Avec l'évolution qualitative de la demande de trail, orientée très largement vers le trail qualifié, la notion de
marché du trail unique explose ; on parle de marché dual. Schématique-ment, ce concept renvoie A la coexistence de - bons - et de - mauis boulots -, les fameux good jobs et had jobs si célèbres aux Etats-Unis, au sein d'une mASme économie et souvent A l'intérieur mASme des firmes [Saint-Paul, 1996]. Un timent du marché est
marqué par un excès d'offre de main-d'œuvre (non qualifiée), tandis que l'autre connait une vérile pénurie de trailleurs (qualifiés). Or, l'inertie de l'offre globale de trail empASche de rapides transferts de main-d'œuvre entre ces timents.
Ce phénomène n'est certes pas nouveau, mais l'ouverture tend manifestement A creuser le fossé entre ceux qui détiennent une qualification, les manipulateurs de symboles, ou les tenants de l'immatériel pourrait-on dire aussi, et ceux qui n'en ont pas, A savoir les exécutants, les opérateurs, aux statuts de plus en plus précaires. Au-delA des phénomènes de spécialisation, comment la
mondialisation renforce-t-elle la dualité des
marchés du trail ? La sensibilité de l'emploi A son coût a-t-elle évolué ? Les destructions d'emplois liées A la mondialisation peuvent-elles AStre limitées par un mécanisme de prix classique ? Les états-Unis, avec un marché du trail plutôt flexible, sont-ils alors mieux armés que l'Europe pour éviter les pertes d'emplois non qualifiés et mieux absorber le choc de la mondialisation ?
1. L'érosion des monopoles : quelles conséquences pour l'emploi ?
Le renforcement de la
concurrence lié A l'ouverture des économies a brisé nombre de monopoles nationaux. La réduction, voire la disparition des rentes, ou superprofit, qui en découle n'est pas neutre concernant le fonctionnement du marché du trail. Nous allons tenter d'éluer l'importance de ce phénomène.
Renforcement de la concurrence et réduction des rentes de monopole
L'existence mASme de ces rentes est bien admise, du moins dans les années 1970 et 1980. Une partie de ces rentes est captée par les trailleurs via la négociation. Elles sont donc A la base d'une disparité sectorielle de salaire pour des trailleurs aux caractéristiques individuelles pourtant identiques.
Ainsi, on constate au début des années 1980 que les secteurs manufacturiers américains des biens durables, de la chimie et des produits miniers offrent des
salaires supérieurs A ceux des autres secteurs. Aux deux extrémités de la distribution sectorielle, on note que dans le secteur du pétrole le salaire moyen dépasse de 29 % le salaire moyen de l'ensemble des quarante secteurs, alors que dans celui des services privés aux ménages le salaire moyen est fixé 36 % plus bas que celui de l'ensemble des autres secteurs. Rappelons que. dans tous les cas, sont considérées les différences entre les individus (genre, age. race, qualification, expérience, etc.). On élit un constat équilent dans l'ensemble des grands pays industrialisés (Geroski et al.. 1996).
Deux causes principales expliquent ces disparités. Les études économétriques réalisées au niveau de la branche élissent une corrélation positive entre majorations de salaire, concentration des secteurs et taux de syndicalisation. Au niveau individuel cette fois, la syndicalisation permet d'obtenir une rémunération supérieure aux Etats-Unis et au Royaume-Uni [Blanchflower, 1997]. Mais ce sont principalement les traux désagrégés au niveau de ia firme qui donnent les résultats les plus concluants. Le pouvoir de marché de la firme semble alors avoir un rôle déterminant dans les écarts de salaire. Le rôle du taux de syndicalisation est un peu plus ambigu. Le taux de syndicalisation a un impact positif sur le salaire seulement si le secteur est concentré. En fait, cela parait assez logique. Le syndicat ne joue un rôle dans le partage de la rente entre la firme et les salariés que lorsque cette rente existe. Ce qui fonde vérilement l'existence de la rente, c'est le pouvoir de marché de la firme. Ce qui fait ensuite que les trailleurs pourront s'accaparer une fraction de cette rente, c'est le syndicat.
