NAVIGATION RAPIDE : » Index » MARKETING » publicité Sortie de tunnelEstelle n'avait pas chômé depuis près de cinq semaines. Paradoxe de la grève qui avait tétanisé le pays, jamais son cabinet d'études n'avait été autant sollicité. Tout le monde ulait comprendre, et comme tout le monde prétendait n'air rien vu venir, il avait bien fallu tout réexpliquer. Rapidement, elle se rendit compte, A écouter les uns et les autres, que la crise reposait, pour beaucoup, sur une assez mauvaise foi autant que sur un manque de communication (autre paradoxe pour un secteur censé en AStre le porte-drapeau). La mauvaise communication, lA , c'était tout aussi clair. Ces messieurs-dames des agences et des annonceurs n'avaient pas vraiment, c'était le moins qu'on puisse dire, fait beaucoup d'efforts pour améliorer les choses. ça n'était pas que les très officielles AACC et UDA n'eussent jamais précisé les choses, décrit les métiers, engagé aux bonnes pratiques, édité les guides les plus complets, ni organisé les plus fructueuses rencontres. L'inertie des uns, la mauvaise foi souvent, la réticence A rompre les conventions, la dimension microcosmique de ce petit monde, tout avait contribué A ce que rien ni personne n'ose faire - bouger les lignes -. Après le rendez-us matinal A l'Elysée, elle avait été rappelée par Aurélien que le Président, convaincu des qualités du jeune stagiaire et pas faché de doubler ses réseaux traditionnels qui avaient objectivement failli A ses yeux, avait investi du rôle de chargé de mission officieux pour nourrir sa réflexion et l'aider A faire avancer les choses. Ils s'étaient revus régulièrement et Aurélien s'était plusieurs fois rendu au bureau d'Estelle pour se faire expliquer en détail la méthodologie des études et leurs conclusions, et analyser avec la direction les grandes orientations possibles pour la grand-messe du Grenelle de la pub annoncée par le Premier ministre. Celui-ci avait choisi d'en confier l'orchestration A un duo de choc, 100 % féminin de surcroit : Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, et Christine Lagarde (pour veiller au grain financier), désignées comme grands officiants. Compte tenu de l'impact médiatique - si l'on pouvait dire - de la grève, Nicolas Sarkozy avait mASme tenu, après coup, A y ajouter son talentueux ministre du Travail, Xavier Bertrand, qui avait si bien réussi A conduire les négociations sur les régimes spéciaux, l'automne précédent. Dans son esprit, l'emploi était évidemment l'une des conditions du développement durable d'un pays dynamique, actif, imaginatif. Remettre la publicité sur pied, c'était en garantir les emplois et mASme, il le réclamait expressément, en créer de nouveaux pour peu que l'on fût capable d'en réinventer les pratiques et la réglementation. Juliette était repartie pour la Chine. Il était convenu qu'elle serait associée A la mise en place d'un réseau fédérant les différentes actions culturelles et de communication de la France dans ce pays, un peu sur le modèle de celles initiées par le poste d'expansion économique avec les entreprises, mais en y associant les groupes publicitaires franA§ais présents sur place. La - fracture culturelle -, ou plus simplement la formidable élution qu'il avait perA§ue chez la future première économie mondiale, justifiait qu'on y regardat d'un peu plus près pour en tirer des enseignements pour nos entreprises et les aider A mieux communiquer sur place, mais aussi pourquoi pas chez nous, avec l'aide de professionnels bien aguerris, comme l'agence de Juliette. S'ils nous inondaient d'importations A des prix défiant toute concurrence, les Chinois méritaient bien en retour que le sair-faire publicitaire A la franA§aise devienne incontournable chez eux. Aujourd'hui, ils se retrouvaient pour une réunion informelle sur les quais de Puteaux, au siège du groupe Bolloré. L'industriel breton, actionnaire depuis près de deux ans du groupe Havas, était également A la tASte d'un des rares conglomérats A la franA§aise, diversifié dans les films plastiques, le transport maritime, la logistique, l'énergie, etc. Il possédait également sa propre chaine de télé, Direct 8, pour l'instant diffusée sur la TNT (télévision numérique terrestre), et se trouvait