Héritier des théoriciens de la souveraineté, Rousseau introduit le concept de souverain au chapitre VII du livre I du Contrat social (1762), immédiatement après le chapitre consacré au pacte social. C'est dire que la définition mASme du concept de souveraineté dépend directement de ce qui en est l'origine et le fondement : le pacte ou le contrat. Ce n'est qu'au début du Livre II que Rousseau précisera les caractères fondamentaux, les limites et les conditions de la souveraineté, (elle est inaliénable et indisible). Or ce qui est frappant dans la conception rousseauiste de la souveraineté c'est son assimilation avec le "corps politique", notion fondamentale qui permet A Rousseau de définir la puissance coercitive du souverain : "Quiconque refusera d'obéir A la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'AStre libre". Le pouvoir légitime défaire respecter les "engagements cils" reent au souverain, dans la mesure où celui-ci est la seule puissance légitime. S'il est vrai que "l'essence de la souveraineté consiste dans la volonté générale" (Emile, V), il faut observer que la volonté générale, qui "ne se représente point" n'existe et ne s'exprime qu'au moment où se constitue le corps politique, c'est-A -dire au moment où est passé le contrat d'association, qu'il ne faut surtout pas confondre avec un contrat de soumission. Rappelons que dans le contrat d'association, qui est un acte de liberté, ce sont les mASmes hommes, qui constituent les "deux parties contractantes", mais ensagés sous différents rapports : comme membres du souverain et comme particuliers ou sujets de l'état. Chacun s'engage avec tous, mais faisant partie de ce tout du fait de son engagement, il s'engage en mASme temps avec lui-mASme.
L'originalité de la théorie rousseauiste de la souveraineté est analysée avec beaucoup de précision par R. Derathé, dans J.J. Rousseau et la science politique de son temps, (chapitre V).
CHAPITRE VII Du souverain
On voit par cette formule que l'acte d'association renferme un engagement réciproque du public avec les particuliers, et que chaque indidu, contractant, pour ainsi dire, avec lui-mASme, se trouve engagé sous un double rapport ; savoir, comme_membre du souverain envers les particuliers, et comme membre de l'Etat envers le souverain. Mais on ne peut appliquer ici la maxime du droit cil que nul n'est tenu aux engagements pris avec lui-mASme ; car il y a bien de la différence entre s'obliger envers soi ou envers un tout dont on fait partie.
Il faut remarquer encore que la délibération publique, qui peut obliger tous les sujets envers le souverain, A cause des deux différents rapports sous lesquels chacun d'eux est ensagé, ne peut, par la raison contraire, obliger le souverain envers lui-mASme, et que, par conséquent, il est contre la nature du corps politique que le souverain s'impose une loi qu'il ne puisse enfreindre. Ne pouvant se considérer que sous un seul et mASme rapport il est alors dans le cas d'un particulier contractant avec soi-mASme : par où l'on voit qu'il n'y a ni ne peut y avoir nulle espèce de loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas mASme le contrat social. Ce qui ne signifie pas que ce corps ne puisse fort bien s'engager envers autrui en ce qui ne déroge point A ce contrat : car A l'égard de l'étranger, il deent un AStre simple, un indidu.
Mais le corps politique ou le souverain ne tirant son AStre que de la sainteté du contrat ne peut jamais s'obliger, mASme envers autrui, A rien qui déroge A cet acte primitif, comme d'aliéner quelque portion de lui-mASme ou de se soumettre A un autre souverain. Violer l'acte par lequel il existe serait s'anéantir, et ce qui n'est rien ne produit rien.
Sitôt que cette multitude est ainsi réunie en un corps, on ne peut offenser un des membres sans attaquer le corps ; encore moins offenser le corps sans que les membres s'en ressentent. Ainsi le devoir et l'intérASt obligent également les deux parties contractantes A s'entraider mutuellement, et les mASmes hommes doivent chercher A réunir sous ce double rapport tous les avantages qui en dépendent.
Or le souverain n'étant formé que des particuliers qui le composent n'a ni ne peut avoir d'intérASt contraire au leur ; par conséquent la puissance souveraine n'a nul besoin de garant envers les sujets, parce qu'il est impossible que le corps veuille nuire A tous ses membres, et nous verrons ci-après qu'il ne peut nuire A aucun en particulier. Le souverain, par cela seul qu'il est, est toujours tout ce qu'il doit AStre.
Mais il n'en est pas ainsi des sujets envers le souverain, auquel, malgré l'intérASt commun, rien ne répondrait de leurs engagements s'il ne trouvait des moyens de s'assurer de leur fidélité.
En effet chaque indidu peut comme homme avoir une volonté particulière contraire ou dissemblable A la volonté générale qu'il a comme citoyen. Son intérASt particulier peut lui parler tout autrement que l'intérASt commun ; son existence absolue et naturellement indépendante peut lui faire ensager ce qu'il doit A la cause commune comme une contribution gratuite, dont la perte sera moins nuisible aux autres que le paiement n'en est onéreux pour lui, et regardant la personne morale qui constitue l'Etat comme un AStre de raison parce que ce n'est pas un homme, il jouirait des droits du citoyen sans vouloir remplir les devoirs du sujet ; injustice dont le progrès causerait la ruine du corps politique.
Afin donc que la pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir A la volonté générale y sera contraint par tout le corps : ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera d'AStre libre ; car telle est la condition qui donnant chaque citoyen A la Patrie le garantit de toute dépendance personnelle : condition qui fait l'artifice et le jeu de la machine politique, et qui seule rend légitimes les engagements cils, lesquels sans cela seraient absurdes, tyranniques, et sujets aux plus énormes abus.