Abdinasir Ali se tenait au seuil de son rASve. Ali est -hydrogéologue et travaille depuis huit ans pour une multinationale du secteur de l'énergie aux Etats-Unis. Il donne l'impression d'AStre un homme tranquille, au tempérament doux, entièrement déué A sa famille. Mais Ali a un projet ' un projet A long terme puisqu'il s'est toujours dit qu'il s'y consacrerait quand l'heure de la retraite aurait sonné.
Né dans une famille de vingt-cinq enfants, Ah est originaire de Mandera, dans le nord du Kenya. Après ses études, il a émigré aux Etats-Unis pour of&ir A ses enfants une meilleure éducation et une vie plus conforle. Avec l'espoir, lorsque les enfants auraient quitté le nid et que lui-mASme aurait pris sa retraite, de rentrer au Kenya avec sa femme pour sensibiliser les gens A l'importance de la gestion de l'eau et aider A creuser des puits dans son village ' des compétences dont son pays a cruellement besoin.
Enfant, Ali avait vu son village natal, situé dans une région aride A proximité de la frontière de l'Ethiopie et de la Somalie, souffrir de longues périodes de sécheresse. Les centaines de tAStes de bétail, de chèvres et de chameaux décimés ; et les céréales comme seul moyen de survivre pour des populations habituées A un régime de lait et de viande. Plus récemment, le manque d'eau avait gravement pénalisé les projets d'irrigation de Mandera et la distribution d'électricité produite par les barrages hydroélectriques du pays.
Ali a aujourd'hui quarante ans et entre lui et son rASve d'aider son village natal s'étendent encore au moins vingt longues années. Fier de son
travail et satisfait du confort de vie que lui apporte son emploi de salarié d'une multinationale, Ali, pourtant, a le sentiment de passer A côté de son destin. Jusqu'A ce qu'une conversation lui ouvre les portes de son rASve.
- Pourquoi attendre, Ali ? - lui demanda son coach. Quand Ali répondit qu'il n'était pas prASt A renoncer pour l'instant aux avantages attachés A son emploi actuel, le coach lui rétorqua :
- Est-ce que tu sais si des multinationales ont mis en place des activités de gestion de l'eau au Kenya ou en Afrique orientale ?
' Non, il n'y en a pas. - Le coach poursuivit : Ali avait-il envisagé de demander A sa société ' ou A une autre ' de créer une filiale pour développer la gestion des ressources en eau en Afrique orientale ? Ali répondit que c'était un projet tellement coûteux qu'il n'avait jamais osé poser la question.
- Imaginons, lui dit alors son coach, que tu présentes ce projet comme un moyen pour l'
entreprise d'apporter sa contribution au développement de la région. -
A cette suggestion, Ali se tut. Puis son visage s'éclaira. Il hocha la tASte, s'enfonA§a dans son fauteuil et sourit. Et il commenA§a A énoncer, sans hésitation et dans les moindres détails, les avantages stratégiques qu'un projet de gestion des ressources en eau générerait pour sa société. Il comprit qu'il pourrait bénéficier du programme Actions Sociales Internationales créé il y a plusieurs années par sa société pour réaliser son rASve. Il parla avec la mASme passion que s'il prononA§ait un discours devant un public enthousiaste. Ali était entré de plain pied dans son rASve, et en cet instant, il prit une dimension qu'il n'avait mASme jamais osé envisager.
Ce fut une première découverte décisive pour Ali : l'instant fondateur du changement. Il avait donné corps A sa passion et il se sentit soudain plus déterminé A aller jusqu'au bout de son rASve qu'il ne l'avait jamais été. LA où Ali n'avait envisagé qu'un moyen de donner vie A sa vision ' travailler dur jusqu'A ce qu'il ait gagné assez d'argent pour prendre sa retraite ' il yait maintenant de nombreuses routes, riches de multiples possibilités.
Lors de la discussion qui s'ensuivit, Ah comprit que ses capacités d'intelligence émotionnelle pouvaient l'aider A réaliser sa vision. Ses aptitudes d'intelligence interpersonnelle et de gestion des relations en particulier. Il aimait et avait toujours su travailler en équipe. Ingénieur de formation, il avait aussi développé plusieurs des compétences de la gestion de soi, mASme s'il manquait un peu de confiance en lui-mASme et d'adapilité.
Pour donner vie A son rASve, Ali savait qu'il devrait agir en catalyseur du changement, en visionnaire qui aurait A convaincre les dirigeants de la société des avantages que représentait la création d'une filiale spécialisée dans la gestion des ressources en eau. Ce qui impliquait de renforcer sa confiance en lui-mASme. Et pour promouir une nouvelle
stratégie auprès des autres managers et stimuler leur esprit d'innovation, il devrait aussi faire preuve de plus de flexibilité. A mesure que le rASve d'Ali prenait forme, il acquit une envergure que son manque de confiance en lui-mASme lui avait jusqu'alors interdit : au Heu d'aider seulement son village, il pouvait air un impact sur le Kenya et sur toute cette région de l'Afrique orientale.
Quelques minutes avaient suffi A Ali pour redessiner l'œuvre de sa vie. Son enthousiasme et son espoir en l'avenir étaient palpables. Dans la semaine qui suivit, Ali informa son coach que sa nouvelle idée avait commencé A faire son chemin dans l'entreprise, et plus vite qu'il ne l'aurait jamais cru possible.
MASme si ce nouveau rôle exigerait certainement qu'il acquière de nouvelles compétences d'intelligence émotionnelle, Ali venait d'accomplir l'indispensable premier pas : imaginer son moi idéal.
La première découverte : le moi idéal, point de départ du changement
AŠtre en phase avec ses rASves libère notre passion, notre énergie et notre appétit de la vie. Chez les leaders, cette forme de passion a le pouir de décupler l'enthousiasme de ceux qu'ils dirigent. La clé est de découvrir ' mettre A jour ' son moi idéal, la personne que l'on udrait AStre, avec ses aspirations personnelles et professionnelles. Telle est la - première découverte - du processus d'apprentissage personnel que nous ans équé dans le précédent chapitre. Dessiner cette image idéale exige d'aller chercher au plus profond de soi-mASme et de ses entrailles. On sait qu'on l'a touchée du doigt lorsque, comme AH, on se sent soudain transporté et enflammé par les possibilités que recèle notre vie.
Pour entamer ' ou poursuivre ' un réel processus de développement de s aptitudes d'intelligence émotionnelle, us devez avant toute chose conquer ce pouir de tre moi idéal. Pour une raison très simple : changer d'habitudes n'est pas une mince aflaire. 11 suffit pour s'en convaincre de dresser un rapide bilan de nos bonnes résolutions de Nouvel An. Chaque fois que des individus essayent de changer les habitudes qui gouvernent leurs pensées et leurs actions, ils doivent renverser des décennies d'apprentissage qui sont imprimées dans des circuits neuraux encombrés et solidement balisés, construits sur des années et des années de répétition de la mASme pratique. VoilA pourquoi se changer de manière durable exige une foi solide en une vision future de soi - d'autant plus pendant des périodes de
stress ou dans un contexte de responsabilités personnelles accrues.
