La Constitution
Le rapport national passe en revue l'évolution des aides et des
politiques culturelles depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Les auteurs insistent lourdement sur la complexité et la densité du cadre législatif italien, un thème dont les experts ont beaucoup entendu parler au cours de leurs visites. En regard de la complexité actuelle des systèmes et de la confusion qui règne en matière de répartition des pouvoirs, le texte constitutionnel a au moins le mérite d'AStre clair:
-La République fera tout ce qui est en son pouvoir pour promouvoir le
développement de la culture et de la recherche scientifique et technique. Elle veillera également A protéger et A préserver les régions rurales et les monuments historiques et artistiques qui sont l'héritage de la nation- (Article 9).
La Constitution de 1947 renferme un autre article directement lié A la politique culturelle:
-La République, une et indivisible, reconnait et favorise les autonomies locales; réalise dans les services qui dépendent de l'Etat la plus ample
décentralisation administrative; adapte les principes et les méthodes de sa législation aux nécessités des Régions autonomes et de la décentralisation- (Article 5).
La répartition des pouvoirs dans l'administration centrale
Il est tout A fait compréhensible, pour des raisons historiques, que l'Italie, après la suppression en 1943 de l'ancien ministère de la Culture populaire, ait carrément rejeté l'idée d'un ministère de la Culture unique et centralisé. Malheureusement, le résultat de cette situation aujourd'hui est que les diverses attributions sont dispersées entre plusieurs ministères et
départements complètement séparés les uns des autres, sans parler des complications supplémentaires issues des retards dans le processus de régionalisation du pays, surtout au début des années 1970. Il n'existe donc aujourd'hui pas de rile politique nationale d'ensemble en matière culturelle, qui englobe les différents éléments de la culture, en allant du patrimoine, des musées et de l'archéologie aux arts plastiques et aux arts du spectacle, en passant par les industries culturelles, l'édition, le cinéma, la radiodiffusion et la télévision. Par conséquent, en dépit de l'impression que peut donner l'Italie au reste du monde et de ce qu'elle représente d'un point de vue universel, la culture n'est pas vraiment considérée dans ce pays par les différents échelons d'administration comme étant une priorité politique et financière.
Au niveau de l'Etat, il existe au moins huit instances ou personnes directement et légitimement concernées par la politique culturelle, et ce, A divers titres:
- le ministère du Patrimoine culturel (archéologie, beaux-arts, musées, bibliothèques, archives);
- le ministère des Travaux publics (restauration des monuments nationaux);
- le ministère de l'Intérieur (administration du patrimoine, entretien des édifices religieux, droits d'auteur);
- le ministère des Affaires étrangères (relations culturelles et instituts A l'étranger);
- le ministère de l'Education (éducation, échanges culturels);
- le président du conseil des Ministres (promotion culturelle, presse, radiodiffusion et télévision).
Sont également concernés le Trésor, le ministère des Finances et le ministère des Postes et Télécommunications:
- le ministère (devenu un département) du Tourisme et des Arts du spectacle (théatre, opéra, musique, cinéma, cirque);
- le ministère de l'Industrie (cinéma).
A tout ceci, il convient d'ajouter le surcroit de complexité amené par le cas des Régions autonomes (où certaines fonctions de l'administration centrale, comme la gestion des archives, sont encore assurées directement), les biais par lesquels les pouvoirs locaux et régionaux sont
financés par le contribuable au niveau national et certaines autres fonctions dispersées entre différents ministères, mais non moins pertinentes, qui ont trait au budget et aux finances, A la sécurité civile et aux télécommunications.
La législation
Nul doute que l'Italie est le pays d'Europe dont l'arsenal
juridique dans le domaine culturel est le plus abondant. Les textes de loi sont principalement de deux sortes:
a. les documents de long terme qui, en principe, constituent le fondement d'une politique et d'un
financement réguliers et ininterrompus (avec des répercussions sur les mécanismes administratifs, la mise en ouvre et l'évaluation);
b. les documents de court terme, A caractère le plus souvent financier, rédigés en réponse A des crises ou A des situations particulières, qui ne concernent qu'un exercice fiscal donné.
