IPeut - écrits et documents
ManagementMarketingEconomieDroit
ss
Accueil # Contacter IPEUT




economie générale icon

ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


NAVIGATION RAPIDE : » Index » ECONOMIE » economie générale

L'école classique anglaise

Ce n'est pas une école, au sens où l'était en France la - secte des économistes -. C'est plutôt une lignée d'auteurs qui se succèdent les uns aux autres, qui se prolongent, se précisent, se corrigent et se complètent les uns les autres : Adam Smith, Malthus, Ricardo, Mac Culloch, James Mill, John Stuart Mill, pour ne citer que les plus grands noms.
La doctrine classique anglaise ne naitra pas d'un coup de foudre intellectuel, comme le Tableau économique de Quesnay. Elle sera construite laborieusement, par trois générations d'économistes, A  force de controrses subtiles et serrées, de conciliations délicates et de difficiles synthèses. Elle n'invoquera pas la clarté de l'évidence, comme faisait - l'ordre naturel - ; mais bien plutôt la force convaincante de raisonnements solidement échafaudés, ac une rigueur sévère, ac une conscience scrupuleuse et sount inquiète.
Les grandes œuvres de l'école anglaise s'échelonnent entre 1776, date de la publication de la Wealth of Nations d'Adam Smith, et cette année 1848 qui coupe en deux le XIXe siècle, et qui est celle des Principes d'économie politique de Stuart Mill. Durant ces soixante-douze ans, l'école classique anglaise n'a pas été seule maitresse du champ des doctrines. Jusqu'aux physiocrates inclus ' si l'on fait abstraction de certains chevauchements dans les périodes de transition, et de quelques courants secondaires ' les idées économiques présentaient un déloppement sensiblement linéaire. A partir de la fin du xvin siècle, il n'en va plus ainsi. La pensée économique se déloppe en éntail. Les écoles se multiplient, s'émiettent, tirent dans tous les sens. La troupe en marche se scinde en plusieurs colonnes dirgentes. La colonne de base, s'il en est une, c'est sans contredit l'école classique anglaise. Nous commencerons par suivre son itinéraire. Puis nous devrons renir en arrière, pour parcourir la route de ses adrsaires et de ses dissidents.
On ne peut comprendre les physiocrates, disions-nous, sans évoquer la philosophie du xvin siècle franA§ais. Le classicisme ne se conA§oit point sans l'utilitarisme ; Jérémie Bentham, qui parait fort peu sur la scène, n'en est pas moins le personnage essentiel de l'école, le nœud de son histoire, la clé de son unité.
Les philosophes anglais de ce temps-lA  se proposent d'enler A  la morale et au droit toute transcendance. Tandis qu'en France on érige des autels aux abstractions, les Britanniques, pris d'une frénésie d'analyse, s'engagent dans une course au concret. Ils ramènent et réduisent toute la philosophie A  la psychologie, et la psychologie A  une mécanique. Ac eux, la personnalité se dis-sout. Elle n'est plus que le lieu géométrique où s'affrontent et se combinent des éléments multiples et hétérogènes : instincts, plaisirs et peines, images.
Pour une première école ' dite école écossaise ' l'homme est le lieu d'application d'un certain nombre de forces, qui sont ses instincts. Certains le poussent A  rechercher sa conservation et son expansion propres. Ce sont les instincts égoïstes : de défense, de conquASte, de jouissance. Un autre faisceau d'instincts attire l'homme rs ses semblables, et le pousse A  s'immoler pour autrui.
Ce sont les instincts altruistes, principes des actes moraux. La conduite humaine est la résultante de ce jeu de forces opposées. Telle est la perspecti de l'école - du sens moral inné - (Hut-cheson, Shaftesbury), qui inspirera les écrits philosophiques d'Adam Smith.
Une autre école mettra l'accent moins sur les tendances innées que sur les plaisirs et les peines. Elle rra dans l'homme une machine A  jouir et A  souffrir. La morale se confond alors ac la recherche de la plus grande somme possible de bonheur, et la science sociale a pour but de rationaliser ce calcul au maximum. Telle est la doctrine des utilitaires, dont les plus fameux sont Jérémie Bentham et James Mill. Or, ce fut précisément le rôle des économistes classiques d'opérer le passage de la doctrine écossaise A  l'utilitarisme, de la philosophie des instincts A  l'hédonisme rationaliste. La charnière qui relie l'une A  l'autre est le fondement mASme de l'économie classique : le principe de l'harmonie des intérASts. Que chacun ' s'abandonnant A  son instinct égoïste ' poursui pour soi-mASme la plus grande somme de satisfactions, et la plus grande somme de bonheur sera réalisée pour tout le monde. C'est une idée que des les premières années du xvin siècle, Ber nard de Mandeville avait déjA  déloppée dans sa célèbre Fable ( des abeilles. Mandeville imagine une ruche dont les abeilles sont apres au gain, avides de profit, de jouissance et de luxe ; nullement embarrassées de scrupules. La ruche bourdonne et prospère. Mais voici que nos abeilles sollicitent et obtiennent de Jupiter de denir rtueuses, honnAStes, sobres, austères, chariles. Alors les industries de luxe n'ont plus de débouchés, et les prix s'effondrent. Le chômage sévit dans la ruche, qui périclite et succombe. Private vices, public benefits, conclut Mandeville : les vices des individus sont bienfaits pour la société. L'égoïsme de chacun est la condition de la prospérité générale.
L'Angleterre est passée directement du mercantilisme au libéralisme : elle a fait l'économie de ce chainon intermédiaire ' et si l'on ut de ce détour ' que représente en France la physio-cratie. Par Hutcheson, Hume, Tucker, Ferguson et Adam Smith, Ricardo descend tout droit de Steuart, Petty et Locke. La transition est lente, elle évoque une série de glissements plutôt qu'un brusque retournement. La nature, en dépit d'un aphorisme respecle, fait parfois des sauts ; mais l'Angleterre, jamais ! L'ame du vieux mercantilisme survit dans le libre échangisme classique. Celui-ci ne poursuit-il pas. par des moyens différents adaptés A  un noul état de choses, l'expansion commerciale de la nation ?
Au xvin siècle, l'Angleterre connait un essor démographique considérable. Dans une ile située A  une latitude déjA  appréciable, et où domine la grande propriété, les possibilités de peuplement des camnes sont limitées. La population s'agglomère dans les" villes, les manufactures se déloppent, et bientôt font place A  des usines modernes, qui utilisent des sources d'énergie artificielles, et dont la construction et l'équipement impliquent d'importantes immobilisations de capitaux. L'Angleterre est le pays du charbon, partant de la concentration industrielle. Un prolétariat surgit, et ac lui de nouaux problèmes. Et nous rrons les discussions économiques s'accrocher A  la grande controrse autour des lois d'assistance aux pauvres (poor laws).
La population anglaise croissante ' le blocus continental le manifestera bientôt ' ne peut plus se nourrir sur les ressources du sol national : c'est ce que traduiront les affres de Malthus. Mais plus que des lamentations, ces faits réclament un grand boulersement de structure. 11 faudra que l'Angleterre se décide A  sacrifier son agriculture, qu'elle devienne l'atelier du monde, qu'elle échange ses produits industriels contre la subsistance qu'elle importera de l'étranger. Et c'est la grande querelle autour des droits de douane sur les céréales. Dans l'Angleterre de la période classique, le monde de l'usine s'oppose au monde des champs, les villes aux camnes. Au parti de la liberté d'importation des céréales, c'est-A -dire au parti des villes et de l'industrie, Ricardo fournira ses armes théoriques : il luttera pour sa cause au Parlement, et la victoire sera finalement emportée vingt ans après sa mort, en 1846, par l'Anti-Corn Law League de Richard Cobden et de John Bright.