Si cette analyse se vérifie correctement dans les pays anglo-saxons, cela reste moins vrai pour la France. Selon les traux d'Abowd et Allain [19961. qui utilisent des
données d'enquASte sur les politiques de rémunération des firmes franA§aises, les rentes par employé en France seraient nettement influencées par le pouvoir de
négociation des trailleurs, tandis que le pouvoir de marché de la firme n'intervient que très marginalement.
En outre, quels que soient les pays concernés, l'évolution mASme des rentes est sujette A caution. Certes la mondialisation et le renforcement de la concurrence qui s'ensuit ont érodé les positions hégémoniques des nombreux monopoles nationaux et donc leurs superprofits. En renche, les secteurs offrant naguère des salaires supérieurs ont continué A le faire ensuite. Ainsi, les excès de rémunération obtenus dans certains secteurs américains en 1979 sont équilents A ceux mesurés en 1990 [Lawrence, 1996J. Cela signifie que le pouvoir des syndicats serait encore significatif. La mondialisation n'aurait donc pas réellement affecté le niveau des rentes par salariés. Pour autant, son rôle sur l'affaiblissement des monopoles n'est pas sans conséquences pour les trailleurs.
La perte des good jobs
» Description du mécanisme inégalitaire
Les traux de Borjas et Ramey [1995] formalisent dans un cadre d'équilibre général l'impact de l'ouverture aux échanges sur les inégalités salariales via l'érosion des positions monopolistiques dans certains secteurs.
Ce modèle s'appuie sur un constat empirique concernant les secteurs de biens durables américains. D'abord, ces secteurs sont les plus concentrés. Les superprofits y sont donc importants. Ensuite, ils emploient relativement intensivement du trail non qualifié et le taux de syndicalisation y est plus fort que dans le reste de l'économie. Les syndicats veillent attentivement au partage de ia rente. Enfin, ces secteurs manufacturiers ont été les plus soumis A la concurrence internationale et notamment A celle des pays A bas salaires.
Le modèle de Borjas et Ramey comprend un secteur de biens durables ayant les caractéristiques énoncées plus haut et un secteur au fonctionnement parfaitement concurrentiel. Pour simplifier l'analyse, il considère deux facteurs de production : le trail qualifié et le trail non qualifié. Le- secteur des biens durables n'embauche que des trailleurs non qualifiés. Dans le secteur
concurrentiel les profits sont nuls et les trailleurs perA§oivent un salaire A hauteur de leur
productivité marginale. A l'inverse, les trailleurs dans le secteur des biens durables perA§oivent en plus une rente, A savoir une fraction du superprofit de la firme. La résolution du modèle montre qu'une hausse des importations de biens durables réduit le salaire relatif des trailleurs non qualifiés, et ce d'autant plus que le secteur des biens durables est concentré, donc que le superprofit est fort. Trois effets justifient conjointement ce résultat.
Premièrement, la hausse des importations de biens durables implique une réduction des superprofits pour les producteurs nationaux. La rente captée par les trailleurs non qualifiés se réduit donc d'autant et leur salaire avec. Deuxièmement, la production et donc l'emploi se contractent dans le secteur des biens durables sous l'effet des importations. La réduction de l'emploi signifie que la part des trailleurs non qualifiés percent une rente se réduit dans l'économie. En effet, les trailleurs non qualifiés qui passent du secteur des biens durables au secteur concurrentiel perdent la rente et viennent grossir le nombre des trailleurs non qualifiés ne percent pas de rentes. Cela diminue d'autant la rémunération relative moyenne du trail non qualifié. Troisièmement, ce transfert de main-d'œuvre entre les deux secteurs correspond A une hausse de l'offre de trail non qualifié adressée au secteur concurrentiel. Par définition dans ce secteur, cela se traduit par une baisse de la rémunération de ce facteur.
