Je me souviens d'un film pour les pneus Uniroyal. D est passé A l'antenne au début des années soixante-dix. Le film est tourné en caméra subjective, et le spectateur est A la place du chauffeur. Celui-ci a fait l'erreur de ne pas chausser sa voiture de pneus Uniroyal. Du coup, il meurt trois fois. D'abord, il sort de la route, fait un tonneau et meurt. Alors qu'une deuxième chance lui est donnée, il renverse une che qui traverse la route. Il meurt encore une fois. Il lui est offert une troisième chance. Il percute A cent A l'heure un poteau télégraphique et ne survit pas au choc. C'est un film d'une facture particulière ; je n'ai rien trouvé d'approchant depuis.
BDDP aussi est morte trois fois. L'agence que Jean-Claude Boulet, Marie-Catherine Dupuy, Jean-Pierre Petit et moi-mASme avions créée n'a eu qu'une courte vie, émaillée d'épisodes improbables, traversant des périodes de lumière, suivies de descentes aux enfers successives, dessinant au fil des années un parcours tumultueux et romanesque.
Elle a disparu depuis bientôt dix ans. Massacrée par les financiers, ce fut sa première mort. Méprisée par les investisseurs, ce fut sa deuxième. Achevée par son repreneur, ce fut l'épilogue.
Nous sommes morts d'avoir voulu aller trop vite, peut AStre par excès d'ambition, mais surtout par crainte d'arriver trop tard. Dans les années quatre-vingt, déjA , on ne parlait que de concentration. Combien de journalistes ou d'obserteurs nous ont fait remarquer que le
marché était mûr et qu'il n'y ait plus de place A prendre ? Perdant toute lucidité, nous nous sommes lancés A corps perdu dans la course A l'international. Nous avons franchi un grand nombre d'obstacles, avons surmonté bien des embûches, mais nous n'avons pas su éviter le piège du surendettement. Résultat : une dette de neuf cents millions de francs, une sous-capitalisation irresponsable, des garanties personnelles insupporles et, pour finir, un échec impardonnable.
Nous avons tout perdu, ou presque.
De notre agence, il aurait pu ne rien rester. Au lieu de cela, elle s'est fondue dans un ensemble plus large, appelé aujourd'hui TBWA, filiale d'Omnicom, résultant de la fusion de trois entités : Chiat Day, la première agence californienne, TBWA, un réseau d'agences d'origine européenne, et BDDP, notre agence.
Nous aurions pu plus mal tomber. Chiat Day est l'une des agences les plus créatives de toute l'histoire de la publicité. Elle a signé de célèbres camnes pour Nissan ou Apple, dont le fameux film pour le lancement du Macintosh, ce film dont nous avons déjA parlé et qui a été élu, en 2000, - film du siècle - par la
presse américaine. Quant A TBWA, c'est l'agence qui a connu l'imtation internationale la plus fulgurante. Elle a ouvert des bureaux dans plus de dix capitales moins de cinq ans après sa création, en 1970. Plus tard, elle a accueilli Hunt Lascaris, la meilleure agence d'Afrique du Sud, celle de Nelson Mandela, ainsi que plusieurs agences londoniennes, qui, après avoir fusionné, formèrent TBWALondon, la future agence de Tony Blair.
Les trois enseignes aient en commun un profil créatif très prononcé, incarné par Lee Clow, probablement le créatif le plus influent du métier, pour Chiat Day, Uli Wiesendanger pour TBWA et Marie-Catherine Dupuy pour BDDP.
Retour en arrière. Le jour du lancement de notre agence, le 2 janvier 1984, nous avions annoncé notre volonté de construire un réseau international et de devenir l'un des trois grands du secteur en France, avec Has et Publicis. Dans une profession où, très souvent, l'image précède la réalité, cette - mise en orbite - fut un total succès. En cinq ans, le revenu de l'agence atteignait quatre-vingts millions d'euros, la progression organique d'une nouvelle agence la plus forte A ce jour en Europe, et peut-AStre mASme au monde.
Nous voulions créer une
entreprise forte, pas simplement une bonne agence de publicité, ce qui eut de multiples manifestations : un positionnement, unique A l'époque, fondé sur la créativité des
stratégies ; un important pourcentage du chiffre d'affaires consacré A des programmes de formation ; un Apple pour deux employés, ratio inconnu jusque-lA .
