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ECONOMIE

L'économie, ou l'activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Le gazoduc euro-sibérien

Le différend anglo-argentin sur les Malouines était un différend bilatéral de caractère territorial ayant conduit A  un affrontement armé entre Etats. La construction du gazoduc euro-sibérien s'est traduite, quant A  elle, par une crise d'un tout autre type, née de l'action concurrente de plusieurs gouvernements s'exerA§ant indépendamment des frontières et réglée en définitive par des voies diplomatiques. Pour en traiter, on rappellera en premier lieu les données de l'affaire avant d'étudier la politique menée en l'espèce par les Etats-Unis en 1981 et 1982, puis la crise transatlantique qui s'est finalement dénouée A  l'automne 1982.

I. LES DONNéES DU PROBLÀME

L'Union soétique a découvert il y a une ngtaine d'années en Sibérie occidentale, dans la région de Yamal, A  Ourengoj, un gisement de gaz dont les réserves pourraient atteindre 26000 milliards de m3 et AStre utilisées A  la fois pour la consommation intérieure et pour l'exportation. Inversement, l'Europe occidentale manque de gaz. Au début des années 80, deux gisements étaient exploités sur le continent, celui de Lacq et celui de Groningue aux Pays-Bas, mais le premier au moins était en cours d'épuisement. L'importance et les conditions d'exploitation des réserves découvertes par ailleurs au Royaume-Uni et en Norvège laissaient alors la place A  l'incertitude et il en était de mASme des sources extérieures possibles (Nigeria, ile Mellle).
C'est ainsi que la France consommait en 1981 28 milliards de m3 de gaz, dont 10 fournis par les Pays-Bas, 6 par le gisement de Lacq, 4 par l'Union soétique et un peu moins de 4 par l'Algérie. Or on estimait généralement A  l'époque que vers 1990 les productions néerlandaise et franA§aise auraient diminué et que le déficit A  couvrir pourrait atteindre 15 A  20 milliards de m3. La situation était able en Italie et en Allemagne.
Dans ces conditions, l'Europe occidentale estima devoir passer des contrats avec l'Union soétique pour la fourniture de gaz. Ces contrats furent conclus en 1981 entre le fournisseur soétique, Soyouz Gaz, et certains utilisateurs européens, essentiellement Gaz de France et Ruhr Gaz pour la République fédérale d'Allemagne.
Ce contrat, en ce qui concerne la France, prévoyait la fourniture de 8 milliards de m3 de gaz pendant ngt-cinq ans (s'ajoutant aux 4 milliards livrés en 1983 par l'Union soétique), ce qui correspondait, au total, A  peu près A  30 % de la consommation franA§aise de gaz ou A  5 % de la consommation totale d'énergie de la France.
Des contrats analogues sont passés au mASme moment en ce qui concerne l'Allemagne pour 10,5 milliards de m3 et plus tard avec l'Autriche et l'Italie. Au total, il s'agit de fournitures de l'ordre de 30 A  35 milliards de m3 de gaz par an, avec des livraisons A  commencer en 1984.
Pour assurer ces livraisons, il conent d'édifier un gazoduc de 4500 km depuis la Sibérie occidentale jusqu'A  la frontière tchèque. Un tel ouvrage implique la pose de tubes de 1,42 m de diamètre, et la construction de stations de réfrigération et de compression. Le coût approximatif du gazoduc est de 25 milliards de francs. Les contrats passés en 1981 atteignent 22,5 milliards (dont 4,5 milliards pour la France). Le système contractuel est le suivant : la firme soétique, Machin Import passe contrat avec deux - premiers contractants - : un consortium franco-allemand Crcusot-Loire-Mannesman et une firme italienne Nuovo Pignone. Chacun d'entre eux a de nombreux sous-traitants. C'est ainsi que les tubes doivent AStre fabriqués pour moitié au Japon, un quart en Allemagne et un quart en Italie. Les turbines, quant A  elles, sont réparties en deux groupes : 80 turbines doivent AStre fournies soit par Nuovo Pignone, soit par des sous-traitants du consortium Creusot-Loire-Mannesman, A  savoir les firmes AEG Kanis et John Brown Engineering. Par ailleurs, la firme franA§aise Alsthom Atlantique est chargée de livrer 40 turbines de rechange. Les compresseurs et stations de compression sont fournis par Creusot-Loire et par Dresser-France, firme installée en France, mais qui est une filiale A  100 % d'une entreprise américaine, Dresser Industry. Enfin, le système de gestion du gazoduc (c'est-A -dire l'informatique et le logiciel) ainsi que les télécommunications sont confiés A  Thomson CSF
Que l'on considère les -premiers contractants - ou, dans une moindre mesure, les sous-traitants, la construction du gazoduc semble donc A  première vue une ouvre principalement européenne. Mais l'industrie américaine joue en fait dans cette affaire un rôle non négligeable. Tout d'abord, certaines des firmes en cause (Dresser-France en particulier) sont des filiales de firmes américaines. Une première dépendance apparait donc au niveau des capitaux.
Par ailleurs, en ce qui concerne les turbines, seule Alsthom Atlantique en fabrique les rotors. Les autres firmes, italiennes, anglaises ou allemandes, se bornent A  fabriquer les stators et achètent A  General Electric, aux Etats-Unis, les rotors pour montage en Europe. Ainsi, 80 des rotors indispensables sont fabriqués aux Etats-Unis ; seules les 40 turbines de rechange d'Alsthom Atlantique sont tout entières de fabrication curo-pénne. Une deuxième dépendance doit donc AStre notée au niveau des fournitures.
Enfin, une troisième dépendance résulte de l'existence de licences, car si Alsthom Atlantique fabrique ses rotors en France, elle le fait sous licence de General Electric. De mASme, Thomson CSF travaille sous licence de Bettany, et Creusot-Loire sous licence de Cooper Industry.
Ainsi, donc, si les contrats conclus lient les entreprises soétiques importatrices avec des consortiums ou des firmes européennes, les firmes américaines jouent un rôle important dans cette affaire, soit parce qu'elles sont propriétaires de certaines entreprises européennes, soit parce qu'elles fabriquent certains équipements, soit enfin parce qu'elles possèdent les licences en vertu desquelles ces équipements sont fabriqués.