En résumé, on assiste A une réduction du nombre des meilleurs emplois, A une réduction de leur rémunération ainsi qu'A une baisse du salaire concurrentiel. Ce triple effet explique le lien négatif entre les importations de biens durables et le salaire relatif moyen des trailleurs non qualifiés. Qu'en est-il cependant au empirique ?
2. Mondialisation et sensibilité de l'emploi au coût du trail
Dans le cadre d'un marché du trail dual. notamment sous l'effet de la mondialisation, on peut se demander si les volumes d'emplois qualifiés et non qualifiés répondent A l'identique A leurs riations respectives de coûts. Cette interrogation a deux justifications. D'une part, la diminution du pouvoir de négociation des trailleurs non qualifiés les rend normalement plus vulnérables A des hausses exogènes de leur coût. Les trailleurs qualifiés étant dans la situation inverse. D'autre part, et surtout, la mondialisation crée une substituabilité de fait entre les trailleurs A l'échelle mondiale. En effet, les producteurs peuvent arbitrer parmi leurs choix de localisation internationale suint, entre autres, les coûts salariaux de chaque zone. Ensuite, les consommateurs arbitrent également entre les produits nationaux et importés suint leurs prix. En choisissant un produit importé parce qu'il est moins cher, ils substituent des trailleurs étrangers aux trailleurs nationaux. Dès lors, la mondialisation, via le
commerce international, les investissements directs A l'étranger et autres délocalisations, devrait accroitre la sensibilité de l'emploi au coût du trail. On peut penser que l'intégration des pays du Sud, formidable réservoir d'emplois peu qualifiés, dans le commerce mondial pénalise en priorité les trailleurs non qualifiés du Nord.
Deux questions sont donc posées. L'emploi non qualifié est-il devenu plus sensible A son coût que l'emploi qualifié ? Quel rôle joue la mondialisation dans l'évolution de ces sensibilités ?
Le rôle de la qualification dans la sensibilité de l'emploi A son coût
La plupart des études empiriques concluent A une faible sensibilité du trail A son coût. Les leurs d'élasticité, qui mesurent le pourcentage de riation d'emplois dû A une hausse de 1 % du coût réel du trail, toutes choses égales par ailleurs, seraient certes négatives mais proches de zéro. Selon l'importante recen-sion d'études couvrant un nombre élevé de pays effectuée par Hamermesh [1993], l'élasticité emploi-coût salarial de long terme serait comprise, suint les cas, entre - 0,75 et - 0,15, la leur la plus vraisemblable A ses yeux s'élissant A - 0,3.
Dès lors que l'on ne considère plus le trail comme un facteur de production unique, mais que l'on distingue les trailleurs qualifiés des trailleurs non qualifiés, les résultats évoluent sensiblement. En effet, le trail qualifié et le trail non qualifié réagissent différemment A une riation de leur coût relatif. Le trail qualifié aurait plus un caractère de facteur fixe que le trail non qualifié [Gautié, 1998]. La plupart des études internationales font apparaitre le
capital et le trail qualifié comme des facteurs de production complémentaires [Hamermesh, 1993]. A l'inverse, le trail non qualifié serait relativement substituable A la fois au capital et au trail qualifié. Dans le cas franA§ais, la substituabilité entre qualifié et non qualifié serait mASme assez prononcée [Mihoubi, 1997]. La complémentarité du trail qualifié avec le capital protège alors en partie les trailleurs qualifiés d'une trop forte dégradation de l'emploi lorsque leur coût augmente. Les trailleurs non qualifiés ne bénéficient pas de cette protection - naturelle -.
De fait, Hamermesh élit que l'élasticité de la demande conditionnelle de trail est inversement proportionnelle au niveau de qualification. Les leurs s'étalent entre - 0,1 et - 1,1 pour les trailleurs qualifiés, tandis qu'elles sont comprises entre - 0,2 et - 2,3 pour les non-qualifiés. Dormont et Pauchet [1997] ont également testé cette hypothèse de sensibilité des leurs d'élasticité au niveau de qualification. Elles ont régressé les demandes de trail issues de deux modèles microéconomiques différents (modèle de concurrence monopolistique et modèle avec contrainte sur les débouchés) A partir d'un échantillon de 894 entreprises industrielles franA§aises sur la période 1979-l990. Les résultats mettent alors en évidence que les élasticités décroissent, en leur absolue, lorsque le degré de qualification de la main-d'œuvre augmente.