Nous n'étions pas des précurseurs en publicité, nous étions des précurseurs en
management d'agence de publicité. Aujourd'hui, dans mon bureau de New York, je fais peu de chose que nous n'ayons déjA fait il y a vingt ans. Et TBWA est le réseau qui affiche la plus forte progression parmi les dix premiers mondiaux, approchant les 2 milliards de dollars de revenus et ayant doublé ses profits ces cinq dernières années.
Plus de la moitié des patrons actuels des agences franA§aises, A commencer par ceux d'Has et de Publicis, sont passés par BDDP. Les meilleurs rejoignent toujours l'agence dans le coup, et nous étions cette agence. Ils auraient réussi tout autant sans nous, mais ils ont choisi notre agence et ont fait d'elle, pendant ces quelque dix années, une success story.
Au milieu du chemin de notre courte vie, le dixième rang mondial n'était pas inaccessible. L'atteindre aurait constitué, pour une société non cotée en Bourse et ne faisant pas appel A l'épargne publique, une performance exceptionnelle. L'épilogue fut tout autre. Pour le comprendre, il faut se replacer dans le contexte de l'époque.
Imtés sur un marché franA§ais dix fois plus petit que le marché américain, partis de zéro, sans le soutien de grands
clients internationaux et sans pouvoir profiter du levier que représente la Bourse, la place financière franA§aise étant beaucoup plus réservée A l'égard des agences de
publicité que son homologue britannique, partis donc dans des conditions plus que contraires, nous nous étions donné un objectif presque irréalisable, une gageure. N'a-t'il pas fallu quarante ou cinquante ans pour construire les Ogilvy et J. Walter Thompson ?
Dès 1994 la messe était dite. Après avoir pris le contrôle d'une vingtaine d'agences dans le monde, dont la troisième A New York, nous nous sommes retrouvés démunis de fonds propres et A court de trésorerie. Nous étions A bout de souffle.
Les banquiers nous ont signifié la fin de l'aventure. Des investisseurs se sont présentés, ont négocié notre dette et ont pris le contrôle de notre société. A€ peine plus d'un an après nous avoir rachetés, ils nous mettaient A nouveau en vente, nous assénant une terrible secousse, bien trop près de la précédente. Le temps passant, le manque d'envergure de notre dernier repreneur finit par se manifester. A€ son tour, il dut nous céder.
En 1998, nous étions absorbés par Omnicom, le géant mondial de la publicité, qui emploie aujourd'hui plus de soixante mille personnes dans le monde et qui, A une époque, ait déjA courtisé BDDP. Le 1er avril, la vente était consommée. Nous fusionnions avec ce qui était alors le plus petit des réseaux d'Omnicom, TBWA.
La place financière nous ait condamnés en février 1994. Ce fut pour moi le début d'une période douloureuse, qui se termina en avril 2001, quand je me suis retrouvé A la tASte de TBWA.
Prédestinés
Parmi la multitude de fusions qui ont fait du réseau TBWA ce qu'il est devenu aujourd'hui, les deux plus importantes, et de loin, ont été celles avec Chiat Day et BDDP. De nombreux contacts aient été pris entre les trois sociétés depuis au moins dix ans. Nous nous connaissions bien et nous considérions comme des confrères proches, des amis en affaires, bref, nous sentions confusément qu'il serait intelligent de nous associer d'une faA§on ou d'une autre.
Dès 1985, nous avions rencontré Jay Chiat et Lee Clow. Nous voulions racheter leur agence, tandis qu'eux voulaient racheter la nôtre. Ne pount nous conincre, dans un sens ou dans l'autre, nous avons fini par nous accorder sur l'idée, pourtant saugrenue et irréaliste, de créer un réseau ensemble, sans fusionner les agences américaines et franA§aises et sans mASme le moindre échange de parts entre les sociétés de Los Angeles et de Paris. Ce projet était voué A l'échec, et il avorta.
Vingt ans plus tard, j'ai la très grande chance de trailler avec Lee, qu'Advertising Age a récemment présenté comme - le parrain des créatifs américains -. Par une pirouette de ma vie professionnelle, je m'occupe d'un réseau dont ChiatDay est devenue l'agence aux états-Unis.
