Le droit se présente d'abord A chacun d'entre nous sous la forme empirique d'un donné déjA lA , préexistant A notre personne et ce donné, c'est la loi. Mais cette dimension empirique du droit que Hegel constate dans l'écriture mASme des lois n'est pas une concession faite par l'Esprit pour la facilité du peuple : c'est une exigence de la Raison car le droit, pour devenir une réalité objective doit comprendre ces deux aspects que sont d'une part sa manifestation empirique sous la forme de la loi et d'autre part la force universelle qui garantit son autorité.
La première exigence que rappelle Hegel est donc celle de la connaissabilité du droit par tous. Il ne sert A rien de clamer que "nul n'est censé ignorer la loi", si les lois sont faites de telle sorte que nul, en dehors des spécialistes, ne puisse les lire et les comprendre. Il ne s'agit point lA de la part de Hegel d'un vague souci démocratique mais d'une exigence fondamentale qui, si elle n'est pas satisfaite, remet en cause l'essence mASme du droit. La différence essentielle qu'il y a entre les lois de la nature et les lois du droit, c'est que l'homme a beau les percevoir toutes les deux comme données, il ne peut s'approprier les secondes que par la
médiation de la conscience réfléchissante, qu'en les pensant. Encore faut-il qu'il ait les
moyens de les penser, c'est-A -dire que sa pensée soit ouverte au droit et que les lois soient rédigées de telle sorte qu'elles soient pensables. Et Hegel de dénoncer la caricature d'un droit donné de telle manière que nul ne puisse l'atteindre.
Mais il ne suffit pas de comprendre la loi en elle-mASme ; d'ailleurs la loi en elle-mASme, isolée, n'a pas de sens ; elle n'a de signification qu'au sein d'un corps de lois, un système dont la logique mASme permet l'interprétation des lois. C'est pour cela que la deuxième condition d'une justice effective, c'est le code, cette somme de lois qui d'un côté forme une totalité cohérente et systématique et qui en mASme temps présente une ouverture A la nouveauté juridique.
Le droit est loin d'AStre une pure idéalité abstraite : A travers les lois, les codes, les textes juridiques, il se donne sous des formes empiriques concrètes dans lesquelles se retrouvent la contradiction entre l'aspiration A l'universalité et la nécessité de la particularisation dans une forme conditionnée. Le contrat lui-mASme poursuit cette logique du droit où le besoin de poser publiquement ce qui est pourtant déjA admis est la garantie de sa validité.
L'existence empirique de la loi
A§215
Du point de vue du droit de la conscience de soi (cf. A§ 132 t Rem.), l'obligation envers la loi implique la nécessité que les lois soient universellement connues.
Rem. ' Accrocher les lois A une telle hauteur qu'aucun citoyen ne puisse les lire, comme le fit Denys le Tyran, ou bien les ensevelir sous un appareil imposant de livres savants, de recueils de décisions résultant d'opinions ou de jugements divergents, de coutumes, etc., écrits par surcroit dans une langue étrangère, de sorte que la
connaissance du droit en gueur ne soit accessible qu'A ceux qui s'appliquent A l'étudier, c'est en réalité une seule et mASme injustice. Les gouvernants qui ont donné un code A leurs peuples, mASme s'il ne s'agit que d'une collection informe, comme ce fut le cas pour Justinien, mais surtout lorsqu'il s'agit d'un droit national, présenté sous la forme d'un code ordonné et précis, ne sont pas seulement devenus les plus grands bienfaiteurs de leurs peuples qui les ont glorifiés A juste titre, ils ont aussi accompli un grand acte de justice.
A§216
D'une part, ce qu'on demande A un code, ce sont des déterminations générales simples, d'autre part, la nature mASme de la matière finie conduit A des déterminations complémentaires sans fin. L'ensemble des lois doit, d'une part, AStre un tout complet et achevé, d'autre part, il est le besoin continuel de nouvelles déterminations juridiques. Comme cette antinomie se produit avec la spécialisation des principes universels, qui, eux, demeurent fixées, le droit n'est pas diminué, mais reste entier du fait qu'il est rassemblé dans un code achevé, car ces principes universels simples sont compréhensibles en eux-mASmes et peuvent AStre exposés indépendamment de leur spécialisation.
Rem. ' La complication de la législation ent principalement de ce que, avec le temps, le rationnel ou le
juridique en soi et pour soi a pénétré dans des institutions primitives renfermant une injustice, donc des institutions purement historiques, comme cela a été le cas pour le Droit romain (cf. A§ 180, Rem.), pour le Droit féodal, etc. Il est cependant essentiel de comprendre que la nature de la matière finie est telle qu'on ne peut lui appliquer des déterminations rationnelles en soi et pour soi, des déterminations universelles en elles-mASmes, sans AStre engagé dans un progrès sans fin.