La pensée classique anglaise reflète ainsi les douleurs de l'un de ces nombreux avatars dont l'histoire de la structure économique de l'Angleterre est prodigue. Après avoir sacrifié son agriculture pour denir l'atelier du monde, l'Angleterre, lorsqu'elle revalorisera la livre sterling en 1925, sacrifiera son industrie pour rester le banquier du monde. Or ce dernier rôle n'est pour elle encore qu'un autre legs lointain de la période classique. L'expérience de cours forcé et la dépréciation de la livre qui marquèrent la période des guerres napoléoniennes avaient mis les problèmes monétaires au premier de l'actualité anglaise. C'est par eux que le banquier Ricardo fut attiré rs les études économiques. Et c'est de la doctrine monétaire ricardienne que s'est inspiré l'Act de 1844. lequel est resté jusqu'en 1931 la charte du système monétaire britannique.
Telle est l'ambiance philosophique et pratique, tels sont les grands axes et les grands legs de la pensée classique anglaise.

Adam Smith, ou l'harmonie des interets
L'ancAStre de l'école, le maitre dont tout entière elle se réclamera, c'est Adam Smith. Il est né en 1723 A  Kirkaldy, en Ecosse. Etudiant A  l'Unirsité de Glasgow, il y a pour maitre Hulcheson.
Professeur A  Edimbourg en 1748, il se lie intimement, pour toute sa vie, ac le philosophe David Hume. L'opposition de la philosophie du sens moral inné de Hutcheson et du naturalisme de Hume, l'influence hétérogène du maitre et de l'ami annoncent déjA  la tension que nous dégagerons entre l'aspect philosophique et l'aspect économique de l'œuvre de Smith. A vingt-huit ans. en 1751, Smith prend possession d'une chaire A  l'Unirsité de Glasgow, où il enseigne d'abord la logique, puis la philosophie morale. Son cours connait un succès considérable. En 1759. il publie son premier grand ouvrage, La Théorie des sentiments moraux. Hutcheson faisait reposer la morale sur la bien- I illance. Smith la fonde sur la sympathie, dont il proclame le _ caractère inné, primitif. Un spectateur impartial, bienillant et , désintéressé, qu'imagine notre sympathie, nous contemple sans cesse : nous avons le sentiment de son approbation ou de sa désapprobation ; telle est la règle de notre conduite morale.
Le succès considérable de la La Théorie des sentiments moraux désigne Smith A  l'attention de Charles Townsend, lequel cherche alors un précepteur pour le jeune duc de Buccleugh. Quatre ans plus tard, pour accomner ce jeune homme, Adam Smith va entreprendre sur le Continent un voyage qui constitue l'un des événements les plus importants de l'histoire des doctrines économiques. Après un séjour A  Toulouse, puis A  Genè, nos deux voyageurs arrint rs NoA«l 1765 A  Paris, où Hume les présente A  la société franA§aise cultivée. Smith fréquente les encyclopédistes, en particulier d'Alembert. Il s'entretient ac Helvétius, le philosophe de l'égoïsme. Dans ce Paris de la fin du règne de Louis X ' que Smith découvre sept ans après la publication du Tableau économique et moins de deux ans après le premier édit élissant la liberté du corn merce des grains (1764) ' règne une grande efferscence de controrses économiques. Adam Smith rencontre Ouesnay. nous savons mal dans quelles conditions. Il a de nombreuses conrsations ac Turgot, et Léon Say a pu écrire qu'en économie politique Smith était l'élè de Turgot, et Turgot l'élè d'Adam Smith en philosophie. L'influence des physiocrates sur Smith est incontesle. Mais il est assez ridicule que les historiens franA§ais se soient traditionnellement fait un point d'honneur de l'amplifier, les historiens anglo-saxons de la réduire A  presque rien. La publication par Edwin Cannan des notes prises au cours de Smith en 1763 par un de ses étudiants ne permet plus de mettre en doute que l'idée de l'harmonie naturelle des intérASts et la doc-
trine libérale aient été professées par Smith avant sa rencontre des physiocrates. Cela ne va point A  dire que celle-ci n'ait pas fortifié ses convictions, ni informé les progrès ultérieurs de sa pensée. Smith, en bon Ecossais, aime la France. Comme lui, dédaignons les querelles de paternité. Ac lui rentrons en Grande-Bretagne, où il repart en octobre 1766. Smith se retire alors auprès de sa mère, dans son village natal. Pendant dix années, il y va demeurer, réfléchir, et travailler. Le résultat sera le plus grand livre de l'histoire des doctrines économiques : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. C'est un ouvrage entièrement
fait A  la camne, fruit d'une longue méditation solitaire. Smith l'a rédigé comme il préparait jadis ses cours A  Glasgow. Il composait d'abord mentalement, et puis dictait ensuite, debout, sa tASte lourde d'effort créateur appuyée contre le mur de sa chambre, sur quoi la trace s'en voit encore.
L'ouvrage de Smith, passablement étendu (il remplit deux gros volumes dans l'édition anglaise originale) et non moins touffu, désordonné, n'est pas de ceux qui se laissent facilement résumer. La Wealth of Nations est aussi dénuée d'architecture que riche d'aperA§us originaux. Elle ressemble A  l'idée classique que nous nous faisons du roman anglais : long, plein de couleur, mais délayé ; semé de digressions ; dénué de toute unité d'action. Nous y trouvons ce goût du concret, cette attention au réel sans cesse éillée, cette honnASteté modeste et candide, cette ignorance des lois de la composition, A  quoi nous reconnaissons l'esprit de la patrie du nominalisme. L'Anglais aime le réel plus que le vrai. Devant toute spéculation pure qui ne se prolonge pas en recette d'action, sount il recule et se dérobe. Il se meut A  l'aise dans l'illogisme, dont l'ambiance pour nous intolérable n'altère pas sa bonne humeur. Il n'énonce jamais un principe, qu'il n'en reprenne aussitôt quelque chose, le dépouillant par lA  de sa valeur de principe. Ainsi Smith, dans la Wealth of Nations. C'est un livre qu'il est délicieux de lire par bribes, fécond de pratiquer comme livre de chet. Les es ne s'en comptent pas, qui sont des chefs-d'œuvre. Les anecdotes, les digressions, les remarques incidentes y foisonnent, piquantes et charmantes. Mais la pensée ne progresse pas. L'auteur a le temps. Il flane. Au total, la moisson est abondante, mais les gerbes mal liées et mal disposées. Cela fait la joie des glaneuses, et le désespoir des moissonneurs.
Alors glanons, en ordre si possible. La plus grande œuvre de l'histoire des doctrines économiques s'ouvre sur un déloppe-ment d'une simple éloquence A  jamais célèbre, appuyé sur un épisode vécu, minuscule et fortuit. Smith a visité une manufacture où l'on fabriquait des épingles. Dans la production de ce petit objet en apparence si simple, il a admiré la complexité de la spécialisation des laches. Et le premier chapitre de son livre chante la division du travail. Non point sur le mode attendri, scrupuleux, inquiet, douloureux du moraliste Sully Prud'homme en son Songe ; mais ac l'enthousiasme d'un homme bien éillé, qui assiste optimiste A  l'essor de l'industrie moderne et de la suprématie industrielle de son pays. Ainsi s'annoncent, dès l'abord, les grandes orientations novatrices de l'école anglaise. Smith exalte" le travail et sa fécondité, il honore l'ouvrier manuel d'une prédilection spéciale : l'école sera - ponocratique -. Et d'autre part Smith célèbre les bienfaits non seulement de la spécialisation technique des taches, mais surtout de la division économique des entreprises, qu'il explique ' on reconnait ici le philosophe des tendances innées ' par une propension naturelle A  l'échange, caractéristique, selon lui, de l'espèce humaine. Or, ac l'école classique, la science économique deviendra science des échanges, ou ' comme on dit parfois ' - catallactique -.