II. L'ACTION AMERICAINE



A. Ses fondements

L'action américaine dans cette affaire reposait sur un postulat, A  savoir le fait qu'il était souhaile, voire nécessaire, d'utiliser A  l'époque l'arme économique dans les relations est-ouest. A cela s'ajoutait au cas particulier une certaine hostilité des Etats-Unis A  l'égard du gazoduc pour plusieurs raisons avancées successivement :
- tout d'abord, le sentiment que ce gazoduc allait rendre l'Europe dépendante de l'Union soétique pour son approsionnement en gaz et plus généralement en énergie ;
» ensuite, la crainte que des transferts de technologies A  usage militaire soient opérés A  cette occasion au profit de l'Union soétique (par exemple en ce qui concerne le système de gestion du gazoduc) ;
» enfin, la perspective de voir augmenter les exportations de gaz et de pétrole soétiques (par substitution, dans ce dernier cas, de gaz au pétrole sur le marché intérieur). Une telle augmentation pouvait faire craindre l'accroissement des ressources en deses, donc celle des possibilités d'importations soétiques (ce qui pouvait conduire A  une amélioration de la position économique et géopolitique de Moscou).
Pour développer son action, Washington va s'appuyer sur la réglementation américaine du commerce extérieur qui est contenue dans une loi dénommée - Export Administration Act -, selon laquelle toute exportation des Etats-Unis est soumise en principe A  un régime de licence. Bien entendu, des prilèges d'exportation généraux peuvent AStre accordés pour éter d'avoir A  demander des licences au coup par coup. Mais la délivrance des licences peut elle-mASme AStre suspendue. La méconnaissance de cette réglementation est sévèrement sanctionnée au pénal (cinq A  dix ans de prison et amendes pouvant aller jusqu'A  cinq fois la valeur des exportations illégalement réalisées ou 100000 dollars). Elle l'est surtout au administratif (suspension ou révocation des licences en cours, ou mASme de l'ensemble des licences), ce qui est plus grave, puisque cela peut conduire A  l'inscription de certaines entreprises sur une sorte de liste noire leur interdisant en fait de commercer avec les Etats-Unis.