L'acte mASme d'envisager de changer peut faire naitre chez les individus toutes sortes de craintes et d'interrogations quant aux obstacles A surmonter. Il arrive parfois que les individus perdent presque immédiatement l'enthousiasme qu'avait suscité leur futur idéal, remplacé par la frustration de ne pas déjA vivre leur rASve. C'est alors qu'il peut AStre utile de se souvenir du rôle que joue le cerveau dans nos émotions. Comme nous l'ans vu dans le chapitre 2, c'est la mise en action du cortex préfrontal gauche qui nous donne un espoir motivant, en nous permettant d'imaginer quel sera notre bonheur le jour où nous toucherons au but de notre idéal. C'est ce qui nous pousse A continuer A avancer en dépit des obstacles.
Inversement, si nous nous focalisons sur ce qui se dresse sur notre chemin - et non sur l'image de notre vie idéale - nous actins la zone préfrontale droite et sombrons dans une vision pessimiste qui nous démotive et peut réellement entraver notre réussite.
Moi idéal contre moi de substitution
Dans son livre S'engager autrement, Charles Handy raconte la quASte difficile de son moi idéal :
J'ai passé une bonne partie de ma vie A essayer de toutes mes forces d'AStre quelqu'un d'autre. A€ l'école, j'ai ulu AStre un grand athlète, A l'Université un mondain admiré, ensuite, un homme d'affaires et, plus tard le directeur d'une grande institution. Il ne m'a guère fallu de temps pour découvrir que je n'étais destiné A réussir sous aucun de ces oripeaux, mais cela ne m'a pas empASché d'essayer, et d'AStre perpétuellement déA§u par moi-mASme.
Le problème, c'est qu'en m'efforA§ant d'AStre quelqu'un d'autre, je négligeais de me concentrer sur la personne que j'aurais pu AStre. En ce temps-lA , cette idée me faisait bien trop peur. J'étais plus content de continuer A avancer avec les conventions de l'époque, mesurant le succès en termes d'argent et de réussite, montant les échelles que d'autres plaA§aient sur mon chemin, collectionnant les choses et les contacts plutôt que de laisser libre cours A mes propres croyances et A ma personnalité.i
Cette confession lumineuse est celle d'un homme dont on peut dire qu'il a réussi : cadre dans l'industrie, dirigeant A la London Business School, Président de la Royal Society of the Arts, auteur et professeur respecté dans le monde entier. Mais comme Charles Handy, au fil d'une vie bien remplie, nombreux sont ceux d'entre nous qui se laissent séduire par l'idée du pouir ou de la célébrité, ou succombent aux attentes des autres.
Lorsqu'un parent, un conjoint, un chef ou un professeur nous disent ce que nous devrions AStre, ils nous donnent leur version de notre moi idéal, une image qui vient nourrir notre moi de substitution - la personne que nous pensons que nous devrions devenir. Si nous acceptons ce moi de remplacement, il devient une boite dans laquelle nous sommes pris au piège - ce que le sociologue Max Weber appelait notre - cage d'acier - -, nous déplaA§ant pareils au mime qui essaye de repousser des murs invisibles. Le mASme phénomène se produit lorsque, dans les entreprises, on considère pour acquis que les individus souhaitent progresser en gravissant les échelons d une carrière, au lieu d'admettre que certains ont leurs propres rASves et leur propre définition de la réussite. De telles hypothèses peuvent très vite devenir des éléments du moi de substitution professionnel.
Avec le temps, les individus peuvent devenir ignorants de leur moi idéal ; leur vision se brouille et ils perdent leurs rASves de vue. Les responsabilités qui pèsent sur leurs épaules - remboursement d'emprunes, études des enfants ' et le désir de maintenir un certain style de vie les poussent ainsi toujours plus loin sur un chemin, qu'ils croient ou non que ce chemin les conduira A leurs rASves. Ils deviennent sourds A leur passion et entretiennent la spirale dans laquelle ils sont. L'exemple classique ' que l'on observe chez de nombreux professionnels libéraux ayant été élevés dans des cultures très traditionnelles ' est celui de l'individu qui embrasse une carrière simplement parce que ses parents l'y ont encouragé. Un Indien de notre
connaissance a été élevé dans ce genre de famille ; il avait une immense passion pour la musique mais il a respectueusement obéi aux vœux de ses parents qui ulaient qu'il soit dentiste. Il a fini par fermer son cabinet de Mumbai pour s'installer A New York et vivre, plutôt bien, de sa cithare.
Il est parfois dangereusement facile de confondre son moi de substitution et son moi idéal et de manquer d'authenticité dans ses actes. C'est pourquoi air la démarche de découvrir son moi idéal revASt une telle importance dans tout processus de développement du leadership. Mais trop de programmes de
leadership reposent sur l'hypothèse que tout ce que veut un individu, c'est maximiser sa performance dans son travail. Ils laissent de côté cette exploration vitale et négligent de relier les objectifs d'apprentissage de l'individu avec ses rASves et ses aspirations pour le futur. Lorsque le fossé entre le moi idéal de l'individu et l'idéal imposé par le programme de formation devient criant, il en résulte l'apathie ou la rébellion.
Pas de passion sans vision
Sofia est directrice dans une société de télé
communication en Europe du Nord. Elle sait qu'elle a besoin de développer ses capacités de leadership. Elle a suivi des séminaires, lu des livres et travaillé avec des mentors. Elle a rédigé des s de développement personne] et s'est fixé des objectifs A court terme et A long terme. Elle savait ce qu'elle devait faire ' mais aucun de ces s ne semblait jamais guider son développement et au bout de quelques semaines, ils étaient systématiquement relégués dans le dernier tiroir de son bureau. - Comprenez-moi bien, nous a-t-elle déclaré. Je veux réussir ma carrière. Mais aucun de ces s n'avait grand-chose A ir avec ce qui compte vraiment pour moi. Progresser sur telle ou telle
compétence pour la seule raison que mon boulot l'exige ne suffit pas A me motiver. -
L'expérience de Sofia est typique de nombreux diplômés de programmes de développement du leadership. Le problème est que ces programmes reposent souvent sur des bases erronées. Le vérile développement des compétences de leadership trouve sa source dans bien autre chose qu'un - de carrière - : il commence par une vision holistique de sa propre vie, dans toute sa richesse. Pour AStre plus performants dans l'entreprise, les leaders ont besoin de se sentir émotionnellement impliqués dans leur développement personnel. Et cela exige de relier l'effort demandé avec ce qui compte réellement pour eux.