Et voici que Smith traite maintenant du marché, de la monnaie, du prix naturel et du prix courant, de la valeur d'usage et de la valeur d'échange. - Le travail ' écrit-il ' est réellement, pour toutes les marchandises, la mesure réelle de leur valeur d'échange -. Smith pense en réaction contre le chryshédonisme
mercantiliste. Les richesses, pour lui, cela ne ut pas dire de l'ar-l
gent, mais des biens. A l'évaluation des marchandises en monnaie, il entend opposer une mesure plus profonde, plus réelle, une mesure économique de la valeur. Et la petite phrase que nous nons de citer ne signifie rien d'autre peut-AStre que cette préoccupation. Mais celte petite phrase ' plus ou moins détournée de son sens vérile 'jouera un rôle immense, d'abord utile, bientôt néfaste aux progrès de la vérité scientifique. Que ut dire Smith au juste ? Entend-il que la valeur d'une marchandise soit mesurée par la quantité de travail que sa production a exigée du producteur-ndeur ? ou par la quantité de travail que le consommateur-acheteur eût dû accomplir pour la fabriquer lui-mASme ? Ou encore par la quantité de travail que cette marchandise permet d'acheter, de commander A  autrui ? Dans le premier cas, la valeur aurait pour mesure le travail dépensé, incorporé dans la marchandise (labour embudied) ; dans le second, le travail épargné (labour sad) ; dans le troisième, le travail commandé (labour commanded). On peut trour des citations de La Richesse des Nations A  l'appui de chacune de ces trois interprétations. Smith semble plutôt pencher rs la thèse du travail commandé. Mais il escamote ' ou n'aperA§oit pas ' la difficulté. Il ne choisit pas.
Et voici que bientôt (au chapitre VI) il nous explique que le travail ne fournit pas A  lui seul la mesure de la valeur, sinon dans l'état grossier des sociétés primitis. Dans la société civilisée, la rémunération des capitaux constitue, en sus du travail, un élément du coût de production, norme du - prix naturel -. Et cela fournit A  Smith l'occasion d'exalter magnifiquement le rôle de l'épargne et des instissements dans la production, et de présenter une théorie noulle, admirable pour l'époque, du capital. Mais cela ne clarifie pas sa théorie de la valeur.
Celle-ci souffre encore d'autres indécisions. Dans le chapitre VI de son livre premier, Smith étudie les différentes - parties qui constituent le prix des marchandises - : (salaires, profits). Il nous donne ainsi les grands cadres de la théorie classique de la répartition. Mais quelle est en tout cela la place de la rente foncière, c'est-A -dire du loyer de la terre cultivable ? Fait-elle partie du coût de production, ou bien représente-t-ellc un excédent de la valeur sur le coût de production ' celui-ci exclusiment fait de profits et de salaires ? La question n'est point de pure terminologie. Si la rente fait partie du coût, elle a sa part dans l'explication de la valeur ; mais il faut expliquer la rente (1). Si la rente ne fait point partie du coût, c'est la valeur qui explique la rente, mais il reste A  expliquer la valeur, et pourquoi elle excède le coût (2). Smith n'a pas vu qu'il fallait choisir. Le lui faut-il donc reprocher ? S'il a laissé les choses dans le vague, n'est-ce point après tout que ces dirs problèmes n'en étaient pas pour lui ? En sont-il encore pour nous ? Pour rendre justice A  Smith, il faut oublier un peu ses successeurs, et les arguties sibyllines qu'ils ont échafaudées sur le fondement de ses définitions.
En face du système idéal et intemporel des physiocrates, Smith a le sens de l'évolution historique et de la dirsité des structures économiques nationales. Observant les dirs types de civilisation économique qu'il connaissait, il les a classés d'après leurs caractères dynamiques : états progressifs (ac des degrés dans le rythme du progrès) ; états régressifs ; enfin cet - état stationnaire - dont Stuart Mill fera l'aboutissement nécessaire de toute évolution économique, mais qui ne constitue chez Smith qu'une catégorie dynamique sur le mASme que les autres.
A la théorie économique de Smith est intimement liée une doctrine. A partir du livre IV surtout, La Richesse des Nations se révèle avoir d'autres ambitions que d'interpréter les faits et leurs relations. Il s'agit de procurer le bien-AStre de tous, et spécialement des masses laborieuses. Fin - hédonistique -, qui dominera toutes les écoles libérales. Le moyen, pour Smith, c'est la liberté de la production, du commerce, des prix, des échanges. Tandis que les physiocrates appuyaient surtout sur le caractère privé (et non public) que doint revAStir la production et le commerce, Smith | déjA  insiste sur l'individu, réalité humaine irréductible, principe d'initiati et centre de calcul économique. Les physiocrates" étaient libéraux ; Smith est individualiste. L'économie doit AStre individualiste, parce que c'est la nature de l'homme d'AStre indi- ?" vidu, et aussi bien ' encore une idée physiocratique ' parce que la recherche par chaque individu de son intérASt personnel aboutit automatiquement A  la réalisation de l'intérASt général. Mais chez les physiocrates cette harmonie prodigieuse s'expliquait par une intention bienillante de la Providence. Ac Smith, le fondement de l'harmonie des intérASts est déjA  presque mécanique. La finalité tend A  s'éliminer de la construction. L'harmonie des intérASts résulte d'une démonstration, non d'une évidence ; d'une analyse de causes et d'effets, plutôt que d'une intuition du divin.
On peut d'ailleurs AStre surpris de voir Smith poser un tel principe. N'avait-il pas affirmé dans la Théorie des sentiments moraux que toute la moralité reposait sur la sympathie, sur l'altruisme ? N'y avait-il pas violemment attaqué la Fable des abeilles de Mandeville, au chapitre intitulé - Des systèmes licencieux - ? Et maintenant il proclame que de la poursuite par chacun de son intérASt égoïste surgit automatiquement ' sans que nul ait A  la vouloir ' la réalisation de l'intérASt général ! Contradiction ? Evolution ? Influence des physiocrates ? Peut-AStre bien. Peut-AStre aussi séparation des domaines ' où le principe de la sympathie serait celui de la vie morale, l'égoïsme et l'harmonie des intérASts celui de la vie économique. A quoi bon d'ailleurs épiloguer, et torturer les textes pour
les opposer ou concilier ? La rigueur n'est pas la qualité maitresse de l'intelligence d'Adam Smith, mais son œuvre gagne en richesse et en espérance de vie ce qu'elle perd en précision scientifique.
Le libéralisme de Smith est large et vigoureux. Il n'a rien de systématique. Smith pose en principe que l'Etat doit internir, et suppléer A  la carence des individus, chaque fois que l'intérASt personnel se révèle insuffisamment fort pour promouvoir des initiatis utiles A  la collectivité. Il admet (Bentham le lui reprochera bientôt) la fixation d'un maximum légal du taux de l'intérASt. Et l'empirisme de Smith transige mASme ac l'erreur protectionniste. Il absout les droits de douane compensatoires d'impôs qui pèsent sur la production nationale, et les représailles douanières ; il accepte A  titre provisoire le monopole de la Comnie des Indes, et comme concession A  l'opinion publique la taxe A  l'importation des laines. Il semble approur l'Act of Navigation de Cromwell. Et c'est apparemment sans débat de conscience qu'il accepte en 1778 un poste de commissaire aux douanes A  Edimbourg. Le paradoxe de cette nomination n'est pas moins instructif que piquant. Ce n'est pas Bastiat qui eût accepte d'AStre douanier ! Mais le libéralisme de Smith est accommodant et réaliste : il marque une orientation plutôt qu'il ne s'affirme comme principe absolu.