A€ long terme la relation entre niveau de qualification et leur des élasticités est en renche moins bien élie, sans doute parce que les délais d'ajustement du trail qualifié A son coût sont plus long que ceux concernant le trail non qualifié [Dormont et Pauchet, 1997]. Cela s'explique par une gestion A plus long terme du
capital humain. Les délais d'ajustement de l'emploi A son coût dépendent également des pays considérés [Gautié, 1998]. En particulier, ils sont plus courts aux états-Unis (moins d'un an pour réaliser la moitié de l'ajustement total) qu'en Europe et au Japon (de deux A trois ans). Reste A savoir comment la mondialisation influence l'évolution de ces leurs d'élasticité.
Le rôle de la mondialisation dans la sensibilité de l'emploi A son coût
Nous avons déjA indiqué que la mondialisation doit, en théorie, rendre l'emploi plus sensible A son coût. En particulier, le commerce Nord-Sud doit conduire A une hausse de la sensibilité de l'emploi non qualifié A sa rémunération (cf. l'encadré p. 76).
Pour autant, peu de traux permettent de corroborer cette intuition. Pour l'Italie, Faini et al. [1998] révèlent, A partir d'une étude sur quatorze secteurs manufacturiers, un impact faible du commerce international sur l'élasticité de la demande de trail entre 1985 et 1995. Dans le cas britannique, Greenaway et al. [1998] n'identifient, pour leur part, aucun effet significatif du commerce sur cette élasticité. Néanmoins, ces études ne distinguent pas les trailleurs qualifiés des trailleurs non qualifiés. Les élasticités concernent l'emploi total.
Le trail de Slaughter [2001 ] concernant la situation américaine pallie cette lacune. L'étude révèle que la sensibilité de l'emploi qualifié A son coût est sle entre i960 et 1990. Au contraire, la sensibilité de l'emploi non qualifié A son coût augmente entre les mASmes dates. Ce résultat dépend cependant des conurations du modèle économétrique. Les résultats sont donc insuffisamment robustes pour corroborer pleinement l'hypothèse d'un impact significatif des échanges sur les leurs d'élasticité.
La conclusion d'une absence de lien entre commerce et élasticité prix du trail, y compris du trail non qualifié, semble donc s'imposer A la vue de cet ensemble de résultats. Néanmoins, ces traux souffrent également de critiques communes : ils reposent implicitement sur le test d'élasticité prix de la demande de trail émanant des firmes. Or, aucune de ces études ne se fonde sur des données désagrégées au niveau de la firme. En outre, ce qui importe sur le macroéconomique, c'est l'évolution de l'élasticité prix agrégée bien plus que de l'élasticité individuelle des firmes.
A€ la différence des traux précédents, Jean [2a00aJ a construit un modèle permettant d'intégrer des riables d'échanges dans le test d'une telle élasticité. Son étude du cas franA§ais pour les années 1977, 1985 et 1993 renverse les résultats précédents. Suint les paramètres de son modèle théorique sous-jacent et suint les années, il montre que l'élasticité de la demande de trail non qualifié augmente de 10 % dans l'hypothèse basse et triple dans l'hypothèse haute, lorsqu'on intègre des riables de commerce dans l'équation. Cette approche notrice souligne donc l'importance du lien potentiel existant au macro
économique entre commerce international et sensibilité de l'emploi non qualifié A son coût. D'autres traux originaux permettent également de déceler un lien important. Ils ne s'appuient pas sur l'intensité des échanges mais sur celle des IDE.
