ETRE EFFICACE, c'est le boulot du travailleur du savoir. Qu'il s'active dans une entreprise, un hôpital, une administration ou un syndicat, dans une université ou dans les forces armées, on attend avant tout d'un travailleur du savoir qu'il fasse ce qu'il faut faire. En un mot, qu'il soit efficace.
Pourtant, dans ce genre d'emplois, les gens très efficaces brillent par leur absence. L'intelligence, une intelligence parfois brillante, oui, on la rencontre. L'imagination n'est pas rare non plus chez les travailleurs du savoir. Le niveau de leurs
connaissances est souvent élevé. Mais on ne voit guère de corrélation entre l'
efficacité d'un homme et son intelligence, son imagination ou son savoir. Les gens brillants sont souvent étonnamment inefficaces; ils ne réalisent pas que leurs lumineuses intuitions n'assurent pas par elles-mASmes le succès. On ne leur a jamais appris que les idées ne se concrétisent que par un
travail acharné et systématique. Réciproquement, on trouve dans toutes les organisations un certain nombre de tacherons efficaces. Tandis que d'autres se lancent, l'air affairé, dans l'agitation que les gens très intelligents confondent si souvent avec la soi-disant créatité, ces bûcheurs mettent un pied devant l'autre et arrivent les premiers, comme la tortue de la fable.
L'intelligence, l'imagination et le savoir sont des ressources essentielles, mais seule l'efficacité les convertit en résultats. Laissées A elles-mASmes, elles ne font que freiner les progrès possibles.
Nécessité de l'efficacité
Tout cela devrait AStre édent. Pourquoi donc, alors, prASte-t-on si peu d'attention A l'efficacité, A une époque où l'on publie des montagnes de livres sur tous les autres aspects du travail des cadres ?
Une première raison, c'est que l'efficacité constitue la technique spécifique du travailleur du savoir, et que jusqu'A présent on ne rencontrait qu'une poignée de ceux-ci dans les organisations.
Au travailleur manuel, on ne demande que du rendement, c'est-A -dire la capacité de faire les choses comme il faut plutôt que de faire ce qu'il faut faire. Un ouvrier, on peut toujours le juger en termes de qualité et de quantité d'une production bien définie et discrète - une paire de chaussures par exemple. Depuis un siècle, on a appris A mesurer le rendement et la qualité du travail manuel - au point que l'on a pu accroitre formidablement le rendement des ouvriers.
Auparavant, le travailleur manuel prédominait dans toutes les organisations, qu'il fût ouvrier spécialisé sur machine ou soldat d'infanterie. L'efficacité ne concernait que peu de gens, seulement les autorités qui donnaient les ordres. Dans l'ensemble des travailleurs, les chefs occupaient une place si réduite que l'on pouvait considérer, A tort ou A raison, leur efficacité comme allant de soi. On comptait comme sur une ressource - naturelle - sur ces quelques représentants de l'aventure humaine qui, d'une faA§on ou d'une autre, savaient déjA ce que nous autres devons apprendre A grand peine.
Dans le passé, seule une faible fraction des ttavailleurs du savoir faisaient partie d'une organisation. La plupart travaillaient A leur compte dans les professions libérales, avec au maximum un assistant. Leut efficacité, ou leur manque d'efficacité, ne concernait qu'eux-mASmes, n'affectait qu'eux-mASmes.
Mais dans le monde d'aujourd'hui, c'est la grande organisation du savoir qui prédomine. La société moderne se compose de grandes institutions organisées. Dans chacune d'elles, les forces armées comprises, le centre de graté s'est déplacé vers le travailleur du savoir, celui qui se sert de ce qu'il a entre les oreilles, et non plus de la force de ses muscles ou de l'habileté de ses mains. De plus en plus, on ttouve dans les organisations des gens formés A utiliser le savoir, la théorie et les concepts et non plus leur force physique ou leur habileté manuelle ' et ces gens sont efficaces dans la mesure où ils peuvent apporter leur contribution A l'organisation.
L'efficacité, on ne peut plus la considérer aujourd'hui comme allant de soi, on ne peut plus la tenir pour secondaire.