Smith n'a rien défini rigoureusement, mais il a tout suggéré y compris la rigueur du raisonnement économique. Il a sans doute confondu quelque peu le point de vue normatif et le point de vue spéculatif, la doctrine et la théorie (3) ; et dans sa théorie, on peut trour l'annonce de thèses qui plus tard s'opposeront les unes aux autres. Il n'en reste pas moins que c'est A  partir de lui qu'il existe une science économique ; et qu'elle est liée ' au moins jusqu'A  Karl Marx ' A  la doctrine libérale.

MALTHUS, OU LA MALéDICTION DIVINE
Malthus est un Anglais des environs de Londres, né en 1766, pasteur chargé d'une paroisse, puis professeur au Collège des Indes orientales. Son père Daniel Malthus, exécuteur testamentaire de Jean-Jacques Rousseau, est un disciple de Godwin et de Condorcet, adepte de la théorie du progrès, et socialisant. A trente ans, en 1796, Malthus est encore sous cette influence, et publie un opuscule intitulé The Crisis. dans lequel il prône le déloppement de l'assistance publique.
Depuis Adam Smith, l'industrie s'est déloppée en Angleterre. Le prolétariat a grandi. Il est misérable, et sa misère est aggravée par la série des mauvaises récoltes qui se succèdent de 1794 A  1800. En 1795, le prix du blé a doublé depuis l'année de la Wealth of Nations. C'est alors que le ministre Pitt projette de donner une extension noulle A  la législation élisabéthaine des pauvres. Le cadre de toutes les institutions d'assistance, en Angleterre A  cette époque, c'est la paroisse. Malthus qui lui-mASme a la charge d'une paroisse, voit les choses de près. Il peut dire son mot dans la controrse qui s'engage A  propos des poor laws.
Il ne leur restera pas longtemps favorable. A peine a-t-il publié The Crisis, qu'en 1797 la lecture d'un livre de l'utopiste Godwin conrtit, par réaction, Malthus au malthusianisme. Godwin proclame le droit A  l'assistance. Godwin professe, comme Adam Smith, qu'il existe une harmonie naturelle des intérASts ; mais seulement dans des conditions naturelles. Or la propriété ' que Smith, A  la suite des physiocrates, considérait comme - naturelle - ' ne l'est pas pour lui. Elle engendre l'inégalité des conditions, et condamne une masse de travailleurs A  produire des objets de luxe pour les riches, tandis que les besoins essentiels des pauvres ne sont pas assouvis. Dès lors, non seulement elle engendre une répartition des biens qui n'assure pas le maximum de bonheur A  l'ensemble de la population existante, mais encore elle limite la population au-dessous de son niau naturel : au détriment de la masse totale des satisfactions de l'humanité. Abolissons l'héritage ; généralisons le droit A  l'assistance ; le nombre des hommes s'accroitra, et la plus grande somme sociale de bonheur possible sera réalisée. Godwin, philosophe du progrès, ne saurait craindre que la population pût jamais denir excessi. Tant de terres restent A  cultir sur le globe ! Et que ne sommes-nous point en droit d'espérer des progrès du machinisme ? Godwin s'abandonne mASme A  l'entrainement de son optimisme jusqu'A  envisager que l'homme pourrait bien un jour denir immortel : parce que, quand toutes ses actions seront denues conscientes et volontaires, l'ame deviendra maitresse du corps.
De telles divagations font réfléchir Malthus. LA  donc aboutissait la pente où l'avait engagé son père ! Car Godwin après tout n'a fait qu'expliciter les postulats logiques de toute position favorable A  l'assistance. Pourtant, s'il y a des misérables qui n'ont pas suffisamment A  manger, c'est qu'il n'y a pas assez de blé en Angleterre pour nourrir tous les Anglais. Or. les lois des pauvres ne fabriquent pas de blé ! En revanche, elles encouragent la natalité ; elles fabriquent des pauvres. Elles aggrant le déséquilibre entre la population et les subsistances. La misère du prolétariat ne vient pas des institutions, comme le prétend Godwin. Ses causes sont naturelles et inélucles. On l'aggra en prétendant y remédier par l'assistance. Tel sera le thème de l'Essai sur le principe de population, que Malthus publiera dès 1798.
Le schéma de la perspecti malthusienne est célèbre. L'instinct qui pousse les hommes A  se reproduire est impérieux. Si le rythme de la reproduction reste constant, la population tend A  s'accroitre selon une progression géométrique (2-4-8-l6). Or les subsistances ne sauraient croitre aussi rapidement. La terre est limitée en surface. Seule l'adjonction de noulles terres cultivées peut accroitre les subsistances. Tandis que la population se multiplie, les subsistances ne progressent que par addition, au mieux selon une progression arithmétique (2-4-6-8). Il y a donc une tendance constante de la population A  devancer le progrès des subsistances. L'équilibre n'est maintenu que par des obstacles que la population rencontre dans son accroissement. Ils sont de deux espèces. D'abord des obstacles naturels : quand la population excède les possibilités d'entretien, des famines, des épidémies dont la sous-alimentation favorise la proation, et des guerres que suscite la compétition pour le sol, viennent la ramener A  son niau normal. Ces obstacles naturels (qui sont des obstacles a posteriori, des obstacles répressifs) sont efficaces, mais calamitcux. Pour éviter leur rencontre, il n'est qu'un moyen : prénir l'excès de population, en opposant des obstacles artificiels A  la reproduction (obstacles a priori). Mais Malthus est ministre du culte et sévère moraliste. La - contrainte morale - qu'il prASche exclut tous les procédés anticonceptionnels aujourd'hui qualifiés de - néo-malthusiens -. Elle consiste A  retarder l'age du mariage, et A  pratiquer la chasteté conjugale. Lui-mASme ne s'est marié qu'A  trente-huit ans. après AStre resté longtemps fiancé, et n'eut que trois enfants. Mais ' en 1798 tout au moins ' Malthus ne se fait pas d'illusions. Sur le des grands nombres, A  l'échelle statistique, la - contrainte morale - a peu de chances de prénir l'excès de population. Celle-ci se heurtera dès lors fatalement aux obstacles naturels. Aucun prétendu - droit A  l'assistance - n'y saurait obvier. - Un homme qui nait dans un monde déjA  occupé ' écrit Malthus ' si sa famille ne peut le nourrir, ou si la société ne peut utiliser son travail, n'a pas le moindre droit A  réclamer une portion quelconque de nourriture ; il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n'y a pas de court mis pour lui. La nature lui commande de s'en aller, et elle ne tarde pas A  mettre elle-mASme cet ordre A  exécution. -
En 1803, Malthus publie une seconde édition de son Essay, beaucoup plus volumineuse que la première. Entre-temps, la série des mauvaises récoltes qui avait éprouvé l'Angleterre de 1794 A  1801 a pris fin. La paix d'Amiens a rourt des possibilités de commerce international. Et Malthus a profité de cette éclaircie pour faire un voyage en France ; il a élargi ses horizons intellectuels. La première édition de l'Essay se présentait comme un pamphlet contre Godwin. La seconde a l'aspect d'un ouvrage scientifique. En 1798, Malthus ne faisait appel qu'au raisonnement : la théorie des deux progressions était une construction a priori. Voici maintenant que sa thèse s'enrichit de nombreuses illustrations statistiques. Parmi tous les classiques, Malthus est l'ancAStre de l'économie positi. Cependant, entre 1798 et 1803,1 ' Essay n'a pas seulement changé d'aspect et de méthode. L'esprit et les conclusions ne s'en sont pas moins infléchis. Certes, Malthus réclame toujours ac autant de vigueur l'abolition de la loi des pauvres. Mais il ne croit plus que la tendance A  la surpopulation soit sans contrepartie ni remèdes. Il admet que les progrès de la technique agricole peunt utilement accélérer le déloppement des subsistances. Il s'avise que l'importation des grains étrangers peut fournir une solution A  la pénurie nationale, et rejoint par lA  le libre échan-gisme, drapeau de toute l'école classique. Il pense que l'émigration peut permettre de dérser régulièrement hors des frontières une partie de l'excédent de population. Enfin Malthus, qui n'avait parlé du moral restraint que pour mettre en lumière l'improbabilité de sa diffusion, penche maintenant A  croire que les hommes seront assez sages pour le pratiquer. Les institutions d'épargne populaire, en les rendant plus prévoyants, les y inviteront. L'éducation les y conduira. Malthus réclame l'institution d'un enseignement populaire de l'économie politique, qui fasse connaitre aux masses le - principe de population - et prASche le moral reslraint et la liberté de l'importation des grains. Enfin l'optimisme de Malthus fait encore un pas de plus. Dans la mesure mASme où la pression de la population sur les subsistances est inélucle, est-elle seulement facheuse, et s'en faut-il désespérer ? N'apporte-t-elle pas un stimulant nécessaire et fécond au progrès économique ? De nos jours, M. Maurice Halbwachs explique précisément la - révolution industrielle - qui s'est produite en Angleterre au temps de Malthus, par la pression démographique.
