Guerre, crise, guerre
La crise de 1929 est cernée par deux guerres mondiales, elle annule les conséquences financières de la première mais amorce les préparatifs de la seconde. Les initiatis militaires commencent dès 1934 par l'avance japonaise en Chine, se poursuint en 1935 ac la mainmise de l'Italie fasciste sur l'Ethiopie, puis par la Guerre d'Esne en 1936. L' - égoïsme sacré - et le
nationalisme caractérisent toute la première moitié du xxe siècle; les initiatis coloniales japonaises et italiennes ne font qu'imiter, ac cinquante ans de retard, l'impérialisme anglais et franA§ais. Il est nécessaire d'examiner d'un peu plus près l'autoritarisme et l'antiparlementarisme qui ont culminé dans les dictatures fascistes et nazies, et dont témoigne aussi I'urss léniniste et stalinienne. L'accès au pouvoir de Mussolini date de juin 1921. Le premier essor significatif du parti national socialiste de Hitler date de septembre 1930, lors des élections anticipées provoquées par le chancelier Brûning : les nazis passent de 12 A 107 députés au Reichstag. On attribue sount A la crise de 1929 l'arrivée au pouvoir de Hitler en 1933, et il est vrai que les événements précis de 1930, en un sens, justifient le rapprochement : c'est A propos du déficit massif d'un système d'assurance contre le
chômage créé en 1927, prévu pour 800 000 personnes et confronté A 2 millions de chômeurs dès 1930, que les socialistes furent écartés de la coalition au pouvoir en mars. Les volontés de restriction budgétaire l'avaient emporté ; et l'argumentation traditionnelle fait du parti nazi l'ultime espoir des chômeurs entre 1930 et 1933, en mASme temps qu'est évoqué un financement occulte par le patronat.
Toutefois, les faits semblent bien mal élis. L'homme du patronat en 1932 était Von Papen, le financement par le grand
capital lui était réservé pour l'essentiel; les chômeurs se sont retrouvés au coude A coude ac une classe moyenne désorientée, une armée hésitante, dans le parti hitlérien : autant de groupes aux intérASts et aux préoccupations différentes, séduits par une idéologie anticapitaliste ambiguA«, soucieuse de redressement national et obnubilée par l'humiliation de 1914-l918.
On doit en tirer la conséquence suivante : la montée du nazisme est une composante de la crise de 1929 bien plus qu'une conséquence, et ses racines doint AStre cherchées en deA§A des boulersements de 1929-l932 ' qui, du reste, ont été plus profonds et violents aux Etats-Unis par exemple.
Radicalement différente est la situation de I'urss. Réalité mal connue, elle apparait tout au long de la période comme un défi permanent, une alternati évidente aux désordres capitalistes. Si les experts du Komintern annoncent A chaque renrsement de conjoncture durant les années 20 l'effondrement du système, la réalité des années 30 leur donne raison sur le économique. Mais l'attente de la révolution mondiale est rapidement déA§ue et donne lieu A un rersement stratégique spectaculaire : A la
stratégie - classe contre classe - prônée après 1920, qui faisait de la social-démocratie l'ennemi principal, d'autant plus dangereux qu'il est plus proche des travailleurs, succède après 1934, en réponse A la montée fasciste et A la situation noulle créée par la crise, la stratégie - frontiste - visant A favoriser des coalitions - bourgeoises -, dont les Fronts populaires esnol et franA§ais sont l'expression la plus connue. Tels sont quelques grands traits de la dramatique toile de fond sur laquelle se détache la crise.
Il est impossible d'en faire abstraction lorsque l'on désire élir son impact dans le monde et rendre compte des dirses politiques qui ont tenté de la surmonter.
I. ' Chômage et désordres sociaux
Des enquAStes directes auprès des chômeurs ont été lancées dans de nombreux pays. Deux sont denues classiques : d'une part, celle d'Edgar Whight Bakke, chercheur américain qui étudia durant six mois en 1931 une population de 3 000 chômeurs A Greenwich, faubourg de Londres : il logeait sur place, accomnait les ouvriers dans leurs déplacements, etc. Le résultat fut publié en 1933 sous le titre The Unemployed Man. D'autre part, celle d'une équipe de l'Unirsité de Vienne (Autriche), dirigée par Paul F. Lazarsfeld, Marie Jahoda et Hans Zeisel, qui radiographie pendant l'hir 1931-l932 la vie d'un village de 1 500 personnes, Marienthal, soumis A un chômage quasi total et recevant une aide minuscule de la capitale. L'équipe se distingue doublement : par la minutie des observations et par son activité de secours et d'animation : distribution de vAStements, gestion d'une clinique gratuite Le rapport fut publié sous le titre : Die Arbeillosen von Marienthal. Après 1932, de telles instigations se généralisent en Europe, et en 1933 Bakke et Lazarsfeld vont aux Etats-Unis. Le premier étudie longuement le chômage A New Han, ce qui donnera lieu A son livre célèbre Citizens Without Work (1940); cependant que le second, engagé par l'administration Rooselt, élargit encore le champ de sa collecte en interrogeant 10 000 jeunes A Newark, et participe A la publication de 13 volumes sur les effets sociaux de la - Dépression -, sous l'égide du Social Science Research Council.
Les principaux résultats de ces enquAStes sont A interpréter ac prudence. En effet, la situation matérielle des populations privées d'emploi, et la plupart du temps sans protection sociale sérieuse (voire sans protection du tout, comme aux Etats-Unis), y apparait comme catastrophique, mais pas tant que leur effondrement moral. Ainsi note-t-on peu d'effets spectaculaires sur la
santé : les déficiences alimentaires sont claires, mais leurs effets ne se font sentir qu'A moyen terme et n'apparaissent guère directement.
Ce que constatent les chercheurs, c'est la disparition quasi totale de
consommation de viande, l'usage généralisé de farines, et une tendance A reporter une part grandissante de l'argent disponible sur des achats - non essentiels -, ainsi le café noir perA§u comme un luxe indispensable. Le déficit en protéines de l'ordinaire a donc pour contrepartie dirses consommations spécifiques. En Grande-Bretagne, le thé, les bonbons, en France, le vin et le café. Les chômeurs consacrent aussi une part significati de leur renu aux paris et au cinéma. Un domaine budgétaire est en revanche clairement sacrifié, le vAStement.
Une évolution est partout mise en évidence : celle qui va, pour le nouau chômeur, de la recherche fiévreuse au découragement, puis A l'apathie dans un calme apparent : lassitude finale de celui qui a renoncé A tout amour-propre, évite les contacts sociaux dans une humiliation profonde et anxieuse. Cette évolution n'est pas suivie au mASme rythme par toutes les familles, et une minorité, sount détentrice de renus supérieurs A la moyenne, continue A se battre.