Nous ans donc demandé A Sofia de penser A sa vie A un moment précis de l'avenir, de se laisser aller et d'imaginer A quoi ressemblerait une de ses journées habituelles : que ferait-elle, où vivrait-elle, qui était lA et qu'éprouvait-elle. Ensuite, nous lui ans demandé de choisir une date dans huit A dix ans d'ici - suffisamment éloignée pour que sa vie ait changé mais suffisamment proche pour pouir commencer A l'imaginer. Sofia a choisi un jour du mois d'août 2007, importante pour elle parce que l'ainé de ses enfants quitterait cette année-lA le foyer familial pour entrer A l'Université. Sofia écrivit ensuite une vision de sa vie en août 2007, A la première personne, comme si elle la vivait aujourd'hui. Nous lui ans demandé de prendre consciencieusement en considération toutes les sphères de sa vie, ses valeurs et ce qu'elle rASvait d'AStre et de faire A ce moment de sa vie. Sa vision était saisissante :
Je m'imagine dirigeant ma propre société, une entreprise soudée d'une dizaine de personnes. J'ai une relation saine et ouverte avec ma fille et les mASmes relations de confiance avec mes amis et mes collègues. Je suis décontractée et heureuse comme
leader et comme mère, aimante et enrichissante vis-A -vis de tous ceux qui m'entourent.
En réfléchissant sur une vision de sa vie sur ce mode holistique, Sofia a commencé A mieux comprendre comment les diverses parties de sa vie s'entrecoupaient et en quoi définir les lignes du qui permettrait A ce rASve de devenir réalité pouvait AStre non seulement motivant mais aussi inspirant. Comme Sofia l'exprima A la fin du processus : - Pendant des années, j'ai eu besoin de travailler sur la faA§on dont je me comporte avec les autres lorsque je suis stressée. J'ai tendance A AStre du genre leader trop gagneur. Maintenant, en regardant l'image d'ensemble, je comprends que certaines de mes difficultés avec ma fille proviennent de ces mASmes problèmes. - Forte de cette prise de conscience, Sofia pouvait désormais commencer A réfléchir A la faA§on de traduire ces découvertes en objectifs de développement pour assumer le stress en utilisant des styles de leadership plus productifs.
Nous ans observé que beaucoup de jeunes managers ' grosso modo, ceux qui ont moins de quarante ans - ont des objectifs d'apprentissage plus holistiques - répondant A plusieurs aspects de leur vie et pas uniquement A leur travail - que ne l'étaient ceux des générations précédentes. Cette élution reflète le fait que, comme le suggèrent les sondages sur la génération X et la génération Y, les individus dans la tranche d'age vingt-quarante ans ont une vision plus équilibrée de la vie personnelle et de la vie professionnelle que leurs prédécesseurs. Ils n'ont pas envie de faire les mASmes sacrifices que leurs parents et recherchent une vie plus équilibrée et plus harmonieuse. Ils refusent d'attendre qu'une
crise cardiaque, un dirce ou un licenciement viennent leur ouvrir les yeux sur leur vie sociale, leur vie spirituelle, leur responsabilité au sein de leurs communautés et leur
santé physique. Nombre de leurs collègues plus agés sont aussi en train d'en prendre conscience mais dans leur cas, cela s'inscrit dans les crises du vieillissement, de la quarantaine et du milieu de carrière.
De manière évidente, les valeurs jouent un rôle important dans la révélation du moi idéal. Mais les valeurs éluent tout au long de la vie, en liaison avec des événements comme le mariage, la naissance d'un enfant, ou un licenciement. En ce sens, c'est la
philosophie personnelle sous-jacente A ces valeurs qui est la plus pérenne.3 La philosophie d'un individu est la faA§on dont il détermine ses valeurs ' et les styles de leadership vers lesquels il est attiré. Un
manager qui valorise par-dessus tout la réalisation d'objectifs sera naturellement un gagneur, considérant un style plus démocratique comme une perte de temps. Comprendre la philosophie qui nous anime peut nous aider A comprendre en quoi notre moi idéal reflète nos valeurs.
Exemple : un consultant inscrit - famille - parmi ses valeurs dominantes mais continue A passer cinq jours par semaine loin de sa femme et de ses enfants, en déplacements professionnels. Il dit qu'il - incarne - cette valeur en gagnant suffisamment d'argent pour subvenir aux besoins de sa famille. A€ l'inverse, un directeur de fabrication qui cite également la - famille - comme valeur dominante a refusé des promotions afin de pouir diner chaque soir avec sa femme et ses enfants.
Les différences entre ces individus peuvent se situer A plusieurs niveaux : la conscience qu'ils ont de leurs vraies valeurs, l'alignement de leurs actions sur ces valeurs ou encore la faA§on dont ils interprètent la valeur. Par-delA , ils manifestent de profondes différences dans la faA§on dont ils évaluent individus, entreprises et activités. Ces écarts reflètent souvent des philosophies d'action disparates - les modes les plus courants étant le mode pragmatique, le mode intellectuel et le mode humaniste.4 Et bien qu'aucune philosophie ne soit - meilleure - qu'une autre, chacune oriente de faA§on distincte les actions, pensées et sentiments d'un individu.
La notion centrale d'une philosophie pragmatique est la croyance que la valeur d'une idée, d'un effort, d'une personne ou d'une organisation est déterminée par son utilité.5 Ceux qui y adhèrent considèrent qu'ils sont pour une large part responsables des événements de leur vie et mesurent souvent les choses pour décider de leur valeur. Dès lors, il n'est guère surprenant que, parmi les compétences d'intelligence émotionnelle, les pragmatiques affichent des aptitudes élevées A la gestion de soi. Malheureusement, leur penchant individualiste les conduit souvent - mais pas toujours - A préférer le style gagneur aux styles démocratique, entraineur ou partenaire.
Larry Ellison, le PDC d'Oracle Corporation, appartient clairement A la race des gagneurs. Dans sa quASte incessante de parts de marché, il met couramment ses employés au défi de - détruire - et d'- éliminer - les sociétés rivales du marché. Il conduit également en permanence des benchmarks des progrès de la société par rapport aux concurrents, affichant sa philosophie pragmatique dans l'abondance des aisons de ce type qu'il introduit dans ses discours et interviews.6
La philosophie intellectuelle est centrée sur le désir de comprendre les autres, les choses et le monde en construisant une représentation de leur fonctionnement, qui apporte aussi une forme de sécurité émotionnelle par rapport A l'avenir.7 Les tenants de cette philosophie se reposent sur la logique pour prendre des décisions, et évaluent la valeur de quelque chose A l'aune d'un code sous-jacent ou d'un ensemble de repères qui privilégient la raison. Les individus manifestant cette attitude sont principalement guidés par leurs compétences cogmtives, parfois A l'exclusion des compétences sociales. Un représentant de cette philosophie dira par exemple : - Du moment que ta solution est élégante, les gens y croiront. Inutile d'essayer de les convaincre de ses mérites. - Ils peuvent recourir au style de leadership visionnaire, pourvu que la vision décrive un futur bien raisonné.