Les traces de repentir optimiste que contiennent les éditions subséquentes de l'Essay de Malthus n'empAScheront point ce pasteur protestant, nourri de l'Ancien Testament, de rester pour l'histoire - le Jérémie de l'économie politique -. Sa théorie est un écho des doctrines de la fatale prédestination, de la nature totalement corrompue par le péché originel. Son livre est un - essai sur la pauvreté des nations -, comme on l'a dit spirituellement en paraphrasant le titre de celui d'Adam Smith.
Aucun ouvrage d'économie politique, peut-AStre, n'a déchainé autant de passions que celui-lA . Jusque rs 1850, le principe malthusien de la population est resté indiscuté, en Angleterre et sur le Continent, de l'école libérale qui n'a cessé de le brandir contre tout projet d'assistance publique ou de loi sociale. Cependant les socialistes ne se privaient point de clamer leur indignation contre une doctrine qui fournissait un argument d'apparence scientifique en faur de la réaction sociale ; les philanthropes de se révolter contre le fatalisme pessimiste dont elle était imprégnée ; et bientôt les moralistes, de flétrir une thèse dont ils voyaient bien qu'elle ne pouvait conduire en fait qu'A  la diffusion des pratiques anticonceptionnelles, quand bien mASme ils s'abstenaient de calomnier Malthus en l'accusant de les avoir prASchées. On s'est acharné contre les statistiques et contre les raisonnements de Malthus. On a démontré que les deux progressions sont arbitraires et fantaisistes ; on a constaté triomphalement que l'histoire postérieure dément les - prédictions - du maitre. Il est facile, lorsque les jeux sont abattus, de critiquer l'annonce du partenaire. La part n'est point si belle, de qui n'a que son jeu sous les yeux. Malthus, du reste, a-t-il voulu faire des prédictions ? Le physicien qui formule et mesure la vitesse de la chute d'un corps A  un instant donné n'entend point annoncer sa marche ultérieure. Que si par la suite l'accélération la précipite, ou que la résistance de l'air la ralentisse, ou que quelque accident fasse dévier la trajectoire, cela ne saurait faire mentir l'exacte mesure relati aux données d'un moment. Ainsi Malthus semble avoir correctement analysé les tendances dynamiques du rapport de la population aux subsistances, dans l'Angleterre de son temps (4). Et ce faisant, il a posé un problème qui existe en puissance A  titre essentiel et permanent. La preu ? C'est toujours sur son système que les systèmes ultérieurs ' mASme ceux qui lui sont le plus opposés ' prendront appui. De nos jours encore, il n'est pas un ouvrage de doctrine démographique qui ne commence par un chapitre sur Malthus.
Et l'influence de l'Essai sur le principe de population a largement excédé le domaine de la pensée économique et démographique. L'idée d'un automatisme régulateur de l'expansion des espèces, celle de la sélection naturelle, sont en germe dans l'œuvre de Malthus. Le darwinisme est fils du malthusianisme : Darwin lui-mASme l'a proclamé.
L'éclat des discussions auxquelles a donne lieu l'Essay de Malthus a maintenu dans l'ombre ses autres œuvres. Malthus a écrit plusieurs opuscules contre les lois qui protégeaient le marché des céréales. Deux ans avant les Principles de Ricardo, c'est Malthus qui a innté la loi de la rente foncière. Après la publication des Principles de Ricardo (1817), il s'en est fait le contradicteur systématique, sans que cette opposition théorique ait atteint l'amitié qui liait leurs deux personnes et leurs deux familles.
L'étoile de Ricardo a largement éclipsé Malthus. On conA§oit qu'il en soit ainsi lorsque l'on considère l'ampleur de la construction ricardienne et son caractère rigoureux, logique, imposant. Mais c'est Malthus qui le premier a montré dans l'activité économique une lutte entre les hommes avides et la nature avare. C'est par lui que l'économie classique a été fondée sur la rareté, où les théoriciens les plus modernes voient encore le principe spécifique de notre discipline. Les bases essentielles du système ricardien ' la loi de population, la loi des rendements décroissants, la théorie de la rente ' viennent de Malthus. Et c'est Malthus qui a conA§u l'idée et fourni le principe d'une dynamique économique linéaire, d'une théorie générale de l'évolution économique.
De cette intuition toute noulle par rapport A  ce que nous avons appelé la dynamique smithienne, et qui donne A  l'unirs des économistes une dimension supplémentaire, nous rrons le parti que Ricardo va tirer ; et après lui, Sluart Mill pour sa théorie de l'état stationnaire ; et enfin Marx, pour sa doctrine révolutionnaire.

Ricardo, ou l'économie hypothétique
Ricardo ' né en 1772 cinquante ans après Smith, et de six années le cadet de Malthus ' est un israélite dont la famille, originaire du Portugal, s'était fixée en Hollande avant de nir en Angleterre. Ricardo n'est pas un professeur comme Smith ou Malthus : mais un financier, fils de financier. Il a le goût du risque et du succès. A quatorze ans, il spécule déjA  dans les affaires de son père. Puis il se conrtit au protestantisme contre le gré de celui-ci, et doit voler de ses propres ailes, A  peine agé de vingt ans. A vingt-cinq ans, il a déjA  fait fortune A  la bourse. Celui qui deviendra le théoricien le plus abstrait de l'école anglaise n'a jamais cessé de faire preu de l'esprit pratique le plus éillé et le plus hardi.
