s'agissait pas d'une reformulation de la stratégie, qui se serait trouvée en quelque sorte paraphrasée. L'expression du bénéfice n'était pas littérale. Un saut se produisait, puisqu'il y avait une idée. De lA le concept de - saut créatif -, que j'avais proposé A l'époque.
Parmi les idées de nte les plus célèbres de ces années, qui ne se souvient d'- il faut secouer Orangina pour mélanger la pulpe d'orange - ? L'annonceur ne se contentait pas de souligner qu'Orangina était plus naturel, puisque A base de pulpe, il allait plus loin. D communiquait son message au trars de l'idée de secouement. LA résidait le saut créatif.
Ac - fond dans la bouche, pas dans la main -, de Treets, nous tenions la preu ultime de la puissance des idées de nte. Le groupe Mars, qui possède la marque Treets, avait décidé un jour de l'abandonner pour une marque mieux connue sur le international, M&Ms. Tout changement de nom implique une perte, mASme légère, de chiffre d'affaires. Pas dans ce cas. L'idée était tellement forte qu'elle avait pris le pas sur la marque.
La plupart des grandes idées de nte sont restées plus de dix ans A l'antenne. Trente ans pour Orangina. Les idées de nte fortes ont cette particularité de durer et, ce faisant, de donner encore plus de valeur aux marques.
Dans les années soixante-dix, les deux meilleures agences anglaises étaient CDP (Collett Dickenson Pearce) et BMP (Boase Massimi Pollitt). Elles ont toutes deux disparu aujourd'hui, mais leur trace est indélébile. CDP s'est rendue célèbre pour ses camnes Fiat, Benson & Hedges, Hamlet et surtout Heineken.
Après une longue journée de
travail debout, des policiers sont invités A boire une Heineken. Un homme de science note leurs réactions. Bs ont retiré leurs chaussettes et retroussé leur bas de pantalon. Très dignes, il sont en train de boire leur bière quand l'homme en blouse blanche se penche sur l'objet de son expérience : les orteils engourdis des policiers reprennent vie peu A peu et finissent par bouger, apportant la preu que Heineken rafraichit effectiment - les endroits du corps que les autres bières ne peunt atteindre -, comme le disait la voix off. Ce fut probablement la camne la plus célèbre d'Angleterre grace A ce slogan.
Dans un autre film, une galère vogue A vi allure. Une bière normale est distribuée aux rameurs de gauche, une Heineken aux rameurs de droite. Le rythme donné par le tambour s'accélère. Les galériens de droite rament plus vite que ceux de gauche, ce qui prou que Heineken les a mieux rafraichis.
En règle générale, après que dix ou vingt films ont été mis A l'antenne, l'idée d'une camne s'use, et la camne elle-mASme s'essouffle. B faut passer A autre chose. Cela n'a pas été le cas ac Heineken, et plus de quarante films ont été produits sur ce thème. Plus la camne passait, moins elle s'usait. Chaque nouau film rafraichissait l'idée, la faisait voir sous un angle inattendu.
Le mASme constat vaut pour la camne Orangina. Chaque film a amplifié le saut créatif. Chaque exécution a renforcé l'idée.
De la révolution créati A aujourd'hui
Bill Bernbach (1911-l982) est le père de la publicité moderne. Personne n'a marqué le métier autant que lui. La révolution créati qu'il a conduite, comme par hasard au milieu des années soixante, a entrainé toute une génération de publicitaires, parmi lesquels Mary Wells, dont nous avons racheté l'agence une vingtaine d'années plus tard. Bernbach a tout changé du jour au lendemain, la perception de ce que nous faisions comme notre faA§on de le faire. B a compris le premier qu'il fallait s'adresser au public autrement.