donc dans la très inconforle situation de l'arroseur arrosé, privé qu'il était de tout outil publicitaire pour dynamiser ses autres activités. Avec leurs interlocuteurs de Direct 8, tous anciens passes par des agences, deux représentants de l'AACC et deux autres du club des DA, plus trois participants pour chacun des deux collectifs fondés pendant la grève, ils mettaient au point la feuille de route pour les négociations A venir. On savait que Maurice Lévy y serait, Bolloré aussi, ainsi qu'un ou deux députés qui accomneraient la ministre de la Culture et de la Communication, outre Christine Lagarde. En fait, l'ampleur de la grève et son impact sur le public et sur la vie économique mettaient la profession en position de force, face A des pouirs publics dont la connaissance des problématiques était somme toute trop récente (ou trop biaisée) pour qu'ils prennent la main. - VoilA encore une belle exception franA§aise, soupira Estelle A ce propos. Nous sommes A peu près le seul pays moderne A air un ministre de la Culture et de la Communication. ça fait très Ancien Régime et c'est encore une de ces spécialités dont personne, A ce que je comprends, ne peut ni ne veut se défaire. Je ne is pas d'autre aison qu'avec la Chine, mais, lA -bas, on sait pourquoi la culture et la communication restent bien encadrées. Tu aueras, Aurélien, qu'entre la loi sur les droits d'auteurs sur Internet de Donnedieu de Vabres, il y a deux ou trois ans, et le blocage des sites "incorrects" A Shanghai, on est un peu dans le mASme registre. C'est comme pour la bibliothèque virtuelle de Google. Dès que l'état n'est pas intéressé ou n'y comprend rien, ce qui est pire, on construit vite une ligne Maginot ! ça ne devrait quand mASme pas AStre trop difficile de faire quelque chose "pour" et non pas "contre". Au moins pour une fois - - D'ailleurs, c'est flagrant, poursuivit Estelle, tre ministre s'occupe bien plus de culture que de communication. Pour la corn', désolée, mais elle ne s'occupe que de l'audiovisuel. Parce que A§a, tout le monde connait, c'est du showing offen permanence, et l'état est de toute faA§on incapable de résister aux pressions. Courir les événementiels, A§a aussi, s ministres savent faire. S'aplatir devant les intermittents du spectacle qui us sabotent une saison entière de festivals et récompenser ensuite ces petits chéris qui n'en demandaient pas tant ? Pas de problème ! Mais les métiers de la pub ? Ceux qui rament jusqu'A point d'heure devant leur PC? Connais pas ! Les droits d'auteur dans la pub ? Quoi ? Pour ces galeux qui se sont goinfrés et qui veulent us faire prendre des vessies pour des lanternes ! C'est sans doute moins gratifiant pour son ego et - Aurélien interrompit lA la diatribe qui commenA§ait A l'indisposer, tandis qu'autour de la le on riait franchement : ' On y veille, Estelle, on y veille. On est mASme lA pour A§a, en tout cas pour préparer le terrain. N'oublie quand mASme pas que la loi sur les quotas a été le meilleur moyen pour imposer un minimum de 40% de chansons franA§aises sur les ondes et si elle n'existait pas, tu n'aurais pas loin de 100 % d'anglaises, et qui plus est éditées par les majors américaines. Mais tu as raison. Tu verras qu'avec une bonne loi, on pourra certainement mieux protéger les droits d'auteur de nos amis publicitaires. ' Et nos métiers ! Et nos métiers ! s'exclamèrent - Free-lances en colère ! - et - La pub en colère ! -. Le tour de le entrepris par le groupe de travail n'éluda aucun sujet, quand bien mASme Aurélien ressentit quelques sueurs froides A l'énoncé des revendications qui s'empilaient. Non qu'elles lui parussent incongrues, car ses conversations avec les collectifs l'avaient convaincu que les méthodes en cours vis-A -vis d'un grand nombre de métiers de la pub ou de la corn' révélaient parfois de réels abus. Mais il se demandait, par exemple, jusqu'A quel point un sujet aussi spécifique qu'une régulation codifiée, systématique et juste des -compèf- impliquant, prenant en compte, entre autres, les free-lances, devait y apparaitre. Outre que ceci lui paraissait difficile A formaliser autant qu'A mettre en œuvre, il se demandait comment Lévy et ses pairs et les représentants des ministères allaient