Ricardo a commencé par s'occuper des problèmes monétaires, que sa profession lui faisait approcher. Les guerres de la Révolution et de l'Empire marquent pour l'Angleterre une longue période de cours forcé des billets de banque, qui s'ouvre en 1797, et ne prendra fin qu'en 1819. En 1808 les billets de la Banque d'Angleterre commencent A  se déprécier sérieusement. Les lingots d'or font prime, le change britannique baisse, les prix de toutes les marchandises s'élènt. Les esprits s'émeunt. Une grande controrse s'engage, et de grands thèmes s'en dégagent, qui dominent de nos jours encore toutes les discussions théoriques sur la monnaie. Ricardo entre dans la lice dès 1809, et publie coup sur coup plusieurs vigoureuses plaquettes. Le Bullion Report de la Chambre des Communes (1810) avait proposé une explication nuancée et complexe de la dépréciation des billets de banque. Ricardo la rattache A  une cause unique : l'excès de leur émission. Ricardo propose une rigoureuse et exclusi formule de ce que nous appelons aujourd'hui la théorie quantitati de la monnaie. Or ou billet, celui-ci conrtible ou inconrtible, peu importe la nature ' ou si l'on ut la qualité ' de la monnaie : sa quantité seule détermine sa valeur. Et pourtant Ricardo ne sera point l'émule de nos modernes partisans d'une monnaie affranchie de toute base métallique. Sans doute proclame-t-il que la circulation effecti des pièces d'or est un - pur caprice -. Pour les transactions du commerce intérieur, il lui voudrait substituer l'emploi exclusif des billets de banque : monnaie moins coûteuse. Mais il ne suffit pas qu'une monnaie soit - économique -, il faut encore qu'elle soit - sûre - (5), c'est-A -dire que son émission ne puisse denir excessi. Or, on ne saurait faire confiance au gournement pour régler l'émission des billets, sans que des bornes précises et sévères lui soient légalement assignées. Et c'est ici que l'or va retrour un rôle essentiel. Ricardo exigera que les billets demeurent conrtibles A  un taux fixe (en lingots et non en espèces) et que leur quantité soit étroitement reliée au montant de l'encaisse métallique de la Banque d'émission. Tel est le currency principle (principe de la circulation), directement opposé au banking prin-ciple (émission des billets réglée exclusiment sur la demande du crédit commercial) dont Mollien s'était fait en France le champion et qu'illustrait le statut dont il avait doté la Banque de France. Quant A  la Banque d'Angleterre, elle reprend en 1819 ses paiements en espèces, et procède A  une revalorisation monétaire intégrale, assez able A  celle qu'elle réalisera un siècle plus tard en 1925. Ricardo approu le retour A  la conrtibilité, et aussi, non sans quelque hésitation, le retour A  l'ancien pair. Plus tard, en 1844, l'Act de Peel consacrera tous les principes de la currency school : séparation radicale du - département de l'émission - et du - département de la Banque - dans la structure de la Banque centrale, circulation-billets exclusiment réglée sur l'encaisse métallique de l'Institut d'émission. Ce sera, vingt ans après la mort de Ricardo, la récompense posthume de ses travaux et de ses luttes. Pour un siècle au moins, la reine des monnaies sera placée sous le signe de ses idées et de son œuvre.
DéjA , cette théorie monétaire et les pamphlets dans lesquels elle s'exprime révèlent un rare talent de logicien, une exceptionnelle aptitude aux constructions théoriques. Dans la théorie économique générale de Ricardo, nous allons voir de tels dons s'épanouir et donner toute leur mesure.
C'est en 1807 que Ricardo fit la connaissance de James Mill. Celui-ci devait lui-mASme l'année suivante rencontrer Bentham, et denir son disciple. Bentham est le chef incontesté des - utilitaires -. A la philosophie anglaise déjA  orientée avant lui rs le psychologisme et l'atorrusme, il impose une note systématique, matérialiste et rationaliste. Il faut bien comprendre ici l'importance qu'avait l'économie politique aux yeux des philosophes utilitaires. L'économie politique classique montrait comment les activités indépendantes d'individus qui poursuint égoïstement leur intérASt propre s'agencent automatiquement et en dehors de toute coordination volontaire, pour faire un ordre, un équilibre, une évolution linéaire. C'était pour les utilitaires l'illustration, la vérification A  l'échelle humaine ' c'est-A -dire A  l'échelle de l'expérience ' du principe mASme de l'alomismc. S'il était prouvé que la vie économique était telle, il denait plausible que l'esprit ne fût qu'un polypier d'images, la personnalité qu'un agrégat d'éléments innombrables et hétéronomes. L'économie politique, dans la pensée des - utilitaires -, avait donc une valeur apologétique considérable, A  l'appui de l'associationnisme. Et puis, n'était-elle pas la science du bonheur, par rapport A  quoi ils jugeaient tout ? Or, en 1815, quarante ans bientôt ont passé depuis la publication de La Richesse des Nations. Aucun grand ouvrage d'ensemble d'économie politique n'a paru depuis lors en Angleterre. En France la chute de l'Empire vient de permettre A  Jean-Baptiste Say de rééditer son Traité d'économie politique de 1803. Rien d'analogue et de récent n'existe outre-Manche. Malthus pourtant y a décourt des lois noulles. 11 n'a point entrepris de réviser A  leur lumière l'ensemble des principes de la science. Son œuvre a vieilli La Richesse des Nations, sans la remplacer. Intégrer dans la théorie générale héritée d'Adam Smith les lois dynamiques décourtes par Malthus, pour édifier un système complet, rajeuni et cohérent : telle est l'ambition que James Mill inspire A  David Ricardo.
Ses Principes de l'économie politique et de l'impôt paraitront en 1817. Voici peut-AStre le livre le plus puissant de toute l'histoire des doctrines économiques ; ce n'en est point A  coup sûr le plus agréable A  lire ni le plus facile A  interpréter. La pensée de Ricardo est abstraite, et sa dialectique compliquée, encore que précise. Ricardo imagine des séries de cas théoriques, et les résout sans faire grace au lecteur d'une seule hypothèse possible ni d'un seul rouage des mécanismes mis en jeu. La moitié des phrases commencent par - si - ou par - supposons que -. Or, les FranA§ais seuls sant parfois marier A  l'abstraction la clarté. Ricardo souffre de sentir lourde sa phrase, gauches ses déloppements, pénible son raisonnement, hermétiques ses conclusions. On ne saurait lire ses Principles autrement que la tASte dans une main, cl la plume A  l'autre. Pour donner d'eux rapidement une idée assimilable, il nous faudra simplifier beaucoup Ricardo ; modifier l'ordre de ses déloppements ; élaguer les finesses, les hésitations, les reprises, les exceptions qui font la richesse de l'œuvre : toutes manipulations qui ne se conA§oint point sans quelque déformation de la pensée. Il connait seulement que le lecteur en fût prénu.
Nous distinguerons dans la doctrine des Principles deux parties. D'abord une analyse de l'économie interne, qui est essentiellement une théorie dynamique de la répartition, inspirée surtout de Malthus et pénétrée de pessimisme. Ensuite une doctrine du commerce extérieur, radicalement libre échangiste, qui repose sur une théorie statique des échanges internationaux, que Smith inspire et qui respire l'optimisme.
La théorie ricardienne de l'économie interne est presque exclusiment une théorie de la répartition des renus. Depuis Adam Smith, les oppositions d'intérASts se sont aiguisées entre les patrons et les ouvriers ; plus encore entre les industriels et les propriétaires fonciers. L'économiste écossais pouvait bien exalter tantôt le capital et la division des taches dans la manufacture d'épingles, et tantôt répandre sur l'agriculture un flot de louanges attendries, aux résonances toutes physiocratiques. A l'époque de Ricardo, il faut prendre parti dans la lutte. Ricardo est le champion des industriels. Au plus chaud mASme d'une controrse toute polémique, il ne se départit jamais de la rigueur de sa scrupuleuse dialectique. Mais A  la pointe la plus subtile de la démonstration la plus abstraite, il n'a pas oublié l'adrsaire A  abattre, le résultat pratique A  obtenir. Cette rare combinaison de passion et de raison, où ni l'une ni l'autre n'abdique, où l'une et l'autre s'appuient réciproquement, c'est l'un des traits originaux de sa ure, et l'une des clés de sa grandeur.
Si Ricardo se préoccupe presque exclusiment de la réparti-don des richesses, c'est surtout pour en supputer l'anir. Ricardo pourtant ne saurait prévoir les déplacements de la structure des renus, qu'il n'ait au préalable analysé le mécanisme de leur formation. Une dynamique de la répartition en présuppose la statique. Ricardo ne sépare pas très nettement l'une de l'autre. Nous le ferons pour lui.
Ouvrons les Principles : le rideau se lè sur un premier chapitre non moins controrsé que célèbre, où Ricardo définit sa théorie de la valeur-travail. Cette théorie, Ricardo l'emprunte A  Smith, mais en la précisant. Entre autres flottements de sa pensée, Smith hésitait A  mesurer la valeur par la quantité de travail dépensé pour la production de la marchandise (labour embodied) ou par la quantité de travail qu'elle pouvait acheter ou commander (labour commanded). Ricardo est l'ennemi-né des explications plurielles. Entre ces deux théories, il faut choisir : il choisira la première. Pour lui, la valeur d'une marchandise a pour mesure aussi bien que pour cause le travail qu'elle a coûté A  produire et qui se trou incorporé en elle. Ricardo entend par lA  d'abord le travail directement appliqué A  la fabrication de la marchandise, et aussi la dépense de travail préalablement accumulé, que représente l'amortissement de l'outillage (6). Mais seule compte la quantité de travail dépensée : la valeur du travail ' le taux des salaires ' n'a point d'effet sur celle des marchandises. Tel est le principe fondamental sur la base duquel va s'édifier logiquement et majestueusement toute la statique ricardienne.