John Chambers, le PDG de Cisco Systems, reflète cette approche intellectuelle lorsqu'il décrit un futur dans lequel nous vivrons mieux grace A la technologie. Il aime par exemple A dire que les systèmes électroniques intégrés ajusteront la température des vAStements lorsque les gens sortiront d'une maison chauffée pour aller A leur iture en hiver. Avec des allures d'évangélisateur, il parle ouvertement de la conviction qu'il a que son entreprise peut créer ce modèle du futur, permettant par lA mASme A chacun de contribuer A un avenir meilleur.8
Au cœur de la philosophie humaniste, on trouve la croyance que ce sont les relations personnelles qui donnent du sens A la vie.9 Les individus qui ont cette philosophie sont entièrement tournés vers les valeurs humaines ; ils considèrent leurs relations avec leur famille et leurs amis comme les plus importantes. Ils déterminent la valeur d'une activité en fonction de la faA§on dont elle affecte leurs relations proches. De la mASme manière, la loyauté est davantage valorisée que l'excellence professionnelle ou la maitrise d'un talent. LA où un pragmatique tendra A - sacrifier quelques brebis pour sauver le troupeau -, le leader humaniste considère la vie de chacun comme d'égale importance, cultivant naturellement les compétences d'intelligence interpersonnelle et de gestion des relations. Les leaders humanistes privilégient des styles qui mettent l'accent sur les interactions avec les autres, tels les styles démocratique, partenaire ou entraineur.
Narayana Murthy est le PDG charismatique qui a fondé Infosys Technologies Limited, dont le siège est A Bangalore, en Inde. Une partie de sa vision réside dans l'implication totale des individus dans leur travail, grace A un style de leadership visionnaire. Il a fait d'Info-sys l'une des sociétés les plus renommées pour sa qualité de vie professionnelle dans le secteur du développement et de la maintenance de logiciels personnalisés. De fait, Murthy dit de lui-mASme qu'il est - capitaliste de tASte, mais socialiste de cœur -.
L'idéal lage
Les rASves et les aspirations des individus changent au fil de leur carrière, de mASme que leurs priorités dans la vie et dans le travail ; et le moi idéal se fait de plus en plus inconstant A mesure que la vie avance. Ces élutions ne déterminent pas seulement lesquels de leurs talents ou de leurs compétences les individus souhaitent utiliser, mais aussi le contexte dans lequel ils se sentent les plus déterminés A les utiliser et les circonstances dans lesquelles ils peuvent créer la résonance. Il arrive que les individus s'ésectiunent de leur cation en continuant simplement A faire la mASme chose, ignorant que leurs rASves et leurs priorités ont changé.
Cela explique que l'on ie souvent des leaders ayant la quarantaine déserter le navire pour se lancer dans une nouvelle carrière. Lorsque les leaders atteignent un point dans leur carrière où ils ont l'impression qu'ils ont fait le tour de ce qu'ils avaient A apprendre et qu'ils sont parvenus A une certaine forme d'excellence, ayant réalisé l'essentiel de leurs objectifs professionnels, il arrive qu'ils perdent leur enthousiasme pour ce qu'ils font. Et ils puisent souvent une nouvelle énergie dans un nouvel idéal - par exemple, celui de donner ou d'aider les autres. Peter Lynch a été l'un de ces dirigeants. Parvenu au sommet de son art, A la tASte d'une entreprise couronnée des plus beaux succès, Fidelity Magellan Fund, il annonA§a qu'il quittait la société - non pour en diriger une autre mais pour créer une assodation caritative avec sa femme. Il dit qu'il ulait désormais - faire le bien - après air - bien fait -. Et le faire tant qu'il se sentait encore plein d'énergie et d'idées.11
Nous ans observé encore et encore, dans le cadre de nos travaux, que les capacités qui ont permis A des leaders de réussir dans le monde de l'entreprise peuvent trouver une énergie nouvelle dans des environnements différents, A l'heure où leurs priorités éluent. John Macomber, ancien PDG de Celanese, rejoignit la sphère politique pour prendre la tète de l'Export-Import Bank.12 Rex Adams, directeur des
ressources humaines de Mobil, devint doyen de la Fuqua School de l'université Duke.Tous deux sont des exemples des élutions que peut connaitre notre moi idéal au cours d'une carrière.
L'image de notre moi idéal éveille notre passion, nos émotions et notre motivation. Une vision personnelle est l'expression la plus profonde de ce que nous attendons de la vie, et cette image devient A la fois ce qui nous guide dans nos décisions et le baromètre de la satisfaction que nous retirons de la vie.
Pourtant, si us ulez diriger une entreprise, air une vision idéale personnelle ne suffit pas. Un dirigeant doit air une vision pour l'entreprise. Sans finalité ou direction, il est difficile de proer l'enthousiasme. C'est ici que l'image du moi idéal individuel se mue en vision partagée pour l'avenir. Pour AStre en phase avec la vision des autres, il faut AStre ouvert A leurs rASves et A leurs espoirs.
Piloter avec passion
Jurgen, directeur d'une banque suisse, traversait une crise de motivation. La banque se portait plutôt bien, mais tous les membres de son équipe de direction n'étaient pas passionnés par leur travail, certains s'en désintéressant mASme complètement. Jurgen hésitait A piétiner les traditions pour leur demander de quitter l'entreprise. Un autre malaise le tenaillait : il ne savait pas comment les choses se passaient dans les autres services de la banque. Personne ne lui donnait jamais la bonne information, A croire que ses collaborateurs avaient peur d'exprimer des opinions critiques ou différentes des siennes. Se sentant totalement inutile, Jurgen ne prenait plus aucun plaisir A son travail ; il ne lui restait plus, estimait-il, qu'A tirer sa révérence.
Nous ans travaillé six mois avec Jurgen et, A mesure que nous progressions, il a faA§onné une vision de sa vie et de son métier de dirigeant A la banque qu'il trouvait motivante et inspirante. Et une vision qui était aussi inspirante pour ceux qu'il dirigeait. Jurgen a commencé par regarder A l'intérieur de lui-mASme, réfléchissant sur sa vie et sa vision personnelle dans son travail et en dehors de son travail. Il a également dressé un leau précis de la situation A la banque et des raisons pour lesquelles elle ne le satisfaisait plus. Comparer la réalité et l'idéal lui a permis de perceir beaucoup plus clairement ' et, il faut le reconnaitre, avec angoisse aussi ' ce qui devait changer. Il s'est ensuite posé A lui-mASme la grande question : - Est-ce que j'aime suffisamment cette entreprise et ses hommes pour conduire moi-mASme tous ces changements difficiles ? -
Un matin d'été, Jurgen partit se promener avec un ami autour d'un lac dans les Alpes et lui parla ouvertement de sa peur de ne pas AStre A la hauteur de la tache qui l'attendait. Il examina le passé, le présent et l'avenir, et pensa aux honunes et aux femmes de l'entreprise, dont certains étaient ses collaborateurs depuis de longues années. Il songea aux problèmes et A son propre engagement - et A la satisfaction qu'il éprouverait s'il réussissait. Il réfléchit A sa vision idéale personnelle et concentra son esprit sur ce qui pourrait changer s'il retournait A la banque et se battait pour de bon. A la fin de la promenade, il avait sa réponse : - J'y vais. -
Cette décision de se - remettre dans le coup - était motivante pour Jurgen ; quelque part au plus profond de lui-mASme, il avait A nouveau fait vibrer sa passion pour le leadership. Et la passion est mère du courage ' suffisamment, estima Jurgen, pour assumer les lourdes taches qui l'attendaient.