La camne qu'il a imaginée pour Avis est restée dans les mémoires. Ac elle, il inaugurait une technique noulle, abondamment utilisée par la suite par de nombreuses agences, qui consistait A tourner en positif un négatif. Dans un pays qui ne respecte que les gagnants, personne, jusqu'A Bernbach, n'aurait eu l'idée de se vanter d'AStre second. Lui n'a pas hésité A proclamer : - Nous sommes numéro deux ; nous en faisons plus - ( We Try Harder). Ce fut, qu'on me pardonne l'anachronisme, une disruption avant la lettre. Il a fait de cette position de challenger le ressort de sa camne, la - raison de croire - qu'Avis en faisait plus pour battre le numéro un.
Depuis cette annonce, la bataille entre Avis et Hertz est denue un classique, au mASme titre que celles qui opposent McDonald's et Burger King ou Pepsi et Coca-Cola.
L'autre camne qui a marqué les esprits pour toujours, probablement la plus célèbre, fut conA§ue pour Volkswagen. Dans une dé
marche parallèle A celle d'Avis, Bernbach s'est appuyé sur les défauts d'une automobile, la Coccinelle, A la fois vieillotte et trop petite, pour en faire un modèle A la mode. Les annonces se sont multipliées dans cette mASme tonalité. La première disait : - Pensez petit - (Think Small). La seconde : - Elle est moche, mais elle vous y conduira - (It's Ugly but it Gets You There). La troisième était encore plus désarmante. Son titre ne comprenait qu'un mot, Lemon, qui signifie tacot en argot américain.
Quant aux films, ils ont fait l'objet de multiples expositions au MOMA, le musée d'art moderne de New York. Dans l'un d'entre eux, filmé en noir et blanc, on aperA§oit au beau milieu d'une tempASte de neige les contours d'un chasse-neige. La voix off s'interroge : - Vous AStes-vous jamais demandé comment le conducteur du chasse-neige rejoignait le chasse-neige ? - Une Volkswagen se frayait alors un chemin jusqu'A l'engin A trars les congères, non sans avoir démarré au quart de tour. Il y a eu d'autres films mémorables pour cette camne, en particulier un, qui surpasse tout.
Sur une route dégagée conduisant A un cimetière chemine une procession de limousines. Dans la première, la u du défunt, dans la deuxième ses fils, dans la troisième ses associés. Aucun d'eux ne semble peiné. En voix off, le disparu nous parle, ou plutôt nous lit son testament : - Moi, Max Willie Stenie, sain de corps et d'esprit, déclare par la présente léguer les choses suivantes : A€ ma femme Rose, qui dépensait l'argent comme s'il n'y avait pas de lendemain, je laisse cent dollars et un calendrier. A€ mes fils Rodny et Victor, qui dépensaient chaque centime que je leur donnais en voitures tape-A -Pœil et femmes faciles, je laisse cinquante dollars en pièces d'un cent. A€ mon associé Jules, dont le seul credo était "Dépense ! Dépense ! Dépense !", je laisse "Rien ! Rien ! Rien !". A€ mes autres amis, qui n'ont jamais appris la valeur d'un dollar, je laisse un dollar. -
Nous apercevons alors, A trars la vitre d'une voiture, son neu de profil en train d'essuyer une larme. La voix off poursuit : - Enfin, A mon neu Arnold, qui disait sount "Un sou est un sou" et "Waouh, oncle Max, A§a paie d'avoir une Volskwagen", je laisse mon entière fortune de cent millions de dollars. - Nous découvrons A la fin que le neu conduit bien évidemment une Coccinelle, fermant la marche des limousines.
D'un seul coup, le public sentit que la publicité pouvait faire preu de finesse, que nous entrions dans une noulle ère, que plus rien ne serait comme avant.