Ricardo, comme Smith, distingue trois sortes de renus : la rente foncière, le salaire, le profit. Trois classes d'agents économiques leur correspondent : celle des propriétaires, celle des ouvriers, celle des capitalistes (7).
Le salaire, selon Ricardo, a pour norme le minimum nécessaire A  la subsistance ouvrière. C'est la cruelle et célèbre loi des salaires ' déjA  formulée par Turgot ' que plus tard le socialiste allemand Lassalle baptisera - loi d'airain - (ehernes Lohngesetz). Elle prolonge logiquement la théorie ricardienne de la valeur, dont on la pourrait aisément déduire. Mais Ricardo, dans le chapitre V de ses Principles, la rattache plutôt A  la théorie smithienne du - prix naturel - égal au coût de production. Transposons donc au cas de la marchandise-travail le raisonnement qui fonde cette théorie pour les marchandises ordinaires. Il est certain, d'abord, que le salaire ne saurait rester longtemps inférieur au minimum nécessaire A  la subsistance ouvrière : car cette situation provoquerait une certaine mortalité ouvrière ; l'offre de travail en serait réduite, et le salaire tendrait A  remonter. Cela se conA§oit aisément. Mais pourquoi maintenant le salaire ne pourrait-il demeurer au-dessus du minimum nécessaire A  la subsistance ouvrière ? Serait-ce qu'une augmentation de l'offre de travail s'ensuivrait nécessairement, provoquant une baisse des salaires ? Oui, pour Ricardo (8), parce que Ricardo accepte la doctrine de Malthus ; parce qu'il croit A  la nécessaire pression de la population sur les subsistances. La loi ricardienne des salaires repose sur le principe malthusien de la population.
Est-ce A  dire qu'elle soit fausse ? Avant de condamner Ricardo, considérons l'époque où il écrivait. D'abord, les pratiques néomalthusiennes y étaient encore presque inconnues des classes ouvrières ; la pression de l'instinct sexuel pesait de tout son poids sur la reproduction. D'autre part, la mortalité infantile était alors considérable, et en grande partie explicable par la misère : tout relèment des salaires réels avait des chances de se traduire en une immédiate diminution de ce fléau. Enfin, l'on sait qu'au début du XIXe siècle les enfants étaient employés très jeunes dans les usines, fréquemment A  partir de cinq ou six ans. Dans ces conditions, il est raisonnable de penser que toute hausse des salaires entrainait effectiment et rapidement une augmentation de l'offre de travail. S'il en était ainsi, la loi d'airain des salaires était vraie du temps de Ricardo. Elle est vraie dans toutes les civilisations où le salaire est un facteur important de la natalité et surtout de la mortalité ouvrières ; c'est-A -dire lA  où le salaire habituel avoisine le minimum psychologiquement nécessaire A  la subsistance. Il n'est guère contesle qu'une loi naturelle tende alors A  l'y ramener, s'il s'en ésectiune. Pour s'affranchir de la loi d'airain, il faut d'abord sortir d'un tel cercle d'attraction. L'Europe a fait ce bond depuis Ricardo, et la loi ricardienne n'explique plus la formation des salaires dans l'Occident moderne. Mais la théorie des quanta ne nous cnscignc-t-elle pas que les lois physiques elles-mASmes ne valent que pour un certain ordre de grandeur des phénomènes ?
Le profit est le renu du capitaliste, c'est-A -dire du - manufacturier - ou du fermier. Ricardo n'en distingue pas l'intérASt, qui pour lui n'est qu'un mode de computation du profit : le profit rapporté au capital, et exprimé comme un pourcentage. Le profit est une différence entre le coût et le prix, c'est-A -dire entre, d'une part, la somme de salaires rsés par le capitaliste (augmentée de la rente payée au propriétaire du sol, s'il s'agit d'un fermier) et, d'autre part, le produit brut de la nte des marchandises. Pour qu'il y ait profit, il faut donc qu'il y ait un excédent du prix sur le coût. La théorie du salaire pouvait se comprendre dans le schéma smithien du prix naturel égal au coût de production. Pour expliquer ce renu sans travail qu'est le profit, il faut recourir A  la valeur-travail. Une le qu'il a fallu une journée de travail pour construire vaut, en travail, une journée. Mais le salaire d'une journée de travail ne vaut pas une journée de travail. Il vaut le nombre d'heures de travail nécessaire pour produire la subsistance d'un ouvrier pendant une journée. Entre ces deux quantités de travail totalement indépendantes l'une de l'autre, il y a place pour une différence : le profit du capitaliste (9).
La théorie de la rente foncière, c'est le nœud du système ricar-dien, et c'est le pont aux anes des étudiants d'économie politique. Rent signifie en anglais - fermage -. DéjA , deux ans avant les Prin-ciples, Malthus a posé la loi du - progrès de la rente -. les propriétaires tendent A  préler sous forme de fermages une part sans cesse croissante du produit social, au fur et A  mesure de l'accroissement de la population. Mais Malthus donnait de la rente une explication complexe, d'où toute trace de l'idée physiocratique de la productivité spécifique de la terre n'était pas éliminée. Ricardo va réduire A  l'unité la théorie malthusienne de la rente, et l'intégrer au principe de la valeur-travail. Soient A, B, C N toutes les terres emblavées dans un pays, classées par ordre de fertilité décroissante. La production d'un hectolitre de blé demande soixante-dix journées de travail sur la terre A, quatre-vingts sur la terre B, quatre-vingt-dix sur la terre C ; enfin sur la terre N cent journées de travail. Mais il ne peut y avoir qu'une seule valeur pour une mASme quantité de blé, quelle que soit sa pronance. Quelle sera donc cette valeur, exprimée en travail ? Dans l'exemple choisi, elle sera, selon Ricardo, de cent journées par hectolitre. La norme de la valeur du blé, c'est la quantité de travail qu'exige sa production sur la terre la moins fertile effectiment emblavée. En effet, si l'hectolitre de blé ne valait pas au moins cent journées de travail, les profits du fermier de la terre N seraient inférieurs au taux courant des profits (10). Ce fermier subirait une perte relati ; son intérASt le pousserait A  abandonner la terre N, pour faire un autre usage plus profile de ses capitaux. Le fermier de la terre N ne paie aucun fermage A  son propriétaire. Si le propriétaire prétendait en exiger un, il ne trourait pas de fermier disposé A  rogner sur son profit normal pour le lui rser. N est la no rent land, la terre sans rente. L'existence d'une telle no rent land est commandée par le principe de la valeur-travail : la valeur du blé se mesure par la quantité de travail que nécessite sa production sur la no rent land. Mais la valeur du blé ainsi déterminée excède la quantité de travail effectiment dépensée sur les terres emblavées autres que la terre N. C'est ce surplus de la valeur créée sur le travail dépensé que leur propriétaire va se faire attribuer ' intégralement ' sous forme de rente. Dans l'exemple que nous avons proposé le propriétaire de la terre C va pouvoir exiger sur chaque hectolitre récolté une valeur de dix journées (soit 10 litres de blé). La terre B rapportera A  son propriétaire 20 litres et la terre A 30 litres par hectolitre produit. La rente de chaque terre cultivée correspond exactement A  l'économie de travail qu'entraine l'excédent de sa fertilité sur celle de la terre la moins fertile effectiment mise en culture. Ainsi le renu foncier, pour Ricardo, est un renu différentiel ; et désormais le mot - rente - perd son sens concret, pour ne signifier rien d'autre, dans le vocabulaire de la théorie économique, que - renu différentiel -.