Identifier et définir son moi idéal, le chemin que l'on veut réellement suivre dans la vie - comme l'a fait Jurgen - exige de la conscience de soi. Mais dès lors que us savez ce qu'est tre moi idéal, us stimulez l'espoir ' un antidote A l'inertie de l'habitude. Comme l'a dit Napoléon, - Un chef est un marchand d'espoir -.14 Le défi de tout leader est de regarder en soi pour trouver la source de l'espoir. LA réside le pouir de faire entendre et d'exprimer l'image de son moi idéal et les idéaux communs qui en découlent -et piloter ainsi les autres sur ce mASme chemin.
Ce type de leadership, cependant, n'exige pas seulement une vision mais aussi une image claire des réalités auxquelles us AStes confronté.
La deuxième découverte : le moi réel, ou la métaphore de la grenouille en train de bouillir
Jetez une grenouille dans de l'eau bouillante et elle saute instinctivement hors du récipient. Mais si us mettez une grenouille dans un pot d'eau froide et que us augmentez progressivement la température, la grenouille ne remarque pas que l'eau devient plus chaude. Elle reste assise lA jusqu'A ce que l'eau boue - et bout avec elle. Le destin de cette grenouille pochée n'est pas si difFérent de celui de certains leaders qui s'installent dans la routine ou laissent de petits conforts se transformer en solides habitudes - faisant ainsi le lit de l'inertie.
Prenons l'exemple de John Lauer. Lorsqu'il a pris la direction de BF Goodrich, persoime n'aurait jamais imaginé que ce genre d'inertie puisse lui tomber dessus. Grand et bel homme au sourire charmeur, il releva les défis de ses nouvelles fonctions avec vigueur, se distinguant en particulier par ses talents de leader démocratique et visionnaire. Ainsi, au cours d'une réunion peu de temps après son arrivée avec les dirigeants d'une division clé, Lauer écouta attentivement leur discussion et formula ensuite une vision pour l'entreprise qui intégrait ses atouts actuels mais la positionnait mieux pour ses marchés internationaux. Les hochements de tASte autour de la le lui indiquèrent A quel point sa vision avait séduit ses collaborateurs. Au cours des deux ou trois ans qui suivirent et où fut menée la restructuration de la société, Lauer continua d'exercer son métier de dirigeant - et de partenaire de son équipe de direction - avec talent et efficacité.
Puis, environ six ans après air pris la barre de BF Goodrich, alors qu'il s'exprimait devant une promotion de dirigeants suivant un programme de MBA, il apparut de manière éclatante que son charisme avait disparu. Il parlait, certes, de gestion d'entreprise et de management, mais ce qu'il disait sentait le déjA vu et mASme l'ennui. La passion que tant de collaborateurs avaient trouvée contagieuse A ses débuts dans l'entreprise n'était plus.
Comme une grenouille en train de bouillir lentement, Lauer s'était progressivement mis au diapason de la déception, de la frustration et mASme de l'ennui que génèrent les pratiques et les politiques d'une grande entreprise. Il avait perdu son enthousiasme pour son travail. Sans surprise, quelques mois après son discours terne, Lauer quitta l'entreprise. A€ la recherche d'autre chose que la vie en entreprise, d'une activité dans laquelle il puisse A nouveau trouver un sens, il partit travailler avec sa femme, Edie, qui était très active dans les organisations d'aide aux Hongrois.
Confronté au déclin de son énergie et de son intérASt pour ses activités de dirigeant, Lauer entamait un processus qui allait le conduire A une deuxième découverte. Chez les leaders, continuer A faire progresser son intelligence émotionnelle exige que, une fois qu'ils disposent d'une forme de vision de leur vie idéale, ils mettent A jour leur moi réel. Le processus qu'entamait Lauer le conduirait A regarder au plus profond de lui-mASme et A y redécouvrir le leader.
Deux ans après air quitté BF Goodrich, Lauer suivit un séminaire de développement du leadership dans le cadre d'un programme de doctorat en
management pour dirigeants.13 Il affirmait toujours qu'il ne ulait plus entendre parler de diriger une entreprise ; tout cela appartenait au passé. Ce doctorat était une porte vers une nouvelle vie ; il ne savait pas exactement ce qu'il allait faire, mais il était confiant dans l'avenir.
Pendant le séminaire sur le leadership, Lauer batailla avec ses valeurs, sa philosophie et ses aspirations, et ses compétences. En essayant d'envisager les dix années suivantes de sa vie et en réfléchissant A ses aptitudes, il réahsa combien il avait aimé son activité de dirigeant. Il se remit en prise directe avec l'enthousiasme qu'il avait éprouvé A tenir la barre d'une entreprise, travaillant avec une équipe de managers et construisant quelque chose d'important. Et un beau jour il se réveilla en se disant qu'il serait prASt A reprendre un poste de PDG. Pourvu que la situation s'y prASte, l'aventure pouvait AStre amusante ' l'occasion d'appliquer les idées qu'il avait développées dans son programme de doctorat.
Il rappela quelques chasseurs de tAStes et un mois après, on lui proposait de prendre la direction d'Oglebay Norton, une société au chiffre d'affaires de 250 millions de dollars opérant dans le secteur des matières premières. Il y devint un modèle exemplaire de leadership démocratique, écoutant ce que les employés avaient A dire et encourageant son équipe de direction A faire de mASme. Et il s'attacha A diffuser et A entretenir auprès de tous une vision forte pour l'entreprise. Comme nous a dit l'un des cadres de l'entreprise : - John élève nos esprits, notre confiance et notre passion de l'excellence. -l6 Bien que la société intervienne sur des marchés de peu de prestige, tels que le gravier et le sable, Lauer accomplit de tels miracles au cours de la première année que le nom d'Oglebay Norton eut les honneurs de Fortune, Business Week et Tlie Wall Street Journal.
Lauer avait été capable de quitter BF Goodrich parce qu'il avait compris qu'il avait une vision différente de sa vie. C'était la première découverte ' le moi idéal. Ensuite, en regardant en face la routine dans laquelle il s'était encroûté et en parvenant A identifier ses compétences propres ' découverte numéro deux ' il a pu se reconnecter sur sa passion pour le métier de dirigeant. Et cela l'a finalement conduit A remonter en selle et A s'épanouir dans un autre type de rôle de leadership.