Sans apparaitre dans les enquAStes de ce type, le vérile désastre matériel des plus vulnérables se déduit de quelques indicateurs : 29 personnes mortes de faim A New York en 1933 (110 pour les Etats-Unis de 1934); montée des cas de scorbut, de rachitisme, de pellagre. De mASme, on assiste A la multiplication des expulsions (1), cependant que certains propriétaires prennent en compte la dureté des temps et renoncent A leurs loyers pour conserr leurs locataires. D'où l'apparition des - bidonvilles -, logements de fortune, taudis entassés sur des terrains vagues ; ces regroupements misérables d'expulsés sans abri reA§oint un nom spécial par pays : Humpies en Australie, Hoor-villes aux Etats-Unis (en l'honneur du président Hoor), bidonvilles en France. Mais ce sont finalement les textes romanesques qui témoignent le mieux des trajectoires brisées ou de l'aggravation dans l'existence des laissés-pour-compte de la - prospérité - : Lo on the dote, de l'anglais Walter Greenwood (1933), et la trilogie de l'américain James Farrell : Young Lonigan (1932), The Young Manhood of Sluds Lonigan (1934) et Judgment Day (1935) (2), consacrée A un jeune homme des bas-fonds de Chicago, illustrent le chômage chronique et la vie tronquée. Cependant que Karl et le XX' siècle, de l'Autrichien Rudolf Brunngraber, et El maintenant, mon bonhomme?, de l'Allemand Hans Fallada (1932), relatent des itinéraires exemplaires de travailleurs broyés par leur exclusion de la société, qui finissent par tenter sans succès de voler, avant de trour un destin lamenle d'auto-destruction (le suicide pour Karl).
Il y a donc lieu de tenir la balance égale et de considérer qu'A une détresse matérielle sount aiguA« s'est ajoutée l'absence de perspecti d'une crise qui n'en finit pas.
Si l'on tente, plus globalement, de dresser un bilan des modes de vie par classe sociale durant la crise, une seule certitude s'impose, et elle est paradoxale : le pouvoir d'achat d'un certain nombre de catégories a augmenté! Nous allons reprendre ici quelques résultats atifs élis par E. H. Phelps Brown et M. H. Browne dans leur ouvrage A century of Pay (1963) (voir . 9). Ces deux chercheurs anglais ont retenu cinq pays : Allemagne, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne et Suède, et ont construit deux séries d'indices très parlants : indice du salaire hebdomadaire ouvrier conrti en livres sterling de janvier 1931 ' c'est donc un indice nominal, mais indiquant sommairement le niau international relatif de chaque pays (3), puis indice du salaire - réel -, c'est-A -dire corrigé de la hausse ou de la baisse du coût de la vie. Le classement des différents pays confirme la supériorité des Etats-Unis aussi bien en niau nominal qu'en niau réel, et la position intermédiaire des
salaires suédois et britanniques. Si le premier indice accuse des baisses assez nettes durant les années 30, le second, que nous présentons seul ici, surprend. Dans trois pays, Grande-Bretagne, Suède et France, la crise et ses séquelles se manifestent par une hausse nette quoique variable du pouvoir d'achat, cependant que les évolutions allemandes et américaines sont moins nettes A la baisse. Ces variations s'expliquent évidemment par la baisse du coût de la vie (nous avons examiné
les prix de détail dans notre premier chapitre), qui a été sount plus rapide que celle des salaires nominaux.
Au reste, le paradoxe s'inrse en France au temps du Front populaire : les hausses de salaires obtenues alors n'ont pas compensé la vague d'inflation concomitante. Nous sommes ainsi en présence de l'un des phénomènes les plus déconcertants de la crise : dans la déroute, le pouvoir d'achat de certaines catégories ' pas des chômeurs! ' a pu augmenter non de manière systématique, mais A la faur des mouments discordants
des prix et des renus : la résistance A la baisse des salaires et renus nominaux est un phénomène bien connu, qui apparait depuis les débuts du XXe siècle, et garantit en cas de baisse des prix une hausse du pouvoir d'achat peu remarquée mais tout A fait - réelle -.
Une attitude patronale a probablement favorisé ces gains salariaux : celle qui consiste A licencier rapidement plutôt que de conserr, ac baisse des rémunérations, des travailleurs qui en viendront vite A la rendication. Deux indices confirment la forte résistance des renus salariaux : tout d'abord, la baisse de la consommation, relatiment faible, et parfois enrayée dans certains pays; ensuite, le recul somme toute modéré de l'épargne (25 % aux Etats-Unis). Il est donc clair que les salariés ont ressenti la crise de manière très différente, voire opposée, selon leurs situations d'emploi : les chômeurs américains, non protégés, A un extrASme, les fonctionnaires franA§ais par exemple (mASme inquiets d'une éntuelle baisse autoritaire de leur traitement) A l'autre. A l'intérieur de cet éntail international, les travailleurs employés eux-mASmes voient leur sort différer : les travailleurs manuels, sount payés A la tache ou selon des durées variables, souffrent de la crise bien davantage que les employés mensualisés.
La question des renus du capital reste obscure : hétérogènes et discrets, ils sont mal connus. Les renus de l'entreprise (les bénéfices ou les profits) ont très nettement fléchi (de 20 A 80 %) dans la plupart des pays et se sont effondrés aux Etats-Unis et en Allemagne, faisant place A des pertes en 1931 et 1932, du moins pour un certain nombre de sociétés industrielles. Mais quelles conséquences pour leurs propriétaires ?
Une certaine réduction de trains de vie les plus luxueux s'est produite, sans conséquence directe sur le confort quotidien des intéressés. Ensuite, dirses
stratégies fiscales et patrimoniales ont permis A certains groupes de tirer leur épingle du jeu, en rachetant des actions A bas prix, par exemple, ou en profitant du désastre immobilier vécu par les chômeurs endettés. Enfin, et surtout, il faut rapprocher ces réorientations de la spectaculaire contraction de l'instissement constatée un peu partout : les responsables des entreprises peunt régulièrement, au vu des résultats, arbitrer entre la part réservée au renoullement des installations et A leur extension d'un côté (amortissement et autofinancement), et la part destinée aux propriétaires (bénéfices distribués), de l'autre. L'hypothèse est plausible : c'est sans doute en sacrifiant l'instissement que les possesseurs de
moyens de production ont limité la baisse des renus du capital.
On a suffisamment insisté sur la crise chronique de l'agriculture pour pouvoir conclure A la grande médiocrité du sort paysan pendant la crise. La baisse des cours et les difficultés d'écoulement peunt conduire les fermiers ruinés A l'abandon de leurs terres (cf. les Etats-Unis) ou A une sorte de repli tendant A l'autosubsistance; rares sont les exploitations qui ont pu se moderniser et réduire leurs coûts.
Dirsité des situations et des mécanismes : la crise a eu ses gagnants et ses perdants, qui ont varié selon les conflits et les options politiques aussi bien que selon le jeu de facteurs économiques. La crise divise non seulement parce que la répartition d'un produit en diminution est plus conflictuelle encore que durant l'expansion, mais parce que la hantise du chômage conduit facilement au - chacun pour soi - (combien de travailleurs ont accepté dans* la peur la réduction imposée de leurs horaires et de leurs salaires!), et parce que la baisse des prix et de l'activité assied la provisoire prospérité des uns sur la ruine des autres.