En 1986, nous avions pris contact avec les fondateurs de TBWA, dans l'idée de fusionner. Nous avions un réel respect pour ce que Bill Tragos, le fougueux patron de cette agence, ait accompli avec ses trois associés. Au cours de la décennie précédente, TBWA s'était installé avec brio un peu partout en Europe.
Nous avions proposé A Bill d'AStre le président de la nouvelle entité, ce qui n'était pas rien, et de partager le
capital A parts égales. Bill nous ait rétorqué que c'était inconceble, puisque sa société était deux fois plus grosse que la nôtre. Trois ans plus tard, nous étions revenus, en proposant de nouveau A Bill d'AStre le président de la nouvelle entité, ce qui, encore une fois, n'était pas rien, et de partager le capital A parts égales. L'offre était identique, mais, entre-temps, nous avions plus que triplé, et notre chiffre d'affaires ait largement dépassé celui de TBWA.
Bill ait dû trouver une excuse. Celle qu'il imagina fut peu banale : - Vous n'avez pas assez souffert. - II faisait référence au fait que, A peine installé A Paris, en 1970, TBWA ait ouvert des bureaux dans toute l'Europe et que, faute de grands clients internationaux, la
croissance n'ait pas été au rendez-vous. Il faisait peut-AStre aussi allusion A un autre fait : n'ayant pas accordé de minorités suffisantes aux responsables locaux, il ait perdu nombre d'entre eux, A commencer par les trois fondateurs de BBH (Bartle Bogie Hegarty), sans doute la meilleure agence britannique depuis dix ans. Nous n'avons pas su quoi répondre A la question sur notre - défaut - de souffrance Trois ans plus tard, un mois ant de prendre le contrôle d'une des plus grandes agences américaines, pressentant peut-AStre un désastre, j'ais pris l'avion pour New York afin de discuter une dernière fois avec Bill. Sans surprise, notre entretien n'ait pas été concluant. Un peu rétif, il m'ait raccomné A l'ascenseur et, ant que la porte se referme, m'ait murmuré une dernière fois : - Tu sais, Jean-Marie, je pense sincèrement que vous n'avez pas assez souffert. -
Nous nous sommes bien rattrapés par la suite.
En réalité, c'est toute une génération qui a succombé au tournant des années quatre-vingt-dix. Précipitation, mauises décisions et chronologie défavorable l'expliquent. Nous étions une quinzaine d'entrepreneurs, des publicitaires dont les noms furent les initiales de FCA, TBWA, RSCG et BDDP, et nous n'avons résisté ni A l'influence historique de Has et de Publicis d'un côté, ni A la puissance grandissante des Américains de l'autre.
Les fusions réussissent rarement, et encore moins dans notre métier. C'est pourquoi nous n'y étions guère favorables, A deux exceptions près : nous pensions pouvoir nous entendre avec Chiat Day ou avec TBWA. Nous étions prASts A consentir de réels sacrifices pour y parvenir. En définitive, ce que nous n'avions pas su vendre A nos partenaires putatifs, le marché nous l'a imposé. C'est l'incapacité, par manque de moyens, de chacune des trois entreprises, BDDP, Chiat Day et TBWA, de devenir vérilement internationales qui les a réunies. Nous étions comme prédestinées.
Le fruit de ces fusions a réussi. Cette réussite repose en partie sur les leurs et les méthodes nées A Paris et qui, en dépit de tous les aléas, ont fini par s'imposer et s'exporter A Los Angeles, Shanghai, Dubaï et SA o Paulo. Avec le temps, nous avions acquis une faA§on de faire, une culture qui nous était propre.
Culture d'entreprise
Une culture d'entreprise est souvent difficile A cerner. Elle échappe A toute définition, mais elle est présente et agissante pour donner un horizon aux employés. Elle peut AStre plus ou moins forte, plus ou moins motinte, plus ou moins pérenne, mais quand ses racines sont profondes, elle résiste A tout. Dans notre cas, elle a survécu A cinq ans de maelstrôm financier ainsi qu'A toutes les fusions et A l'absorption par le holding numéro un de la publicité mondiale, Omnicom.
