' Tout en lui conservant estime et respect, il est difficile, A l'heure actuelle, d'évaluer le rôle de
la Cour internationale de justice sans AStre - désagréable - A son égard ou au moins critique.
On notera, tout d'abord, que la Cour de La Haye est une Cour qui est peu occupée. La C.PJ.I. de 1922 A 1940 avait rendu 27 avis consultatifs et 29 jugements. La C.U., de son côté, de 1946 A 1988, a rendu 43 jugements et, jusqu'A cette date, 19 avis consultatifs. On s'aperA§oit que, pour la Cour de La Haye, le nombre des affaires qui lui sont soumises va en décroissant, et ceci dans une proportion marquée. C'est ainsi que le faible lume des affaires portées devant la C.IJ. constitue une préoccupation de l'Organisation des Nations Unies depuis déjA assez longtemps. Dans le passé, plusieurs résolutions de l'O.N.U., déplorèrent cette situation de relative inactivité de la Cour.
C'est également ce que fit plus récemment la Déclaration de Manille sur le règlement pacifique des différends (on pourra consulter A co propos Constantin Economidès, La Déclaration de Manille, A.F.D.I. 1982, p. 615).
On peut aussi remarquer que la Cour a été saisie, bien souvent, de questions mineures. Il en alla ainsi, par exemple, de l'affaire des Minquiers et Ecrehous entre la France et la Grande-Bretagne, des incidents aériens dont a été saisie la Cour dans les années 50. Il en alla de mASme des questions d'interprétation de la Charte de l'O.N.U. ou d'Organisations internationales.
Lorsque la Cour a été saisie d'affaires qui avaient une importance politique ou
économique majeure (telles que l'affaire du Sud-Ouest Africain en 1966 ou l'affaire des essais nucléaires franA§ais dans le Pacifique sur le politique, ou l'affaire de la Barcelona Traction sur le économique), elle a donné des solutions contesles et contestées : ce fut le cas de l'arrASt du 24 février 1982 rendu dans l'affaire du plateau continental entre la Tunisie et la Libye qui ne permit pas A la Cour de se concilier les faveurs du Tiers-Monde (ir A ce sujet S. Gharbi, Pétrole amer. J. Afr., 10-3-l982, p. 24 ; Y. Ben Achour, L'affaire du plateau continental tuniso-libyen, J.D.I. 1983, nA° 2, p. 247), mais également de l'arrASt du 26 novembre 1984 dans l'affaire Nicaragua/Etats-Unis (Rec. C.IJ. 1984, p. 169), qui valut A la C.IJ. de sévères critiques américaines (ir I.L.M. 1985, 249).
Cela étant, on peut présenter deux remarques générales et finales sur le rôle de la Cour. Celui-ci apparait comme étant relativement mineur dans la
société internationale, alors qu'il demeure majeur pour le développement de son droit.
A§ 1 ' Un rôle mineur dans la société internationale contemporaine.
Les explications relèvent de plusieurs ordres : politique, technique ou juridique.
1 ' Les raisons politiques.
' Il existe actuellement ' force est de le reconnaitre ' une défiance quasi générale A l'égard des juges de La Haye, défiance qui provient de presque toutes les catégories de pays et, bien entendu, pour des raisons opposées. C'est ainsi que les pays socialistes ' et c'est l'Union Soviétique qui a lancé cette tradition malheureuse ' refusent systématiquement de reconnaitre la
compétence de la Cour, car ils estiment que l'on est ici en présence d'une institution trop - bourgeoise -. De leur côté, les pays du tiers-monde estiment que la Cour est, elle, trop occidentale ; ainsi, ils sont rarement apparus devant la Cour pour lui demander de régler leurs différends. Il y eut, sans doute, quelques exceptions avec des affaires qui opposèrent le Pérou A la Colombie, l'Inde au Pakistan, le Cambodge A la Thaïlande, ou tout récemment la Tunisie A la Libye. Mais ceci demeure l'exception. Souvent, et dans les affaires les plus importantes, ils sont apparus - comme défendeurs devant la Cour : ainsi l'Iran, le Liban ou l'Egypte. De leur côté, les pays occidentaux ne sont pas satisfaits non plus du rôle actuel de la Cour et surtout de son élution ; ils estiment que la C.IJ. est maintenant trop orientée, surtout en raison des recrutements de ces dernières années, vers les pays du tiers-monde ; et ils sont ainsi réticents A se soumettre A sa juridiction obligatoire, et, plus encore, A lui donner des affaires. C'est ainsi, par exemple, que dans l'affaire de la Mer d'Iroise, qui a opposé la Grande-Bretagne A la France il y a quelques années, il fut décidé de recourir A l'arbitrage et non de soumettre l'affaire au contentieux devant la C.U., comme cela avait été fait dans le passé pour les Minquiers et les Ecrehous. De mASme, dans l'affaire dite du - Golfe du Maine -, les Etats-Unis et le Canada s'abstinrent de soumettre leur différend A la Cour en formation plénière, et demandèrent la formation d'une chambre spéciale dont ils obtinrent de contrôler étroitement la composition (ir aussi supra, nA° 1437). D'autres Etats ' développés comme en ie de développement ' tendent A utiliser cette dernière ie pour régler leurs différends : ce fut le cas du Mali et du Burkina Faso, c'est actuellement le cas de l'Italie et des Etats-Unis et du Salvador et du Honduras. Cette régionalisation fonctionnelle de la C.IJ., si elle devait s'accentuer, risquerait d'accroitre la méfiance A l'égard de la Cour dans sa formation plénière, mASme si elle en est la manifestation parfois trop éclatante.