Insaisissable moi réel
Faire le point sur tre moi réel commence par un inventaire sérieux de s talents et de s passions - la personne que us AStes réellement en tant que leader. Cette tache peut se révéler plus difficile qu'il n'y parait. D'abord, elle exige une bonne dose de conscience de soi, ne ce serait-ce que pour dépasser l'inertie de l'inattention qu'une accumulation d'habitudes produit inévilement. Parce que la routine introduit des changements graduels qui finissent par l'emporter avec le temps, la réalité de nos vies est souvent difficile A appréhender. C'est comme de regarder dans un miroir embué : il est difficile de ir qui nous sommes réellement. Et lorsque nous commenA§ons enfin A air une vision claire ' souvent dans un moment d'épipha-nie ' la réalité peut se révéler pénible. Comme un manager avec qui nous ans travaillé, ingénieur de formation, l'exprime : -J'ai réalisé que j'étais exactement la personne que je n'avais jamais ulu AStre. -
Comment ce genre de choses arrive-t-il A des individus raisonnablement intelligents ? Comment le sentiment de ce que nous sommes devenus peut-il nous échapper ? Le syndrome de la grenouille en train de bouillir ' l'installation lente et insidieuse du compromis et de la complaisance ' est peut-AStre le plus grand obstacle A une juste image de soi. Nous ne sans plus très bien qui nous sommes devenus - mASme si les gens autour de nous en ont en général une vision claire.
Beaucoup de choses concourent A nous empAScher de ir notre moi réel. Le psychisme humain lui-mASme nous protège d'informations qui pourraient ébranler la perception que nous ans de nous-mASmes. Ces mécanismes de défense de l'ego, comme on les désigne, nous protègent émotionnellement pour que nous puissions plus facilement affronter la vie et ses aléas. Mais ce faisant, ils cachent ou ésectiunent des informations essentielles - les réactions d'autrui A nos comportements par exemple. Au fil du temps, les aveuglements créés par l'inconscient deviennent des mythes qui se reproduisent d'eux-mASmes, en dépit des difficultés qu'ils proquent.17
Naturellement, les mécanismes de protection de l'ego ont leurs avantages. La plupart des individus hyper dynamiques, par exemple, sont plus optimistes quant A leurs perspectives et leurs possibilités que l'individu moyen. 8 Leurs lunettes aux verres roses sont sources d'enthousiasme et d'énergie pour ce qu'ils entreprennent. Il y a problème lorsque les défenses nt trop loin, déformant exagérément la vision que l'individu a de son moi réel - la personne qu'il est devenu.
Le dramaturge Henrik Ibsen appelait ces aveuglements - des mensonges pour vivre - : des contre-vérités rassurantes que les gens préfèrent croire plutôt que d'affronter les réalités plus dérangeantes qu'elles dissimulent.
Des mensonges pour vivre
Piège puissant s'il en est, l'aveuglement pervertit notre démarche de connaissance de nous-mASmes. Il nous conduit A donner davantage de poids A ce qui confirme l'image déformée que nous ans de nous-mASmes ' et A ignorer ce qui la remet en cause. étonnamment, ces distorsions ne sont pas toujours A notre avantage.
Nous ans souvent observé, lors de nos séances de coaching avec des leaders, que mASme des dirigeants d'excellence ne se considèrent pas eux-mASmes comme efficaces ' alors mASme que leurs collègues font leur éloge. C'est parfois par excès d'humilité que ces dirigeants se sous-estiment, mais le plus souvent, c'est parce qu'ils se fixent A eux-mASmes des normes de performances très élevées. Ce qui les conduit A se focaliser sur la faA§on dont ils échouent A atteindre ces normes, plutôt que sur la faA§on dont ils réussissent des choses.
Le moyen le plus évident de corriger ces distorsions de l'image de soi serait, naturellement, de receir un feed-back correcteur de la part de ceux qui nous entourent. Cela a l'air tout simple, n'est-ce pas ? Etant donné le nombre d'individus qui, d'une manière ou d'une autre, participent de notre vie, on serait tenté de croire que nous croulons tous sous les commentaires sur notre comportement, et sommes donc toujours en mesure de corriger les distorsions qui affectent notre perception de nous-mASmes. Comme nous le sans tous, il n'en est rien. Pourquoi ?
L'une des raisons en est la maladie du PDG que nous ans décrite dans le chapitre précédent. Ce phénomène conduit des individus A priver leurs managers d'informations importantes - non seulement au sujet de leur comportement et de leur style de leadership, mais également en ce qui concerne la situation au sens large de l'entreprise. Les individus se taisent par peur de la colère de leur chef, parce qu'ils ne veulent pas AStre considérés connue des oiseaux de mauvais augures ou parce qu'ils veulent protéger leur image de - bons citoyens - ou de bons équipiers.
Mais les PDG ne sont pas les seuls A se ressentir de ce mal : la plupart des leaders sont privés de retours d'expérience importants. La raison en est souvent simplement que les individus sont gASnés de dire franchement A quelqu'un ce qu'ils pensent de son comportement. Personne - ou presque - n'a envie de blesser intentionnellement quelqu'un ; la réalité, c'est que, souvent, nous ne sans pas comment donner du feed-back de manière constructive. Dès lors, les individus manifestent souvent un excès inverse et font d'énormes efforts pour - AStre gentils -. Mais lorsque les gens confondent AStre gentil et fournir aux autres des observations pertinentes A propos de leur comportement ou de leur style, leur feed-back ne sert A rien.
- AŠtre gentil - : une fausse bonne idée
Le propriétaire et chef d'un bistro parisien se tient près de l'entrée en toque et tenue de cuisinier. Un couple entre, sourit, et demande :
- Vous AStes le propriétaire ?
' Oui -, répond le chef.
Les clients, qui attendent pour air une le, jettent un coup d'ceil sur la somptueuse décoration et l'assortiment alléchant de plats, puis se retournent vers le chef et lui disent : - Quel endroit merveilleux, bonne ambiance et grande cuisine ! -
Ce A quoi le chef répond : - Attendez plutôt d'air diné pour me dire A§a ! -
En tant que propriétaire des lieux, le chef a naturellement envie d'entendre des compliments, mais d'authentiques compliments, et non de banales formules de politesse. De la mASme manière, dans les entreprises, les individus confondent souvent, lorsqu'ils donnent du feed-back, - faire preuve de gentillesse - et apporter des observations pertinentes et authentiquement utiles. Les leaders en sont les premières victimes.
Pendant des aimées, des spécialistes des sciences du comportement ont prôné que tout feed-back sur les performances devait AStre absolument neutre. Ainsi dépourvu de pour et de contre, le feed-back serait plus facile A accepter par celui le reA§oit et, partant, plus utile.
Mais cette - castration - du feed-back le rend tout bonnement inutile, comme l'a montré une étude du Massachusetts Institutc of Technology ; une
neutralité prudente prive le feed-back de messages émotionnels importants.19 L'étude, conduite dans le cadre d'un cours d'introduction au comportement organisationnel, demandait A des étudiants de MBA d'identifier un objectif de changement sur lequel ils travailleraient pendant les quinze semaines du programme. Toutes les semaines, pendant le cours, les étudiants se rencontraient par groupes pour receir du feed-back sur leurs progrès. A€ la fin de chaque cours, chacun devait citer un A trois retours d'expériences qu'ils avaient trouvé utiles.