Bill Bernbach multiplia les aphorismes. Dans un des plus célèbres, il disait : - Je peux dessiner un homme qui pleure, et cela ne sera jamais rien d'autre que le portrait d'un homme en pleurs. Mais je peux aussi le peindre d'une telle faA§on que vous en aurez les larmes aux yeux. -
La publicité commerciale A la télévision a commencé en France le 1er octobre 1968. Ce fut le grand tournant. J'ai débuté ma carrière en 1971, moins de trois ans après. Toutes les personnes qui ont pratiqué ce métier depuis lors ont été nourries par Bill Bernbach. Il a modelé notre faA§on de travailler. Qu'ils soient de New York ou de Shanghai, tous les créatifs du monde resteront, parfois sans le savoir, ses fils spirituels.
Il y eut comme cela de grands cycles, des modes d'expression dominants qui furent repris par la majorité d'entre nous, des tendances dont nous n'étions pas toujours conscients mais qui modelèrent notre approche du métier.
Aujourd'hui, aucun
client ne nous demande une démonstration, peu de patrons de marketing sant ce qu'est une idée de nte, et bien des annonces de Bernbach semblent irrémédiablement datées. Nous parlons A des générations qui sont nées ac la publicité et en décodent les moindres intentions. Nos enfants devinent les
stratégies marketing avant mASme qu'elles aient été écrites.
Il n'existe plus de modes d'écriture dominants. Mieux, d'une marque A une autre, d'une période A une autre, les agences peunt utiliser tous les registres imaginables. Pourtant, la plupart des créatifs ont tendance A se rassurer en recourant trop systématiquement A un registre qu'ils pensent mieux maitriser. Pour certains, ce sont des films de comédie, aux dialogues acérés. Pour d'autres, des films grandiloquents, sortes de manifestes de marque. Pour d'autres encore des films branchés ou décalés, A l'humour corrosif. Je considère pour ma part que ce serait une erreur, pour les créatifs comme pour les agences, de se spécialiser. Il faut savoir faire preu d'éclectisme.
Pour aller dans ce sens, j'ai mis au point il y a plus de dix ans un outil permettant de regrouper de nombreux registres d'expression, qu'ils ressemblent A ceux des lessiviers ou A ceux de Bill Bernbach. Appelé - ladder - (échelle), il comprend six cases : présence A l'esprit, attribut, bénéfice, territoire, valeur, rôle.
Avant de concevoir une camne, nous nous posons désormais la question suivante : - Où voudrions-nous voir la camne s'exprimer, A quel niau de l'échelle ? - Il faut choisir. Souhaitons-nous renforcer la présence A l'esprit (comme Cachou Lajaunie ac - Tchi Catchi Cachou Lajaunie -, ou Budweiser ac - Bud Budweis Budwei-ser -) ? Mettre en valeur un attribut (comme le - Nous sommes numéro deux - d'Avis) ? Souligner un bénéfice (comme Ariel et ses démonstrations sur la propreté) ? Faire valoir un territoire (comme Levi's, qui nd une parcelle d'Amérique aux Européens) ? Incarner une valeur (A l'image de Nike, qui glorifie le dépassement de soi) ? Ou donner un rôle A la marque (A l'exemple de Virgin Megas-tore, proclamant : - On ne fera jamais assez de place A la musique -) ?
Le ladder n'a pas pour ambition de recouvrir tous les modes stratégiques possibles, mASme si nous n'en sommes pas loin. Il vise A ordonner la pensée, A mieux comprendre quand il est temps d'effectuer un saut stratégique. Sauter d'un registre A l'autre représente toujours un moment important, une rupture dans la vie d'une marque. En proposant au public de la voir sous un jour nouau, nous la rafraichissons, la transformons, la réinntons.
Cette faA§on de distinguer les approches présente l'avantage de permettre A l'agence d'intégrer des discours A la Apple comme A la Head & Shoulders. C'est A la marque de trour son style, non A l'agence d'imposer le sien. Le choix de tel ou tel registre relè de la stratégie, non de l'exécution. Décider de préempter un territoire, d'incarner une valeur ou de rechercher une idée de nte devient un choix en amont. Ainsi s'affine le rôle de la stratégie publicitaire.
