Position du problème
Le problème de la coordination de textes généraux et de textes spéciaux se pose lorsque deux ou plusieurs règles différentes sont susceptibles de s'appliquer A une mASme situation, si l'étendue de leur champ d'application n'est pas la mASme. Il arrive souvent, par exemple, qu'un texte se une catégorie de personnes, d'actes ou de situations et que d'autres dispositions en régissent une sous-catégorie particulière. Par exemple, les articles 1101 A 1369 du Code cil concernent les contrats ou les obligations conventionnelles, en général, et les articles 1582 A 1701 sont relatifs au contrat de vente. Les uns se combinent avec les autres et, en principe, s'y ajoutent. Le contrat de vente est soumis A la fois aux textes généraux sur les contrats et aux règles propres de la vente. Mais, les dispositions spéciales sont souvent en contradiction avec les règles plus générales auxquelles elles dérogent de manière explicite ou, fréquemment, implicite. Lorsque les diverses dispositions susceptibles de s'appliquer A une mASme situation s'avèrent incompatibles, il faut choisir celles d'entre elles qu'il conent d'ésectiuner et celles qui doivent AStre retenues.
Ainsi, en cas de concours entre des textes généraux et des textes spéciaux, certaines méthodes d'application s'imposent pour les combiner ou pour déterminer ceux qui sont applicables puisque, selon les cas, ils peuvent se cumuler ou s'exclure. Mais, pour régler ces interférences, encore faut-il apprécier les degrés de généralité et de spécialité respectifs des textes concernés.
Détermination du degré de généralité ou de spécialité des textes
Au sens plein de ce terme, la loi générale est celle qui s'applique A tous les citoyens et qui régit toutes les situations dans une matière donnée. Elle règle alors l'ordre
juridique normal et permanent, applicable A tous1. On y oppose, d'un point de vue quantitatif, des textes spéciaux en ce sens qu'ils ne régissent qu'une fraction de l'objet de la loi générale et se cumulent avec elle. Il y a alors entre la loi générale et les lois spéciales - un rapport d'espèce A genre - ; les lois spéciales édictent des règles particulières A une série de cas déterminés relevant par ailleurs de la loi générale2. Mais, d'un point de vue - qualitatif - on parle de lois spéciales, au sens de dispositions particulières A certaines situations, qui dérogent A la loi générale et lui font exception. Ainsi, en matière de baux immobiliers, de nombreux textes spéciaux dérogent aux règles générales du Code cil.
Devant le
développement contemporain des législations spéciales, particulières, d'exception ou de circonstance, c'est plutôt en ce sens que l'on oppose les lois spéciales au droit commun.
Encore faut-il définir le droit commun qui semble avoir une double signification historique et systématique4. Historiquement le droit fut d'abord un ensemble non diversifié de règles destinées A régir l'ensemble des situations juridiques. Progressivement, des règles propres A des types particuliers de
relations juridiques sont apparues, et des branches nouvelles du droit se sont développées. Il y eut ainsi une spécialisation croissante du droit, marquée par l'apparition de matières nouvelles, telles que le droit commercial, le
droit administratif, le droit social Ces législations spéciales font ure d'exceptions au fonds commun des principes généraux et des règles ordinaires qui constitue le régime normal et que l'on trouve historiquement dans le droit cil. D'un point de vue - systématique -, le droit commun représente les règles générales, notamment celles des grands codes et surtout du Code cil. De nombreuses dispositions du Code cil dépassent largement les frontières du droit cil et constituent, en toutes matières, un fonds commun auquel les règles spéciales, - exorbitantes -, propres A des matières spécialisées dérogent, mais auquel on continue A se référer, mASme dans des matières spécialisées, chaque fois qu'il n'existe pas de règles dérogatoires sur un point déterminé. Le droit commun peut alors se définir comme - le fonds traditionnel et général de notre ordre juridique -' ou, selon la définition d'Aubry et Rau, comme - l'ensemble des dispositions qui, découlant des principes généraux, admis par le législateur, n'ont point de caractère exceptionnel -2.
Au sens le plus large, les lois spéciales sont donc les dispositions dérogatoires au droit commun5. Mais il faut ici les concevoir aussi comme toutes les règles qui, ées A une autre disposition, mASme propre A une matière spécialisée ou A un problème particulier, ont un domaine d'application plus restreint.
La confrontation de deux textes plus ou moins généraux et plus ou moins spéciaux qui interfèrent est donc toujours relative. Elle résulte de la aison de leurs domaines d'application respectifs.
Pour apprécier le conflit entre un texte général et un texte spécial, il faut er leur degré respectif de généralité, l'un par rapport A l'autre. Chaque texte est, en quelque sorte, A la fois plus général et spécial que d'autres.
Les textes sur la vente d'immeuble A construire sont des textes spéciaux par rapport A ceux propres au contrat de vente qui sont eux-mASmes spéciaux par rapport aux dispositions générales régissant les contrats.
S'il faut déterminer les règles applicables A une vente d'immeuble A construire sur un point pour lequel il n'existe aucune disposition spéciale, on doit faire appel aux dispositions propres, A cet égard, A la vente, en général, et, A défaut, au régime général des contrats. Les exceptions A une règle sont parfois annoncées explicitement dans le texte mASme par des expressions telles que - cependant -, - néanmoins - Mais, plus souvent, la aison se fait entre des textes différents dont, A défaut d'indication formelle, il faut er l'objet et l'étendue des champs d'application.