L'étude de Hatzius |2000] révèle une hausse substantielle de l'élasticité prix de la demande de trail de long terme au Royaume-Uni et en Allemagne entre 1980 et 1993. Il associe cette hausse principalement aux riations des flux d'IDE entrants et sortants en réaction aux riations du coût du trail. Il montre clairement que l'augmentation du coût du trail accroit les flux d'IDE sortants et réduit les flux entrants, déprimant ainsi la demande de trail.
Plus précisément, avec les chiffres de 1993 dans le cas anglais, une hausse de 1 % du coût unitaire du trail justifierait une sortie nette d'IDE de 139 millions de livres dans le secteur manufacturier, soit 1,7 % de l'investissement total de ce secteur. Cette baisse de l'investissement, si elle se répète d'année en année (donc si le coût du trail augmente de I % chaque année), conduit A un stock de capital dans le secteur manufacturier plus faible de 1,7 % par rapport A ce qu'il aurait été sinon. Sous l'hypothèse de rendements constants, cela se traduit par une baisse équilente de la demande de trail. L'élasticité prix ainsi obtenue (- 1,7) est donc largement supérieure A celles estimées traditionnellement [Gautié, 1998J. Des effets équilents sont mis au jour pour l'Allemagne.
Pourtant, seul le canal des IDE est considéré ici. Or, Hatzius montre aussi que les secteurs les plus touchés par les baisses nettes d'ID entrants subissent également les plus fortes baisses d'investissement domestique suite A une hausse du coût du trail.
En définitive, les traux empiriques sur la question du lien entre élasticité prix de la demande de trail et mondialisation sont partagés. Il serait donc dangereux de conclure de faA§on tranchée. Néanmoins, on peut s'ancer en disant que les trailleurs qualifiés ne semblent pas vraiment atteints par ce phénomène. En renche, il est très vraisemblable que l'emploi non qualifié soit devenu plus sensible A son coût. Seul un chiffrage précis fait défaut pour asseoir cette conclusion.
Une faA§on quelque peu détournée d'étudier ce mASme problème consiste A étudier l'impact des rigidités salariales sur l'emploi. Ces rigidités, telles que l'existence de salaires minimums, sont-elles devenues plus créatrices de chômage avec l'avènement de la mondialisation ?
3. Conséquences de la mondialisation dans un cadre de rigidités salariales
La prise en compte d'imperfections sur les marchés du trail doit logiquement aboutir A une répartition entre l'emploi et les salaires des effets du commerce international. Des salaires rigides ou des trailleurs immobiles peuvent ainsi expliquer la
croissance du chômage par rapport au mouvement de mondialisation. Mais A quel niveau de chômage faut-il alors s'attendre ? Sera-t-il supérieur en Europe continentale du fait de marchés du trail plus rigides que dans les pays anglo-saxons ? A€ moins que la mondialisation ne s'affranchisse de ces mécanismes classiques de régulation ? La réponse est d'autant plus incertaine que ces rigidités peuvent, en théorie, influencer les schémas de spécialisation des pays.
Les enjeux théoriques
Les imperfections sur les marchés du trail sont de deux ordres. Elles concernent la mobilité du trail entre les secteurs ainsi que la flexibilité des salaires. Quel est alors l'impact social d'une libéralisation des échanges lorsque de telles imperfections existent ?
» Impact du commerce avec imparfaite mobilité du trail
La mobilité intersectorielle des facteurs de production est une condition nécessaire A la vérification du théorème de Stolper-Samuelson. L'immobilité des facteurs réduit-elle pour autant le creusement des inégalités ?
Dans le cadre HOS standard (cf. supra) d'une petite économie ouverte, un choc de prix A la baisse sur le bien NQ (intensif en trail non qualifié) incite les firmes A délaisser la production de NQ au profit de celle de Q (intensif en trail qualifié). Cette évolution de la spécialisation nécessite un transfert de ressources du secteur NQ vers le secteur Q, mais l'immobilité des trailleurs interdit un tel transfert. La production reste donc identique (la frontière des possibilités de production a une apparence rectangulaire et le pivotement de la droite de prix relatif n'entraine pas d'évolution de l'équilibre de production). La production ne reste toutefois identique que si les salaires sont flexibles et donc que les entreprises du secteur NQ peuvent réduire leurs coûts en diminuant les salaires, ceux du secteur Q restant inchangés.