B. Ses modalités
Dans la pratique, dès la crise afghane (1978), les Etats-Unis décident d'appliquer, en ce qui les concerne, un système de licence aux exportations vers l'URSS de matériel de forage et de matériel de production de gaz et de pétrole produit sur leur territoire, ainsi que des données technologiques correspondantes (y compris les tracteurs permettant la pose des gazoducs).
Puis, A  la suite de la crise polonaise, les Etats-Unis, le 20 décembre 1981, étendent le système aux exportations vers l'Union soétique des matériels de transport et de raffinage et, lA  encore, de toutes les données technologiques correspondantes. Par ailleurs, ils font obligation, A  tout exportateur américain vers un pays tiers autre que l'Union soétique, de présenter un document par lequel leur co-contractant s'engage A  ne pas réexporter le matériel livré vers l'URSS. Ces mesures touchaient avant tout l'industrie américaine. Elles avaient cependant des conséquences pour l'industrie européenne, et plus particulièrement pour la construction du gazoduc. Pourquoi?
1A° En premier lieu parce que certaines opérations indispensables devraient AStre effectuées par des entreprises américaines, notamment la pose des tubes, qui devait initialement AStre réalisée par Caterpillar.
2A° En deuxième lieu parce que certains des matériels venaient des Etats-Unis, notamment les rotors des turbines. Or. en décembre 1981, date A  laquelle cette décision a été prise par Washington, 20 seulement des 80 rotors dont avaient besoin Nuovo Pignone ou le consortium Creusot-Loirc-Mannesman avaient été livrés par General Electric. Il en manquait donc 60.
3A° Enfin, les entreprises européennes sous licence avaient le plus souvent dans leurs accords de licence une clause selon laquelle la réglementation américaine du commerce extérieur en gueur A  la date de conclusion de l'accord, et parfois mASme la réglementation future, leur était applicable.
Elles s'étaient engagées de ce fait, dans certaines hypothèses au moins, A  respecter cette réglementation.
Cette première décision américaine soulevait donc un problème difficile pour l'industrie européenne et les acheteurs soétiques. Deux solutions étaient concevables :
» soit réduire le projet en diminuant le nombre de stations de compression et en n'utilisant que les 60 turbines se trouvant en Europe ou devant y AStre fabriquées (A  savoir les 20 turbines A  monter A  partir des rotors déjA  livrés par General Electric et les 40 A  construire par Alsthom Atlantique) ;
» soit maintenir le projet en recourant A  de nouveaux matériels et A  de nouvelles chaines en Europe. Mais, dans les deux cas, le retard présible pour la construction du gazoduc était de l'ordre de deux ou trois ans.
Ainsi, bien que ces premières séries de décisions n'aient sé apparemment que les entreprises américaines et non les firmes européennes, elles n'étaient pas sans conséquence sur la construction du gazoduc. Celle-ci ne devenait pas impossible, mais était rendue plus difficile.
Une nouvelle étape est cependant franchie le 22 juin 1982 lorsque les Etats-Unis décident, compte tenu des développements de la crise polonaise, d'étendre les mesures qu'ils avaient déjA  prises :
a) aux filiales A  l'étranger des entreprises américaines ;
b) aux équipements produits sous licence américaine par les entreprises étrangères.
Désormais, toute exportation vers l'URSS des matériels en cause est interdite en droit américain, mASme pour les fabrications réalisées en Europe, dès lors qu'elles sont le fait de filiales européennes d'entreprises américaines, ou dès lors qu'elles sont le fait d'entreprises européennes ayant passé des accords de licence avec les Etats-Unis.
Ce nouveau pas fait éclater la crise entre l'Europe et les Etats-Unis.


