NAVIGATION RAPIDE : » Index » DROIT » LOI GéNéRALE » La coordination des règles juridiques La solution des conflits de lois dans le tempsPosition du problème Les vériles difficultés de coordination de la loi ancienne et de la loi nouvelle supposent qu'elles puissent être toutes les deux simultanément applicables à une même situation, ce qui implique à la fois que la loi nouvelle soit déjà entrée en vigueur et que la loi ancienne, fût-elle abrogée, soit encore susceptible de s'appliquer à cette situation. Il faut alors résorber un conflit de lois dans le temps. Ce problème est lié à ce que l'on peut appeler « la dispersion des faits », c'est-à-dire aux hypothèses où les faits pris en considération par un texte sont dispersés de part et d'autre du moment où il entre en vigueur'. Il en est ainsi lorsqu'il s'agit de faits successifs comme ceux qui constituent la récidive, en droit pénal, ou de faits durables tels que la possession ou l'état des personnes, ou encore de faits instantanés dont les conséquences se prolongent dans le temps2. Cette difficulté est clairement mise en lumière par l'approche « structurale » de l'application de la loi dans le temps à laquelle a procédé J. Héron. Cet auteur part de l'analyse de la règle de droit en deux éléments, « le présupposé », autrement dit les faits concernés abstraitement par la règle, et 1' « effet juridique », c'est-à-dire les conséquences que la loi attache au présupposé. Il s'efforce alors de situer dans le temps les faits correspondant au présupposé de la règle à appliquer, et oppose les cas de « regroupement des faits » dans lesquels ils se réalisent complètement ant ou après l'entrée en vigueur de la loi et ceux de « dispersion des faits » où ils se répartissent de part et d'autre de cette entrée en vigueur. Dans la première hypothèse, le problème est celui de l'application rétroactive ou seulement prospective de la loi. Dans la seconde, il s'agit d'un choix nécessaire entre la survie de la loi ancienne et l'application immédiate de la loi nouvelle'. Plus l'épaisseur des faits soumis à la loi est grande, plus ils s'étalent dans le temps, plus il y a de problèmes de conflits de lois. Leur règlement dépend d'abord d'une alternative entre rétroactivité et non-rétroactivité de la loi. Elle peut schématiquement correspondre à trois solutions ; l'application immédiate de la loi nouvelle, sa rétroactivité ou la survie de la loi ancienne. L'alternative entre la rétroactivité et la non-rétroactivité de la loi Portalis proclamait : « C'est un principe général que les lois n'ont point d'effet rétroactif L'office des lois est de régler l'avenir. Le passé n'est plus en leur pouvoir Que deviendrait donc la liberté civile, si le citoyen pouit craindre qu'après coup il serait exposé au danger d'être recherché dans ses actions, ou troublé dans ses droits acquis, par une lois postérieure ? »' Il est vrai que le principe de non-rétroactivité de la loi n'est pas une simple règle de technique juridique et qu'il répond à des exigences de sécurité juridique, de respect des droits individuels contre des interventions intempestives de la puissance publique, de paix et de silité sociale. Il exprime une tendance consertrice. Mais, inversement, dans une perspective plus notrice et dynamique, fondée sur l'idée que la réforme, mieux adoptée aux besoins du moment, constitue un progrès, et sur les antages d'une unité de législation à un moment donné, on insiste souvent sur l'intérêt d'une application immédiate, voire rétroactive, de la loi nouvelle. Telle est l'alternative, sécurité ou innotion, qui domine le problème de la rétroactivité ou de la non-rétroactivité de la loi. Mais si la rétroactivité peut, dans certains cas, consolider des situations précaires et accélérer l'évolution du droit, elle risque d'engendrer le désordre social et de perturber les relations juridiques. Cela explique que ce soit le principe de non-rétroactivité qui l'emporte dans les régimes démocratiques2. Déjà connu en droit romain, il fut proclamé pour la loi pénale, par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789. La Déclaration de la Constitution de l'an III (art. 4) prévoyait : « Aucune loi ni criminelle, ni civile ne peut avoir d'effet rétroactif. » Il n'y a qu'en matière pénale que le