L'austro-fédéralisme: un centralisme déguisé?
Nous l'avons vu, les experts estiment que la question de l'introduction dans le domaine culturel également est l'un des principaux
moyens d'évolution d'un pays A structure fédérale comme l'Autriche. En passant en revue les principales composantes, nous espérons abréger l'introduction de ce thème.
Un Etat fédéral peut AStre la résultante de deux grandes évolutions. L'évolution qu'on pouit qualifier d'idéale, du bas vers le haut: l'Etat nait de l'union volontaire d'Etats constitutifs qui étaient A l'origine complètement ou largement indépendants et qui, au moment de leur entrée dans la nouvelle fédération, lui cèdent certaines compétences. Ce type d'évolution tend vers une certaine centralisation, mais qui reste strictement limitée. Les Etats-Unis et la Suisse en sont des exemples classiques.
L'autre cheminement peut AStre qualifié tout simplement de
développement du haut vers le bas: un Etat central cède des compétences A des échelons inférieurs, qu'il s'agisse des Etats qui le constituent, des
collectivités territoriales traditionnelles ou des unités structurelles créées exprès. Dans ce cas, l'évolution clairement dans le sens de la décentralisation.
Le fédéralisme autrichien constitue une forme mixte de ces deux évolutions.
a. Fédéralisme et subsidiarité
Un Etat repose en général sur le principe de la subsidiarité et vise la
décentralisation et, par conséquent, une répartition du pouvoir. La subsidiarité - concept familier quand on évoque l'intégration européenne - est l'attribution de la responsabilité générale d'un domaine donné A l'échelon le plus immédiat. Une intervention de l'instance supérieure n'est admise que si la tache A accomplir dépasse la capacité du premier niveau qui en est responsable ou si elle doit AStre, de par sa nature, confiée A un échelon supérieur.
b. Il n'y a pas de -Kulturhoheit- (souveraineté culturelle) de l'Etat
Il y a peu d'autres domaines où l'utilité de principes fédéralistes se manifeste avec autant d'évidence que dans le domaine culturel. La culture, domaine ant tout d'ordre individuel, échappe A l'action de l'Etat dans la mesure où celui-ci ne peut assumer un quelconque rôle de création d'organisation. Dans ce sens, le terme -Kulturhoheit- (souveraineté culturelle) de l'Etat que l'on utilise malheureusement souvent, et pas seulement en Autriche, est absurde. Contrairement au domaine de l'éducation, où l'Etat agit en créateur et peut donc prétendre A la souveraineté éducative, la culture n'offre A l'Etat aucune possibilité de participation authentique.
Citations extraites de la Déclaration gouvernementale de 1990:
-L'Etat et les créateurs culturels se doivent de pratiquer une nouvelle forme de dialogue. Pour cela, le premier doit renoncer A jouer le rôle du généreux donateur, et le second celui du bénéficiaire reconnaissant. A la politique d'aumône adoptée parfois A l'égard des artistes doit AStre substituée une nouvelle conception du financement de l'art.-
-La politique culturelle ne doit cependant pas se limiter A régler les questions de financement et d'infrastructure. Elle consiste aussi A prendre clairement parti pour les créations culturelles non conventionnelles, voire provocatrices, sans lesquelles il n'est pas possible d'éliminer les entraves constantes auxquelles la société se heurte régulièrement.-
c. Politique culturelle signifie soutien
Toute politique culturelle moderne repose donc sur des fonctions de soutien, et en particulier sur la création d'un cadre juridique, social et
économique approprié. Le créateur, principal acteur et médiateur de la culture, restera toujours le but de ces efforts. Pour cette raison, la politique culturelle publique devrait d'abord s'exercer lA où l'interface Etat-individu est la plus immédiate: la conception fédéraliste au niveau local, c'est-A -dire dans les communautés. Les échelons dits supérieurs - qu'il s'agisse de circonscriptions, de régions, de cantons, de provinces, selon le droit national ou la terminologie nationale -, moins proches du citoyen, représentent donc la puissance de l'Etat qui, dans une
démocratie libérale, est toujours circonscrite dans des limites bien déterminées. Selon cette conception, la culture ne peut jamais tomber complètement sous la tutelle de l'Etat et toute action politico-culturelle devra donc AStre - mASme si elle comporte par définition des mesures de soutien - aussi proche que possible du citoyen.