Le salaire moyen doit donc nécessairement diminuer dans le secteur NQ- En admettant que cette baisse affecte A l'identique l'ensemble des trailleurs du secteur et puisque celui-ci utilise intensivement le trail non qualifié, la rémunération moyenne du trail non qualifié dans l'économie plus diminuer que celle du trail qualifié. Dès lors, le salaire relatif des trailleurs non qualifiés baisse suite au choc de prix. La libéralisation est de nouveau porteuse d'inégalités salariales.
En renche, ces inégalités sont moindres que dans le cas de parfaite mobilité du trail. Puisque le théorème de Stolper-Samuelson impose une baisse du salaire des trailleurs non qualifiés et une hausse du salaire des trailleurs qualifiés. Cette moindre hausse des inégalités se fait cependant au détriment de l'
efficacité économique dans le sens où l'immobilité du trail conduit A un gaspillage de ressource. L'équilibre de l'économie est donc sous-optimal.
Notons qu'en plus de l'hypothèse de parfaite mobilité des facteurs de production nous avons également levé l'hypothèse d'homogénéité du trail en supposant que des trailleurs ayant la mASme qualification pouient obtenir des rémunérations différentes suint leurs secteurs d'appartenance. Implicitement, nous avons donc supposé que le trail est spécifique A chaque secteur, ce qui explique son immobilité et les différentiels sectoriels de salaires. Une autre faA§on d'étudier ce problème est alors d'utiliser le modèle A facteurs spécifiques.
Néanmoins, comment peut-on supposer que le trail non qualifié puisse AStre un facteur spécifique ? Par définition les trailleurs non qualifiés n'ont pas de compétences particulières qui puissent les rendre spécifiques A tel ou tel secteur. En fait, dans les modèles A facteurs spécifiques ce sont plutôt le capital industriel ou les ressources naturelles qui sont considérés comme spécifiques A certains secteurs, mais pas le trail. Toutefois, le trail qualifié, en tant que capital humain, peut AStre spécifique A un secteur donné, notamment quand un trailleur développe une aptitude particulière, une qualification spécifique liée A un domaine d'activité et non forcément transférable A une autre branche de l'économie.
» Impact du commerce avec imparfaite flexibilité des salaires
Dans le cadre du paradigme néoclassique, des rigidités sur l'élissement des salaires créent systématiquement du chômage. Dans le cas général, comment joue cet effet de report des salaires A l'emploi pour différentes formes de rigidités ? En quoi le raisonnement en économie ouverte peut-il affecter les ajustements sur le marché du trail ? Quelles sont les interactions entre rigidités salariales et choc de commerce ?
Rigidités salariales et apparition de chômage : différents cas déure. ' Lors d'un choc négatif sur la demande de trail, c'est de la forme de la courbe d'offre que dépendre la répercussion des effets sur l'emploi et/ou sur les salaires. La courbe de demande de trail, issue de l'agrégation des demandes de trail de chaque firme, dépend de la maximisation du profit des entreprises. Elle est généralement représentée par une courbe convexe et reflète une relation négative entre la quantité de trail demandée et le salaire réel. La forme de la courbe d'offre est différente suint le degré de rigidité envisagé dans l'élissement des salaires. Les graphiques ci-dessous présentent les différents cas de ure appliqués au marché du trail non qualifié.
Une analyse géographique
Ainsi, suint la théorie, le commerce international devrait affecter les salaires dans les pays anglo-saxons et l'emploi dans les pays d'Europe continentale, avec un effet d'amplification dans cette dernière zone. Cette assertion, quoique un peu brutale, est notamment défendue par Krugman [1995].