Pour souligner A quel point la culture est centrale dans la vie d'une entreprise, Lou Gerstner, l'ex-patron d'IBM, a écrit dans son livre de mémoires : - H ne faut pas considérer la culture comme un A -côté du jeu ; elle est le jeu lui-mASme. - Il est rejoint par Jim Stengel, de Procter & Gamble, qui, s'adressant récemment A des étudiants d'une université américaine, leur déclarait : - En fin de compte, construire une entreprise revient A construire une culture. -
Nous pratiquons un métier d'imagination. Pourtant, je pense que notre culture est plus déterminante que notre imagination. C'est notre faA§on de faire qui nous distingue, la manière d'aboutir au résultat plus que le résultat. Nous pratiquons un métier dans lequel il n'y a ni usines ni brevets, où la différence provient de ceux qui composent l'entreprise et de la culture qui les unit. Si la culture d'entreprise se révèle importante dans toute industrie, elle est cruciale dans les industries de l'immatériel.
Tom Carroll, le patron de nos agences aux états-Unis, m'a déclaré il y a quelque temps : - Ce que tu as accompli chez TBWA depuis cinq ans est une contre-OPA culturelle. -
Lors d'une OPA hostile, il arrive que l'agressé, le plus souvent le plus petit, finisse par prendre le contrôle de l'agresseur après avoir fait une contre-proposition aux actionnaires de ce dernier. On parle alors de contre-OPA (Reverse Take-over). Une OPA est une opération financière. Jamais personne n'ait parlé d'- OPA culturelle -. Tom a inventé une formule qui se trouve AStre juste.
Au-delA de tous les aléas, des quelques gachis, des victoires et des grandes défaites, des profondes satisfactions et des années de désillusions, une sorte de vibration s'est maintenue, une tension, un refus de lacher sur l'essentiel. Une culture a été préservée, dont nous avions sous-estime la force. Tom l'a ressentie et en a mesuré, avec un regard plus extérieur, toute l'amplitude. Une culture d'entreprise, autrement dit une approche particulière des rapports entre les gens, s'était créée, dont la pérennité reflète le bien-fondé. Elle fait des collaborateurs dans l'entreprise des gens plutôt heureux. Chacun d'eux sait qu'il est lA où il faut AStre et qu'il a plus de chances d'aller jusqu'au bout de lui-mASme en restant chez nous.
Etudiant dans les années soixante, j'ai été amené A lire Jean Fourastié, un économiste écouté A l'époque, dont les ouvrages les plus connus étaient Les 40 000 heures et Les Trente Glorieuses. Précurseur, Jean Fourastié y faisait une analyse qui prend toute sa résonance aujourd'hui. Chacun sait qu'une croissance régulière de 7 % par an aboutit A un doublement du chiffre d'affaires au bout de dix ans. Mais l'analyse s'arrASte souvent lA . Fourastié aimait réfléchir sur une longue période. Il nota qu'un doublement tous les dix ans signifiait une production mille vingt-quatre fois supérieure un siècle plus tard. Il sait aussi que la production de biens et de services de la France n'ait été multipliée que par soixante de 1800 A 1960. Il en conclut que l'objectif qui consiste A multiplier la production par mille en un siècle était tout simplement irréaliste. Ce qui lui inspira l'idée que les périodes de croissance A 7 ou 8 % étaient l'exception et que la norme ne dépassait pas 2 A 3 %.
En d'autres termes, les Chinois d'aujourd'hui vivent la mASme chose que les gens de ma génération dans leur jeunesse : ils ignorent qu'ils traversent leurs Trente Glorieuses. Les périodes de forte croissance ne sont que des phases de transition, condamnées A ne pas durer.
Vue dans ce contexte, une forte culture d'entreprise n'est pas une simple leur ajoutée facultative, un sujet de discussion pour auteurs de livres de management, une sorte d'élucubration visant A mettre de l'intelligence ou de la sensibilité dans le monde de l'argent. Tout au contraire, une culture d'entreprise est un facteur clé de compétitivité. Pas de croissance durable dans le vide culturel, pas de vérile avenir sans une opinion sur le rôle de l'entreprise et un point de vue sur sa place dans la société. Il faut savoir répondre A la question : - Que perdrait mon industrie si mon entreprise n'existait plus ? - Sans arrogance, mais sans retenue non plus. Si vous ne pouvez répondre A cette question, un jour ou l'autre, vous serez confronté A un déficit de croissance. Il vous manquera deux ou trois points, et il sera sûrement trop tard. Une culture ne s'improvise pas ; seul le temps lui donne de la légitimité.