La théorie de la rente n'est nullement une exception A  la théorie ricardienne de la valeur. Mais Ricardo la présente comme une exception dans la théorie de la valeur. Le phénomène de la rente est propre A  l'agriculture ; et Ricardo, A  la suite des physiocrates, croit qu'il existe une différence radicale entre l'agriculture et l'industrie. Seulement, pour les physiocrates, la différence provient de ce que l'agriculture est producti, et que l'industrie ne l'est pas. Pour Ricardo. elle tient A  ce que la terre est rare, tandis que les produits industriels peunt AStre reproduits et multipliés A  volonté. Le produit net signifiait la fécondité de la terre : la rente témoigne de la rareté des terres fertiles. Le produit net était un don gratuit de la nature A  l'homme ; la rente est le tribut que l'homme doit payer, parce que les besoins de sa nourriture le rendent serf du sol.
La rente, pour Ricardo, correspond donc A  une hypothèse exceptionnelle. La terre est rare, mais non point, pour lui le travail ni le capital. Depuis Ricardo, la rareté a envahi tout le champ de la discipline économique jusqu'A  en denir le postulat essentiel. L'exception de Ricardo est denue pour nous la loi unirselle ; et toute l'économie moderne peut AStre considérée, sous un certain angle, comme une généralisation de sa théorie de la rente du sol.
Telles sont les lois des trois renus. Mais la statique ricardienne n'est faite que pour une dynamique. Comment passer de l'une A  l'autre ? C'est ici la loi de Malthus qui jouera si l'on ut le rôle du principe de d'Alembert (11 ). La grande variable indépendante, dans la dynamique ricardienne, c'est la population. Ricardo suppose qu'elle s'accroit sans cesse. Il se demande comment cela va affecter les trois catégories de renus.
La population augmente : il en résulte que de noulles terres ' moins fertiles ' devront AStre emblavées. La valeur du blé s'élèra. L'ancienne - terre sans rente - se mettra A  en fournir une. Et toutes les terres rront leur rente s'accroitre ' évaluée en blé. et plus encore mesurée en quantité de travail ou en monnaie (puisque la valeur du blé aura monté). Le prix du blé s'élevant. les salaires, dont la norme est une quantité fixe d'aliments, devront s'éler eux aussi. Ils s'élèront en valeur nominale, sans que la condition ouvrière en soit améliorée. Ce qui baisse, ce sont les profits. Le capitaliste paie plus cher son propriétaire, il paie plus cher le blé qu'il consomme, il paie plus cher ses ouvriers, tandis que la valeur de ses produits n'a pas de raison de changer : c'est un dogme fondamental de la théorie ricardienne ' nous l'avons dit ' que la valeur des marchandises n'est pas affectée par le taux des salaires. Le profit est progressiment comprimé dans un étau qui se resserre sans cesse. Ricardo pose une loi tendancielle de la baisse continue des profits. Il n'en élude pas la conclusion. Quand la hausse des salaires aura absorbé une part telle des profits que ceux-ci seront désormais insuffisants pour stimuler l'esprit d'entreprise, l'évolution devra s'arrASter. La production cessera de se délopper ; il faudra bien que la population aussi s'arrASte de croitre.
LA  donc vient déboucher la théorie ricardienne de la répartition : la civilisation poursuit sa marche sans que nul en tire bénéfice, sinon ces propriétaires oisifs dont la part grossit sans cesse, et qui dévorent progressiment l'organisme économique, jusqu'A  épuisement.
Et que l'Etat, surtout, ne s'avise pas déjouer au médecin ! Qu'il ne s'aille point mASler de panser la plaie ! Il ne saurait qu'en attiser vainement la douleur. En dehors de l'impôt, mal nécessaire, aucune interntion de l'Etat ne trou grace devant Ricardo. Ricardo est libéral comme Adam Smith, ac plus d'intransigeance que lui. Mais le libéralisme était chez Smith la conclusion d'une économique optimiste ; chez Ricardo, comme chez Malthus. on peut y voir un raffinement de pessimisme. L'homme ne saurait corriger des maux que la nature elle-mASme a voulus. Le dernier mol de David Ricardo, homme heureux, financier que la chance visite, sera-ce donc l'atroce mot de Renan : - Il se peut, après tout, que la vérité soit triste - ?
Ne nous hatons jamais de conclure au pessimisme d'un Anglais. Avant que nous ayons tout A  fait pris l'habitude du flegmatique fatalisme qui nous heurte en lui, sa confiante insouciance pourrait avoir le temps de nous surprendre. Au pays de William Shakespeare et d'Aldous Huxley, sount une bouche que torture un peu le goût de l'enfer sait dire ail right comme le meilleur garA§on du monde. Où la science est volontiers inhumaine, la souplesse et la bonne humeur n'en imprègnent que mieux la politique et la vie N'est-il pas quelque espoir, pour l'économie, d'échapper A  son destin sinistre ? Quelque moyen d'en retarder la fatale échéance ? Oui : la contrainte morale, disait Malthus. Et Ricardo est malthusien comme tous les benthamites, qui bientôt se feront les initiateurs du moument néo-malthusien. Mais surtout : la libre importation des grains. C'est ici que la théorie abstraite de Ricardo rejoint ses préoccupations politiques, et vient appuyer le programme de son parti, qui est le parti des industriels. Ricardo nous a apitoyés sur eux, en nous les montrant condamnés A  la baisse indéfinie de leurs profits. Or ' comme pour les physiocrates celui des propriétaires fonciers ' l'intérASt des industriels s'identifie dans la pensée de Ricardo A  celui de la nation. Ce qui saurait leurs profits, permettrait du mASme coup A  la production nationale de continuer A  se délopper. Ainsi le libre-échange. Faciliter l'importation des grains étrangers, c'est soustraire l'Angleterre A  la nécessité d'emblar des terres moins fertiles. C'est donc briser le cercle fatal qui entraine les profits dans la baisse.
Ac la théorie du commerce international, nous faisons la connaissance d'un Ricardo confiant, optimiste ; prosélyte et homme d'action autant que théoricien. La doctrine ricardienne des échanges extérieurs est toute smithienne d'esprit, elle illustre le principe de l'harmonie naturelle des intérASts ; mais sa forme hypothétique, logique, rigoureuse, porte bien la marque de son auteur. Ricardo entreprend une apologie serrée du libre-échange. Lui objecte-t-on que l'Angleterre produit toutes choses A  des coûts réels plus élevés que ses concurrents ? Ricardo répond par sa célèbre théorie des - coûts relatifs -, et démontre que mASme un pays handicapé pour la fabrication de toutes les marchandises n'en a pas moins intérASt A  se spécialiser dans les productions où il l'est le moins, A  s'approvisionner A  l'étranger des autres marchandises. Ainsi les intérASts de toutes les nations, pauvres et riches, conrgent : le commerce international est avantageux pour les unes comme pour les autres. Craint-on que le libre-échange ne fasse sortir d'Angleterre l'or qui s'y trou, jusqu'A  épuisement (c'est le vieux cauchemar des mercantilistes) ? Ricardo répond par la théorie de l'équilibre automatique de la balance des comptes. Un déficit permanent de la balance est inconcevable. Si l'Angleterre commence par importer plus de marchandises qu'elle n'en exporte, l'or sortira d'Angleterre, et affluera chez ses fournisseurs. Mais il en résultera, en rtu de la théorie quantitati de la monnaie.



Privacy - Conditions d'utilisation




Copyright © 2011- 2024 : IPeut.com - Tous droits réservés.
Toute reproduction partielle ou complète des documents publiés sur ce site est interdite. Contacter