NAVIGATION RAPIDE : » Index » DROIT » DROIT CIVIL » La liberté de la presse La liberté de la presse et le pouvoir économique
1A° Cet aspect du problème de la liberté de la presse, que la tradition libérale a longtemps ignoré, résulte de la conjonction de plusieurs facteurs. b ' Le problème trou sa solution dans l'inntion, par Emile de Girardin, dès 1839, de la publicité et dans l'essor qu'elle prend au xxe siècle. L'extension du nombre des lecteurs attire les annonceurs, les ressources qu'ils apportent compensent, et au-delA , le manque A gagner sur le prix de nte du journal ; ainsi, les deux mouments se renforcent l'un par l'autre : l'expansion des ntes, facilitée par le faible prix, accroit l'intérASt de la publicité. Mais l'équilibre financier du journal se trou, de ce fait, A la merci des annonceurs. c / Autre facteur, plus décisif encore : révolution des techniques et, avant tout, des techniques d'impression. Elles permettent d'accélérer et de multiplier le tirage, donc de répondre A une demande sans cesse élargie. Mais les instissements qu'exigent l'acquisition et, au rythme des progrès techniques, le renoullement des équipements sont sans commune mesure ac ceux, modestes, de l'ancien matériel artisanal. Le phénomène se fait sentir dans toute l'industrie de l'imprimerie, mais il est particulièrement aigu pour la presse périodique. Un autre lui est propre : les techniques de communication étendent au monde entier le champ ourt A l'information, et la curiosité du lecteur s'élargit d'autant. La concurrence des nouaux moyens d'information, radio et télévision, impose A la presse écrite l'obligation d'offrir la mASme ubiquité, la mASme instantanéité dans la diffusion des noulles et aussi des images. Mais les techniques qui permettent ce résultat sont onéreuses et grènt le prix de revient du journal. 2A° Ces facteurs conrgent : ils poussent uniformément, selon la tendance générale de l'économie contemporaine, A la concentration des entreprises de presse. La publicité va dans ce sens : exclusiment soucieuse de renilité, elle recherche les meilleurs - supports -, c'est-A -dire les journaux qui touchent le plus large public, et se désintéresse de ceux qui n'ont qu'un faible tirage, déjA menacés par l'élévation des coûts et l'impossibilité où ils se trount de suivre le progrès technique. Tout cela aboutit A la disparition des journaux qui ne disposent pas d'une assise financière suffisante, et A la mainmise, sur ceux qui subsistent, des groupes économiques disposant des capitaux nécessaires. L'atteinte A la liberté qui en résulte touche A la fois la presse dans son ensemble, et chaque journal en particulier. a / Le fruit attendu de la liberté de la presse, c'est la possibilité, pour tous les courants d'opinion, de se faire entendre. Cette possibilité s'atténue. Le droit d' - imprimer librement - pour - communiquer ses opinions -, reconnu A tous, ne se concrétise que pour ceux qui détiennent les moyens financiers nécessaires A sa mise en ouvre. Sur ce point, la critique marxiste des - libertés formelles - (supra, t. 1, p. 88) porte A plein. La diminution du nombre des journaux aboutit parfois, notamment dans la presse régionale, A des situations de monopole. La liberté d'expression disparait. Par lA mASme, la liberté du lecteur, qui voit se restreindre ses possibilités de choix, est compromise. b I La liberté se trou également compromise pour ceux des journaux qui subsistent. Elle l'est doublement. La nécessité, pour vivre, de conserr, voire d'accroitre les ressources pronant de la publicité, interdit au journal des prises de position trop tranchées, qui risqueraient de détourner une partie de ses lecteurs. Il est condamné, sinon A l'objectivité, du moins A la tiédeur quant A ses options. La presse d'opinion s'efface au profit de la presse dite d'information. Encore celle-ci a-t-elle tendance, pour attirer ou retenir le client, A préférer le sensationnel au solide et A cultir - le sang A la une -. D'autre part, la maitrise du journal appartient aux détenteurs de capitaux. L'orientation qu'ils lui imposent peut AStre déterminée soit par la simple recherche du profit, soit par la volonté d'infléchir l'opinion dans un sens favorable A leurs activités extra-journalistiques, bancaires ou industrielles. Dans les deux cas, le journaliste, condamné A se faire le serviteur des intérASts en cause, perd sa liberté d'expression. 