accepter de se pencher sur ce niveau de détail. Mais, se souvenant du - parler-vrai - d'Estelle et de lui-mASme dans le bureau de Nicolas Sarkozy (et de la sincérité équivalente de ce dernier), il décida qu'il ne fallait rien censurer. En plus de l'aspect financier qui revenait sur toutes les lèvres, il avait en tASte un point fondamental qu'Estelle et Nathalie avaient soulevé : la mise A disposition A bon compte, pour les annonceurs, d'idées et concepts dans lesquels ils pouvaient puiser A loisir. Ce que certains, parmi les plus riches, mais pas les plus délicats, ne se gASnaient pas de faire, puisqu'ils ne restituaient quasiment jamais les s, recommandations et créations que parfois cinq ou six agences avaient développés dans le cadre d'un appel d'offres. Se posait quelque part le problème de la propriété industrielle qu'il faudrait adapter A la propriété intellectuelle liée aux idées développées. Lors des nombreux entretiens qu'il avait eus avec les professionnels membres du Syndicat des métiers de la communication, il avait rencontré quelques brillants jeunes patrons d'agence. Dont les mots de l'un d'entre eux, Benoit Héry président de Draftfcb, lui revenaient très précisément A l'esprit : - Il va falloir prendre des risques. Le premier est de réinvestir dans la R&D. Nous sommes dans un métier où l'on passe son temps A ne pas investir un centime pour la suite, pour demain. On ne fait pas un métier sans reverser, A un moment donné, quelque chose A la collectivité. Je veux dire que le sens de l'impôt n'est pas seulement fiscal : il y a aussi un impôt intellectuel et de développement. On doit accomner le secteur dans lequel on exerce. Cela ne sera pas facile dans le contexte financier, mais il va falloir reprendre des risques et sair refaire confiance. On n'a pas de valeur ajoutée si on ne risque pas, si on n'innove pas. - Finalement rien n'était perdu ! Si on creusait ce type d'analyse, le renouveau n'était pas loin. Il fallait simplement tout mettre A plat. Sur ce, il referma la porte, laissant lA interloqué le groupe de travail qui n'en revenait pas de cette déclaration aussi triomphante qu'impromptue. ' C'est du cocorico, mais il a raison, réagit un free-lance. Vaut mieux A§a que de continuer A la fermer et de se faire marcher dessus par tout le monde. D'ailleurs, on est lA pour faire avancer les choses et leur donner des idées, A tous. Pas vrai ? Alors, on continue ! Pour les agences, ils passèrent en revue les points sur lesquels se fonder pour que la relation avec les annonceurs fût demain différente, nouvelle, et que les droits et deirs des uns et des autres fussent redéfinis. - Il faut légiférer, réclamèrent les agences, ou qu'on fonctionne par décret. Exactement comme pour la loi sur les quotas que us avez mentionnée. On est dans la mASme situation où se trouvaient les chanteurs franA§ais : nos revenus se cassent la gueule et pourtant c'est bien nous qui ans créé les programmes diffusés pour le compte des entreprises. - Aurélien était bien d'accord avec eux. Mais, comme il le leur rappela, la profession avait de son côté certainement besoin de repenser le fonctionnement des organisations qui la représentaient. ' Chacun fonctionne dans son coin, et cela n'aide pas A améliorer les choses. Pensez qu'au printemps 2006, deux guides sur les relations agences-annonceurs ont été édités séparément ! Et d'autres guides sont en cours de prépara-tion. On se retrouve donc devant un nombre important de fonctionnements en - silos -, tout comme au sein des entreprises. Chacun défend son - bout de gras - et, bon an, mal an, chacun essaye de tirer sur la corde pour essayer de faire payer les annonceurs qui, par ailleurs, et on est bien d'accord lA -dessus, sont d'assez mauvaise foi. A€ un moment ou A un autre, il va bien falloir coordonner tout A§a et y mettre un peu de transversalité ! ' No problem ! rétorquèrent en chœur les agences. Mais le silo des entreprises aussi, il faudra bien y mettre le nez. Rien qu'A La Poste, ils ont près de 245 services de corn' : auprès du Président, dans les directions, dans les régions, etc. Comment ulez-us gérer une politique de marque dans une telle tour de Babel ? Tout est éclaté, l'institutionnel d'un côté, la communication