Les difficultés économiques affaiblissent les rendications sociales, et ce n'est qu'après la silisation dans la dépression que le moument s'inrse et se nourrit de la détresse populaire généralisée. L'ébranlement social résultant de la faillite de l'
économie capitaliste s'est manifesté peu A peu dans les grands pays industriels et n'a guère donné lieu A de grands désordres immédiats (4).
La mise au chômage est un destin vécu d'abord individuellement, et lorsque l'on perd son
travail on n'a pas souffert assez pour se rebeller ; en revanche, lorsque l'on a souffert durablement, on a perdu la capacité de protester de manière organisée. Les grandes vagues de révolte ouvrière, les grès du Front populaire ou du cio de John Lewis (5), pour les Etats-Unis, datent des années 36-37 et s'appuient sur des travailleurs embauchés.
Il est utile de distinguer les soulèments ponctuels s'opposant aux gournements sur un point précis et les tentatis d'organisation des chômeurs.
Dans la première catégorie, on trou les émeutes répondant aux mesures de déflation interne : mutineries anglaises de septembre 1931, franA§aises en 1935 (aux arsenaux de Brest et Toulon), émeutes australiennes et néo-zélandaises évoquées plus haut On trou aussi la triste
marche du - Bonus -, rassemblant en 1932 aux Etats-Unis 11 000 vétérans de l'armée qui réclamaient le paiement immédiat d'indemnités de guerre : marche dispersée sans ménagements, A Washington, par l'armée régulière. La seconde catégorie, qui regroupe les protestations de chômeurs, illustre l'impossibilité d'une mobilisation durable de ces derniers, au-delA de l'organisation d'une solidarité par quartier, voire par région. Ainsi, aux Etats-Unis, l'unique tentati de manifestation générale contre le sous-emploi fut-elle la journée du 6 mars 1930, où le minuscule Parti communiste de W. Z. Fors-ter (7 000 membres) organise une série de manifestations dans les grandes villes A partir d'un réseau de - Unemployed Coun-cils -, et plie sous une répression efficace.
Se succèdent par la suite de sporadiques -
marches de la faim -, dont la plus célèbre eut lieu le 7 mars 1932 A Dearborn près de Détroit, et fut noyée dans le sang : les chômeurs de la ville (Ford avait licencié les trois quarts de ses effectifs) manifestaient contre l'amenuisement des
aides publiques et pour de noulles embauches. A l'issue de heurts très violents provoqués par la police, on devait compter quatre morts.
De manière très symptomatique, c'est une organisation initialement indépendante de projet politique, les Unemployed Citizen's Leagues, dirigées par A. J. Muste, qui a connu le plus grand succès, d'abord en Ohio et en Pennsylvanie, en améliorant l'aide et en favorisant les circuits d'autosubsistance. Mais A mesure que les ligues se politisent, elles perdent leur audience. Signalons aussi le succès des luttes collectis contre les expulsions, mobilisant des quartiers entiers.
On a déjA noté la spécificité de l'évolution sociale allemande. Il ne semble pas que les chômeurs, massiment présents dans le Parti communiste, aient été signincatiment recrutés par les Nazis. Pour leur part, les communistes franA§ais forment des Comités régionaux de chômeurs. C'est en Grande-Bretagne, semble-t-il, que l'organisation des sans-emploi s'est le mieux déloppée : le nuwm (National Unemployed Worker's Mo-ment), entreprend des démonstrations contre les réductions du - dole - (les rsements de l'assurance chômage), et aussi des - marches de la faim - ' ac ici encore des heurts parfois violents contre une police agressi ' qui attirent beaucoup de sympathie dans le pays. Des affiliations communistes l'ésectiunent toutefois d'une collaboration ac les syndicats et l'isolent en définiti.
Toutes ces manifestations, dans leur impuissance directe, n'ont jamais pu menacer sérieusement l'ordre éli : mASme la conquASte du pouvoir par Hitler s'est faite par les urnes. Plus progressiment, plus subtilement aussi, l'ébranlement avait une dimension culturelle et morale.
II ' De l'inquiétude des années 20 A l'urgence des années 30
Il serait naïf de prétendre retracer en quelques es l'évolution culturelle des années 30, et peut-AStre plus encore de prétendre isoler la part qui revient A la crise de 1929. Ebranlement parmi d'autres dans la
mondialisation des conflits nationaux et des économies industrielles, la crise a infléchi directement ou indirectement l'optimisme apparent de 1' - ère noulle - et des - années folles -; mais leur foisonnement complexe, se prolonge A l'évidence après 1929. Nous en resterons ici A quelques suggestions, cantonnées pour l'essentiel aux Etats-Unis (6).
Il serait faux d'imaginer dans la culture américaine une mutation globale. A s'en tenir A la littérature, un Faulkner, qui a commencé A écrire dans les années 20, poursuit son œuvre sans intégrer de faA§on visible A quelque moment que ce soit l'air du temps. De mASme, le - roman noir - des années 30 n'est-il qu'un chainon entre les œuvres de D. Hammet et le monde trouble de la - Prohibition - d'une part, et la maturité de R. Chandler dans les années 40. La moisson rouge de Hammet date de 1929, Le facteur sonne toujours deux fois, de J. Cain, de 1934, et Le grand sommeil, de Chandler, de 1939. Troisième et dernier exemple, cosmopolite : la - génération perdue - des Hemingway, Fitzgerald, T. N. Wilder, Kay Boyle, Elliot Paul, révélée dans la bohème de Montparnasse sous la férule de Gertrude Stein, devait produire ac plasticité durant tout l'entre-deux-guerres en combinant inquiétude, recherche formelle et dépaysement.
Autre évolution complexe, marquée par des ruptures étrangères, voire contraires A celles de la production
économique : le cinéma. 1929 est ici une date clé, celle de la généralisation du - parlant -, qui ouvre de nouaux horizons aux transmissions culturelles, stimule une industrie A contre-courant des autres, et d'autant plus que la demande est forte. La radio n'est pas en reste dans ce grand essor des communications. Une simple réflexion de bon sens suggère les limites des contributions cinématographiques dans leur ensemble aux reclassements culturels des années 30 : dirtissements exigeant un financement coûteux (rapidement contrôlé par des milieux d'affaires oligopolistiques) ainsi que l'accord de distributeurs, les films dans leur grande majorité tentent de distraire un public soucieux de se - changer les idées -. D'où, par exemple, les revues de music-hall nourrissant une part de rAS singulièrement menacée : telle Gold Diggers (Chercheuses d'or), de Mervyn Le Roy, ac la danseuse Ginger Rogers courte de dollars; des comédies légères, des films d'anture, de gangsters, ou des reconstitutions historiques, A côté d'une montée des grands comiques, plus libres dans leur dérision : Les lumières de la ville, de Chaplin, datent de 1931, Les Temps modernes, de 1936, cependant que les Marx Brothers produisent régulièrement, dans le mASme temps, des œuvres comme Plume de cheval. Soupe au canard
Mais une volonté de témoigner émerge très vite après 1929, aussi bien de la part d'intellectuels qui se mobilisent que de cinéastes, de journalistes, de photographes
Le sommet du témoignage est atteint indisculement par Louons maintenant les grands hommes (1939) de J. Agée et W. Evans. Cette œuvre, disponible en franA§ais (7), illustre la coopération en 1936 entre un jeune écrivain de 27 ans, J. Agée, et un photographe confirmé, W. Evans.