L'imposant système de normes et de tests que l'on a mis au point pour le travail manuel - de l'organisation scientifique du travail au contrôle de qualité ' n'est d'aucune utilité pout le ttavailleur du savoir. Peu de choses déplaisent davantage au Seigneur, en raison de leur inefficacité, qu'un buteau d'études sortant A toute tesse de magnifiques bleus d'un mauvais produit. Travailler A ce qu'il faut, voilA ce qui fait l'efficacité du travailleur du savoir, et cela ne se mesure pas selon les mASmes critères que le travail manuel.
Un travailleur du savoir ne se contrôle pas de près et en détail. On peut seulement l'assister. Il doit se commander lui-mASme pour obtenir de lui-mASme performance et contribution, c'est-A -dire efficacité.
Le magazine The New Yorker a publié un dessin A ce sujet. Sur la porte d'un bureau, on peut lire: Charles Smith, ditecteut général des ventes, savons Ajax. Les murs sont nus, A l'exception d'un grand leau intimant : Pensez. Un homme, les pieds sut son bureau, envoie des ronds de fumée au plafond. Deux eux employés passent par lA : - Oui, dit l'un, mais comment AStre sûr que Smith pense au savon ? -
C'est vrai, on n'est jamais sûr de ce que pense un ttavailleur du savoir - et pourtant penser est sa tache spécifique; c'est ce qu'il - fait -.
La motivation du travailleur du savoir dépend de l'efficacité qu'il déploie, du résultat qu'il obtient. Si son travail n'est pas efficace, son engagement va bientôt faiblir et il passera sa journée l'œil fixé sur la pendule.
Le travailleur du savoir ne produit pas une chose efficace par elle-mASme. Sa production n'est pas matérielle ' paire de chaussures, fossé ou pièce détachée. Ce qu'iLproduit, c'est du savoir, des idées, de l'information. Par eux-mASmes, ces - produits - n'ont pas d'usage; quelqu'un d'autre, un autre travailleur du savoir, doit les assimiler et les convertir en produit pour leur donner réalité. Les connaissances les plus vastes, si on ne les applique pas A l'action et au comportement, restent des
données dépourvues de sens. Le travailleur du savoir, par conséquent, doit faire quelque chose que ne fait pas le travailleut manuel: il doit produire de l'efficacité. Sa valeur ne réside pas dans l'utilité inhérente A sa production, comme si c'était une bonne paire de chaussures.
Le travailleur du savoir est aujourd'hui le seul facteur de production par lequel les sociétés et les économies hautement développées - les Etats-Unis, l'Europe occidentale, le Japon et, de plus en plus, l'Union soétique - obtiennent et maintiennent leur compétitité.
Qu'est-ce qu'un cadre ?
Dans l'organisation d'aujourd'hui, tout travailleur du savoir est un - cadre - (parfois - supérieur -) lorsque, du fait de sa position ou de ses connaissances, il porte la responsabilité d'une contribution affectant matériellement la performance de cette organisation et ses résultats. Ce peut AStre, dans une entreprise, la capacité de sortir un produit nouveau, ou d'occuper une part plus grande d'un certain marché; ou bien, dans un hôpital, les soins fournis aux patients, etc. Ce cadre ne se contente pas d'exécuter des ordres, il doit prendre des décisions, se savoir responsable de sa contribution, et il est supposé, en raison de son savoir, AStre mieux équipé que quiconque pour prendre la bonne décision. Il peut AStre désavoué, rétrogradé ou licencié, mais tant qu'il occupe son poste les objectifs, les normes et la contribution restent sous son autorité.
La meilleure illustration de cela, on la trouve dans l'interew
donnée par un jeune capitaine d'infanterie en serce dans la jungle du Vietnam. - Dans des situations aussi confuses, lui demande le journaliste, comment pouvez-vous exercer votre commandement ? - - Je ne suis ici, répond le capitaine, que pour AStre le responsable. Si mes hommes ne savent pas quoi faire quand ils tombent sur l'ennemi, je suis trop loin pour le leur dire. Mon job, c'est de m'assurer qu'ils le savent. Ce qu'ils feront, cela dépendra de la situation, et ils en seront seuls juges. La responsabilité continue de m'appartenir, mais la décision reent A celui qui est au contact. -
Dans une guerre de guérilla, chaque soldat est un cadre.