III. LE DIFFéREND ENTRE L'EUROPE ET LES éTATS-UNIS



A. La légalité des actions américaines

L'étude de ce différend implique tout d'abord une certaine appréciation sur la légalité des actions américaines. Est-ce que les Etats-Unis avaient ou non le droit d'imposer ce type de mesure hors de leur territoire ?
Le point de départ de la réflexion en ce domaine est la décision de la Cour permanente de justice internationale dans l'affaire du Lotus du 7 septembre 1927. La Cour a alors affirmé que, du fait de leur souveraineté, les Etats peuvent exercer toute compétence extraterritoriale qu'ils considèrent appropriée, pour autant qu'ils ne dépassent pas - les limites que le droit international trace A  leur compétence -. Pour ce qui est de ces limites, la Cour a ajouté que - la limitation primordiale qu'impose le droit international A  l'Etat est celle d'exclure tout exercice de sa puissance sur le territoire d'un autre Etat-. En d'autres termes, ce qu'on appelle fréquemment la compétence d'exécution extraterritoriale est certainement prohibé par le droit international.
Il est en conséquence exclu qu'un Etat puisse exercer une contrainte physique sur le territoire d'un autre Etat. Est de mASme exclu sur un tel territoire tout acte de souveraineté tel que enquAStes, signification de documents, audition de témoins, organisation d'élections, etc. Un Etat n'est autorisé A  prendre des mesures de ce type sur le territoire d'un autre Etat que, comme indiqué dans l'affaire du Lotus, - en vertu d'une règle permissive découlant du droit international cou-tumier ou d'une convention -.
La situation est moins nette lorsqu'on passe de la compétence d'exécution A  la compétence réglementaire, c'est-A -dire lorsqu'on s'interroge sur la compétence des Etats pour adopter des règles de droit ayant des effets extraterritoriaux. En ce domaine, la pratique est loin d'AStre cohérente, la doctrine est disée et aucune solution édente ne peut AStre dégagée de la jurisprudence.
Les législations A  portée extraterritoriale sont parfois justifiées par une interprétation large des compétences territoriales elles-mASmes. C'est ainsi qu'en matière de droit de la concurrence, les Etats-Unis se réclament de la - théorie des effets - et appliquent leur législation antitrust aux entreprises étrangères dès lors que les décisions de ces dernières produisent des - effets substantiels - sur le territoire américain.
Ces mASmes législations peuvent également AStre présentées comme des exceptions légitimes au principe de territorialité. Selon la doctrine américaine elle-mASme, de telles exceptions se regroupent autour de trois idées :
1A° En vertu du principe de protection, un Etat dont la sécurité est menacée peut AStre amené A  légiférer pour un territoire étranger; ses - lois de police - peuvent alors trouver A  s'y appliquer.
2A° Par application du principe d'universalité, les Etats peuvent réprimer certaines infractions particulièrement graves mASme en dehors de leur territoire (par exemple la piraterie maritime et, plus récemment, mais dans certaines limites, le faux monnayage).
3A° Enfin, du fait du principe de nationalité, les Etats ont une certaine compétence sur leurs ressortissants se trouvant A  l'étranger. Par exemple, en droit pénal franA§ais, les tribunaux franA§ais sont compétents pour connaitre de certaines infractions que pourraient commettre des ressortissants franA§ais hors du territoire national (articles 689 et suivants du Code de procédure pénale).