D'une part, exiger d'un code qu'il soit parfait, qu'il soit un ouvrage achevé, qui n'ait pas besoin d'AStre complété par des déterminations ultérieures ' exigence qui est surtout une maladie allemande ' et d'autre part, sous le prétexte qu'il ne peut pas parvenir A cette perfection, ne pas le laisser se présenter sous une forme encore imparfaite pour lui donner une existence effective, ce sont lA deux erreurs qui ennent l'une et l'autre de ce que l'on méconnait la nature d'objets finis, comme est le droit cil, dans lesquels la soi-disant perfection n'est qu'une approximation perpétuelle. Elles ennent aussi de ce que l'on méconnait la différence entre l'universel de la raison et l'universel de l'entendement, et les difficultés de l'application de celui-ci A la matière indéfiniment variée des cas particuliers et indiduels. - Le plus grand ennemi du bien, c'est le meilleur -. Cette maxime est l'expression du bon sens humain, vérile et sain, qui nous met en garde contre l'abus et la vanité du raisonnement et de la réflexion.
A§217
De mASme que, dans la société cile, le droit en soi deent la loi, de mASme l'existence empirique, d'abord immédiate et abstraite, de mon droit indiduel doit prendre la signification de quelque chose qui est reconnu comme existence dans la volonté et le savoir universels existants. L'acquisition de la propriété et les procédures qui s'y rattachent doivent AStre ensagées et accomplies selon des formes précises qui leur donnent cette existence. La propriété repose alors sur un contrat et sur les formalités susceptibles de prouver son authenticité et de lui donner un titre juridique.
Rem. ' Les modalités primitives, c'est-A -dire immédiates, d'acquisition et les titres de propriété (A§ 54 et suiv.) perdent de leur importance dans la société cile et n'interennent plus que comme des facteurs contingents isolés ou des moments limités. Ce sont le sentiment, resté au niveau de la sphère subjective, et la réflexion dont l'abstraction constitue l'élément spécifique, qui rejettent ces formalités. De son côté, l'entendement mort peut les maintenir contre l'édence des faits et les multiplier A l'infini. Mais la
marche mASme de la culture consiste A passer par un
travail long et pénible de la forme sensible et immédiate d'un contenu A la forme de sa pensée, afin de parvenir A une expression simple qui lui soit adéquate. Dans le cas d'une culture juridique qui n'en est encore qu'A ses débuts, les solennités et les formalités sont d'une très grande complexité et on les considère plus comme des choses que comme de simples signes. C'est ce qui explique que l'on ait, mASme dans le droit romain, conservé une masse de déterminations et surtout d'expressions venant de ces solennités, au lieu de les remplacer par des déterminations conceptuelles et par l'expression adéquate A ces déterminations.
A§218
Du fait que, dans la société cile, la propriété et la personnalité sont reconnues et protégées juridiquement, le crime n'est plus seulement une atteinte A un infini subjectif, mais c'est une olation de la chose universelle, laquelle a en soi une existence ferme et solide. Alors interent le point de vue du danger que représente une action pour l'ensemble de la société. D'une part, ce point de vue a pour effet d'augmenter la graté du crime, mais d'autre part, la puissance de la société, devenue sure d'elle-mASme, diminue l'importance extérieure de la olation et conduit A une plus grande clémence dans l'application de la peine.
Rem. ' Le fait que dans un membre de la société ctime d'un crime tous les autres soient lésés, ne modifie pas la nature du crime selon son concept, mais seulement selon son existence extérieure ou comme olation de la loi. Cette olation concerne A présent la représentation et la conscience de la société cile et non plus seulement l'existence empirique de celui qui a été immédiatement lésé. Dans les temps héroïques ' voyez les tragédies antiques ' les citoyens ne se considéraient pas atteints par les crimes que les membres des maisons royales commettaient les uns envers les autres. Du fait que le crinl qui est en soi une olation infinie, doit AStre, dans son existence empirique, évalué d'après des
données qualitatives et quantitatives et que, comme tel, il est essentiellement déterminé comme représentation et conscience de la valeur des lois, c'est le danger que le crime présente pour la société cile qui constitue une détermination de sa grandeur et aussi de ses déterminations qualitatives. Cette qualité ou cette grandeur varient avec l'état de la société cile. C'est dans cet état que trouve sa justification le fait qu'un vol de quelques sous ou d'un navet soit A certains moments puni de mort, alors qu'un vol cent fois ou mille fois plus important ne sera plus puni que d'une peine légère A un autre moment. Le point de vue du danger pour la société cile, qui semble A première vue avoir pour effet d'aggraver le crime, a, en réalité, plutôt contribué A diminuer la peine. Un Code pénal appartient essentiellement A son temps et A l'état correspondant de la société cile.