En cas de conflit entre de tels textes, le principe est que les lois spéciales excluent les lois générales dans les limites de leur domaine d'application.
Délimitation du domaine d'application des textes spéciaux
Il est de principe que les exceptions doivent AStre interprétées strictement, de faA§on A ne pas en étendre la portée au-delA du domaine dans lequel les textes qui les prévoient les ont cantonnées. C'est dans cette perspective que s'applique la maxime specialia generalibus derogant1.
Les lois spéciales sont d'interprétation stricte et leur domaine ne saurait AStre étendu A des situations voisines qui n'y sont pas expressément incluses, en raisonnant par analogie. C'est la meilleure manière de respecter A la fois la lettre des textes dérogatoires et les dispositions des textes généraux, en conservant A ceux-ci toute leur portée.
Toutefois, ce principe ne doit pas AStre ressenti comme trop absolu2. L'interprétation stricte des textes spéciaux se justifie tout A fait pour des règles exorbitantes du droit commun qui constituent des exceptions A des principes généraux ou essentiels, tels les principes d'égalité ou de liberté Il en est de mASme pour des textes considérés comme spécialement rigoureux, telles des lois pénales d'aggravations, voire - odieux - (odiosa restringenda). De telles dispositions doivent AStre cantonnées dans les limites strictes que leur a assignées le législateur, le droit commun reprenant son empire dès que leurs conditions d'application ne sont pas strictement remplies. Elles sont - de droit étroit -. On sait notamment que la loi pénale, conformément aux exigences du principe de légalité, est d'interprétation stricte.
Mais - l'exception est une règle -. Comme pour toute règle, il faut entrer dans la raison de la loi sans se laisser enfermer dans une vue formelle (dans le fait que cette loi est énoncée sous forme d'exception)3. II est des règles d'exception qui procèdent d'un intérASt fondamental ou supérieur A celui qui justifie la règle générale A laquelle elles dérogent. M. Cornu prend l'exemple de l'article 215, alinéa 3 du Code cil selon lequel les époux ne peuvent l'un sans l'autre disposer des droits par lesquels le logement de la famille est assuré, quel que soit le régime matrimonial et le titulaire des droits considérés.
Il observe que cette règle du double consentement, bien que dérogatoire au fonctionnement normal du régime, placée - au cour du régime primaire impératif -, est essentielle et ne saurait AStre interprétée strictement sans méconnaitre sa raison d'AStre.
Ainsi, - lorsqu'une règle est énoncée sous forme d'exception, il faut aller A sa raison et celle-ci peut faire reconnaitre 1 "exception" comme la sauvegarde d'un principe supérieur. Une exception de cette nature mérite d'AStre appliquée dans toute la mesure de sa raison d'AStre -, fut-ce au prix d'une extension par analogie1. En outre, certains textes apparemment dérogatoires sont en réalité des applications de principes généraux. Si la stipulation pour autrui parait AStre une exception au principe de l'effet relatif du contrat, elle est aussi une application du principe de l'autonomie de la volonté et n'exclut donc pas une assez large reconnaissance.
L'incidence de la chronologie des textes ?
Lorsque la loi spéciale est postérieure A la loi plus générale avec laquelle elle interfère, elle y déroge sûrement. On doit admettre que cela correspond A la volonté du législateur et cela correspond A la maxime classique lex posterior derogat priori2. Mais pour concilier au mieux, la loi ancienne et la loi nouvelle, il faut limiter l'application de celle-ci A son domaine strict, la loi générale préexistante continuant A s'appliquer dans tous les cas où il n'y est pas dérogé. La loi spéciale nouvelle l'emporte sur la loi générale ancienne.
Quand, en revanche, la loi nouvelle est plus générale que la loi préexistante et entre en conflit avec elle, sans l'abroger expressément et sans préciser qu'elle s'applique - sous réserve des exceptions déjA consacrées -, deux raisonnements contradictoires sont concevables. Si on applique la règle lex posterior derogat priori, il faut admettre que la loi nouvelle abroge implicitement la loi spéciale antérieure. Si on se réfère au principe specialia generalihus derogant, la loi spéciale subsiste et l'emporte, dans son domaine strict, sur la loi générale plus récente. On peut en effet considérer que la sure d'une exception n'est pas incompatible avec l'apparition d'une règle de principe postérieure. Les auteurs prennent volontiers l'exemple de la loi de 1901 sur les associations, en général, postérieure A la loi de 1884 sur les syndicats, et observent que la loi de 1901 régit toutes les associations, A l'exception des syndicats qui sont une variété d'associations et qui sont restés soumis A la loi de 1884 qui a survécu et doit prévaloir dans son champ d'application1. Cette solution s'exprime par l'adage generalia speciali-bus non derogant ou legi speciali per gASneraient non derogatur.
En définitive, il faut admettre le principe de la primauté, dans les limites de son champ d'application, de la loi spéciale sur la loi générale, quel que soit l'ordre chronologique de ces textes, aussi bien quand la loi générale est plus récente que la loi spéciale que lorsqu'elle l'a précédée. Il faut seulement s'assurer que cela n'est pas contraire A la volonté du législateur en se référant au texte et A l'esprit de la loi2.
La solution qui ent d'AStre indiquée concerne déjA un problème de conflits de lois dans le temps.