MASme si le processus de leur adoption par le Parlement donne aux textes législatifs en matière de politique culturelle l'occasion de faire l'objet d'un grand débat national, le cloisonnement des compétences et des méthodes de financement est tel qu'il est relativement difficile de dégager une politique nationale cohérente. Il n'existe aucun document d'orientation énonA§ant les grands axes et les objectifs de l'action des pouvoirs publics dans le domaine de la culture. Les lois qui garantissent les ressources financières sont les seuls documents de programmation du système de la politique culturelle italienne. Si l'on ne peut guère parler de politique intégrée dans le domaine pourtant fortement centralisé du patrimoine, on le peut encore moins au chapitre de la culture en général.
Nul ne saurait affirmer que, pour AStre efficace, une politique culturelle doit reposer sur de solides fondements législatifs (voir le cas des pays Scandinaves); mais, inversement, pléthore de textes législatifs ne garantit en rien le développement culturel d'un pays. Du fait de sa propension A ajouter sans cesse de nouvelles lois A son arsenal juridique et en raison par ailleurs de la fragmentation horizontale et verticale des pouvoirs, l'Italie semble constamment occupée A légiférer pour compenser la pénurie de lois organiques dont elle souffre, ce qui a pour résultat d'accroitre encore la complexité de la situation. Les Régions, quant A elles, essaient de pallier le manque de clarté et de cohérence de l'administration nationale, régionale et locale du patrimoine en légiférant elles aussi pour tenter de mettre en place une définition plus opérante du rôle des uns et des autres. A plus d'une reprise, les experts ont entendu dire qu'il y avait, en Italie, une tendance A ne pas préparer de lois générales, mais des textes plutôt limités ou spécifiques. C'est ainsi qu'on en arrive A une situation paradoxale où les fonctionnaires ont le sentiment de ne pouvoir agir ou prendre de décision sans la sanction ou la protection de lois spéciales, alors que, dans le mASme temps, ils négligent de faire usage des textes existants.
On trouve un certain nombre de textes de législation fiscale qui se rapportent précisément aux domaines suivants de la politique et du développement de la culture:
- les avantages fiscaux accordés aux investissements pris dans le secteur de la restauration du patrimoine culturel, ainsi qu'aux donations effectuées aux institutions culturelles;
- les impôts et taxes sur l'achat et la vente de produits culturels;
- les avantages fiscaux accordés aux organismes culturels ayant le statut d'associations A but non lucratif.
Les mécanismes d'application de la législation sur les capitaux pris, extrASmement complexes, ont été amendés depuis l'adoption de lois en 1982. Ce sont les dons directs A l'Etat qui bénéficient des avantages fiscaux les plus importants (dégrèvement pouvant aller jusqu'A 25 %). La loi est très restrictive en ce qui concerne les droits du propriétaire de faire librement usage du patrimoine, et en ce qui a trait aux efforts déployés pour créer, dans l'intérASt public, un dispositif de préservation plus uniforme, indépendamment du régime de propriété, la situation est plutôt vague.
Les livres et les enregistrements musicaux bénéficient d'un régime de TVA favorable, les livres en étant carrément exonérés. Fondée en 1882, la SIAE (Societa italiana autori ed editori) est devenue en 1941 l'instance officiellement chargée en Italie de toutes les questions de droits d'auteur, percevant les redevances et les taxes sur les bandes vidéo et audio, vierges ou enregistrées, ainsi qu'un pourcentage sur les entrées de cinéma. Par le truchement du ministère des Finances, une grande partie de ces recettes sont redistribuées A la culture. C'est une situation qui soulève d'ailleurs l'éternel débat sur la question de savoir si l'on peut imposer la culture populaire pour subventionner les arts et le patrimoine. C'est A ce dernier titre uniquement que l'on peut dire de la fiscalité en Italie qu'elle sert la politique culturelle.
Théoriquement, la vie des Italiens est très strictement encadrée par l'Etat, mais les habitants de la péninsule sont passés maitres dans l'art de contourner les systèmes élis tandis que la société évolue selon ses propres règles. La notion d'un Etat dont la vocation est de contrôler (et, partant, d'AStre contrôlé et utilisé), et non de fournir un cadre propice sur la base d'un consentement librement donné, est très solidement ancrée dans les mentalités.