2 ' Les raisons techniques.
' Tout d'abord, c'est la compétence des juges ou, au moins, de certains d'entre eux, qui est contestée, ire leur indépendance. Ainsi, on a noté qu'il y avait des orientations politiques très marquées de la part de certains juges de la Cour. C'est ainsi que la Cour, avec son nouveau recrutement, a beaucoup élué entre celle qui a rendu le dernier arrASt sur le Sud-Ouest Africain de 1966 et celle qui a rendu l'Avis consultatif sur la Namibie de 1971 ou celle qui a connu de l'affaire des essais nucléaires franA§ais en 1974.
On estime aussi qu'il serait sans doute opportun que la Cour se constitue en chambres régionales composées alors des seuls juges appartenant A un ensemble géographique donné. Quinze juges A cation universelle ne sont pas sans doute les mieux armés pour trancher des litiges qui peuvent AStre techniques ou spécifiques A certains pays. Par conséquent, il faudrait peut-AStre s'orienter vers la constitution de nouvelles formations au sein de la Cour.
On fait spécialement valoir contre la Cour sa très grande lenteur. Par exemple, dans l'affaire de la Barcelona Traction, elle mit 8 ans pour arriver A rendre son arrASt qui mettait fin A la phase conten-tieuse- En moyenne, on a compté qu'il fallait 3 ans pour que la Cour fasse connaitre Sa décision. Sur ce point la Cour a réagi plusieurs fois : elle estime que la lenteur dont on l'accuse ne lui est pas impule mais est le fait des parties qui lui demandent des délais abusifs.
Enfin, on a noté que la procédure devant la Cour était particulièrement lourde donc coûteuse, et qu'il s'agissait peut-AStre lA d'un luxe dont on pouvait se passer.
3 ' Les raisons juridiques.
' Ces raisons sont propres A la Cour et A son Statut. D'abord, on peut noter que la saisine de la Cour est limitée. En effet, Organisations internationales et
personnes privées ne peuvent pas paraitre au contentieux devant elle ; et c'est inconteslement lA sa lacune la plus grave ; et, de surcroit, il s'agit lA d'une exclusion qui ne correspond plus A l'état ' sans parler des besoins ' de la société internationale contemporaine.
On fait valoir que la clause facultative de juridiction obligatoire, celle de l'article 36, al. 2 connait un déclin certain. On rappelle que peu d'Etats y ont souscrit, et que des Etats qui, traditionnellement, l'acceptaient, comme la France ou les Etats-Unis, l'ont retirée. Mais c'est lA critiquer la politique des Etats et non la Cour et ses mécanismes. De mASme, lorsque les Etats acceptent la juridiction obligatoire de la Cour par le biais de la déclaration facultative, ils viennent tempérer cette reconnaissance de réserves importantes. Cette généralisation de réserves majeures est une illustration malheureuse de la confiance limitée qui est faite par les Etats A la Cour.
On notera aussi que la Cour de La Haye subit actuellement la très forte
concurrence des tribunaux régionaux comme la Cour de justice des Communautés Européennes dans le cadre du
droit communautaire ou la Cour européenne des droits de l'homme. Elle connait aussi actuellement la concurrence très redoule de l'arbitrage international qui, nous l'ans signalé, est dans une phase de plein renouveau, aussi bien dans un cadre bilatéral que multilatéral.
Enfin, il se développe des - solutions diplomatiques - de règlement des différends, notamment A l'intérieur des Organisations internationales de type économique comme, par exemple, le G.A.T.T. ou le F.M.I., qui jouent au détriment du règlement juridictionnel.
En bref, toutes ces raisons qui se cumulent s'expliquent par une considération fondamentale que nous ans souvent présentée. La société internationale qui est actuellement fondée sur 160 Etats, sans parler de la société transnationale qui se compose en plus des personnes privées, des Organisations internationales et des O.N.G., cette société interétatique est d'une hétérogénéité telle qu'il n'est guère possible de la ir, en dernier ressort, accepter d'AStre jugée par une juridiction unique censée statuer sur la base d'un
droit universel commun qui est bien souvent contesté dans son contenu.
A§ 2 ' Un rôle majeur dans le développement du droit interna-tional contemporain.
' On est ici en présence de l'apport le plus important de la Cour de La Haye sur lequel il est impossible de s'étendre en détail et où il faudra se contenter de donner les principales - tAStes de chapitre -.
La Cour de La Haye a apporté des contributions fondamentales sur les points suivants : l'interprétation et la validité des traités, les réserves aux traités, la définition de la coutume, le
régime juridique des actes unilatéraux, la formulation des principes généraux du droit, le rôle de l'individu comme sujet du
droit international, la précision de la personnalité internationale des Organisations internationales, le développement et l'usage de la théorie des pouirs implicites, la responsabilité internationale et la souveraineté de l'Etat, la nationalité des personnes physiques, des personnes morales et des navires, le droit de la mer (délimitation de la mer territoriale, délimitation des plateaux continentaux contigus) etc.
Dans certains de ces domaines essentiels, la Cour ' et nous ans eu l'occasion de le signaler en son temps ' a inspiré la Commission du droit international dans ses efforts de codification du droit international; elle a contribué A préciser l'existence et les contours de certaines normes fondamentales de la Communauté internationale. Il y a lA ' et A ce seul titre ' une justification suffisante A l'existence d'une Cour internationale de justice, mASme aussi peu occupée que celle-ci.