Le travail du savoir ne se définit ni quantitativement, ni par son coût. Il se définit par ses résultats. Et lA , le nombre des subordonnés ou l'importance accordée au poste ne donnent pas d'indications édentes.
Dans un serce d'études de marché, le résultat - ce supplément d'intuition, d'imagination et de qualité du travail qui assurera A l'entreprise
croissance rapide et réussite - dépend peut-AStre de l'importance de l'effectif. S'il en est ainsi, on n'aura pas trop de deux cents employés. Mais il se pourrait aussi que le chef du serce soit débordé par les problèmes que soulèvent l'actité et les rapports personnels de deux cents personnes. Qu'il se noie dans le -
management -, et n'ait plus de temps A consacrer A la recherche et aux décisions fondamentales. Trop occupé A vérifier des chiffres, il ne se demandera plus jamais - Qu'entendons-nous exactement quand nous parlons de "notre" marché ? - Et du coup, il risquera d'ignorer des changements importants, de nature A précipiter le déclin de sa comnie.
Mais un chercheur isolé, sans entourage suffisant, peut aussi se révéler improductif. Son savoir et sa sion peuvent peut-AStre favoriser la prospérité de l'entreprise, mais il peut aussi se perdre dans des détails - les notes en bas de e que les universitaires prennent trop souvent pour de la vraie recherche -, ne plus rien voir ni entendre, et penser encore moins.
Au cœur de toutes nos organisations du savoir, nous voyons des hommes qui ne dirigent personne et qui pourtant sont des cadres. Il est rare, certes, de rencontrer des situations comme celle de la jungle etnamienne, où chaque membre du groupe peut AStre appelé A n'importe quel moment A prendre une décision impliquant la e ou la mort des autres. Mais le chimiste du laboratoire de recherche qui choisit de poursuivre telle expérience plutôt que telle autre prend une décision entrepreneuriale qui détermine l'avenir de sa comnie. C'est peut-AStre le directeur de la recherche, mais cela peut AStre aussi - et mASme souvent - un chimiste sans la moindre responsabilité gestionnaire, voire un quasi-débutant. De mASme, le choix de ce qu'il conent de considérer en compilité comme le - résultat - peut AStre fait par un directeur chevronné, mais aussi par un junior. Et ainsi de suite, dans tous les secteurs de la grande organisation contemporaine.
J'appelle cadres ces travailleurs du savoir," managers ou spécialistes /qui sont normalement appelés, en raison de leur position ou de leur savoir, A prendre des décisions dont les conséquences se font sentir sur la performance et les résultats de l'ensemble. Ce qu'on ne réalise guère, cependant, c'est le grand nombre des personnes qui ont A prendre aujourd'hui ce genre de décisions dans la plus banale des organisations - entreprise, administration, laboratoire ou hôpital. Car l'autorité conférée par le savoir et certainement aussi légitime que l'autorité hiérarchique. Bien plus, leurs décisions sont de la mASme nature que celles de la direction générale.
Le plus modeste des décisionnaires, on le sait désormais, peut accomplir la mASme tache que le PDG de l'entreprise ou le directeur de la grande administration, A savoir ifier, organiser, intégrer, motiver, évaluer. Son champ d'action peut AStre plus étroit, mais dans ce champ il agit en tant que cadre.
De mASme, tout décisionnaire remplit le mASme genre de tache que le PDG ou le directeur. Sa mouvance peut AStre très resserrée, mais c'est un cadre, mASme si son nom et sa fonction ne urent pas dans l'organigramme.
Et qu'il soit PDG ou débutant, son devoir est d'AStre efficace.
Quatre contraintes pour un cadre
Dans la situation du travailleur du savoir, en pratique, l'efficacité qu'on exige de lui est extrASmement difficile A atteindre. S'il ne la recherche pas avec constance, les contraintes du réel démontreront te son inutilité.