principe de non-rétroactivité de la loi a leur constitutionnelle. La Constitution française du 4 octobre 1958 se réfère à la Déclaration des droits de l'homme de 1789 qui le proclame et l'article 4 du Code pénal dans lequel il est inscrit aussi, s'appuie donc sur un principe fondamental inclus dans le bloc de constitutionnalité. La Convention européenne des droits de l'homme (art. 7) dispose, quant à elle : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. » La non-rétroactivité de la loi pénale est largement admise dans les droits étrangers. Même dans des pays où le droit constitutionnel n'interdit pas des lois rétroactives, comme en Grande-Bretagne, le Parlement s'abstient d'en adopter et les tribunaux cherchent à interpréter les textes, pénaux en particulier, dans le sens de la non-rétroactivité3. Il y a là une garantie essentielle de protection de la liberté individuelle contre l'arbitraire du législateur ou du juge. Mais cela n'interdit que la définition rétroactive d'infractions nouvelles et l'instauration ou l'aggration rétroactive de peines. Rien n'empêche, en renche, la rétroactivité de lois pénales plus douces et de lois de procédure4. En définitive, sous réserve des dispositions transitoires multiples et diverses qui sont admissibles et fréquentes, les conflits de lois dans le temps se règlent en général par une application immédiate de la loi nouvelle. L'effet immédiat de la loi nouvelle Le législateur a naturellement tendance à donner à ses textes « la plus large application possible et à saisir, dès leur intervention, toutes les situations, même élies préalablement, dont les effets se prolongent ». Mais, en l'absence de dispositions expresses, que doit faire le juge ? Il est clair que la règle de la non-rétroactivité lui interdit de remettre en question des situations passées et qu'il ne peut priver personne de droits définitivement acquis. C'est ce qu'exprime la doctrine classique qui remonte aux auteurs médiéux, qui fut reprise ensuite par Merlin (1754-l838) et dont s'inspire encore la jurisprudence qui y voit une règle d'ordre public1. Selon la « théorie des droits acquis », la loi nouvelle ne peut porter atteinte à des « droits acquis », c'est-à-dire définitivement entrés dans le patrimoine de leur titulaire et dont le respect peut d'ores et déjà être assuré par une action en justice. En renche, elle peut parfaitement, sans être rétroactive, remettre en cause de « simples expectatives », c'est-à-dire des situations ou des prérogatives en gestation, latentes mais pas encore cristallisées sous l'empire de la loi ancienne et qui ne constituent encore que des espérances, lors de l'intervention de la loi nouvelle. C'est probablement en matière successorale que l'on trouve le meilleur exemple de la distinction des droits acquis et des simples expectatives. Jusqu'au jour de l'ouverture de la succession, les héritiers présomptifs n'ont qu'une vocation éventuelle à hériter, selon la loi alors en vigueur. Ils n'ont qu'une simple expectative. Ce n'est qu'à partir du décès de leur auteur qui marque l'ouverture de sa succession que ses héritiers ont un droit acquis à lui succéder et qu'une loi nouvelle ne saurait le remettre en cause. On peut alors poser le principe que c'est la loi en vigueur au moment de la réalisation d'un acte ou d'un fait qui s'y applique : on pourrait ainsi poser, sous forme d'adages, la règle tempus régit actum ; tempus régit factum2. La survie de la loi ancienne Les contrats restent en principe soumis aux textes applicables lors de leur formation4. Ceux-ci survivent à l'entrée en vigueur d'une loi nouvelle et régissent même les effets du contrat qui lui sont postérieurs. Ainsi, les effets de contrats successifs ou à exécution échelonnée, comme le bail ou le contrat de fourniture, échappent à une loi promulguée après leur conclusion, même quand ils s'accomplissent après sa mise en application. Cela tient au fait que les parties se sont liées en considération de la législation alors en vigueur et que c'est à elle seule qu'elles ont voulu se plier. Les dispositions de l'époque auxquelles elles n'ont pas dérogé ou qui s'imposaient à elles constituent en quelque sorte les règles du jeu qui se sont incorporées à leurs conventions. Le respect de leur volonté contractuelle