Les mesures prises par les Etats-Unis le 20 décembre 1981 avaient un certain aspect extraterritorial (du fait de l'engagement de non-réexportation exigé des firmes étrangères importatrices). Cet aspect était plus net encore dans les décisions du 22 juin 1982 appliquant la réglementation américaine A  des fabrications effectuées hors du territoire des Etats-Unis.
Pouvait-on justifier, en tout ou en partie, au regard du droit international, l'exercice de cette compétence extraterritoriale? La théorie des effets était sans application possible; le principe de protection trouvait d'édentes limites dans l'ordre public local; nulle compétence universelle ne pouvait AStre invoquée. Restait A  considérer si les filiales européennes des sociétés américaines concernées ne pouvaient pas AStre regardées comme ayant la nationalité américaine. Restait aussi A  s'interroger sur la portée et la validité des clauses contractuelles par lesquelles certaines firmes européennes s'étaient engagées A  l'avance A  respecter le droit américain ou certaines de ses dispositions.
Dans la première perspective, l'application du principe de nationalité soulevait de réelles difficultés tant au regard du droit international général que des engagements conventionnels en gueur.
Sur le premier point, on rappellera que dans l'affaire de la Barcelona Traction Light and Power Company Limited, la Cour internationale de justice a estimé, dans son jugement du 5 février 1970, que la Belgique ne pouvait exercer sa protection diplomatique dans un cas de nationalisation d'une société de droit canadien dont la majorité du capital appartenait A  des ressortissants belges.
Par ailleurs, les Etats-Unis avaient passé avec plusieurs pays européens des traités bilatéraux d'élissement selon lesquels, dans les rapports entre Etats signataires, les sociétés ont la nationalité du lieu de leur siège ou de leur constitution. De ce fait, les sociétés ayant leur siège en Europe ou constituées en Europe par des ressortissants américains devaient en principe AStre regardées comme ayant la nationalité des pays européens correspondants.
Quant aux contrats liant les firmes européennes aux entreprises américaines, leur portée et leur validité étaient sujettes A  débat.
Un tel débat s'est engagé aux Pays-Bas lorsqu'une société franA§aise, la Comnie européenne des pétroles, a demandé A  une société néerlandaise dénommée - Sensor -, qui était elle-mASme filiale au second degré d'une société américaine, de lui livrer certains matériels nécessaires pour la réalisation du gazoduc. La société Sensor a refusé en invoquant le droit américain et l'affaire a été portée devant le tribunal de La Haye. Le président de ce tribunal, le 17 décembre 1982, a rendu un jugement rappelant que le contrat entre la Comnie européenne des pétroles et la société Sensor était soumis au droit néerlandais et écartant l'application de la loi américaine en tant que - loi de police -. Le jugement en a déduit que la firme néerlandaise ne pouvait pas, dans ses relations contractuelles avec la société franA§aise, se prévaloir des mesures édictées par le président des Etats-Unis et qu'elle était par suite tenue d'assurer les livraisons auxquelles elle s'était engagée (jugement publié dans International Légal Materials, 1983, p. 66).