L'intention première est de rendre compte de la vie dans l'Ala-bama de paysans blancs misérables : d'où les descriptions minutieuses de J. Agée et les photos quasi anthropométriques de W. Evans, qui ont partagé six semaines l'existence de trois familles de métayers acculées au dénuement le plus complet. Mais texte et images sont emportés par un lyrisme fiévreux aux accents religieux, et conrgent dans un tellurisme porteur d'éternité : le regard est ici brûlure, le portrait réquisitoire. Nous sommes aux antipodes de l'Amérique manufacturière, la révolte réduit A néant le fait industriel, car la description de ces paysans pris au piège du monde marchand - criminel - appelle une douloureuse prise de conscience. L'influence du cinéma est aussi forte que discrète : un montage alterne phrases longues ou courtes ponctuées de - deux points - qui proent l'évidence et renvoient aux photos. On peut rapprocher de cette œuvre déchirée Le quai de Wigan, de George Orwell (8), publié en 1937, qui relate la vie quotidienne des mineurs et des chômeurs industriels dans le nord de l'Angleterre, A la suite d'une série de reportages. Le lyrisme y est moins fiévreux et se prolonge en une ample méditation politique sur l'aliénation et les destins de classe. Ac Agée et Orwell, tout un idéalisme intellectuel anglo-saxon élargit le champ des dénonciations et des enquAStes pour poser une simple question de sens et d'existence, où se joignent l'absurde et la fraternité.
Parallèle A ce ressourcement lyrique, se déloppe aux Etats-Unis une littérature de combat. Nous avons déjA cité James T. Farrell, membre de 1' - Ecole de Chicago - ac Richard Wright et Nelson Algren, soucieux d'un naturalisme des bas-fonds, ac une bonne dose de déterminisme puis de symbolisme. Toute une tradition américaine de contestation sociale et de réalisme, allant d'Upton Sinclair (The Jungle, 1906) A Theodor Dreiser (The titan, 1914) dénonce les enrs de la prospérité et trou un second souffle dans la catastrophe. Deux œuvres célèbres s'imposent ici : Big Money (La grosse galette), de Dos Passos (1936), et Les raisins de la colère, de John Steinbeck (1939) (9).
Du premier ' qui passera au cours de sa vie de l'extrASme gauche A l'extrASme droite ' on retiendra une technique mise au service d'un colossal effort : le simultanéisme, qui consiste, par segments parallèles et alternés, A narrer les denirs de plusieurs héros; le bilan des années folles au trars des destins entrecroisés d'un aviateur affairiste, d'une militante politique, d'une actrice est conduit ac puissance et conrge rs la destruction économique, morale ou physique de la plupart des personnages en 1929. De courtes biographies de personnages publics, des coupures de
presse ou des extraits de réclames radiopho-niques rythment cette chronique éclatée du rAS brisé peu A peu. Les années 30 règlent leurs comptes ac les années 20. John Steinbeck avait déjA derrière lui une œuvre importante en 1939 et avait fait la chronique d'une grè dans les rgers de Californie (En un combat douteux, 1936). Son chef-d'œuvre, Les raisins de la colère, retrace la lamenle épopée de paysans ruinés et expulsés de l'Oklahoma tentant de trour du travail en Californie A l'issue d'une terrible odyssée sur route. Un succès massif permet l'adaptation
cinématographique de John Ford, ac Henri Fonda. C'est sur la - le rase - dégagée par Dos Passos et Agée que Steinbeck reprend le mythe fondateur des Etats-Unis, la migration de colons soudés par le malheur et l'injustice, conjurant le mal par la souffrance qui révèle les vraies valeurs et la nécessaire solidarité. La force de l'œuvre procède de ce simplisme en moument, de ce renrsement total et moralisateur, d'autant que le style ne lésine pas sur d'authentiques cadrages tirés du cinéma : trallings, plongées, vues panoramiques; avant mASme l'adaptation de Ford, le livre avait une construction visuelle insistante, rendiquant par lA le passage A l'action immédiate, l'unité d'une démarche qui va de la survie A l'organisation.
C'est toutefois sur un film bien antérieur qu'il parait éclairant de conclure cette sommaire exploration de la dimension culturelle de la crise aux Etats-Unis pour en souligner la complexité, voire l'ambiguïté. Notre pain quotidien, de King Vidor (1934) retrace les antures d'un jeune couple dont l'homme est au chômage; ils finissent par occuper une ferme abandonnée, rassemblent autour d'eux une population de déshérités et constituent une collectivité agraire au nom symbolique d'Arcadie. Un instant troublée par l'arrivée de la blonde Sally, qui symbolise la ville ac son goût du jazz, de l'alcool et du ac, la vie rurale est finalement compromise par la sécheresse et sauvée par le creusage A la pioche d'un canal. Cette fable biblique (Vidor est un adepte de la - Christian Science -) transforme le thème bien connu des dangers de la rue et de la ville, caractéristique des années 20, en une exaltation de l'auto-organisation agricole au milieu d'automobiles mais sans le moindre matériel mécanisé : la rédemption par le travail rejoint ici le stakhanovisme et substitue l'effort A la productivité. On peut voir dans cette collectivité qui conquiert son indépendance et se rassemble autour d'un homme (après avoir hésité sur ses structures de décision) aussi bien les avatars d'un communisme primitif que la défiance enrs le
socialisme et la démocratie. Moument de recul, de repli sur soi et sur la terre, révélateur d'une société qui chancelle.
En un mot, il semble qu'on puisse résumer l'impact culturel de la catastrophe économique dans un moument d'engagement et de témoignage urgents; le roman accuse une certaine régression formelle (10) par rapport aux expériences révolutionnaires internationales des années 20 (Faulkner, Proust, Dôblin, Joyce), mais impose dépouillement et brutalité, et dialogue ac le cinéma, ac la photographie et l'enquASte : ces chemins croisés, A leur manière, dressent la sectiune de l'ébranlement.
III. ' Le capitalisme sous surillance
L'ensemble des pays industriels ont vu, A partir de 1933, un retour en force de la pression politique et syndicale ouvrière. Les grès repartent en 1933, appuyées sur les amorces de reprise qui libèrent l'expression, après coup en quelque sorte, de la peur et de l'indignation ouvrière. Ce regain de combativité se renforce encore dans les années qui suint par l'alliance ac des classes moyennes ayant perdu l'espoir de tirer isolément, ou en s'unis-sant A la droite capitaliste, leur épingle du jeu. Alliance voulue du côté ouvrier aussi lorsque la stratégie antifasciste (en Europe) implique les rassemblements démocratiques. D'où une seconde vague de pressions A gauche, plus puissante que la première, sensible aussi bien aux Etats-Unis qu'en France, culminant dans de vastes grès et des conquAStes sociales.