Il est vrai que les fonctionnements des marchés du trail dans ces deux zones géographiques passent pour AStre quasi opposés ; ce qui semble AStre confirmé par certains faits stylisés. Par exemple, aux états-Unis, le nombre de trailleurs percent des revenus inférieurs au seuil de pauvreté s'est accru de près de 30 % entre 1973 et 1995 [Gautié, 1998]. Le rapport du salaire des 10 % de trailleurs américains les mieux payés A celui des 10 % les moins payés était de 4,81 en 1980 et de 5,63 en 1989 [Murphy et Welch, 1992], tandis que le taux de syndicalisation des hommes dans le secteur privé s'est effondré entre 1973 et 1993 [Card, 1998]. Un schéma d'évolution similaire est constaté en Grande-Bretagne [Nickell et Bell, 1996]. Ces simples chiffres permettent de prendre la mesure du niveau de flexibilité des salaires dans ces pays.
En renche, les pays d'Europe continentale ont connu une stagnation voire, notamment pour la France, une diminution du salaire relatif des trailleurs les mieux rémunérés durant la mASme période. Parallèlement, les taux de chômage ont explosé dans la plupart de ces pays et dépasse aujourd'hui, largement dans certains cas, le niveau des 10 % INickell, 1997 ; Slaughter, 1999].
Pour autant, malgré ces faits et malgré les prédictions théoriques, les traux empiriques qui tentent d'isoler les effets du commerce international sur l'emploi et/ou sur les salaires dans ces deux zones n'aboutissent pas forcément aux résultats attendus.
» étude des pays anglo-saxons : la flexibilité au service
de l'emploi ?
Avec des salaires flexibles, l'emploi manufacturier dans les pays anglo-saxons ne devrait AStre que faiblement affecté par la libéralisation des échanges. Seuls des transferts intersectoriels de main-d'œuvre devraient intervenir entre les secteurs importateurs et exportateurs. En renche, l'ajustement devrait intervenir sur les salaires. Dans cette optique, plusieurs traux analysent l'évolution de l'emploi et des salaires dans l'industrie américaine, en liaison avec l'évolution du commerce international, l'idée étant de repérer sur quelle riable porte l'ajustement.
Les études concernant les pays anglo-saxons et plus particulièrement les états-Unis convergent globalement vers la mASme conclusion. La charge de l'ajustement dans les secteurs manufacturiers porterait plus sur l'emploi que sur les salaires. De ce point de vue, l'étude de Revenga |1992] est patente pour les états-Unis : une baisse de 10 % du prix des biens importés induit une diminution de 3,87 % de l'emploi des trailleurs non qualifiés et une baisse de 0,85 % de leur salaire. Concernant la Grande-Bretagne, l'étude de Larre 11995] révèle également une influence très nette du commerce sur l'emploi manufacturier. Parmi les douze pays analysés, c'est celui pour lequel les effets sont le plus importants.
La flexibilité supposée des salaires dans les pays anglo-saxons n'aurait donc pas permis de sauvegarder les emplois manufacturiers. Il existe plusieurs justifications A ce résultat. D'abord, ces secteurs restent ceux dans lesquels les syndicats restent les mieux imtés. Des sources de rigidités des salaires existent donc malgré tout dans ces secteurs, dans les pays anglo-saxons comme ailleurs dans les pays développés. Ensuite, cette baisse de l'emploi manufacturier, et notamment de l'emploi non qualifié, traduit la désindustrialisation des économies développées. Ce phénomène est extrASmement net en Grande-Bretagne. La réduction drastique de la base industrielle justifie que certains trailleurs, certains ouvriers par exemple, deviennent - inutiles - mASme s'ils acceptent d'importantes baisses de salaire. En fait, leurs activités ne sont plus renles, sachant que les salaires sont de toute faA§on bornés par le salaire de subsistance (qui dépend des conditions générales de vie propres A chaque pays).
En renche, ces pertes d'emplois manufacturiers n'impliquent pas pour autant une explosion durable des taux de chômage dans ces pays. La flexibilité des salaires permet aux trailleurs de s'embaucher dans d'autres secteurs, notamment dans les services. Mais on retombe alors bien souvent sur la notion de badjobs. La flexibilité des salaires protège donc dans une certaine mesure du chômage A l'échelle du pays. En renche, elle ne permet pas de sauvegarder les emplois A l'échelle des secteurs manufacturiers, et ne peut éviter une érosion de la base industrielle.