d. Fédéralisme et politique culturelle fédéraliste en Autriche
L'Autriche d'aujourd'hui est un Etat fédéral dont les provinces constitutives, les neuf LA nder, disposent en principe de droits souverains. La fédération (Bund), contrairement A ce qui se passe dans un Etat centralisé -classique-, tire ses droits du fait que les provinces ont renoncé aux leurs ou qu'elles les lui ont confiés; ses fonctions sont donc fondamentalement de type subsidiaire. D'où un rapport de force subtil et des tensions latentes entre la fédération et les provinces, qui se manifestent aussi et tout A fait nettement dans le domaine de la politique culturelle. Il faut donc éluer la politique culturelle autrichienne d'après la faA§on dont elle respecte les règles du jeu fédéral.
Le fédéralisme autrichien tire en partie ses origines des collectivités territoriales dynastiques de l'ancien empire. Lors de la création des provinces fédérales, décidée aux termes de la Constitution de la Première République, ces collectivités territoriales, constituées au fil de l'histoire, existaient déjA . Précurseurs des provinces actuelles, elles aient exécuté - A l'époque de la monarchie - des taches dont l'Etat central assurait le financement. A quelques exceptions près, leurs capitales sont aujourd'hui celles des provinces.
Toutefois, comme le présent rapport le démontrera A propos de la politique culturelle, les différentes provinces exercent leurs pouvoirs politiques de manière très différente, mais souvent insuffisante. La conscience qu'elles ont de leur souveraineté est plutôt peu développée, comme l'ont révélé les interviews. Pour preuve, l'emploi de termes tels que -Landshauptmann- (gouverneur de province) ou -Kulturreferent- (responsable de la culture au lieu de ministre de la Culture). LA encore, le poids du passé dont il a déjA été question A plusieurs reprises se fait sentir. En dépit de remarquables tentatives de décentralisation dans le domaine administratif, le gouvernement fédéral et notamment l'administration centrale ont conservé, dans pratiquement tous les domaines, une influence décisive. En matière de politique culturelle, la fédération occupe une position tellement prépondérante que l'identité culturelle des provinces et l'expression de leur souveraineté sur le de la culture sont constamment en retrait. Le rôle des provinces continue d'évoluer. Elles ne semblent pas encore toutes avoir compris que l'aide A la culture dans un système fédératif devrait en premier lieu relever des provinces.
e. Le respect des règles du jeu fédéral comme critère d'éluation de la politique culturelle
L'Autriche est - comme nous l'avons souligné d'emblée - le premier pays A structure fédéraliste dont la politique culturelle a été soumise A une éluation, dans le cadre du programme du Conseil de l'Europe. C'est ce qui a incité le groupe d'experts A faire du fédéralisme un critère essentiel d'éluation.
Les membres du groupe n'ont pas eu accès au mASme degré aux différentes institutions et situations et n'ont pas compris de la mASme manière certains propos tenus au cours des interviews. D'autre part - que cela soit dit pour la clarté de la méthode - les expériences personnelles du rapporteur expliquent l'application rigoureuse et critique du critère fédéraliste.
Un Etat fédéral devrait AStre élué d'après ses propres principes, ce dont la politique culturelle peut largement bénéficier. Notamment l'élément de décentralisation qui y est lié est un moyen approprié d'empAScher l'instauration d'une culture dite d'Etat et de toute forme de centralisme qui peut aboutir A des résultats préjudiciables au développement culturel. Bref, le fédéralisme offre d'excellentes conditions pour satisfaire aux exigences d'une politique culturelle moderne, libérale et démocratique qui corresponde aux besoins et qui reste proche du citoyen.
f. Bilan global négatif?
Pour ce qui est du respect des règles du jeu fédéral en Autriche, le bilan global est plutôt ambigu. Dans ce contexte, il faut cependant prendre en compte le fait que la Constitution autrichienne, par rapport A la Crundgesetz (loi fondamentale) allemande ou A la Constitution fédérale suisse, accorde plus de compétences A la fédération. La question décisive est donc de saisir dans quelle mesure l'Etat central peut faire preuve de la retenue nécessaire dans un domaine aussi sensible que la politique culturelle.