Contrairement A l'opinion la plus répandue A cette époque-lA , le feed-back évaluateur ' A travers lequel les étudiants recevaient des remarques sincères sur ce qui fonctiomiait et fonctionnait moins bien dans leur comportement ' était considéré comme plus utile que le feed-back neutre. Ces résultats ne sont pas surprenants. Nous sans tous plus ou moins que les autres observent et jugent ce que nous faisons - dès lors, la plupart d'entre nous préfèrent air toute l'histoire plutôt que sa version édulcorée. Lorsque les autres essayent de nous conforter en expurgeant le feed-back ou en ulant - AStre gentils -, ils ne nous rendent pas service : nous sommes privés des informations cruciales dont nous ans besoin pour progresser.
Cela explique que nous ayons observé que les meneurs les plus intelligents émotionnellement sont extrASmement demandeurs de feed-back négatif aussi bien que positif. Ces leaders comprennent qu'ils ont besoin d'un large éventail d'informations pour améliorer leurs performances - que ces informations soient ou non agréables A entendre.
Aller chercher la vérité
Pour devenir plus efficaces, les leaders ont donc besoin de briser la quarantaine informationnelle dans laquelle on les maintient - et le complot pour les garder contents, fusse au prix d'un manque d'information. Rares sont ceux qui osent dire A un meneur autoritaire qu'il est trop dur ou A un leader qu'il pourrait AStre plus démocratique ou plus visionnaire. Dès lors, les managers émotionnellement intelligents n'ont d'autre alternative que de chercher par eux-mASmes la vérité.
Comment les meneurs efficaces découvrent-ils la vérité ? Une étude portant sur près de quatre cents dirigeants a montré que, pour commencer, ils utilisent leur conscience de soi et leur empathie, tant pour surveiller leurs propres actions que pour observer comment les autres y réagissent. Ils sont ouverts aux critiques, que celles-ci portent sur leurs idées ou leur faA§on de diriger. Ils recherchent activement des retours d'expérience négatifs et apprécient la ix de l'acat du diable. A€ l'inverse, les managers moins efficaces sollicitent plus souvent du feed-back rassurant. Dès lors, il n'est pas surprenant que ce genre de leaders aient une vision moins juste de leurs performances. Les managers les plus efficaces, en revanche, portaient sur eux-mASmes des jugements très proches de ceux des autres quant A leurs compétences de leaders.20 De la mASme manière, les informations issues de plusieurs milliers de questionnaires d'évaluation A 360A° émanant de supérieurs, pairs et subordonnés indiquent que le fait de rechercher du feed-back négatif- et pas seulement des retours d'expérience positifs - est prédictif de la pertinence de la conscience de soi d'un individu et de son efficacité. Un manager qui sait sur quels points il a besoin de progresser sait sur quoi il doit faire porter ses efforts. Inversement, les individus qui recherchaient surtout un feed-back positif manifestaient, en toute logique, une autoévaluation peu pertinente ' et une moindre efficacité."
Solliciter des informations négatives peut donc AStre vital pour la
croissance personnelle et l'efficacité A long terme d'un individu. Mais vers qui se tourner pour obtenir des conseils ' et un feed-back qui ne confirmera pas nécessairement la faA§on dont us yez us-mASme ? En d'autres termes, comment un leader éprouve-t-il la réalité ?
Parachever la deuxième découverte
Comme nous l'ans vu, la première découverte qui lance l'apprentissage personnel est l'identification de l'image idéale de soi. La deuxième découverte commence avec la révélation de la réalité : la faA§on dont us us yez et la faA§on dont us ient les autres. Pour parachever cette découverte, cependant, us avez besoin d'apprendre A connaitre les forces et les lacunes de tre leadership : les différences ou les similitudes entre l'idéal et le réel.
C'est le vérile point de départ de l'apprentissage personnel : faire l'inventaire des aspects de us-mASme que us aimez et ulez préserver, par opposition A ceux que us udriez changer ou adapter A s nouvelles aspirations. La conscience de soi ' prendre conscience de cet équilibre entre ce que l'on veut conserver et ce que l'on souhaite développer ' donne le signal de la disponibilité au changement. Vous comprenez soudainement ce que us valorisez en us et ulez donc préserver. De la mASme manière, us AStes capable d'admettre que us devez travailler sur d'autres points, et lesquels. Les uns doivent AStre examinés A la lumière des autres ' ce qu'il faut garder, ce qui doit changer. En ce sens, un point fort est parfois A l'origine d'une lacune : jouer tellement de l'initiative que parfois us n'exercez plus un sclf-control suffisant, par exemple. Il arrive aussi qu'une lacune soit directement liée A un point fort : un manque d'adapi-lité, par exemple, s'expliquera par le fait que us AStes un leader inspirant qui en fait parfois trop et s'obnubile sur une vision donnée.25
Vos forces de leadership ' ce que us ulez préserver ' se situent lA où tre moi idéal et tre moi réel se rencontrent. LA où la réalité n'est pas A la hauteur de tre idéal en tant que leader, résident s lacunes. Il s'agit, comme un puzzle, de reconstituer ainsi l'image de celui que us AStes et de celui que us udriez AStre. Vous commencez par trouver les bords, les pièces les plus évidentes, et puis us assemblez davantage de pièces, motif par motif. Alors qu'au début us n'AStes pas toujours capable de perceir le sens de l'image, finalement, lorsqu'un nombre suffisant de pièces est en place, us avez une vision claire de l'ensemble.
Un antidote aux points aveugles
Comme nous l'ans vu avec la maladie du PDG, il n'est pas facile pour un meneur d'identifier seul ses forces et ses lacunes. Celui qui souhaite renforcer ses capacités devra d'abord collecter les points de vue des autres pour obtenir une image exacte de lui-mASme. La méthode d'évaluation A 360A° permet d'obtenir cette image plus complète. En collectant des informations auprès de nombreuses personnes ' tre chef, s collègues, s subordonnés ' us disposez de multiples perspectives quant A la faA§on dont us agissez et dont les autres perA§oivent tre comportement. La vision A 360A° fournit une image consensuelle de tre profil de compétences. Que ce consensus soit une image de tre moi réel dépend de deux conditions : (1) que les individus qui participent A l'évaluation A 360A° interagissent vérilement avec us de manière régulière ; et (2) que us leur révéliez tre vérile moi.
Pourquoi chercher A recueillir ce feed-back A 360A° auprès d'un grand nombre de personnes ? Tout simplement parce que plusieurs points de vue donnent une image plus exhaustive. Vous AStes, au sens littéral du terme, une personne - différente - avec des gens différents dans des environnements différents ' qu'il s'agisse de tre conjoint, tre patron ou s subordonnés. De fait, des recherches sur les sources de feed-back confirment ce qui nous apparait comme une évidence : les patrons, les subordonnés et les collègues sont exposés A des aspects différents du répertoire comportemental d'un individu. C'est la raison pour laquelle un dirigeant peut sembler si différent lorsqu'il est évalué A l'aune de chacune de ces perspectives.