Ac le temps, le ladder est denu l'outil phare de notre méthodologie, la disruption. Il autorise et promeut tous les modes d'expression. La preu en est qu'une de nos agences parisiennes a choisi récemment de recourir au registre prétendument désuet de la démonstration. Un homme ouvre l'étui d'un préservatif et l'enfile sur son index. Il presse ensuite son doigt sur un tampon encreur et, A la manière d'une prise d'empreinte, l'applique sur une feuille de papier blanc. L'empreinte digitale s'imprime très clairement sur la feuille, preu de l'extrASme finesse du produit.
Cette agence a sept ans. C'est probablement le meilleur film qu'elle ait jamais conA§u. Et c'est une démonstration. La boucle est bouclée.
On pourrait s'interroger sur le fait que ce chapitre soit consacré au film publicitaire, alors que, d'articles en colloques, chacun s'accorde A prédire la mort du fameux - trente secondes télévision -. Selon moi, les films publicitaires, parce qu'ils conjuguent image, son et moument, resteront les plus grands véhicules de l'émotion. Rien ne pourra les supter lorsqu'il s'agira d'imaginer les grands discours des marques, d'exprimer en quelques s serrés ce en quoi elles croient. Volkswagen et Heineken hier, Apple et Adidas ensuite ne seraient pas denues ce qu'elles sont sans les films de publicité.
Je suis persuadé que les films ont encore une longue vie devant eux. Ils évolueront certainement, dans leur conception comme dans leur écriture, du fait notamment de l'omniprésence des médias interactifs. Mais je pense aussi qu'Internet aura une influence imprévue, mais directe, sur la qualité des films. Un nombre grandissant de films de publicité produits de faA§on plus ou moins artisanale, dont le budget ne dépasse guère vingt mille euros, dix fois moins qu'une production télévisée moyenne, sont diffusés on-line. La maitrise de l'écriture
cinématographique est aujourd'hui tellement répandue que ces - petits films - se révèlent sount d'excellente facture. Leur succès on-line conduit parfois les annonceurs A les reprogrammer off-line, autrement dit sur les écrans de télévision.
Cela s'est produit dernièrement ac la camne TGV Pro, dont la signature était : - Tout autre choix ne serait pas très professionnel. - Cette camne s'est déclinée en trois films, diffusés sur Internet, mettant en scène des professionnels stressés, en retard A leur rendez-vous, ce qu'ils auraient pu éviter en choisissant le train. A€ peine sortis, les films ont été largement échangés par les internautes. Ils ont été plébiscités. Devant ce succès, la direction de la SNCF a décidé de les passer sur les grandes chaines nationales.
Ces noulles conditions de production vont sans doute contribuer A augmenter la créativité des films. Dès le moment où les coûts baissent, il devient possible d'AStre plus audacieux. Le risque financier se réduisant, on hésite moins A tenter des paris. Internet permet de surcroit, et A bas prix, d'en mesurer la pertinence. C'est ainsi que, par un effet retour inattendu, le média interactif, censé annoncer le déclin du film télévisé, contribuera A sa pérennité.
La seule différence, mais elle est de taille, vient de ce que, dorénavant, les gens ne rront le film que s'ils en ont envie, et lorsqu'ils le décideront.
Le basculement
Bill Bernbach ainsi que les rares publicitaires qui ont su marquer de leur empreinte ce métier refusaient de s'inviter de force dans le salon des téléspectateurs. Leur respect de l'audience les conduisait A faire preu de toujours plus de créativité, ce qui représentait pour eux une forme de courtoisie. Refusant d'AStre des intrus, ils étaient des précurseurs.
Le vieux modèle de la publicité consistant A s'imposer a vécu. Il est aujourd'hui dépassé. Nous entrons dans un monde où les gens ne regarderont que ce qu'ils auront envie de voir. Plus personne ne pourra faire irruption A l'improviste.