Les années passant, notre culture s'est précisée, affinée, enrichie. Une des intentions de ce livre est de montrer qu'une culture d'entreprise est toujours multiple, car fondée sur une conjugaison de leurs et de principes. En filigrane de ces derniers se dégageait, parmi les collaborateurs de notre agence d'alors, une attitude particulière, une aptitude et une inclination A aller A contre-courant des habitudes en vigueur, que certains d'entre nous ont appelée une - attitude disruptive -. Notre culture a trouvé son point d'appui sur ces deux mots. Ils constituent comme une constante, la grille de lecture, le filtre au travers duquel nous pouvons analyser nos initiatives et nos réalisations.
David Maister, ancien professeur A la Harrd Business School et membre de POmnicom University Faculty, a conduit de nombreuses études pour analyser la relation entre
la satisfaction des collaborateurs et le profit d'une entreprise. Il a étudié des centaines d'entreprises de services et interrogé des milliers de personnes. Sa conclusion est tranchée : dans toute entreprise, ce sont les - bureaux où la culture d'entreprise est la plus forte qui connaissent la satisfaction des employés la plus élevée, et ce sont ceux où la satisfaction des employés est la plus élevée qui sont les plus renles -.
Notre réseau compte deux cent trente-huit bureaux, un nombre bien suffisant pour témoigner que, chez TBWA, cette corrélation est réelle.
Rélissement
Que sommes-nous devenus ? J'ai pressenti la réponse dans un vol pour New York. C'était A l'automne 1997. La fusion avec TBWA se dessinait. En regardant les nuages, je réfléchissais aux conséquences, comme, par exemple, la disparition de la
marque BDDP. Les raisons ne manquaient pas, dont une A laquelle peu de gens aient pensé. Imaginez une maison mère, en l'occurrence Omnicom, dont les réseaux se seraient appelés BBDO, DDB et BDDP. Omnicom, spécialiste en labiales De toute faA§on, la question ne se posait pas. Nous étions du côté des perdants, des rachetés, et notre marque était condamnée.
Dans notre réseau, plusieurs agences s'appellent TBWA quelque chose : TBWAChiatDay, TBWAHuntLascaris, TBWASaglio Nous sommes devenus TBWAVBDDP. Très vite, le bon sens s'est imposé, et j'ai décidé de supprimer BDDP. L'agence s'appellerait désormais TBWAParis. Ce fut indolore, tellement les dix années précédentes nous aient habitués au pire.
Fin 2000, les rASnes de TBWA me furent confiées. Début 2001, Andy McMains, un journaliste réputé d'Ad-week, me demanda : - Quelle impression cela vous fait-il d'AStre A la tASte d'une fédération d'agences locales, sans vériles liens entre elles ?- La question me déplut, mais elle n'était pas dénuée de fondement. TBWA n'était pas vraiment un réseau, mais plutôt une juxtaposition, une mosaïque d'agences brillantes. Dans les années qui ont suivi, le mode de supervision des clients mondiaux a été modifié, le modèle
économique transformé, l'organisation revue de fond en comble.
Il reste que le réseau comprend, plus que tout autre, un nombre impressionnant d'agences locales talentueuses, connues des publicitaires du monde entier. On connait tel grand réseau américain, mais on ne connait pas, ou peu, ses agences locales, alors que celles de TBWA A Los Angeles, A Londres, en Afrique du Sud, A Paris ou en Thaïlande font chaque semaine la une de la presse professionnelle.
A€ tout seigneur tout honneur, commenA§ons par TBWA ChiatDay, notre agence de Los Angeles, qui se distingue de tant de faA§ons. Tout d'abord, c'est la première agence de Californie. Ensuite, c'est l'une des trois ou quatre agences les plus créatives de l'histoire de la publicité aux états-Unis avec DDB et WRG, et aujourd'hui Goodby Silver-stein et Crispin Porter. A€ la différence de ces deux dernières, plus récentes et installées seulement sur le marché américain, TBWAChiatDay est au sommet depuis trente ans. Surtout, elle est l'une des très rares A AStre A la fois créative et internationale. Son influence sur le réseau est déterminante puisqu'un très grand nombre de nos clients internationaux sont gérés depuis le bureau de Plaza del Rey, A commencer par Apple, Adidas, Nissan, PlayStation et Mars.
