La famille nucléaire, dite classique, celle qui rassemble sous un mASme toit les parents et leurs enfants, est née au 19e siècle, en mASme temps que se développait l'entreprise paternaliste, dans l'essor industriel que cette époque a connu. Ces deux types d'organisation se sont constitués sur le mASme modèle. Dans les deux cas une mASme gestion de l'autorité est objectivée par une échelle hiérarchique. Cette notion est tout aussi évidente dans les entreprises que dans les familles. En allant plus loin, grace au fait qu'un mASme individu apprenait dans sa famille A respecter une autorité d'adulte, surtout lorsqu'il s'agissait d'un homme, cette mASme autorité pouit plus facilement s'exercer dans le trail. Une analogie peut donc AStre décrite entre le fonctionnement hiérarchique de la famille et celui de l'entreprise. Il existe également une adéquation entre des rôles et des fonctions. La fonction correspond A la place hiérarchique, le rôle renvoie A la
compétence effective. Cette adéquation est bien plus facile A poser de faA§on théorique qu'A mettre en pratique, aussi bien dans les familles que dans le cadre professionnel. Cette notion pose le problème de l'autorité, de sa légitimité, de ses modes d'exercice et de sa reconnaissance. Toute société autoritaire, quelle que soit son échelle, tente de faire l'économie de cette inadéquation en niant totalement la complexité de cette interaction. Dans les familles comme dans les entreprises fonctionnant sur un modèle familial, le transfert par définition héréditaire des compétences correspond moins A des capacités techniques qu'au partage des mASmes leurs. Curieusement, c'est sur les critères de cette survince du 19e siècle que se transmet le pouvoir, encore A l'heure actuelle, dans une partie non négligeable du tissu industriel franA§ais (Leclerc, Bouygues, Dassault).
Des modes de reconnaissance très spécifiques se développent tout autant dans une famille que dans une entreprise. La dialectique du maitre et de l'esclave démontre bien l'interdépendance qui se noue dans les liens hiérarchisés. Ceci suppose, de part et d'autre, des modes de reconnaissance qui ont parfaitement été codifiés dans l'entreprise (la promotion, l'accès A des antages ou mASme A des privilèges, l'argent, les médailles, etc.) et dans la famille (récompenses, accès A des informations ou A un processus de décision, etc.). Enfin, les mASmes modes de transmission héréditaire des responsabilités et des biens se rencontrent dans les deux contextes. On sait que, d'une certaine faA§on, il existe un parallèle dans la législation entre la transmission des biens dans le cadre de l'entreprise et celle qui gère les biens familiaux.
S'il est une constatation facile A faire c'est bien que ces modèles, en ce qui concerne la famille et l'entreprise, sont de nos jours constamment remis en question par l'apparition de nouveaux modèles, donc de nouveaux modes relationnels. On peut mASme poser l'hypothèse qu'un lien peut s'élir entre l'évolution des liens dans la famille et l'évolution des liens dans l'entreprise. Comme souvent, faire la part entre ce qu'il en est des causes et des effets reste ici impossible. Cependant, de la mASme faA§on que le modèle familial du 19e siècle est en crise, le modèle classique de l'entreprise a sensiblement été remis en question. Prenons, par exemple, au carrefour de ces deux contextes, la position de la femme dans la société. Ainsi, son changement du statut dans la famille est dû, en grande partie, A sa socialisation par un accès A la vie professionnelle. Dans l'entreprise son accession A des emplois de plus en plus qualifiés, mASme si la reconnaissance de parité avec l'homme reste encore A conquérir, s'est développée de manière parallèle.
Je is illustrer cette analogie entre l'évolution des modèles familiaux et l'évolution des modèles d'entreprise par trois exemples.
Familles reconstituées I Fusion d'entreprises
Actuellement, en France, entre un tiers et la moitié des mariages se termine par une séparation ou un divorce. Une des conséquences a été l'explosion du nombre des familles reconstituées, c'est-A -dire des couples qui se reforment après que l'homme et la femme se soient séparés d'un premier conjoint ou d'une première conjointe. La proportion de ces couples reconstitués tend A devenir de plus en plus importante. Cette évolution a été très rapide, elle s'est faite au cours des dernières décennies. Lorsqu'on se place du simple point de vue des enfants, aussi bien les -anciens- que les -nouveaux-, ceux-ci ont dû apprendre A gérer entre eux, et avec les adultes, de nouveaux types de relations. Ils les ont inventés car leurs parents étaient incapables de les leur transmettre pour ne pas les avoir vécus. Comment élir, en effet, une hiérarchie entre des enfants issus de couples différents et qui n'ont donc pas des rôles et des compétences qui correspondent toujours effectivement A leur age ? Comment passer, sous un mASme toit, d'une fratrie puis A deux fratries et enfin A un groupe de pairs ? Comment se situer par rapport A un adulte qui n'est pas le parent biologique, sans disqualifier ce dernier ? Toutes ces questions ont dû trouver, en quelque sorte, leurs réponses sur le tas, sans qu'un apprentissage ait pu AStre transmis naturellement d'une génération A une autre. Dans bien des cas, les enfants ont été dans l'obligation de trouver des réponses A ces différentes questions.