-D'un côté, on a une société caractérisée par une vitalité anarchique et, de l'autre, une
crise de plus en plus grave des principaux organes de l'administration, qui s'inscrit dans le contexte d'une détérioration des institutions.- (Extrait de Italy Today, Censis, 1992.)
La décentralisation
L'article 5 de la Constitution garantit l'autonomie des pouvoirs locaux (et régionaux), ainsi que la décentralisation des compétences, ce qui revient en quelque sorte A énoncer un principe de subsidiarité. De faA§on assez explicite, l'article 117 délègue des attributions aux pouvoirs locaux en matière de gestion des musées et des bibliothèques locaux. Mais, dans les faits, le transfert des pouvoirs du centre aux régions a donné lieu A un processus interminable, qui ne s'est pas fait sans réticences. Les budgets locaux et régionaux sont fortement dépendants des transferts financiers de l'Etat, et les pouvoirs locaux n'ont légalement que très peu de moyens de percevoir des impôts.
Malgré les intentions très clairement exprimées dans la Constitution et les diverses initiatives juridiques et constitutionnelles prises par la suite (comme le référendum de 1993), l'Etat italien n'a jamais, dans le domaine du patrimoine culturel ou dans celui des arts du spectacle, fixé d'objectifs nationaux susceptibles de favoriser une plus ample décentralisation, ainsi que l'affectation de ressources financières adéquates (ou l'attribution de compétences d'imposition) aux pouvoirs locaux ou régionaux. Il a cependant conser une fonction de coordination et de supervision. A l'heure actuelle, l'Etat est encore très largement occupé A protéger ses propres intérASts, alors qu'un grand nombre des pouvoirs locaux s'efforcent d'assurer la promotion directe des activités culturelles pour les défendre contre la tendance commerciale de plus en plus évidente dans le reste des pays d'Europe.
La situation est donc des plus confuses et les
risques de chevauchements et de recoupements entre les fonctions sont énormes, de mASme que le danger de gaspillage d'ailleurs. Il est essentiel que le processus de décentralisation s'accélère pour que l'Etat puisse définir le rôle stratégique qu'il veut pouvoir jouer dans le domaine de la politique culturelle, dans une plus grande transparence et de faA§on plus objective.
Les pouvoirs locaux et régionaux font état de deux problèmes particuliers qui leur compliquent inutilement la vie.
Premièrement, l'inachèvement du processus de décentralisation a engendré un certain nombre de problèmes politiques; il arrive donc que les pouvoirs locaux et régionaux soient assujettis A des ensembles de règles différents, certainement A des interprétations opposées de ces règles et qu'ils aient parfois affaire A des instances ministérielles (ou A leurs représentants locaux comme le soprintendente) différentes. Une politique coordonnée A l'échelon central permettrait au moins de savoir avec un peu plus de précision qui est responsable de la conduite de tel ou tel programme, ce qui éviterait beaucoup de doubles emplois, de gaspillages et de conflits inutiles. A l'heure actuelle, dans le domaine du patrimoine, les rôles des pouvoirs publics A chaque niveau d'administration ne sont pas encore bien coordonnés.
Deuxièmement, si les devoirs que la loi et la Constitution imposent A l'Etat concernent essentiellement la conservation du patrimoine, l'entretien des infrastructures, etc. (des missions dont on pourrait presque dire qu'elles se suffisent A elles-mASmes), les pouvoirs locaux et régionaux considèrent ces obligations comme allant de soi et veulent passer A l'étape suivante, qui consiste A valoriser les sites et les musées et A tirer le meilleur parti possible des institutions culturelles sur leur territoire dans l'intérASt de leurs résidents. Sans une coordination adéquate des objectifs d'ensemble, définissant un cadre de
travail A l'échelle du pays tout entier, les initiatives locales vont continuer de se heurter A de nombreux obstacles, faits de retards et d'interférences, qui vont souvent A rencontre d'une vision et d'un d'action locaux pourtant approus par les secteurs public et pri.