et la sécurité juridique de leurs relations imposent donc de ne pas les modifier en cours de route. Il n'en autrement que lorsque la loi nouvelle est d'ordre public puisqu'elle l'emporte alors sur les volontés privées. C'est ainsi que les textes qui confèrent aux salariés des antages sociaux s'appliquent aux contrats en cours, lors de leur intervention. En matière pénale, la loi nouvelle ne saurait s'appliquer à des faits commis ant son entrée en vigueur, même si ces faits n'ont pas encore été poursuivis ou jugés. C'est la loi antérieure qui survit. Il faut, pourtant, pour qu'il en soit ainsi, que les faits incriminés soient réellement antérieurs à la loi nouvelle. Cela ne suscite pas de difficulté particulière en matière d'infractions instantanées. En renche, en cas d'infractions successives, constituées par la répétition d'actes délictueux, comme le vol d'électricité, la loi nouvelle s'applique dès lors que l'infraction s'est répétée, ne serait-ce qu'un instant, après son entrée en vigueur. De même, s'agissant d'infractions d'habitude, comme l'exercice illégal de la médecine, il suffit qu'un acte ait été commis sous l'empire de la loi nouvelle pour qu'elle s'applique. Les peines de la récidive sont également encourues conformément à de nouveaux textes si l'une des infractions leur est postérieure, même si les premières condamnations sont antérieures. Mais la non-rétroactivité de la loi pénale n'est conçue que comme une garantie des libertés individuelles. Elle s'efface quand celles-ci ne sont pas menacées et n'empêche donc pas toute rétroactivité. Les cas de rétroactivité de la loi En matière pénale, la protection des libertés individuelles n'est pas compromise par une application des lois plus douces à des faits commis ant leur entrée en vigueur et qui n'ont pas encore donné lieu à une condamnation définitive. C'est pourquoi on admet traditionnellement la rétroactivité des lois pénales plus douces, la « rétroactivité in mitius », qui concilie l'intérêt social d'une application généralisée des lois nouvelles et l'intérêt des prévenus que l'on soumet ainsi à un traitement plus favorable. Il n'est pas douteux qu'une loi qui supprime une incrimination ou une circonstance aggrante ou qui consacre de nouveaux faits justificatifs ou de nouvelles causes de non-impuilité, ou encore qui disqualifie un crime en délit ou un délit en contravention ou allège les peines prévues, est plus douce. Mais il est aussi des lois nouvelles qui sont à la fois plus douces et plus sévères que les dispositions précédentes. Pour les lois concernant la répression, ce sont celles qui diminuent le maximum de la peine tout en en augmentant le minimum, s'il y en a un, qui sont considérées comme les plus douces. Dans d'autres cas, on procède par une application distributive des dispositions plus douces et plus sévères, quand la loi est divisible, faute de quoi on s'attache à la disposition principale de la loi nouvelle pour apprécier si elle est plus douce et si elle doit rétroagir1. Le législateur obéit ici à des considérations de politique législative pour déterminer les mesures transitoires qui lui semblent les mieux adaptées. Mais, en toutes matières, le législateur élit parfois, sans le dire, de manière plus insidieuse, des dispositions rétroactives grace à des lois dites « interprétatives » qui, s'incorporant au texte interprété, s'appliquent aux mêmes situations que lui, même si elles leur sont antérieures. Il en est ainsi lorsque de telles lois, sous prétexte d'interprétation, comportent des modifications du droit positif. Il faut d'ailleurs ajouter, bien que cela soit différent, qu'un revirement de jurisprudence ou un changement d'interprétation d'un texte pose des problèmes analogues. On a observé que « nul ne peut prétendre au maintien d'une jurisprudence constante, même s'il a agi ant son abandon ». La Cour de cassation a décidé, en effet, que « la sécurité juridique ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence ée, l'évolution de la jurisprudence relent de l'office du juge dans l'application du droit ». Mais le rôle de l'interprétation dans la coordination des textes rejoint des méthodes inhérentes à l'idée de cohérence du système juridique. |
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