B. La réaction des Européens

Quelle que soit l'appréciation A  porter sur la légalité des décisions américaines au regard du droit international, ces décisions plaA§aient les entreprises et les gouvernements européens devant un choix difficile.
Les entreprises pouvaient livrer aux Soétiques les matériels prévus aux contrats : elles couraient alors le risque de sanctions américaines et notamment celui de urer sur la liste noire aux Etats-Unis. Mais, inversement, ne pas livrer, c'était courir des risques financiers importants, car les contrats passés avec les entreprises soétiques prévoyaient de lourdes indemnités en cas de retard ou de résiliation. Certes, les entreprises européennes pouvaient tenter d'invoquer la force majeure. Mais, en cas d'arbitrage, elles n'étaient pas certaines de l'emporter car les arbitres pouvaient estimer que la décision d'une régularité douteuse prise par un gouvernement étranger ne constituait pas un événement - irrésistible -.
Les gouvernements européens se trouvaient eux aussi devant des choix délicats en ce qui concerne A  la fois leur rataillement en énergie et l'emploi de leur population, dans la mesure où la construction du gazoduc permettait de remplir le carnet de commandes de leurs entreprises. Par ailleurs, l'affaire touchait de près A  leurs relations diplomatiques avec les Etats-Unis et l'Union soétique.
Entreprises et gouvernements refusèrent finalement d'appliquer les mesures américaines.
Ce refus général s'est traduit dans une première phase par des déclarations de principe. C'est ainsi qu'A  l'issue du Conseil des ministres franA§ais, le 11 juillet 1982, le gouvernement précise : - Les contrats conclus par les sociétés franA§aises pour la construction du gazoduc d'Ourengoj doivent AStre honorés. Les livraisons prévues en 1982 devront AStre effectuées en temps voulu. - En mASme temps, des démarches diplomatiques sont effectuées auprès des Etats-Unis, notamment par la Commission des communautés européennes, agissant au nom des Dix, qui dépose une note au Département d'Etat, le 12 août 1982 (note publiée dans International Légal Materials, 1983, p. 891 ).
Au juridique, ce refus d'application prend des formes différentes selon les pays. Il est tantôt le fait des entreprises qui considèrent que les mesures américaines sont par elles-mASmes illégales et qu'elles n'ont pas A  les exécuter, tantôt le fait des gouvernements qui adoptent des décisions imposant A  leurs entreprises de respecter leurs contrats de livraison.
C'est la première solution qui est utilisée en Allemagne et en Italie ; c'est la seconde qui est employée en Angleterre et en France. En France, le gouvernement a recours A  l'ordonnance du 6 janer 1959 sur les réquisitions, qui dispose, en son article 1er :
La fourniture des prestations de biens et serces nécessaires pour assurer les besoins du pays dans les cas prévus par la loi peut AStre obtenue soit par accord amiable, soit par réquisition.
Par voie de conséquence, le ministre de l'Industrie, le 23 août 1982, réquisitionne Dresser-France, - en vue d'assurer la fabrication et la livraison de tous les compresseurs et autres matériels prévus au contrat en date du 28 septembre
1981 qui la lie A  Machin-Import et Creusot-Loire - (et de ceux relatifs aux transferts de technologie). L'entreprise est tenue de déférer A  cet ordre de réquisition sous peine de sanctions pénales. Elle peut éventuellement AStre indemnisée du préjudice résultant pour elle de cet ordre conformément au droit des réquisitions.
En Angleterre, des mesures analogues sont prises en application du Protection of Trading Interest Act de 1980, modifié en 1982, qui. en sa section I, donne pouvoir au secrétaire d'Etat au Commerce, en cas de mesures extraterritoriales prises par un pays étranger dans le domaine du commerce international et portant préjudice aux intérASts commerciaux du Royaume-Uni, de le constater et de donner les ordres nécessaires aux entreprises britanniques. Un ordre du 30 juin
1982 constate que les décisions américaines entrent bien dans les présions de la loi de 1980. Puis des directives indiduelles sont adressées aux firmes leur interdisant sous peine d'amendes de se plier A  l'embargo.
A la suite de ces diverses décisions, dans le courant du mois d'août, les firmes européennes intéressées, c'est-A -dire Dresser-France pour les compresseurs, puis John Brown Engineering, Nuovo Pignone et AEG Kanis pour les turbines, procèdent aux exportations prévues vers l'URSS.
Ces livraisons amèneront les Etats-Unis A  prendre des sanctions contre les entreprises européennes et cette escalade conduira elle-mASme au dénouement de la crise.