De mASme, dans l'entreprise, les conséquences d'une fusion, d'un rachat ou d'une OPA, ne sont pas seulement industrielles, commerciales ou économiques, elles sont également humaines. Tout se passe comme si les nouveaux employés perdaient leurs parents naturels pour se trouver en contact avec une nouvelle autorité. Ceci suppose un réaménagement complet des modes de
négociation où chacun tenter de reconstituer ou de reconduire ses propres modèles. LA également, cette redéfinition subjective des styles d'interaction n'était pas, elle-mASme, modélisée. Elle était relativement nouvelle, alors que cette nécessité s'impose de plus en plus fréquemment étant
donnée l'accélération de ce processus de réaménagement du tissu industriel et commercial.
Enfants adoptés I Franchisés
Avec la baisse de natalité dans les pays occidentaux, l'augmentation du niveau de vie et le
développement d'une idéologie humanitaire, les adoptions sont de plus en plus fréquentes. Elles se font de plus en plus par l'intermédiaire d'associations, elles-mASmes souvent affiliées A des instances religieuses qui, dans certains pays, recueillent les enfants abandonnés ant de les mettre en contact avec des familles adoptives. Dans de nombreux cas, ces enfants posent problèmes. Ils ont en effet A s'adapter non seulement A un cadre familial nouveau, après avoir vécu peu ou prou le traumatisme d'un abandon, mais également A se fondre dans une nouvelle culture. Ils sont non seulement adoptés, ils doivent également adopter eux-mASmes une nouvelle identité.
Il existe de plus un grand contraste entre la multitude et la diversité des difficultés que ces candidats-parents ont A affronter ant d'AStre agréés et la pauvreté du suivi dont ils peuvent ultérieurement bénéficier, mASme si la législation a tendance, dans ce domaine, A se simplifier. Ces parents sont bien mieux élués dans leur capacité A adopter, que dans celle A éduquer. Mais existe-t-il vraiment une possibilité de le faire ?
A ce jour, pour ce qui concerne le petit commerce, environ 20 % des magasins sont franchisés. LA également, ces commerA§ants perdent une partie de leur propre identité pour adopter, plus ou moins selon les contrats, celle d'une autre instance pourvoyeuse, non seulement de biens et de stocks, mais également d'images et de symboles au travers, par exemple, de la publicité. De la mASme faA§on que les enfants adoptés se révoltent parfois contre leurs parents, les franchisés ont de plus en plus tendance A se révolter contre leurs franchiseurs dans la mesure où ils n'acceptent pas, par exemple, leur mode de gestion ou leur conception d'une camne de promotion.
Il est ainsi possible d'élir un parallèle entre ces deux exemples où, pour des raisons essentiellement économiques pour lesquelles des logiques ables se déploient, des enfants ou des commerA§ants se retrouvent dans une problématique able. Ils ont A construire constamment une identité, sur des bases d'autant plus fugaces qu'elles sont récentes et souvent éloignées de leurs propres leurs.
Bandes d'adolescents I Entreprises virtuelles
Les bandes d'adolescents se constituent sur des liens fonctionnels et hiérarchiques insles et opaques pour les obserteurs extérieurs. Ces liens ne prennent forme, en mASme temps que la bande, que dans la focalisation sur un objectif immédiat et d'autant plus furtif qu'on se situe ici, bien évidemment, dans la marginalité et la transgression de la loi. D'où la difficulté d'en appréhender A la fois les règles de fonctionnement et les leaders. Ainsi, ces bandes d'adolescents n'existent que passagèrement, lorsqu'un objectif commun fédère des individus généralement très jaloux de leur autonomie et surtout occupés A défendre leur territoire.
Les entreprises virtuelles utilisent A l'extrASme les possibilités actuelles de l'informatique et de la transmission instantanée des informations. Elles ignorent A la fois les contraintes du temps, les faisceaux horaires n'existant plus, et celles de l'espace, la
mondialisation des interactions étant ici évidente. Elles privilégient le négoce, la gestion et l'élaboration des informations, généralement sous forme de procédures, en réduisant A l'échelle électronique la relation et l'interaction humaines. Comme les bandes d'adolescents, ces regroupements de compétences sont éminemment -biodégradables-. Ils ne trouvent leur justification, tout A fait fugitive, que dans un objectif qui, lorsqu'il est atteint, fait disparaitre ceux qui l'ont forgé. Dans ces deux situations, des groupes humains n'existent que dans une relation tout autant éphémère que puissante, avec une finalité. Les interactions sont réduites A leur plus simple expression dans un partage de compétences qui s'agencent parfaitement les unes avec les autres.
Ainsi, des analogies peuvent AStre décrites entre des situations qui concernent des contextes aussi différents que les familles, ou les adolescents, et les entreprises. Mais ce qui importe ici c'est ant tout l'évolution des modes relationnels qu'il est beaucoup plus difficile d'anticiper que les progrès de la science ou de la technologie. Ainsi, toute étude prospective se heurte fréquemment A cette impossibilité d'éluer les réactions strictement humaines, c'est-A -dire relationnelles, A l'utilisation d'une ancée technique.