Cette revanche du - common man -, l'homme de la rue, est ainsi indissociablement une mutation intellectuelle et sociale qui disqualifie le personnel familier du pouvoir dans les démocraties occidentales. Ainsi a-t-on sount remarqué que le - brain trust - du président Rooselt (son équipe gournementale, le - trust des ceraux - en quelque sorte) consacrait en 1933 des hommes nouaux pour la plupart, sount coupés des milieux d'affaires et financiers. Un symbole résumera ac éclat ce renrsement des rôles et des priorités : le constructeur automobile Bugatti avait conA§u, A la fin des années 20, une voiture destinée A rivaliser ac les Rolls Royce. Ac ses trois tonnes et demie, ses trois cents chevaux et sa vitesse de pointe A plus de 200 km/h, la - Royale - était garantie A vie. La crise détruisit la clientèle, et les moteurs fabriqués d'avance allèrent équiper des autorails.
Parmi toutes les propositions qui furent faites A l'époque ' et qui allaient du retour A la vie rurale A la création d'une monnaie - fondante - obligeant ses détenteurs A une dépense immédiate (11), des conclusions de comités d'experts aux s syndicaux ', trois regroupements s'imposent. Par ordre chronologique, on trou d'abord un courant vif et ancien en faur de la stimulation du pouvoir d'achat, ensuite l'ensemble des débats autour du thème du - multiplicateur d'emploi -, et enfin le moument iste.
' L'idée qu'un maintien, voire un déloppement, de la consommation populaire était de nature A favoriser le redémarrage de l'économie en crise était fort répandue dès 1929, et certaines des mesures du président Hoor en 1929 participent de cette ligne de pensée. Elle trou son expression la plus systématique dans le - wtb - adopté en 1932 par les syndicats allemands, et du nom de trois illustres responsables syndicaux : W. Woytinski, Fritz Tarnow et Fritz Baade. Ce - -, dont les fondements étaient jetés dès 1929, prévoyait notamment de stimuler la consommation en gonflant les liquidités A la disposition de l'économie. De mASme, l'appel A des
travaux publics contracycliques était extrASmement répandu et totalement dépourvu d'originalité A l'époque.
' L'idée de multiplicateur d'emploi est simple : dans une économie déprimée, aux capacités de production inemployées, l'embauche d'un certain nombre de travailleurs suscite du travail pour d'autres, qui eux-mASmes induiront d'autres emplois Il pourrait donc y avoir effet multiplicateur des dépenses publiques sur l'activité. Cette idée, que systématisera Keynes, nait semble-t-il en 1931, simultanément en Grande-Bretagne (Kahn), en Allemagne (R. Friedlander-Prechtl et H. DrA ger) et dans une rsion simplifiée aux Etats-Unis (le magnat de presse W. R. Hearst), et donne lieu A d'amples débats contradictoires en 1931-l932, ses adrsaires faisant valoir que l'initiati étatique prélè des fonds nécessaires aux initiatis privées et endette dangereusement les finances publiques.
' Enfin, le courant - iste - qui, A la suite du socialiste belge Henri de Man, a rassemblé en France et en Belgique dirs militants politiques et syndicaux (parmi lesquels Georges Lefranc André Philip) dans un programme d'économie mixte, de réformes profondes comprenant un contrôle public sur le crédit, etc., sorte de troisième voie A gauche entre une social-démocratie engluée dans le parlementarisme et un communisme promettant une révolution du type - tout ou rien -. Une vérile mode s'est emparée, entre 1933 et 1936, du mot .
Ces trois regroupements de propositions, largement internationaux, témoignent que l'esprit du temps était A l'interntionnisme, plus encore, A l'activisme étatique. Il s'agissait de réguler les marchés, de soutenir les prix, de multiplier les accords professionnels limitant horaires ou au besoin productions pour résorber les stocks et le chômage, de créer des institutions centralisées capables de soutenir une économie - concertée - : vastes projets, pas toujours cohérents entre eux, relevant le plus sount d'une action pragmatique - au coup par coup -, qui donnèrent lieu A des trains de mesures multiformes A mesure qu'étaient abandonnés la discipline déflationniste et les principes libéraux. Il faut souligner que les objectifs poursuivis dans la plupart des grands pays industriels ont une dimension réformatrice et se rassemblent autour d'une volonté de régénération sociale nationale; l'efficience économique passe au second . On - sacrifie le rendement -, pour reprendre une expression d'alors, car l'enjeu est politique et social avant d'AStre économique au sens strict.
1. Les conrsions britanniques. ' Victime, on l'a dit, de considérables difficultés durant les années 20, le Royaume-Uni est le premier A consacrer l'interntion directe de l'Etat et le protectionnisme, au rebours de toute la tradition manchestérienne libérale. La première conrsion est toutefois celle de la
politique monétaire : A une monnaie désormais flottante, gérée par un Fonds d'égalisation, correspond une politique d'argent bon marché A l'opposé de celle qui avait prévalu entre 1919 et 1931. A l'abri de pressions extérieures, les marchés intérieurs agricoles sont réorganisés par des prix garantis et des offices de nte gérés par les producteurs, sous le contrôle de l'Etat. Dès 1930, le Coal Mines Act tentait de régler la question du charbon en réduisant la journée de travail de 8 heures A 7 heures 30, et surtout en créant une commission ayant pleins pouvoirs pour fixer la production et les prix, qui organisa fusions et améliorations techniques. De mASme, sous l'égide de l'Etat, un Comité de réorganisation de l'industrie sidérurgique regroupa 2 000 entreprises en 1932 dans la British Iron and Steel.
Il est A souligner que l'évolution internationale fut largement favorable : entrées d'or et de capitaux (pour un pays qui avait une éclatante tradition d'exportateur de capitaux), et jeu des - termes de l'échange -, les prix des exportations restant durablement supérieurs A ceux des importations. Le commerce extérieur est réorienté en partie rs l'Empire, quoique de nombreux accords bilatéraux garantissent des débouchés A certains produits britanniques en contrepartie d'achats spécifiés. Ces mesures économiques devaient conduire le pays A un lent redressement, perceptible dès 1932-l933, sans ruptures sociales spectaculaires, mais accomné de mesures préurant le - Welfare State -, soit encore l'Etat-providence : si la gestion de l'assurance chômage avait conduit en 1931 le gournement d'Union nationale de R. Mac Donald A diminuer de 10 % les chiches paiements de l'allocation chômage (- dole -), cette mesure est supprimée en 1934, et la protection sociale déloppe un système de pensions et retraites, créé en 1925. Il y a donc un - cher - A la contraction de la consommation, d'autant plus qu'une série de dispositions prises de 1930 A 1935 ont grandement stimulé la construction de logements individuels standardisés, donnant lieu A un vérile - boom - de l'immobilier, doublant dans les années 30 le nombre de maisons noulles construites dans les années 20. De mASme, A partir de 1937, une généralisation des congés payés permit l'ourture de - camps de vacances - au bord de la mer et le déloppement des loisirs de masse. Ce dynamisme de la consommation fut caractéristique du redressement anglais et, A l'opposé du mythe - noir - d'une Angleterre miséreuse, parfois présenté.