Cette situation comporte en effet quatre grandes contraintes dont il n'a pas le contrôle. Chacune de ces contraintes est inhérente A l'organisation elle-mASme et A son travail quotidien. Le travailleur du savoir n'a d'autre choix que de coopérer avec l'inéle. Et chacune de ces contraintes le pousse vers la non'performance, l'absence de résultats.
1. Le temps du cadre ne lui appartient pas. Si l'on cherche A définir un cadre opérationnellement (c'est-A -dire par les actités qu'il exerce), tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il est le prisonnier de l'organisation. N'importe qui peut empiéter sur son temps, personne ne s'en privera, et on ne voit pas très bien ce qu'il peut y faire. Il peut par exemple, passer sa tASte dans la porte et dire, comme un médecin A son infirmière : - Je ne veux voir personne pendant une demi-heure - mais au mASme moment le téléphone sonnera, et il devra répondre A un
client important, A un haut fonctionnaire de la lle ou A son patron. Et la demi-heure y passera.
2. Le cadre ne peut pas s'empAScher de - fonctionner -, aussi longtemps qu'il n'a pas pris l'initiative de modifier l'enronnement dans lequel il t et travaille. Or il est rare que cet enronnement lui délivre un message clair, encore moins lui indique quel est son vrai problème. Pour un médecin, c'est simple: l'essentiel est la douleur du malade, parce que rien d'autre ne compte pour celui-ci. Mais l'univers du cadre est bien plus complexe. Quel événement est important et significatif, quel autre est sans intérASt, l'événement ne l'indique pas de lui-mASme. Ce ne sont mASme pas des symptômes, au sens où le récit du malade apporte des indications au médecin.
Si le cadre laisse au flot des événements le soin de déterminer ce qu'il fait, ce sur quoi il travaille, ce qu'il doit prendre au sérieux, il perd son temps A - fonctionner -. C'est sans doute une excellente personne, mais il va A coup sûr gaspiller son savoir et ses capacités et perdre le peu d'efficacité qu'il avait. Ce qui lui manque, ce sont des critères rattachant son travail A ce qui est vraiment important ' la contribution, les résultats - critères qu'on ne distingue pas dans le flot des événements.
3. La troisième contrainte génératrice d'inefficacité, c'est que le cadre appartient A une organisation. De ce fait, il n'est efficace que si et quand d'autres personnes font usage de sa contribution. L'organisation est un moyen de multiplier les forces de l'indidu. Elle s'empare de son savoir et en fait la ressource, la motivation et la sion d'autres travailleurs du savoir. Les travailleurs du savoir tombent rarement en phase, justement parce qu'ils sont des travailleurs du savoir. Chacun a son propre talent, ses propres préoccupations. Celui-ci peut se consacrer A la fiscalité ou A la bactériologie, et s'intéresser par ailleurs A la formation des futurs fonctionnaires de la lle ; cet. autre raffinera les détails du contrôle de gestion et se penchera sur l'économie hospitalière ou sur la législation communale. Chacun doit pouvoir utiliser la production d'autres travailleurs du savoir.
En général, les gens les plus importants pour un cadre ne sont pas ceux sur lesquels il exerce un contrôle direct. Ce sont des gens des autres secteurs, situés A son niveau dans l'organigramme. Ou encore ses supérieurs. Tant qu'il n'aura pas le contact avec eux, qu'il n'aura pas apporté une contribution utile A leur travail, le cadre isolé n'aura aucune efficacité.
4. Dernière contrainte : le cadre existe A l'intérieur de son organisation.
Qu'il travaille au sein d'une entreprise, d'un laboratoire de recherche, d'une administration, d'une grande université ou de l'armée de l'air, la réalité immédiate et close, pour un cadre, c'est son organisation. Il ne perA§oit le monde extérieur, s'il le perA§oit, qu'au travers de lunettes épaisses et déformantes. Ce qui s'y passe, il ne le connait pas souvent directement, mais par l'intermédiaire de rapports filtrés par l'organisation, autrement dit par des documents déjA prédigérés et hautement abstraits qui lui imposent une certaine faA§on de voir les choses, celle de l'organisation.