» Etude des pays d'Europe continentale : la rigidité synonyme
de chômage ?
Concernant les pays européens et plus particulièrement ceux d'Europe continentale, plusieurs grands constats découlent des recherches.
- Le commerce affecte l'emploi et les salaires dans les secteurs manufacturiers [OCDE, 1997]. L'effet sur les salaires est parfois plus fort que celui sur l'emploi [Neven et Wyplosz. 1999 ; Haisken-de New et Zimmermann, 1999 pour le cas allemand ; Bazen et Cardebat, 2001 pour le cas franA§ais] ou que celui révélé aux état-Unis [Freeman et Revenga, 1999].
- Cela signifie qu'il n'y a pas de rigidité totale des salaires en Europe dans les secteurs manufacturiers. Ainsi, mASme en France les inégalités salariales se sont creusées entre 1989 et 1992 IBazen et Cardebat, 2001]. Cela révèle un accroissement de la flexibilité des salaires durant les années 1980 (fin de l'autorisation administrative de licenciement, création de contrats de trail précaire ' TUC, CES, etc.).
- Cette absence de totale rigidité a sans doute évité une spécialisation complète des économies européennes. En particulier, l'existence de salaires minimums légaux n'a pas les effets annoncés par la théorie (cf. l'encadré p. 90). L'érosion de la base industrielle et la diminution de l'emploi manufacturier total sont ables avec la situation dans les pays anglo-saxons.
- A€ l'échelle de l'économie entière, et non simplement du secteur manufacturier, il n'existe pas de relation nette entre le taux de chômage de long terme européen et le commerce international [Dewatripont et al., 1999]. Néanmoins, ce dernier constat repose sur une seule étude et demanderait A AStre confirmé par d'autres traux.
En définitive, les traux empiriques présentés pour l'ensemble des pays développés tempèrent les prédictions théoriques. La flexibilité des salaires ne protège pas vraiment les trailleurs non qualifiés dans les secteurs manufacturiers. Ainsi, le commerce avec les pays A bas salaires conduit A une spécialisation croissante des pays industrialisés dans les secteurs A plus fort contenu en main-d'œuvre qualifiée. C'est le jeu normal des antages atifs. Des pans entiers de l'industrie manufacturière sont au moins partiellement abandonnés dans les pays développés car les baisses de salaire, mASme lorsqu'elles sont possibles comme aux états-Unis, ne permettent pas de conserver les emplois dans la mesure où il est impossible d'imposer aux trailleurs du Nord les mASmes salaires qu'aux trailleurs du Sud.
L'accroissement du chômage alors dépendre de la capacité des secteurs industriels de pointe et du secteur tertiaire A absorber les emplois détruits par ailleurs. Or, la - fuite vers le haut - ' Le. vers les secteurs de pointe ' parait assez mal engagée. La diffusion internationale rapide des nouvelles technologies induit un rattrae constant des pays du Sud sur les pays du Nord dans les secteurs industriels. La rapidité avec laquelle s'est accompli le cycle du produit dans le secteur de la téléphonie mobile en fournit une illustration spectaculaire.
La capacité d'absorption du secteur des services semble plus importante. Les pays anglo-saxons paraissent alors plus dynamiques. Ce constat doit cependant AStre nuancé. La profusion de badjobs, les sorties très importantes de la population active (aux états-Unis, la population carcérale male représentait en 1993 presque 2 % de la population active masculine ; Freeman [19951) ne doivent pas AStre occultées par un faible taux de chômage.
L'Europe continentale souffre de rigidités institutionnelles dont les plus importantes pour l'emploi concernent finalement moins les salaires que la liberté d'entreprise ou encore la liberté d'embauché et de débauche [Blau et Kahn, 1996]. Ces problèmes vont au-delA du mode de régulation des marchés du trail et représentent bien entendu un défi majeur pour les nations.