2. Les deux - New Deal - de F. D. Rooselt. '
Autrement spectaculaire et houleuse fut la politique suivie par F. D. Rooselt. La bataille électorale de la fin de 1932 a vu le succès d'un homme peu soucieux de cohérence doctrinale pragmatique, critiquant le président Hoor pour son inaction et réclamant de grandes économies budgétaires dans la pure tradition déflationniste. L'inspiration du nouau président était double. D'un côté, il était l'héritier d'un courant - progressiste - favorable aux interntions fédérales. De l'autre, il s'était fait l'interprète direct de la volonté de renouau perceptible dans le pays. A son slogan du - New Deal -, la noulle donne (12) (une redistribution des sectiunes dans le jeu économique et social), répond sa phrase célèbre selon laquelle - la seule chose A craindre est la crainte elle-mASme -. D'où une intense activité réformiste, inaugurée dans la fébrilité des - cent jours - qui ont suivi son arrivée au pouvoir : réformes bancaires accroissant le contrôle fédéral, imposant la coupure entre
banques de dépôts et d'affaires, accordant de noulles garanties aux épargnants, et consacrant le rôle de banquier de l'Etat; réformes boursières surillant les transactions mobilières; - réamorA§age de la pompe - en matière monétaire et financière, par l'injection de capitaux frais dans le circuit économique, assouplissement des conditions de création monétaire et création de grands travaux
financés largement par l'emprunt (13). Mise en flottement du dollar, par la suspension des transactions sur l'or, puis dépréciation du dollar par une politique d'achat d'or A des cours croissants. Cette tactique, qui avait été utilisée A l'issue de la guerre de Sécession, a pour but de redresser les prix intérieurs; elle a l'avantage de ne pas traumatiser l'opinion par une dévaluation déclarée directement : lorsque le dollar est silisé, le 31 janvier 1934, il a perdu 41 % de sa valeur, mais les stocks d'or étatiques se sont considérablement accrus en masse et en valeur, rassurant donc le public. Création de la Civil Work Administration et de la Fédéral Emergency Relief Administration (Administration du Travail public, Administration fédérale de l'Assistance d'urgence), deux organismes chargés l'un d'organiser des emplois publics (4 millions de chômeurs embauchés A la mi-janvier 1934), l'autre de distribuer des fonds de secours (20 millions de bénéficiaires en hir 1934)/Reprise du projet d'aménagement hydraulique sur le Tennessee que Hoor avait fait avancer : la création de la Tennessee Valley Authority devint le symbole du nouau régime. Il s'agissait d'économie concertée, de collaboration entre l'Etat fédéral, les Etats locaux, les fermiers rirains et les utilisateurs de courant électrique. Encadrement de l'activité industrielle par le nira (National Industrial Recory Act), de juin 1933, et une série de mesures complémentaires matérialisées dans un ensemble de - codes - spécifiés par industrie : massiment appuyées par certains courants syndicaux, ces réglementations finalement imposées A grand-peine au monde des affaires prévoyaient une réduction de la semaine A 35 heures, un salaire minimum garanti, la liberté syndicale complète et le droit de coalition pour les travailleurs, ainsi que dirs accords d'autolimitation de la production et de sectiunellisation des marchés. Prise en charge de la détresse agricole par l'Agricultural Adjustment Act et d'autres dispositions, accordant des nouaux crédits aux fermiers, des primes A la limitation de la production, facilitant les redistributions de terres et la modernisation, sans succès rapide toutefois.
Cette simple énumération fait ressortir l'interntionnisme roo-seltien, qui se heurta A la résistance farouche de
la Cour suprASme, garante de la Constitution; le 27 mai 1935, les neuf juges inamovibles invalidèrent A l'unanimité l'intégralité des mesures prises dans le cadre du - New Deal -, comme contraires A la Constitution américaine. D'où des batailles procédurières, et d'autres lois ' en particulier la - loi Wagner -, qui reprenait le nira, et le Social Security Act d'août 1935, qui rompait ac une tradition séculaire en élissant une protection sociale obligatoire sinon généralisée ' qui furent annulées elles aussi. Mais réélu en 1936, Rooselt est plébiscité et obtient la passivité de la Cour suprASme. C'est alors un second - New Dea] - qui commence dans une tension sociale accrue : les dispositions légales consacrant le droits des travailleurs sont reprises et peu A peu imposées par des conflits violents où s'illustrent le syndicaliste John Lewis et son organisation, le cio.
Le bilan est immense, et Rooselt reste la ure-phare des années 30. Il sauva le capitalisme américain malgré lui en 1933-l935, et s'appuya de plus en plus sur le monde ouvrier en 1936-l938. Jamais convaincu par Keynes, qu'il rencontra A plusieurs reprises, le président a fortement combattu une politique de
déficit budgétaire jusqu'en 1938 : ses visées réformatrices procédaient d'autres principes; on a pu souligner qu'ils s'opposaient A une bonne partie du - rAS américain - en conduisant A la
médiation fédérale autoritaire dans des relations - privées -.
3. Les économies militaires (Allemagne, Italie, Japon). ' Les éléments communs aux trois pays sont la sectiunellisation industrielle soumise au monde militaire, la recherche décidée de l'autosuffisance ou plutôt de l'autarcie dans une perspecti expansionniste A préparer, le centralisme bancaire et les manipulations monétaires : en ExtrASme-Orient, la dépréciation systématique du yen, en Europe les contrôles des changes puis la création de canaux parallèles pour la circulation nationale et internationale, et le contrôle strict des importations et des exportations.
Si l'expansion japonaise se poursuit sans modification du statut des travailleurs, il n'en va pas de mASme pour l'Allemagne et l'Italie : au corporatisme des syndicats italiens répondent les mesures allemandes supprimant, le 10 mai 1933, l'intégralité des organisations ouvrières et patronales et créant le - Front du Travail -, où tous les participants A la vie économique sont encadrés. On ne peut manquer de souligner les succès apparents, A court et moyen terme, de ces dispositions autoritaires ou totalitaires : l'Allemagne résorbe rapidement son énorme chômage, le Japon voit son industrie de biens d'équipement, largement favorisée, s'envoler, cependant que l'Italie enregistre des résultats plus variés; elle est contrainte A la dévaluation en 1936 et s'inféode de plus en plus A son alliée germanique.
4. Du bloc-or aux Fronts populaires. ' On a dit
qu'un certain nombre de pays européens étaient restés attachés durant la débacle monétaire au maintien de la parité-or de leur monnaie. Dans ce groupe, il y avait la France, l'Italie, les Pays-Bas, la Belgique, la Suisse et quelques nations de l'Europe de l'Est. Ces pays paient cher leur attachement durant les années 33 A 36, puisque les dévaluations successis de la livre sterling et du dollar ont fortement et soudainement renchéri leurs prix dans les échanges mondiaux : comme ils refusent la dévaluation, ils sont contraints de peser sur leurs prix et leurs renus en limitant les dépenses publiques et en procédant A des baisses plus ou moins autoritaires : politique de déflation interne, qui n'est pas de nature A stimuler directement leur économie. A mesure que le temps passe les protestations se multiplient dans le marasme; une panique financière en mars 1935 impose A la Belgique la dévaluation.