3A° Cette situation, déjA perceptible avant 1939, avait fait naitre dirs projets dans la Résistance : les partis politiques auraient reA§u de l'Etat les moyens financiers leur permettant de s'exprimer par voie de presse, la tutelle de l'argent se trouvant par lA mASme éliminée. Il subsistait quelque chose de ces aspirations ' mais au seul profit des journaux issus de la Résistance ' dans la création, par la loi du 11 mai 1946, de la Société nationale des Entreprises de Presse, ébssement public qui reA§oit la propriété des biens de presse confisqués, ac ou sans indemnité selon les cas, aux journaux de la collaboration en application des ordonnances sur l'épuration de la presse, et a pour mission de les mettre, soit par cession, soit par bail, A la disposition des journaux qui, nés dans la clandestinité, s'en étaient emparés au lendemain de la Libération. L'opération, dont la phase acti a pris fin ac la loi du 2 août 1954, n'a pas atteint son but. La spoliation parfois contesle qu'elle a entrainée n'a eu pour contrepartie ni la création d'un vérile secteur public des imprimeries de presse du fait des cessions effectuées, ni mASme la consolidation des assises économiques des journaux qui en ont bénéficié, beaucoup d'entre eux, parmi les plus indépendants, ayant disparu par la suite, et d'autres étant passé aux mains de groupes financiers. Sur la loi du 11 mai 1946 et ses suites : G. Lïon-Caen, JCP, 1949, I, nA° 803, et A. de LaubadASre, D, 1955, Chr., p. 23. Au mASme souci se rattachent les mesures prises par l'ordonnance du 26 août 1944 pour introduire un minimum de clarté dans la gestion du journal. Mais elles n'ont pu empAScher la prédominance croissante des intérASts, et la plupart sont tombées en désuétude. Les deux lois du 23 août 1984 et du 1er août 1986 ont repris le problème, sans réussir A le régler. 4A° Au terme de cette évolution, la presse franA§aise est, aujourd'hui, en proie A une crise profonde qui met en question sa liberté. La crise s'inscrit dans les chiffres : depuis le début du siècle, malgré l'accroissement de la population, le nombre des quotidiens a diminué des trois quarts. Il y avait 402 quotidiens en 1901, 236 A la ille de la guerre en 1938, 142 en 1950, 89 en 1973. Depuis 1975, le nombre des quotidiens parisiens d'information générale oscille autour d'une dizaine de titres, au gré des créations ' parfois durables (Libération, Le Quotidien de Paris), plus sount éphémères (Rouge, J'informe) ' et des disparitions (La Nation, Combat, Le Matin de Paris). Autre aspect de la concentration : le déloppement des groupes de presse unifiant plusieurs titres sous une seule direction, et par conséquent une seule inspiration idéologique. Le groupe Prouvost, avant son éclatement en 1976, possédait notamment Le aro, Paris-Match, Télé 1 jours. Le groupe Amaury, outre Le Parisien libéré, contrôlait une dizaine de quotidiens régionaux, L'Equipe, et Carrefour. Le groupe Hersant, enfin, a acquis, outre ses quotidiens de province. Le aro. L'Aurore et France-Soir, et contrôle ainsi près du quart des quotidiens franA§ais. La menace contre le pluralisme est donc particulièrement aiguA« aujourd'hui. L'inquiétude apparait déjA dans les ouvrages de J. Kaysek, Mort d'une liberté, 1955. et de J. ScHWOEBEL, La presse, le pouvoir et l'argent, 1968. Elle ne s'est pas apaisée depuis. 5A° Il faut cependant nuancer le pessimisme qui se dégage de ce leau. La crise atteint essentiellement les quotidiens. MASme dans ce secteur, on trou encore quelques journaux qui réussissent A conserr leur indépendance, tant vis-a-vis du pouvoir que vis-A -vis des intérASts financiers, soit grace A une gestion bénéficiaire (Le Monde), soit (La Croix, Libération) en s'appuyant sur la fidélité de leurs lecteurs. D'autre part, le monopole que détiennent, dans certaines régions, les grands quotidiens provinciaux s'est traduit sount par un progrès dans la qualité, et leur souci de conquérir la clientèle la plus large les incite, dans les meilleurs cas, A plus d'objectivité, voire A un pluralisme interne par l'expression juxtaposée d'opinions différentes. Surtout les périodiques autres que les quotidiens sont moins touchés que ceux-ci : de Minute au Canard enchainé, ils expriment, en fait, toutes les nuances de l'opinion. Enfin, il ne faut pas sous-estimer l'importance des innombrables bulletins, revues, publications dirses émanant de groupes professionnels, svndieaux. religieux, ou mASme de groupuscules contestataires (presse Underground) dont chacun n'a qu'une diffusion restreinte, mais qui, en s'additionnait, couvrent un champ dont on ne soupA§onne pas en général l'étendue. Une enquASte récente donnait, pour ces périodiques, le chiffre de 15 000 titres, certainement inférieur A la réalité. Pour eux, les servitudes financières sont légères, et ils bénéficient pleinement d'une authentique liberté de la presse. On trou un leau d'ensemble de la situation actuelle dans DERIEUX et Texier, La presse quotidienne franA§aise, 1974, et dans P. ALBERT, La presse franA§aise, 1978. Certains journaux ont fait l'objet de monographies particulières, parfois polémiques : R. Barillon, Le cas - France-Soir - ; Egen, Ces messieurs du - Canard -, 1973 ; Chatelain, - Le Monde - et ses lecteurs. Les Cahiers franA§ais édités par la Documentation franA§aise ont consacré un numéro spécial (octobre-décembre 1976), sous le titre La presse quotidienne, A un bilan très complet de tous les aspects du problème. |
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