La politique culturelle de la fédération, mais plus encore ses choix de financement (A long terme) dans le domaine artistique, sont - selon l'avis du groupe d'experts - marquées par un esprit centraliste ainsi que par un penchant très net pour les activités et décisions de prestige. En matière de politique culturelle, la fédération et les provinces agissent, très souvent de manière non coordonnée, voire concurrentielle, dans plusieurs domaines. Le titre du présent chapitre -le fédéralisme A l'autrichienne est-il un centralisme déguisé- semble justifié, en tout cas dans le domaine de la politique culturelle.
Il faut aussi préciser que les provinces semblent ne pas opposer beaucoup de résistance A la fédération. Des entretiens, il est ressorti en particulier que les provinces deient -faire avec- en matière de politique culturelle, la majorité des décisions en matière de financement relent de l'Etat central. Il nous a été dit aussi que les provinces préféraient avoir plus d'argent que plus de compétences.
Il est révélateur dans ce contexte - cela nous a été confirmé A plusieurs reprises - que les provinces se préoccupent dantage de renforcer leurs relations avec la fédération que leurs relations entre elles et que, ce faisant, elles laissent passer une importante occasion de renforcer le fédéralisme.
Le fédéralisme A l'autrichienne: centralisme déguisé? Cette affirmation est confirmée, lorsque l'on e les dépenses culturelles publiques de la fédération, des provinces et des communes. En tout état de cause, les chiffres indiqués dans le rapport national vont dans ce sens. Ainsi, avec 41,65 % de toutes les dépenses culturelles publiques, la fédération occupe de loin la première place. La part des provinces (A l'exception de Vienne) est de 23,87 % et celle des communes de 22,52 %. Vienne, avec 11,96 %, constitue un cas A part dont il sera question plus loin.
A titre de aison, on peut dire que les pourcentages sont très différents en Suisse, pays qui, en raison de sa structure fédérale, peut AStre, du moins A de nombreux égards, mis en parallèle avec l'Autriche. En Suisse, la fédération avec 10 % des dépenses culturelles publiques, occupe le tout dernier rang, tandis que - conformément au principe selon lequel l'action politique doit AStre proche du citoyen - les communes se trouvent en tASte avec 52 %, et que les cantons (collectivités territoriales analogues aux provinces autrichiennes) occupent la position intermédiaire avec 38 %. La situation est semblable en Allemagne. Bien que des aisons directes entre pays A structure fédérale soient, A maints égards, difficiles, voire impossibles, ces nettes différences - illustrées par le diagramme ci-après - frappent néanmoins l'obserteur.
Evolution des dépenses culturelles des provinces (y compris Vienne), des communes de la fédération, en pourcentage des dépenses publiques
1976 1980 1986 1989
Provinces 1,42 1,70 1,75 1,91
Communes 2,17 2,30 2,41 2,74
Fédération 1,01 1,03 0,94 0,90
Part globale 1,26 1,36 1,30 1,35
L'augmentation des dépenses culturelles des provinces et des communes a été beaucoup plus forte au cours de la période examinée par rapport A celles de la fédération, et l'écart important entre leurs parts respectives dans le budget total et par rapport aux pourcentages des dépenses publiques ne change rien au fait que cette répartition des charges en Autriche n'est, au fond, pas de type fédéral. Selon les apparences, la prépondérance de la fédération n'en reste pas moins impossible A remettre en question.
Ce qui frappe d'abord, quand on examine ces chiffres, ce sont les augmentations considérables contractées entre 1986 et 1989 dans le cas du Bur-genland, de la Basse-Autriche et de la Styrie, alors que, au cours de la mASme période, les pourcentages diminuaient dans les cas de la Haute-Autriche et de Salzbourg, et que la part des dépenses culturelles A Vienne restait inchangée. Dans le cas du Burgenland, il faut cependant rappeler que dans la première moitié des années 80, un très net recul ait été enregistré et que le pourcentage record de 1976 n'a jamais plus été égalé.
Il est intéressant et réjouissant de constater que les parts ont augmenté en ce qui concerne les communes, au cours de la période examinée, tandis que les parts de la fédération n'ont cessé de décroitre faiblement, mais continuellement. Les parts globales- un peu plus de 1 % du total des dépenses publiques - ne sont pas, A l'échelle internationale, meilleures que la moyenne.