Les évolutions précédentes ne sont rien ées au basculement qu'engendre le digital. Dans la période qui s ouvre, les gens auxquels nous nous adressons ont une télécommande dans une main ou une souris au bout des doigts. Jusqu'ici, ils avaient l'habitude de subir la contrainte des horaires et d'un format package. Aujour-d'hui, iis sont libres de choisir l'heure A laquelle ils vont regarder leur émission préférée ou le nombre de chansons qu'ils vont sélectionner sur un album. Or, plus les consommateurs maitrisent le contenu, plus grande est la difficulté pour les publicitaires. Bien sount, le consommateur qui se voit offrir de telles possibilités choisit d'éviter la publicité.
Nous passons peu A peu d'un paradigme A l'autre. Dans le premier cas, le consommateur subit ; dans le second, il choisit. Les pôles de l'autorité s'inrsent. A€ terme, cela pourrait se transformer en bonne noulle. Jusqu'A présent, la créativité était facultati, elle se contentait d'AStre une opportunité. Elle devient une nécessité.
Il reste que, dans l'immédiat, bien des publicitaires sont enrayés. Les noulles technologies ne risquent-elles pas
de condamner un produit qui a fait ses preus avant mASme que son successeur soit prASt ?
Le bras armé de cette période d'incertitude, bras arme symbolique, porte un nom : TiVo. Cette marque de magnétoscopes numériques équipés d'un disque dur a, en très peu de temps, modifié les habitudes des téléspectateurs américains. Il s'agit d'un système si intelligent qu'il est capable de déceler les préférences du téléspectateur en analysant ce qu'il a regardé et de lui proposer une série d'émissions parmi les centaines programmées sur le cable ou le satellite dans la semaine A nir. TiVo permet en outre A l'utilisateur de sauter toutes les publicités.
En septembre 2000, un collaborateur de notre bureau de New York a gagné une TiVo box A un concours. Sa fille n'avait que trois mois lorsque la boite a été installée. Pour autant que celle-ci puisse s'en sounir, TiVo aura toujours fait partie de son paysage. Près de quatre millions et demi de foyers américains en seraient déjA équipés en avril 2006.
Voici ce que nous a confié Ted A propos de l'expérience de sa fille :
Sophie ne passe pas beaucoup de temps devant la télévision, en tout cas pas plus d'une heure par jour. Quand elle la regarde, elle a le choix entre les derniers épisodes de plusieurs de ses émissions préférées, qui sont préenregistrées. Elle peut donc les visionner A tout moment de la journée. Quant A nous, nous pouvons choisir les émissions que nous l'autorisons A voir.
Elle ne regarde que rarement les spots publicitaires. Nous les passons toujours en accéléré, ou bien nous regardons des émissions sans publicité. Si jamais elle voit un spot, elle se montre intriguée et nous demande de mettre sur pause afin qu'elle puisse comprendre de quoi il s'agit. Elle n'a jamais eu A subir les interruptions publicitaires. Du coup, elle interrompt elle-mASme, par curiosité. Mais c'est bien sûr peu fréquent. Enfin, elle ignore les horaires des programmes. Elle n'a aucune idée de l'heure A laquelle passent ses émissions préférées. Quand elle regarde la télévision sur un poste qui n'est pas équipé de TiVo, elle se sent un peu perdue. Il faut chaque fois lui expliquer que ce téléviseur ne fonctionne pas comme le nôtre. H nous est arrivé d'abréger notre explication et de lui dire : * Cette télé ne marche pas. -
A€ trars son témoignage, Ted a résumé ce qui attend l'annonceur de demain. S'il ut adopter des stratégies inédites, il devra assimiler le contexte auquel il est confronté. Il lui faudra apprendre A vivre dans le monde où TiVo et d'autres techniques interdisent A la publicité de s'imposer. Il doit dès maintenant saisir ce qui commence. C'est une chose de créer des ruptures par rapport A un unirs fixe. C'en est une autre d'avoir une attitude dis-rupti dans un monde qui est déjA en moument.