Enfin, et surtout, l'agence de Los Angeles est celle de Lee Clow, mon partenaire et complice. Sans lui, un grand nombre des camnes décrites dans ce livre n'auraient jamais vu le jour. Ayant toujours été intéressé par ce qui venait d'outre-Atlantique, j'ais été, dès 1984, un étudiant de Chiat Day. J'ais décortiqué leurs camnes, je connaissais par cœur le texte de Ralph Waldo Emerson illustrant la publicité Reebok : - H arrive un temps dans l'éducation de tout homme où il acquiert la conviction que la jalousie est de l'ignorance, que l'imitation est du suicide et que, pour le meilleur et pour le pire, il doit en prendre sa part. [] Soyez exigeant envers vous-mASme. N'imitez personne. -
A€ cette époque, Chiat Day était réputée très créative, mais peu fiable. La réalité était tout autre. Dès le début des années quatre-vingt, elle ait adopté une structure A l'anglaise, avec un fort département stratégique. Au final, bien peu d'agences américaines aient un sens aussi aigu des marques, de la faA§on de les construire dans la durée, avec intelligence et sensibilité.
CLM BBDO, l'agence de Philippe Michel, A Paris, m'ait également influencé. Comme par hasard, non seulement Jay Chiat et Philippe se connaissaient bien, mais Philippe était le seul créatif franA§ais, et peut-AStre européen, que Jay respectait.
L'autre agence phare de notre réseau est TBWAHunt Lascaris, en Afrique du Sud, dont un journaliste sud-africain a dit un jour qu'elle ait contribué A transformer le pays de l'apartheid en une - nation arc-en-ciel -. John Hunt et Reg Lascaris ont conA§u les camnes pour la première élection démocratique du pays, ainsi que pour la nouvelle Constitution et pour l'amnistie fiscale. John et Reg ont lancé leur agence sur un slogan : - La vie est trop courte pour AStre médiocre. - Si notre agence de Los Angeles s'est vu décerner le prix du film du siècle, celle de Johannesburg a été élue par le Financial Mail agence du siècle.
Je pourrais citer bien d'autres exemples qui illustrent la force de nos agences locales. En août 2006, Les échos titraient sur notre bureau de Bangkok, le plus primé depuis trois ans en Asie : - La pub-sourire de Thaïlande séduit la ète. -
J'ai écrit des mémos sur une vingtaine d'agences du réseau. TBWAChiatDay A Los Angeles est la plus notrice, TBWALondon la plus brillante, TBWANew York la plus business, TBWAMBangkok la plus créative, TBWA Shanghai la plus surprenante, TBWAMexico la plus séduisante, TBWAVHuntVLascaris la plus inspirante.
Pour sa part, le bureau de Paris est, depuis cinq ans, le plus primé au monde, permettant au réseau de devenir numéro un sur le créatif.
Mais l'influence de Paris ne s'est pas arrAStée lA , loin s'en faut. Organisée dès 1985 en portefeuille d'activités complémentaires ' publicité,
marketing direct, relations publiques ', BDDP a inspiré le nouveau modèle économique de TBWA. Au niveau mondial, il y a aujourd'hui plus de dix spécialités dans le groupe, quand il n'y en ait qu'une, la publicité, ant la fusion. Quant A la disruption, méthode issue de l'agence de Paris, elle a fait le tour du monde. C'est elle qui donne une couleur si particulière au réseau, en plus d'une énergie inépuisable A chacun de ses bureaux et d'un talent neuf A tous ses collaborateurs.
Il y ait quelque chose de fort au cœur de ce que nous avions fondé. Quelque chose qui dépassait la création,
le marketing, les marques. Quelque chose qui possédait le souffle des aventures collectives et dont l'élan ne se brisait pas. Quelque chose de si puissant qu'une agence de - perdants - pouit imprimer sa griffe A un réseau présent dans quatre-vingts pays, lui léguer des savoir-faire inconnus jusque-lA et lui insuffler une ambition inimaginable : devenir un jour l'un des plus grands réseaux de la ète, sans perdre pour autant l'esprit d'entrepreneur ni la créativité des agences constituantes. Très peu de nos confrères y sont parvenus. Le chemin est étroit.