Des recherches conduites dans une entreprise de transport routier par les professeurs Gène Harris et Joyce Hogan de l'université de Tulsa indiquent ainsi que, sur un processus d'évaluation A 360A°, les subordonnés donnent la note la plus élevée A leur directeur sur leur sens des responsabilités alors que leurs patrons domient A ces mASmes directeurs la note la plus élevée sur leur silité émotionnelle.27 Les directeurs eux-mASmes citent en premier lieu leur maturité relationnelle ' aptitude que leurs subordonnés, et mASme leurs patrons, font urer tout en bas de la liste. De manière révélatrice, seule une caractéristique recueille les mASmes évaluations de la part des trois groupes : c'est sur leur capacité A renyer du feed-back que les directeurs sont les plus faibles. Ces managers avaient besoin de ce faisceau de perspectives comme antidote A leurs propres points aveugles et A la perspective limitée de chacune des sources de feed-back.
Dans d'autres travaux, Fred Luthans et ses collègues de l'université du Nebraska ont étudié des leaders afin de déterminer si la - réussite - et - la performance - étaient la mASme chose.28 Le succès était mesuré par les promotions, les augmentations de
salaires et la rémunération totale. Mais ils ont défini la performance en termes de point de vue consensuel des différents acteurs de l'entreprise, et en particulier des subordonnés, dont ils pensaient qu'ils adopteraient une vision A plus long terme. Ils ont également collecté d'autres opinions sur le comportement des leaders. Ils ont découvert, ce qui n'est pas pour nous surprendre, que les patrons avaient tendance A considérer la construction de relations,
la communication et l'influence comme des aptitudes clés des managers : ce sont effectivement les aptitudes utilisées par les leaders dans leurs interactions avec leurs égaux ou leurs supérieurs. En revanche, leurs subordonnés considéraient ces managers comme particulièrement aptes A développer les autres, au travail en équipe et A la collaboration, et A l'empathie ' compétences utilisées par les managers pour piloter leurs - suiveurs -.
Cet écart dans la perception qu'ont les patrons et les subordonnés des aptitudes d'un leader est un argument supplémentaire en faveur de l'utilisation de l'évaluation A 360A° dans le développement du leadership. Les meilleurs managers utilisent leurs compétences de manière sélective, en exerA§ant certaines auprès d'un groupe, d'autres auprès d'un groupe différent. Tout groupe - subordonnés, collègues, patrons,
clients ou famille et amis ' ne it qu'une facette du répertoire du manager.
De toutes ces perspectives, les points de vue des subordonnés et des collègues - plutôt que celui des patrons eux-mASmes - semblent présenter la meilleure validité prédictive de l'efficacité d'un leader.29 Dans une étude longitudinale sur l'efficacité des managers au sein d'une agence gouvernementale par exemple, l'évaluation des subordonnés du manager s'est révélée la plus prédictive de la réussite et de l'efficacité de celui-ci, deux et quatre ans après l'évaluation. MASme sept ans après, les évaluations des subordonnés restaient prédictives de la réussite du meneur ' et avec beaucoup plus de justesse que les évaluations du patron lui-mASme. Les perceptions des subordonnés se sont révélé AStre des augures aussi pertinents que des évaluations beaucoup plus complexes basées sur des simulations de performances réalisées dans des centres d'évaluation.30
La tyrannie des lacunes
Une fois que us AStes certain d'air obtenu une image complète de us-mASme grace aux retours d'expérience, us AStes prASt A passer en revue s forces et s lacunes. Comme nous le sans tous, il est extrASmement facile de se concentrer immédiatement et exclusivement sur les lacunes. Après tout, elles font couler beaucoup d'encre dans les entreprises, en particulier lorsqu'il est question de développement du leadership. Une culture d'entreprise peut fariser cette - stigmatisation - des déficiences de performance, en particulier lorsque le style du leader le conduit A se focaliser sur les aspects négatifs d'une organisation plutôt que sur ses aspects positifs. De tels comportements sont souvent le fait de leaders dont la philosophie sous-jacente est du type pragmatique dont il a été question plus haut, caractérisée par une lonté de réalisation et de dépassement de soi extrASmement forte.
D'autres fois, les individus s'intéressent davantage aux lacunes parce qu'ils manquent de confiance en eux-mASmes ; ils se considèrent comme moins aptes qu'ils ne le sont réellement, et tendent par conséquent A se méfier des retours d'expérience positifs ou A les rejeter. Le plus souvent, lorsqu'ils examinent les
données d'une évaluation A 360A°, ces meneurs exagèrent leurs lacunes et ignorent leurs forces.
Mettre l'accent sur les lacunes stimule souvent le cortex préfrontal droit - c'est-A -dire l'anxiété et la protection de soi. Lorsqu'un individu est sur la défensive, c'est la démotivation qui s'installe, immobilisant, parfois de manière définitive, le processus d'apprentissage personnel et la probabilité de changement.
Le bilan personnel
En dépit de l'échec potentiel de cette approche par les lacunes, de nombreux programmes de formation au leadership - ou encore des directeurs conduisant des entretiens annuels d'évaluation - ne manquent pas de rationaliser cette erreur avec l'adage - le mieux est l'ennemi du bien -, ce qui revient A faire l'impasse sur les capacités des individus et A se concentrer sur les seuls domaines où ils doivent progresser.
Mais cela signifie que les aptitudes que les individus estiment, aiment et dont ils sont les plus fiers sont perdues dans le processus. Se concentrer exclusivement sur les lacunes n'est pas seulement démotivant et démoralisant, cela produit en outre un bilan biaisé. Nos points forts révèlent les choses importantes que nous ans apprises en tant que leaders au cours de notre vie et de notre carrière. Elles sont l'essentiel de notre expérience, les apprentissages que nous ans intégrés.
Les aptitudes démontrées au fil des années ' que l'on appelle aussi parfois thèmes signature ' représentent en général les aspects que les leaders souhaitent préserver, mASme si ces thèmes sont en sommeil pendant une période donnée. Ces signatures offient des ressources innées sur lesquelles capitaliser en tant que manager. Par exemple, Herb Kelleher, ancien PDG de Southwest Airlines, a toujours eu un sens de l'humour très développé. Dans ses fonctions de dirigeant, il adorait rire et faire rire les autres et il sut faire de cette force personnelle un vérile avantage pour l'entreprise : la gaieté devint un atout
organisationnel de Southwest Airlines qui distinguait la comnie de ses concurrents.
En collectant les interprétations et les perceptions d'individus dans de nombreux timents de sa vie, pas seulement dans le travail, il est plus facile d'identifier ces aptitudes qui sont tre signature.
Nous ans vu que les deux premières découvertes - de tre moi idéal et de tre moi réel, de s forces et de s lacunes -déclenchent tre lonté de changer. Mais comment concrétise-ton le changement ? Pour ce faire, us avez besoin d'une feuille de route : un pour capitaliser sur s points forts et combler s lacunes, qui transformera s rASves et s aspirations en réalité.