Or, en réalité, les résultats ne se trouvent pas au sein de l'organisation; ils sont tous A l'extérieur. Une entreprise, par exemple, n'a qu'un seul résultat, c'est le client, celui qui convertit les dépenses et les efforts de l'entreprise en chiffre d'affaires et en profit par sa décision d'échanger son pouvoir d'achat contre les produits ou serces qu'elle lui propose.
Tout ce qu'on trouve au sein de l'organisation, ce sont des efforts et des coûts. Parler de - centres de profit -, comme on le fait d'habitude, n'est qu'un euphémisme poli. En réalité, il s'agit de centres d'effort-Moins une organisation doit faire d'efforts pour produire des résultats, mieux elle répond A sa vocation. Que cent mille travailleurs soient nécessaires pour produire l'acier ou les automobiles qu'attend le marché, ce n'est qu'une imperfection manifeste de l'ingénierie. Moins elle emploie d'hommes, moins elle s'active sur elle-mASme, plus l'organisation approche de la perfection en termes de sa seule raison d'AStre ' le serce rendu A son entourage.
Une organisation n'est pas une fin en soi, comme l'est un animal, dont la seule fonction utile est de perpétuer l'espèce ; c'est un organe de la société, qui satisfait A sa vocation grace A la contribution qu'elle apporte au monde extérieur. Malheureusement, plus une organisation grandit dans une prospérité apparente, plus sa e intérieure dévore l'intérASt, l'énergie et les capacités de ses cadres, en ignorant leurs responsabilités réelles envers l'extérieur, c'est-A -dire leur vérile tache. Ce danger est encore accru aujourd'hui par l'avènement de l'ordinateur et des nouvelles technologies de l'information. L'ordinateur est un crétin mécanique, capable seulement de manipuler des données chiffrées - avec, certes, rapidité, exactitude et précision. Il va moudre par conséquent des volumes énormes d'information, quantifiées, auparavant inaccessibles. Mais on ne peut quantifier, en gros, que ce qui se passe A l'intérieur de l'organisation - les coûts, la production, les statistiques médicales de l'hôpital ou les compte rendus de formation. Les événements extérieurs significatifs, eux, se présentent rarement sous une forme quantifiable, ou alors beaucoup trop tard pour AStre utilisables.
Ce n'est pas que nos capacités de collecte des informations extérieures retardent par rapport aux possibilités techniques des ordinateurs. Si ce n'était que cela, il suffirait d'un effort statistique supplémentaire, et l'ordinateur lui-mASme serait alors d'un grand secours. Non, le problème, c'est que les événements importants et significatifs survenant dans le monde extérieur sont le plus souvent qualitatifs, non quantifiables. Ce ne sont pas encore des - faits -. Car qu'est-ce qu'un fait, aptes tout ? Un événement que quelqu'un a défini, classifié, et surtout jugé digne d'intérASt. Pour pouvoir quantifier, il faut d'abord disposer d'un concept, c'est-A -dire avoir extrait de l'infini fattas des phénomènes un aspect particulier qu'on puisse nommer et, finalement, mesurer.
Les événements extérieurs vraiment importants ne sont pas les tendances, mais les changements de tendance. C'est cela qui détermine finalement le succès ou l'échec d'une otganisation et de ses efforts. Mais ces changements, il faut les percevoir, on ne peut pas les compter, les définir et les classifier. Les
segmentations s'accomnent toujours des chiffres qu'on en attend, comme dans le cas de l'Edsel . Mais les chiffres ne correspondent plus au comportement réel des gens.
L'ordinateur est une machine logique, et c'est lA sa force ' mais aussi sa limite. Les événements extérieurs importants ne peuvent s'exprimer sous une forme qu'un ordinateur (ou tout autre système logique) puisse traiter. L'homme, lui, sans AStre particulièrement logique, a de l'intuition - c'est ce qui fait sa force.