Autocélébration
Je me souviens avoir dit un jour : - Prenons garde de ne pas trop croire en nos propres relations publiques. - La complaisance n'est jamais loin. Malgré tout, je ne peux considérer sans fierté l'étonnante série de prix et de récompenses que nous avons obtenus un peu partout dans le monde. Je parlerai donc ici sans modestie, en faisant la part belle A l'autocélébration. La difficulté des dix années précédentes, ces pénibles années qui nous ont conduits lA où nous sommes aujourd'hui, m'y autorise.
Dans un mémo envoyé au réseau début 2005, je soulignais la quantité impressionnante de récompenses récoltées. Nous avions été élus réseau mondial de l'année par le magazine de référence Advertising Age. Notre agence de Los Angeles ait été élue agence américaine de l'année par Adweek, le plus américain des magazines. TBWAVAsie-Pacifique ait été élu réseau de l'année dans la région. Le réseau mondial ait été le plus récompensé au festil de Cannes, et de loin, avec le grand prix, le prix de l'agence de l'année et le plus grand nombre de Lions attribués. Je concluais mon texte par l'habituelle platitude qu'il est plus difficile de rester au sommet que de l'atteindre. J'aurais pu aussi bien citer Truman Capote : - Mieux ut regarder le ciel que d'y AStre. -
Nous nous étions déjA illustrés au cours des années précédentes, qui aient vu la quasi-totalité de nos agences élues agences de l'année dans leurs pays respectifs. 2004 nous ait gratifiés d'un palmarès exceptionnel. 2005 fut l'année de la consécration : premier A Cannes, premier aux Effies (prix d'efficacité), premier au Gunn Report (le classement des classements).
Vu de l'extérieur, tout cela peut paraitre dérisoire. Une profession qui se congratule sans cesse ne prASte-t-elle pas A sourire ? Mais
les prix sont importants. Sinon, pourquoi Procter & Gamble et McDonald's auraient-ils décidé d'envoyer des délégations A Cannes depuis plusieurs années, suivis par un grand nombre d'annonceurs ? Nos clients sont A l'affût des entreprises les plus créatives. En ce début de siècle, où les
marchés sont extraordinairement compétitifs, ils ont intégré une fois pour toutes la leur ajoutée de la création, fis savent qu'une agence qui n'est jamais primée a peu de chances d'AStre en ance sur son temps.
Les prix créent un cercle vertueux. Les bonnes agences accueillent les grands créatifs, lesquels gagnent
des prix, qui attirent d'autres grands créatifs, qui rendent l'agence encore meilleure.
En 2002, j'ais fixé l'objectif d'atteindre la première place A Cannes et au Gunn Report. Ce fut comme un défi, que nous avons proposé A quatre cents collaborateurs du réseau réunis A Los Angeles. Cet objectif, aujourd'hui atteint, nous semblait si lointain alors !
Dans les années qui ont suivi, nous avons accompli bien des - premières -. Pour la première fois, une agence était nommée trois années de suite agence de l'année A Cannes (TBWAParis), une mASme agence remportait deux ans de suite le grand prix presse, un mASme réseau gagnait successivement le grand prix TV et le grand prix presse, un mASme réseau voyait deux de ses clients élus annonceurs de l'année (Adidas, en 2006, et Sony, en 2005). Pour la première fois, un réseau classait trois de ses agences dans le top 10 du Gunn Report. La presse allemande nous octroya le titre de - champion du monde de la publicité -.
La coupe est bien remplie. Il faut continuer et permettre A nos créatifs d'exprimer le meilleur de leur talent dans l'intérASt bien compris de nos clients. 2006 n'est pas mal partie. A€ l'heure où j'écris ces lignes, nous sommes premiers aux Clio, et nous nous sommes vu décerner de nouveau le titre d'agence de l'année A Cannes.
TBWA a atteint une taille sans commune mesure avec celle d'il y a dix ans, juste après la fusion avec Chiat Day et ant celle avec BDDP. Me revient en mémoire la fameuse question que Jay Chiat se posait A l'époque : - Je me demande A partir de quelle taille nous commencerons A devenir mauis. -
J'espère ne jamais connaitre la réponse.