La situation franA§aise ne valait guère mieux, et les accès de défiance dans le franc mènent au dernier effort déflationniste du gournement Laval, réduisant autoritairement de 10% les paiements de l'Etat'parmi lesquels les traitements des fonctionnaires ' et dirs prix. Le renrsement politique du Front populaire ' précédé par le - Frente popular - esnol ' peut se caractériser par l'idée de la stimulation du pouvoir d'achat, et un interntionnisme très modéré : Léon Blum n'avait-il pas distingué entre 1' - exercice - et la - conquASte - du pouvoir? De son point de vue l'heure n'était pas au socialisme, et la coalition du Front populaire laisse ainsi un bilan très original : peu de nationalisations, des accords contractuels centralisés, les accords Matignon qui prévoient des augmentations générales de salaires (10 A 15%), et une loi célèbre, du 22 juin 1936, réduisant la semaine de travail de 48 A 40 heures sans réduction de salaire. Les efforts de soutien des renus agricoles, au moyen d'un Office national interprofessionnel du Blé, sont plus classiques.
Les - 40 heures - restent le type de mesure historique et controrsée : symbolique, appuyée sur l'importance du travail A temps partiel en France, la loi introduit une grande rigidité. En effet, les 35 heures prévues par le - New Deal - sont négociables, modulables en quelque sorte selon les - codes - et les branches; matérialisant la conquASte d'une dignité noulle, indissociable du droit au loisir et des premiers congés payés, le texte franA§ais a un aspect antiproductif; par son uniformité, il peut contraindre des entreprises dynamiques, dans des régions peu touchées par le chômage, A limiter leur production; il est donc générateur de goulots d'étranglement (14).
Toujours est-il que la reprise du Front populaire
marque le pas et a de nettes conséquences inflationnistes, sanctionnées par deux dévaluations successis.
A côté de ces expériences majeures qui ont transformé de faA§on voyante les grands pays industrialisés, d'autres nations ont conduit des politiques réformistes sount hardies et couronnées de succès. Ainsi les pays nordiques, et singulièrement la Suède, ont-ils réorienté rapidement leurs échanges extérieurs et déloppé un appareil industriel performant : l'arrivée au pouvoir des sociaux-démocrates en 1933 rend possible un vérile laboratoire de politiques économiques et sociales qui devait fasciner les grands pays occidentaux durant des décennies. Un syndicalisme puissant et reconnu, n'excluant pas des conflits très durs, une
politique budgétaire explicitement anticyclique dès 1937 (due A Dag Hammarskjold) : le socialisme suédois se forge durant la crise.
Les denirs contrastés de l'Australie et de la Noulle-Zélande méritent une mention : en 1931, les travaillistes perdent le pouvoir en Australie, en 1935 ils le gagnent en Noulle-Zélande. Jusqu'en 1935 les solutions déflationnistes, parfois violentes, prévalent, mais après cette date les travaillistes néo-zélandais mettent en place une politique qui est une vérile synthèse du Front populaire, du New Deal et des réformes britanniques. Face A l'Australie qui reste fondamentalement et agressiment libérale (non sans succès, au bout du compte), ils imposent en 1936 la semaine de 5 jours et de 40 heures, relancent la construction et la concentration industrielle, assurent un niau de vie minimal aux fermiers; et leur effort culmine dans un dispositif systématique de sécurité sociale fondé sur la simple notion de responsabilité collecti face aux situations d'indigence ou de besoin (1938).
On a sount attribué la sortie de la crise A la
croissance des dépenses militaires. Deux remarques doint AStre faites sur ce point. La première porte sur le côté tardif de ce réarmement, qui mASme en Allemagne n'est significatif qu'en 1937-l938 (15). Paradoxe sount méconnu : l'effort de guerre allemand ne sera total qu'en 1942, lorsque les effets de la stratégie de - guerre-éclair -, n'impliquant pas de mobilisation durable de l'économie, se seront dissipés. Ce qui fait le succès A court terme du redressement nazi (et aussi nippon) tient donc davantage A la présence d'un Etat autoritaire prenant en charge le denir économique. Ensuite, il n'y a eu dans cette émergence nationale et étatique (moins marquée pour les démocraties occidentales) qu'une première étape; A l'issue des convulsions étaires du second conflit mondial, l'essor prodigieux des Etats-Unis les mène A une seconde étape : un vaste réaménagement des relations internationales qui comprend, outre la primauté du dollar et le - Marshall - (aide massi A la re
construction européenne), les dispositions libre-échangistes générales du gatt (1948).
IV. ' La naissance du sous-déloppement ?
Notre bilan du déroulement et des répercussions de la crise serait tronqué si n'étaient évoqués les problèmes du monde dominé. La crise est avant tout industrielle et occidentale; on ne saurait cependant oublier que les deux tiers du monde en 1930, 1,4 milliard de personnes, voyaient leurs conditions de vie liées directement ou indirectement au cours des matières premières et A la marge d'autonomie que leur laissaient les métropoles. Cette masse au poids démographique croissant face au déclin de l'Europe de l'Ouest se divisait, en 1930, approximatiment en quatre blocs : 40% pour l'Asie de l'Est et 40% pour l'Asie du Sud d'une part, 8% pour l'Amérique latine, 12% pour l'Afrique. Une disparité considérable caractérise les situations des territoires concernés, qui rend impossible une généralisation simple sur l'impact de la crise.
L'insilité de l'eotre-deux-guerres est ici aussi patente, il faut rappeler que la Chine est en proie A une guerre civile durant les années 30 (la - longue marche - de Mao Tse Toung, qui date de 1934-l935, en est un épisode marquant). D'autres nations conquièrent leur indépendance progressiment, comme l'Inde, cependant que coexistent des Etats politiquement autonomes en principe, des zones sous protectorat, des colonies isolées ou dirsement regroupées, dans l'Empire franA§ais ou dans le - Commonwealth - britannique qui succède en 1931 A l'Empire (Statut de Westminster).
Détenir une zone d'influence, voire de domination, apparaissait comme une nécessité vitale pour les grands pays industrialisés; en témoignent les tentatis néocoloniales de l'Allemagne, de l'Italie et du Japon. La réalité est toutefois loin d'AStre aussi simple, et il n'est pas évident, rétrospectiment, que le monde dominé ait joué un rôle d'amortisseur.
Il faut commencer par la crise commerciale que ressentent fortement et durablement les fournisseurs de matières premières, et qui précède très nettement les effondrements occidentaux. La contraction ainsi amorcée ' et qui fait des pays dominés un des déclencheurs de la crise (16) ' se révèle aussi dure pour eux que pour les économies dominantes, A l'exception toutefois de l'Afrique : en termes nominaux, le niau de ses échanges reste en 1935 A 50% de celui de 1928, alors qu'il est en moyenne de 35% pour le reste du monde, l'Amérique latine étant la plus touchée ac un niau de 31%. Aussi dure, mais financièrement insupporle pour les nations peu déloppées.