Génération - Always on -
Tous les dix ou vingt ans, des marques apparaissent quand d'autres disparaissent. Certaines d'entre elles auront réussi A atteindre la fille de Ted, lui seront denues familières, sans avoir eu A dépenser un centime en télévision. Elles se seront lancées de faA§on virale.
Je ne goûte guère cette expression, qui décrit la publicité de demain comme un mal qui se transmet d'écran A écran ou de bouche A oreille. Je préfère dire que nous œuvrons désormais dans la proation, car ce mot décrit clairement les mouments qui se créent. L'internaute aime faire partager un récit, une idée, une histoire drôle, un dialogue incongru, une information inédite. Toutes ces informations font leur chemin grace A l'intérASt qu'elles suscitent. Elles se proent de faA§on géométrique.
On peut ainsi lancer un produit sans télévision, et ce depuis longtemps déjA . Nous l'avons accompli pour PlayStation dès 1995. Notre cible était le grand frère de Sophie. Cette année-lA , Sony lanA§ait sa première console de jeux. L'agence avait suggéré de lancer ce nouau produit en laissant le moument nir du bas, en créant un phénomène que les gens pourraient découvrir par eux-mASmes au lieu d'y AStre exposés de manière frontale. La camne PlayStation débuta par une phase de bouche-A -oreille.
D'étranges messages cryptés évoquaient la PlayStation sur des tee-shirts, des autocollants et, ce fut une première, sur Internet. Ces messages étaient parfois déconcertants. L'un d'eux se résumait A un nombre : 9-9-95. Il s'agissait de la date officiellement choisie pour lancer la PlayStation, mais c'était au public de le deviner. Un autre message commenA§ait A circuler. Il disait : Enos Lis (Enos vit). Les gens devinaient qu'Enos (prononcer inos) était l'anagramme de Sony et que la marque s'apprAStait A lancer un grand jeu.
Vint enfin le message principal, le premier slogan de la camne. A€ la fois énigme et défi, il se lisait U RNot e, le e étant imprimé en rouge (jed en anglais). Dans la prononciation anglaise, cela donnait : You Are Not red-E, autrement dit You're not ready, - vous n'AStes pas prASts pour ce qui va suivre -. - Ac ce slogan, a dit l'un de nos collaborateurs, nous lancions un défi et affirmions : nous pensons que vous n'AStes pas capables de vous servir de ce jeu. - La réponse de la rue ne se fit pas attendre.
Nous sommes passés ensuite A une phase plus classique, utilisant des médias traditionnels, mais qui se révéla en réalité tout sauf classique. La tactique a consisté A cacher des indices dans le paysage médiatique. Révolutionnaire A l'époque, elle sera fréquemment reprise par les publicitaires, une fois la mode du marketing viral lancée.
L'agence déposa ce qu'elle appelle des - œufs de Paques - dans les publicités, c'est-A -dire des indices qui ne se voient pas A moins qu'on ne les guette. Ce peut AStre des astuces pour améliorer la stratégie de jeu, qui passent comme un éclair sous forme de messages quasi subliminaux pendant les films. Les spectateurs avisés, renseignés par les magazines spécialisés, comprennent qu'en enregistrant les films et en faisant des arrASts sur image ils peunt lire les indices.
Pour PlayStation, nous avions ainsi organisé un jeu autour de la décourte de la marque, et beaucoup de gens ont eu envie d'y participer. Le caractère contagieux de la camne généra un - effet média multiplicateur -, si bien que le message atteignit beaucoup plus de monde qu'il n'y avait eu de téléspectateurs devant les publicités. On se passa les indices récoltés, ce qui alimenta un phénomène de bouche-A -oreille inestimable.