Le risque, c'est que les cadres finissent par mépriser l'information et les signaux qu'on ne peut pas formuler dans le langage et selon la logique de l'ordinateur. Qu'ils deennent aveugles A tout ce qui est perception (c'est-A -dire aux événements), au seul profit des faits (définis, eux, après l'événement). L'énorme volume des faits informatisés pourrait ainsi nous fermer l'accès A la réalité.
En fin de compte, l'ordinateur - potentiellement l'outil de management le plus utile, et de loin - devrait attirer l'attention des cadres sur leur isolement, et libérer leur temps pour qu'ils s'occupent davantage de l'extérieur. A€ court terme, cependant, ils sont exposés A une maladie grave, la - computerite - aiguA«.
L'ordinateur n'a fait que révéler une situation qui existait avant lui. De toute édence, un cadre t et travaille au sein d'une organisation. S'il ne fait pas un effort conscient pour percevoir le monde extérieur, l'univers clos où il t cachera A ses yeux la vérile réalité.
Ces quatre contraintes, le cadre ne saurait les changer. Elles sont les conditions mASmes de son existence. Mais il doit comprendre qu'il risque de ne serr A rien s'il ne consent pas d'efforts pour apprendre l'efficacité.
Les promesses de l'efficacité
Augmenter son efficacité, cela pourrait bien AStre la seule faA§on possible d'améliorer de faA§on significative la performance du travailleur du savoir, ses réalisations et sa satisfaction.
En bien des postes, on peut certainement employer des personnes plus talentueuses et plus compétentes. Je crois cependant qu'il ne faut pas attendre davantage des hommes sur ces deux points ; nous sommes déjA parvenus A un niveau où chercher A aller plus loin serait foncièrement impossible, ou en tout cas foncièrement improductif. On ne va pas se mettre A former une race de surhommes. Il va falloir gérer nos organisations avec les hommes et les femmes tels qu'ils sont.
Les livres qui traitent des
ressources humaines, par exemple, nous proposent sérieusement un profil d'- homme A tout faire - pour le
manager de demain. Un cadre supérieur, disent-ils, devrait posséder des capacités extraordinaires pour l'analyse et la prise de décision. Il devrait excellet dans les rapports humains, maitriser l'organisation et les relations de pouvoir, AStre bon en mathématiques, avoir des talents artistiques et une imagination créative. Ce que l'on cherche, semble-t-il, c'est un génie universel ' or les génies universels ne courent pas les rues. Une expérience millénaire montre au contraire que l'humanité se compose essentiellement de bons A rien. Il va donc nous falloir équiper nos organisations de personnes qui, au mieux, excellent dans une seule de ces qualités, et qui, très vraisemblablement, témoignent d'un grave déficit dans toutes les autres.
Nous devons apprendre A organiser nos entreprises de faA§on A bien utiliser les personnes compétentes dans telle ou telle actité importante, mais on ne peut espérer atteindre les performances souhailes en durcissant nos exigences pour tous, encore moins en recrutant des super-doués universels. Nous devrons élargir la gamme des aptitudes en fournissant aux hommes de meilleurs outils, non en espétant un saut quantique soudain de leurs talents innés.
Il en va de mASme plus ou moins, avec le savoir. Si pressant que soit notre besoin d'un personnel plus savant, l'effort qu'il faudrait faire pour le former valablement pourrait bien se révéler hors de proportion. Lorsque fut inventée la recherche opérationnelle, plusieurs jeunes spécialistes ont formulé les normes auxquelles devraient satisfaire leurs successeurs. Elles décrivaient un savant universel, capable d'accomplir une œuvre majeure et originale dans tous les domaines du savoir. A€ en croire l'une de ces études, le spécialiste en recherche opérationnelle devait posséder des connaissances avancées dans pas moins de soixante-deux disciplines scientifiques et littéraires. A€ supposer qu'une telle personne existat, je crains fort qu'on n'ait gaspillé ses talents en lui faisant étudier platement l'évolution des stocks ou les s de production.
Des programmes de formation beaucoup moins ambitieux exigent néanmoins des managers des connaissances diversifiées dans une masse de domaines, tels que la compilité et la gestion du personnel,
le marketing, la tarification et l'analyse économique, les sciences du comportement comme la psychologie, et les sciences naturelles comme la physique, la biologie ou la géologie. Sans compter les compétences concernant la dynamique de la technologie moderne, les complexités de l'économie mondiale et le labyrinthe des sciences politiques.