commerciale de l'autre, l'événementiel des uns, les actions publicitaires des autres, les promos, etc. Et comment ulez-us qu'avec 5 ou 10 pour ne pas dire 50 agences en face, et mASme plus si on inclut la province, A§a fonctionne harmonieusement ? Est-ce qu'il y a mASme un pilote dans l'avion ? Bien sûr, on ne veut pas empAScher que plusieurs agences travaillent pour un mASme annonceur. Une seule agence ne peut pas tout faire A elle seule. Mais au lieu de travailler chacun dans son coin, nos clients doivent d'abord vérifier qu'ils font bien tirer tout le monde dans le mASme sens. ça évitera des pleurs, des grincements de dents et des déperditions financières colossales. L'argument parut tout A fait judicieux. L'autre piste de reconstruction portait bien évidemment sur l'épineux problème des honoraires qui ne rémunéraient pas suffisamment la création de l'idée, la commission d'agence sur l'achat d'espaces n'étant plus qu'un lointain souvenir sur lequel il était inutile de revenir. Des droits sur l'idée, des droits sur les créas étaient indispensables, A l'égal de ce qui se faisait pour les droits d'auteur. LA encore, Aurélien prit bonne note, souhaitant intérieurement bien du plaisir aux négociateurs pressentis pour le grand show et qui auraient A déterminer ce point crucial. L'avantage en paraissait évident. Et une bonne créa devait pouir fonctionner suffisamment longtemps sans que la lassitude vienne ébrécher son impact. La preuve ? Les meilleurs concepts étaient utilisés pendant deux, trois ans, ire plus. Cela signifiait des rémunérations récurrentes pour les agences si leurs camnes étaient successful et, par ie de conséquence, des camnes sans doute plus pérennes. La cohérence et les économies d'échelle ne pouvaient qu'y gagner. Mais cela appelait la mise en place d'outils de mesure qui induisaient plus de concertation, de transparence et d'implication des patrons chez les annonceurs. L'outil idéal capable d'analyser et de compiliser la contribution de chacune des multiples actions de communication, de la pub TV en passant par le Net, la PLV, et les promotions en magasin, aux résultats de l'entreprise ou A l'augmentation du chiffre d'affaires, était, selon certains, un leurre. A€ l'époque des - analystes financiers maitres du monde -, il en doutait, sachant pourtant au fond de lui que bien d'autres choses se cachaient derrière cet obscurantisme, notamment des enjeux humains, des peurs et un peu de mauvaise foi. Quelques heures plus tard, le groupe de travail se sépara. Aurélien était épuisé mais satisfait. Son rapport au cabinet du Président serait complet. Rien n'avait été omis. Aucune piste écartée. Le grand show pouvait commencer. Nicolas Sarkozy avait demandé A le relire personnellement avant de le repasser aux ministres concernés. Avec l'espoir de ir gagner son camp dans la prochaine élection, son intervention dans ce faux-pas de la pub où tout le monde s'était pris les pieds (A commencer par les politiques) ne pouvait qu'AStre bénéfique. En rangeant ses notes, Aurélien prit peu A peu conscience que, depuis plusieurs semaines, il avait été associé A un événement majeur de la vie nationale. Essentiellement sectoriel et économique A l'origine, celui-ci avait débordé dans la sphère publique et mASme politique au-delA de ce que les mieux (ou les plus mal) intentionnés auraient pu espérer. Sans forfanterie, on pouvait imaginer que le grand break-down de la pub de 2008 resterait dans les annales de la mémoire collective au mASme titre que Mai 68. Et lui, Aurélien, avait été au cœur des événements. A€ partir de ce soir, il n'aurait plus A y AStre mASlé directement, mASme si sa participation, initiée au plus haut niveau, par le président de la République lui-mASme, ne manquerait pas d'air été remarquée. Mais paradoxalement, son - désir d'ENA- s'en était trouvé affadi. Après tout ce qu'il avait appris, il sentait de manière sûre qu'il trouverait bien plus d'opportunité d'épanouissement A rejoindre un secteur où il y avait tant A reconstruire. Le terrain était national. L'enjeu mondial. Son idée était faite. Rastignac était de retour. - A€ nous deux, la pub ! - Et puis, il allait reir Estelle |
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