Au moment où la console arriva sur les rayons, les gens étaient plus que red-E. Une année tout juste après son lancement, les ntes de PlayStation étaient cinq fois supérieures A celles de la Saturn de Sega.
Dix ans ont passé. A€ l'age d'Internet, c'est une génération. Comme je l'ai dit plus tôt, le publicitaire contemporain doit faire face A l'inrsion progressi des rôles entre l'émetteur et le récepteur. Chacun d'entre nous est le point de départ d'un réseau qui comptera bientôt six milliards d'individus. Aujourd'hui, tout le monde a son blog ; demain, tout le monde sera son propre média, sa propre télévision.
Nous sommes face A une génération baptisée par Ipsos My Media Génération. En raison de la conrgence des contenus et de la multitude des technologies sans fil et interactis qui sont offertes aux consommateurs, ces derniers s'attendent que les médias personnalisent leur contenu et s'adaptent A leurs besoins, humeurs et envies.
D'où leur insatiable appétit de PSP, iPod, playlists, TiVo, Sidekicks et autres Blackberries, et le succès commercial de ces produits.
Les centres d'intérASt de cette classe d'age sont bien connus : la musique, Internet et le téléphone porle, sans compter leurs possibilités infinies de combinaisons. Chacun de ces - besoins vitaux - doit, de surcroit, offrir un contenu personnalisé.
Pour la musique, on peut recourir A des profils en ligne, des écrans d'accueil, des sonneries ou des podcasts. Rien n'est plus facile pour ces consommateurs que de créer un environnement musical qui leur soit personnel, qui corresponde A leur humeur et A chaque occasion particulière. Les lettres de diffusion en - opt-in -, les canaux RSS (Really Simple Syndication) et les es d'accueil de sites personnalisables leur donnent les
moyens de choisir eux-mASmes et d'individualiser leur expérience en ligne. Blogs et wikis les incitent A exposer leur vie dans les moindres détails, en invitant le monde entier A y prendre part. Ces consommateurs transforment les médias. Plus encore, ce sont eux qui deviennent les médias.
Cette génération a été également appelée - Me Inc. -, tellement elle est, non pas égocentrique, mais - égocentrée -. La psychologue Jean Twenge parle de Génération Me. Elle la décrit comme autocentrée, confiante, tolérante, ourte d'esprit, mais aussi cynique, déprimée, inquiète et solitaire. Le point d'orgue de sa démonstration est que ses membres ont été élevés pour viser les étoiles, A la recherche de la réussite et de la célébrité, A une époque où il était difficile d'acquérir une formation unirsitaire solide, de dénicher un bon travail et de trour A se loger, mASme ac deux salaires. L'écart entre espérance et réalité s'ac-croissant, le malaise a grandi. En réaction, chacun a fini par se replier sur soi.
Une autre de ses caractéristiques est qu'elle aime se mettre en scène. On peut trour sur Internet des milliers d'épisodes de séries de télévision ou de films publicitaires qui ont été détournés, ou simplement rejoués. Le jeune public, qu'il soit américain ou non, rAS d'incarner tel ou tel personnage. Plus les films sont branchés et décalés, plus des rsions noulles, plus ou moins fidèles, le plus sount ébouriffantes, circulent sur le réseau. Se créent ainsi des concours de réinterprétation, dans lesquels les participants se distribuent des prix. Chaque internaute est graine de star.
Always on est une autre expression employée pour les qualifier. Elle renvoie au fait qu'ils sont toujours connectés et qu'ils font en permanence plusieurs choses A la fois, comme téléphoner A leurs amis, jouer en réseau sur leur console, écouter de la musique, mettre A jour leur blog, tout en téléchargeant des podcasts.