Chacun de ces domaines de connaissances est immense, ttop vaste en vérité mASme pour qui s'y consacre entièrement. Les universitaires, eux, se spécialisent dans un étroit secteur et ne prétendent pas en savoir davantage sur l'ensemble qu'un simple exécutant.
Je ne dis pas qu'il ne soit pas bon d'avoir quelques lumières fondamentales sur chacune de ces sciences. Une faiblesse des jeunes gens de l'élite actuelle ' que ce soit dans les affaires, la médecine ou la politique - c'est qu'ils se contentent de creuser leur étroite spécialité et n'ont que mépris pour les autres. Sans doute un comple n'a-t-il pas besoin de savoir en détail en quoi consistent les relations publiques, ni un ingénieur comment lancer un nouveau produit. Mais ils se doivent A tout le moins de savoir de quoi il s'agit, de quoi il retourne, A quoi cela sert. Pour AStre un bon urologue, pas besoin de connaitre la psychiatrie, mais il n'est pas inutile de savoir de quoi s'occupent les psychiatres. Pas besoin d'AStre savant en
droit international pour bien travailler au ministère de l'Agriculture, mais une teinture de politique étrangère peut étet de se lancer dans un protectionnisme dommageable.
En aucune faA§on il ne s'agit lA , cependant, de former des experts universels, aussi rares, probablement, que les génies universels. L'objectif, c'est de mieux utiliser les personnes compétentes dans un domaine particulier, et cela signifie accroitre leur efficacité. Quand on ne peut pas se procurer davantage d'une certaine ressource, il reste A en obtenir un meilleur rendement. L'efficacité, c'est l'outil permettant de tirer davantage de ressources données en ralents et en savoir.
L'efficacité doit donc avoir la priorité, parce que l'organisation en a besoin; plus encore parce qu'elle est l'outil des cadres, qu'elle leur ouvre le chemin des réalisations et de la performance.
Peut-on apprendre l'efficacité?
Si l'efficacité était un don inné, comme l'oreille musicale ou le talent de peindre, nous serions mal partis. Seule une petite minorité, nous le savons, ent au monde avec de pareils dons. On en serait réduit A sélectionner très tôt les personnes ayant un potentiel d'efficacité élevé et A les former du mieux possible A cultiver ce talent, mais on ne trouverait pas ainsi les nombreux cadres dont a besoin la société moderne. En vérité, si l'efficacité était un don, notre cilisation serait très vulnérable, sinon invable. Car une cilisation de grandes organisations dépend de l'existence de cadres nombreux, capables de tenir leur place avec des dons minimaux pour l'efficacité.
Si, cependant, l'efficacité peut s'apprendre, alors se posent des questions: En quoi consistc-t-elle exactement? Que faut-il en apprendre ! Et comment ? Est-ce un savoir - pouvant AStre enseigné de faA§on systématique et conceptuelle ? Est-ce une aptitude que l'on acquiert, A la manière d'un apprenti ? Ou est-ce une pratique que l'on assimile sur le tas, en répétant sans cesse les mASmes exercices élémentaires?
Il y a longtemps que je me pose ces questions. En tant que consultant, j'ai travaillé avec des cadres dans de nombreuses organisations. La notion d'efficacité m'a paru essentielle pour deux raisons. D'abord un consultant, qui par définition n'a d'autre autorité que celle que lui confère son savoir, doit lui-mASme se montrer efficace, sinon il n'est rien. Ensuite le consultant le plus efficace ne peut aboutir A rien sans l'aide du personnel de son client. C'est l'efficacité de ces cadres, en dernière analyse, qui fait que le consultant obtient des résultats, et n'apparait pas seulemenr comme un - centre de coûts -, ou, au mieux, comme le fou du roi.