C. Les nouvelles sanctions américaines et le dénouement de la crise
D'août A  octobre 1982, les autorités américaines vont, au fur et A  mesure des exportations européennes, adopter de telles sanctions. Le 26 août, elles révoquent tous les prilèges d'exportation de Dresser-France, de Crcusot-Loire et de ses filiales, ce qui implique l'interdiction pour toute firme américaine de vendre A  ces entreprises tous produits, serces ou technologies américains.
Puis les mASmes mesures sont prises pour Nuovo Pignone et sa filiale Inso le 4 septembre, pour John Brown Engineering le 9 septembre, et pour AEG Kanis et deux de ses filiales le 6 octobre. Mais elles sont restreintes au seul secteur du pétrole et du gaz. Les décisions adoptées A  l'encontre des entreprises franA§aises sont en mASme temps alignées sur celles touchant les autres firmes européennes. Elles ne comportent dans tous les cas aucune restriction géographique. C'est ainsi que, le 9 octobre, la douane de New York placera sous séquestre quatre turbines fabriquées par General Electric pour Nuovo Pignone et destinées non pas au gazoduc euro-sibérien, mais A  un gazoduc devant relier l'Algérie et l'Italie. Il s'agit donc bien d'une interdiction générale d'exportation dans le secteur du pétrole et du gaz vers les entreprises européennes en cause. Cette interdiction présente, en principe, un caractère temporaire, dans l'attente des mesures définitives, mais elle est immédiatement applicable. Un débat contentieux se noue immédiatement. Dresser-France et Creusot-Loire demandent au juge américain, statuant en référé, de suspendre les mesures prises par le gouvernement des Etats-Unis, compte tenu du préjudice qui en résulte pour eux et des contraintes nées pour ces entreprises de l'ordre de réquisition franA§ais auquel elles ne peuvent échapper, la décision du gouvernement franA§ais constituant une foreign compulsion. Mais l'administration américaine, de son côté, plaide que les firmes franA§aises et le gouvernement franA§ais étaient de connivence et qu'en réalité les firmes avaient plus ou moins provoqué cette mesure de réquisition pour échapper A  leurs obligations en droit américain.
Le 17 septembre, la Cour du district de Columbia (c'est-A -dire du district dans lequel se trouve Washington) rejette la demande de Dresser-France, en soulignant qu'elle ne peut accorder une injonction A  l'encontre de l'administration que dans des cas exceptionnels, et qu'en l'espèce les conditions requises ne sont pas remplies. Certes, reconnait la Cour, les mesures adoptées A  l'encontre de Dresser-France sont susceptibles de lui causer un préjudice important, mais il conent de er ce préjudice avec celui qui résulterait pour d'autres parties de l'injonction sollicitée. Or, une telle injonction causerait un préjudice irréparable A  l'intérASt public des Etats-Unis. Dès lors, il n'y a pas lieu en l'espèce d'agir par voie de référé.
Ce débat contentieux est prosoirement sans issue, puisque le juge européen estime les décisions américaines non applicables hors des Etats-Unis et que le juge américain se refuse A  suspendre ces décisions.
En réalité, le dénouement sera politique. Les initiatives du président Reagan n'avaient pas fait l'unanimité aux Etats-Unis et avaient notamment été critiquées A  la Chambre des représentants et dans les milieux patronaux par la National Association of Manufacturers. Bien plus, les inconvénients de ces mesures apparaissaient de plus en plus nombreux : alors que les dommages qui en résultaient pour l'URSS demeuraient limités, ces dommages allaient en s'accroissant pour l'industrie américaine et dans les relations entre membres de l'Alliance atlantique. Certains commentateurs soulignaient que les sanctions contre l'URSS étaient finalement devenues des sanctions contre les alliés des Etats-Unis.
Compte tenu des échanges de vue organisés avec ces derniers et de l'évolution de la situation en Pologne (c'est A  cette époque que M. Walesa est libéré), le président Reagan décida donc, le 13 novembre 1982, d'abroger les mesures prises par lui les 30 décembre 1981 et 22 juin 1982. On en revenait donc purement et simplement au droit applicable antérieurement: les licences n'étaient plus exigibles que pour les matériels de forage et de production et non pour les matériels de transport (sauf application des règles COCOM). Ce droit devait d'ailleurs AStre assoupli par la suite, puisque, le 20 août 1983, l'exportation des tracteurs permettant la pose des gazoducs était A  son tour autorisée.


CONCLUSION

Cette affaire montre en premier lieu que la définition traditionnelle du droit international public demeure valable : l'Etat est avant tout un territoire et une population sur lesquels s'exerce une souveraineté. Mais, par ailleurs, les relations économiques et financières internationales se sont aujourd'hui multipliées; elles transcendent les frontières et ne laissent pas les Etats indifférents. Il en résulte nécessairement des rapports interétatiques complexes qui peuvent mener A  des conflits d'intérASts, de compétence et de puissance.
La seconde leA§on, c'est que les sanctions économiques sont extrASmement difficiles A  mettre en ouvre par un seul pays, si important soit-il. Les entreprises sont toujours tentées de les tourner et les Etats qui décident de sanctions sont par voie de conséquence amenés A  les généraliser. Mais ils se heurtent alors A  la souveraineté des Etats tiers et risquent d'entrer en conflit avec ces derniers ou de devoir renoncer A  leurs projets initiaux. L'expérience devait au cas particulier le montrer, puisque le gazoduc fut en définitive achevé en 1984 et que les livraisons soétiques du gaz d'Europe occidentale purent alors commencer.



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