Quel que soit le qualificatif que nous leur accolons, il est certain que nous ne pouvons plus construire les messages qui leur sont adressés de la mASme manière qu'auparavant. Le mode d'écriture linéaire, qui a dominé la conception des films publicitaires depuis toujours, est dépassé. Ceux qui cliquent A§A et lA sont plus frappés par des signes que par de longs messages. Ils s'arrAStent devant des symboles, des icônes, des métaphores visuelles. Le vieux principe des annonceurs américains ' dire ce que l'on va dire, le dire et le redire encore ' devient inopérant. Nous entrons dans un monde non linéaire, un monde d'impressions.
Renue de tout, sans pour autant AStre blasée, cette génération se montre de surcroit difficile A surprendre. Dieu sait pourtant qu'il se passe des choses extraordinaires dans son monde. En voici quelques exemples, pris au hasard.
Un Australien a acheté sur le site Calypso une ile pour la somme de vingt-six mille dollars. Les dollars sont réels, mais l'ile est virtuelle. Manifestation ultime de l'ostentation. Plus d'un million de personnes gagnent davantage d'argent grace aux affaires qu'ils font sur eBay que dans leur profession régulière. Sur Times Square, une affiche électronique de Nike permettait au passant de personnaliser depuis son téléphone porle la tenue de foot qui apparaissait sur l'écran géant situé au-dessus de sa tASte. Lorsqu'il regarde une série télévisée, le spectateur peut cliquer sur la robe de l'un des personnages et faire apparaitre sur l'écran le nom du créateur et le prix. Des castings pour choisir les comédiens de noulles séries se font sur Internet, les internautes votant pour exprimer leur choix.
Un cimetière virtuel a été créé pour permettre aux Japonais résidant A l'étranger d'honorer leurs morts. Comme ce cimetière ne connait pas de limites de place, on peut également y confier les manes de son animal de comnie ou d'un Tamagotchi Une sectiune de Los Angeles ure tous les endroits visités par Jack Bauer, le héros de Vingt-quatre heures chrono, permettant de suivre précisément les pérégrinations du héros de la lutte antiterroriste et de vérifier si les distances parcourues dans chaque épisode sont crédibles, ce qui a fini par influencer le scénario de la cinquième saison.
On pourrait consacrer une bibliothèque entière A ces extraordinaires possibilités de l'époque qui s'ouvre, et dont les plus attentifs d'entre nous n'avaient entrevu qu'une infime partie il y a ne serait-ce que dix ans. Le paysage audiovisuel en est renoulé de fond en comble, et il se crée un contexte inédit, de nouaux médias, source probable de nouaux modes d'expression, dont la majeure partie reste A imaginer et que nous évoquons au prochain chapitre.
A€ ce bouillonnement d'initiatis et d'idées noulles, qui donne le sentiment d'un désordre grandissant, pour ne pas dire d'un chaos définitif, répond en contrepoint une noulle capacité : tout devient mesurable.
TiVo sonde ses abonnés pour savoir combien sont installés devant leur écran, quelles émissions ils regardent, quelle proportion d'entre eux assistent A une émission au moment de sa diffusion par rapport A ceux qui l'enregistrent et la regardent plus tard, combien de personnes ont vu plus d'une fois une partie d'émission, combien ont sauté les publicités et lesquelles.
Presque tous les médias feront bientôt l'objet de mesures d'audience, A l'instar de ce qui se passe aujourd'hui pour la publicité en ligne. Au lieu de procéder A une vague extrapolation A partir d'un panel, les publicitaires pourront savoir ac précision combien de gens ont regardé une émission et, plus important encore, combien de ménages auront vu leur publicité. Cette information pourra AStre appliquée A des modèles de mesure de la demande.
Si les messages se révèlent plus efficaces que prévu, le publicitaire pourra artir son client afin que celui-ci augmente l'offre disponible sur le marché, en réponse A une augmentation probable de la demande.
- Je sais que la moitié de mes dépenses publicitaires sont inutiles, disait un grand annonceur américain dans les années soixante, mais je ne sais pas de quelle moitié il s'agit. - Ce vieux constat risque bien d'AStre définitiment contredit.