J'ai te appris que la - personnalité - efficace, cela n'existe pas. Les personnes efficaces que j'ai rencontrées différaient du tout au tout par leurs tempéraments et leurs capacités, par ce qu'ils faisaient et leur faA§on de le faire, par leur personnalité, leur savoir, leurs intérASts - en fait par tout ce qui distingue une créature humaine d'une autre. Tout ce qu'ils avaient en commun, c'était leur aptitude A faire ce qu'il faut faire.
Parmi les personnes efficaces que j'ai rencontrées et avec qui j'ai travaillé, il y avait des extravertis et des indidus distants et réservés, certains mASme mortellement timides. Les uns étaient des excentriques, d'autres des conformistes péniblement corrects. Des gros et des maigres. Des soucieux et des bons vants. Les uns buvaient solidement, face A de stricts abstinents. 11 y avait des hommes charmants et chaleureux, d'autres sans plus de personnalité qu'un maquereau congelé. Un petit nombre aurait pu se prévaloir d'une réputation de leader, mais il y avait aussi des hommes sans qualité, qui passeraient inaperA§us dans une foule. Des érudits et des bûcheurs, mais aussi des quasi-illettrés. Certains s'intéressaient A toutes sortes de choses, d'autres ne connaissaient rien d'autre que leur petit secteur étroit et ne cherchaient pas davantage. Il y en avait de concentrés sur eux-mASmes, voire carrément égoïstes, mais d'autres aussi débordaient de générosité de cœur et d'esprit. Des hommes qui ne vaient que pour leur travail et d'autres verses dans d'autres intérASts - le bénévolat, leur paroisse, la poésie chinoise ou la musique moderne. Parmi les gens efficaces que j'ai rencontrés, il y avait des adeptes de la logique et de l'analyse, et d'autres qui comptaient surtout sur leur flair et leur intuition. Des hommes qui prenaient leurs décisions facilement, d'autres qui souffraient mille morts avant de lever le petit doigt.
Bref, les gens efficaces diffèrent entre eux autant que les médecins, les maitres d'école ou les olonistes. Ils sont en vérité aussi variés que les gens inefficaces, et ne s'en distinguent ni par leur type, ni par leur personnalité, ni par leurs talents. Ce qu'ils ont en commun, ce sont les pratiques qui les rendent efficaces, quels qu'ils soient et quoi qu'ils fassent. Et ces pratiques sont les mASmes partout, qu'ils travaillent dans une entreprise, une administration, qu'ils gèrent un hôpital ou dirigent une université.
Et par ailleurs tous les gens que j'ai pu observer et qui ne respectaient pas ces pratiques, quels qu'aient été leur intelligence, leur application, leur imagination ou leur savoir, tous péchaient par manque d'efficacité.
Autrement dit, l'efficacité est une habitude, c'est-A -dire un' ensemble de pratiques ; et les pratiques, cela s'apprend. Une pratique c'est simple, trompeusement simple ; mASme un enfant de sept ans peut la comprendre sans difficulté. Mais elle est aussi excessivement difficile A bien poursuivre. Il faut se l'inculquer A la faA§on dont on apprend la le de multiplication, en la répétant jusqu'A l'écœurement, jusqu'A ce que - 6 x 6 = 36 - soit devenu un réflexe conditionné, une habitude profondément enracinée. Une pratique s'apprend en pratiquant, pratiquant, pratiquant encore et toujours.
Quand j'étais petit, mon eux professeur de piano ne me disait rien d'autre, dans son exaspération : - Tu ne joueras jamais Mozart aussi bien qu'Arthur Schnabel, mais rien au monde ne peut t'empAScher de faire des gammes aussi bien que lui. - Ce qu'il oubliait d'ajouter - probablement parce que c'était édent A ses yeux ' c'est que le plus grand pianiste ne peut jouer Mozart dinement s'il n'a pas fait ses gammes, s'il ne les refait pas tous les jours.
Bref, il n'y a aucune raison qu'un indidu normalement doué ne puisse atteindre A l'efficacité, dans n'importe quel domaine. Il se pourrait que la grande maitrise lui échappe, car pour cela il faut un talent particulier; mais pour AStre efficace, la
compétence suffit. Et pour AStre compétent, faire ses gammes.