Une exception confirme la règle : la production d'or double pendant la crise, et atteint 1 232 tonnes en 1939, ce qui est 10 fois plus qu'en 1875 et 25 % de plus qu'en 1974. Les pays aurifères sont fortement stimulés, telle l'Afrique du Sud qui trarse la crise sans trop de mal (ac toutefois une paralysie du marché des diamants).
Ces sombres perspectis du secteur d'exportation seraient A nuancer par produit et par pays : des accords d'autolimitation de la production ont été mis en place dans les années 20 (caoutchouc), et la débacle des - produits de dessert - (café, cacao) s'oppose au réil de certaines filières d'approvisionnement induit par les efforts de réarmement.
Le jeu des mécanismes économiques est toutefois doublé par les réorientations politiques : toute une gamme de dispositions et de pressions, qui vont des accords imposés ou négociés aux règlements administratifs coloniaux, des marchés réservés aux interntions directes, témoigne d'une intense activité occidentale comprenant deux aspects contrastés : d'une part un relatif désengagement, des capitaux par exemple, qui montre que désormais le marché intérieur prime pour les métropoles; d'autre part, un - repli impérial - sount magnifié (pour celles qui croient en avoir les moyens), et qui consiste A privilégier les colonies dans les échanges extérieurs, voire A reprendre leur mise en valeur sur une base élargie. Le cas anglais voit la prééminence du désengagement, cependant que la France inaugure ac éclat l'exposition coloniale de 1931, sommet symbolique de son activité d'outre-mer, et relance le financement public de travaux d'infrastructure en Afrique. Il est clair rétrospectiment que le désengagement était porteur d'anir, tandis qu'en dépit d'efforts indéniables le repli sur l'empire s'est révélé largement mythique, reposant sur une complémentarité illusoire entre produits de base et manufacturés (on néglige la nécessité de pôles industriels périphériques logiquement en
concurrence ac la métropole, on sous-estime grament les conflits d'intérASts entre dirses fractions des parties prenantes). Le repli sur l'empire fut commercial, et limité; ses résultats restent ambigus.
Un peu partout dans la périphérie colonisée, les milieux colons blancs ont été conduits A promouvoir un essor industriel local, dont l'expansion rapide ne doit pas faire oublier l'étroitesse. La crise laisse libre un espace national de reconrsion industrielle, et si le financement se révèle ardu, il est clair que les pays neufs se lanA§ant dans l'anture n'ont pas grand-chose A perdre. Ainsi l'Inde, s'appuyant sur des autochtones européanisés, voit une nette croissance de ses activités manufacturières ' tout comme l'Argentine les - Dominions - blancs, le Canada mis A part.
L'examen des problèmes agricoles met en cause le sort de la totalité des populations indigènes, et fait apparaitre lui aussi une très forte dirsité des situations. Deux évolutions semblent caractéristiques : d'un côté, le maintien de mondes agricoles séparés, tendant A une certaine forme d'autarcie, soit dans une sclérose pré-industrielle, soit au contraire dans le déloppement de - kystes - modernes sans liens apparents ac la société dans laquelle ils s'insèrent. D'un autre côté, et la crise ici joue un rôle indiscule, des tensions et des influences réciproques font se juxtaposer des désagrégations et des tentatis réformatrices.
Un exemple important de ces tensions est fourni par le recul de l' - économie de traite - en Afrique noire et la - moné-tarisation - de secteur exclus auparavant de la zone des transactions marchandes. Rappelons que l'économie de traite désigne les trocs (sount pratiqués dans la colonisation du xixe siècle) entre indigènes livrant le produit de leurs cultures ou de leurs chasses, et comptoirs leur fournissant dirs articles manufacturés de faible valeur. Le mécanisme essentiel semble avoir été fiscal. Face A la baisse des recettes découlant des échanges internationaux, les administrations coloniales se sont reportées sur l'assiette potentielle de la production intérieure et des renus indigènes, elles ont contraint ces derniers A un effort de contribution monétaire, et donc A une monétarisation de leurs activités. D'où une désagrégation progressi des structures tribales traditionnelles, et un report d'une partie des difficultés économiques sur des populations incapables de s'adapter : un quasi travail forcé au bout du compte, et une forte paupérisation des camnes soulignée par de nombreux observateurs.
Quelques tentatis réformatrices, largement minoritaires, explorent les voies d'une intégration paysanne noulle, la plus nole étant celle de Cardenas au Mexique, qui prévoit durant les années 30 des redistributions de terres sur une grande échelle (20 millions d'hectares A 1 million de familles), et se heurte fronta-lement au pouvoir latifundiaire, ac un succès mitigé. Le trait commun A toutes ces expériences sount brutales se trou dans la croissance urbaine, doublement stimulée par l'afflux de masses paysannes misérables, désorientées, et par un embryon de bourgeoisie locale plus ou moins nationaliste. En effet, l'urbanisation de ce qui deviendra le - Tiers Monde - a son origine dans les années 30 : le gonflement des villes est dû pour une grande part A l'entassement d'un sous-prolétariat dans des - bidonvilles - (nous avons évoqué plus haut leur multiplication en Occident; le phénomène est clairement symétrique dans le Maghreb et en Amérique latine), population de camnards ruinés et de rares salariés voyant leurs gains nominaux parfois réduits de moitié en deux ans. Trois idées paraissent s'imposer :
' tout d'abord, la réalité de la crise dans les pays et territoires périphériques reste mal élie et défie la généralisation, tant est grande la dirsité des situations et des réactions;
' néanmoins, il semble possible d'émettre l'hypothèse d'une - invisibilité - partielle des répercussions commerciales et financières sur les masses rurales des pays dominés : pas de chômage constaté, mais une pression sur les activités rurales et une montée du fait urbain;
' si dans ses manifestations essentielles la crise est occidentale, il semble bien y avoir eu des foyers de crise spécifiques latents, durant les années 20, dans le monde périphérique : foyers que la dépression occidentale révèle mais ne crée pas. Les évolutions que nous avons évoquées plus haut font des convulsions des nations industrielles un accélérateur plutôt qu'un déclencheur. C'est le cas aussi bien du recul constaté pour l'économie de traite, des noyaux d'industrialisation, de l'urbanisation et du nationalisme. Mais cette accélération est sans aucun doute porteuse de ruptures, tout comme la démographie qui tend A denir explosi et comme de noulles relations financières s'instaurent, ac des opérateurs préoccupés sount de renilité A court terme : les rapports entre population et subsistance, la dépendance fondée sur le cercle vicieux aides/endettements, sont en passe de denir les deux problèmes majeurs du monde dominé.
Sans doute peut-on retenir comme une hypothèse vraisemblable la conclusion du rapport d'ensemble d'un colloque organisé en 1976 sur - l'Afrique et les années 30 -, et qui est la suivante : - Tout concourt A faire de la période 1931-l936, A la faur et en marge de la crise mondiale, la phase clé de la genèse, au sein de l'impérialisme contemporain, d'un phénomène spécifique, celui du sous-déloppement du Tiers Monde - (17).