' Pour qu'il y ait mise en jeu de la responsabilité internationale, il faut, comme en droit interne, qu'un préjudice ait été subi par la victime. Or il convient dès maintenant d'introduire une différence essentielle avec le droit interne. Dans l'ordre interne, il existe des cas nombreux où la responsabilité d'un individu est engagée, et cela dans l'intérASt de la société nationale, pour violation de la loi, alors mASme qu'aucun préjudice n'a été subi par quiconque. Tel est le cas, par exemple, des poursuites pénales engagées par le ministère public. Or rien de tel n'existe dans la société internationale, du moins pas encore.
Le préjudice auquel il sera accordé réparation sur le du
droit international doit porter sur la violation d'un droit et non d'un simple intérASt. Ce préjudice doit AStre individualisé et direct ; enfin, il peut AStre de type matériel ou moral.
1 ' L'atteinte A un droit juridiquement protégé.
' La C.IJ. a toujours affirmé qu'il fallait qu'un droit juridiquement protégé ait été violé pour qu'il puisse y avoir mise en oue de la responsabilité internationale. Pour la C.IJ., la violation d'un simple intérASt ne saurait suffire A mettre en oue cette procédure de responsabilité internationale. Ainsi, dans l'affaire de ta Barce-lona Traction souvent citée (1970),
la Cour s'exprima dans les termes suivants : - La preuve qu'un préjudice a été cause ne suffit pas ipso facto A justifier d'une réclamation diplomatique. Un dommage ou un préjudice peuvent léser une personne dans des conditions extrASmement variées. Cela n'entraine pas en soi l'obligation de réparer, poursuit la Cour. La responsabilité n'est pas engagée si un simple intérASt est touché ; elle ne l'est que si un droit est violé - (Rec, p. 36).
' L'atteinte A un simple intérASt est insuffisante pour mettre en oue la responsabilité internationale. Un Etat qui invoquerait ce seul motif serait déclaré irrecevable A intenter une action en justice. Sur ce point, la jurisprudence de la C.IJ. est constante. Outre l'affaire de la Barcelona Traction précitée, on peut citer deux autres exemples typiques.
Ainsi, dans l'affaire du Cameroun septentrional de 1963, la C.IJ-estima.que le Cameroun n'avait pas d'intérASt juridiquement protégé (de droit) A voir respecter par la Grande-Bretagne ses obligations concernant le statut du Cameroun septentrional qui avait été rattaché, A Ja suite d'un référendum, A la Fédération du Nigeria. La Cour remarqua que son jugement - serait sans objet - (p. 38), que le Cameroun ne demandait aucune réparation ou indemnité en l'espèce, tandis qu'elle ne voyait pas comment son arrASt, si éventuellement elle se déclarait compétente en l'espèce, pourrait recevoir un effet pratique. Dans ces conditions, elle dénia au Cameroun la possibilité d'apparaitre devant elle. Le Cameroun n'avait pas apporté la preuve qu'un de ses droits juridiquement protégés avait été atteint (Rec., p. 33-34), son simple intérASt n'étant pas un titre suffisant pour agir en justice devant la Cour de La Haye.
De mASme, dans l'affaire du Sud-Ouest africain de 1966, la C.IJ. estima que les deux Etats plaignants, l'Ethiopie et le Libéria, n'avaient pas d'intérASt juridiquement protégé, c'est-A -dire pas de droit qu'ils pouvaient faire valoir devant elle, et, de la sorte ils furent déboutés de leur action. La Cour nota que l'intérASt qu'ils invoquaient, A savoir que le mandataire, c'est-A -dire l'Afrique du Sud, respecte - la mission sacrée de civilisation - dans le Sud-Ouest africain ne constituait pas en soi un titre suffisant, ne s'agissant pas d'un vérile droit. La Cour s'exprima dans les termes suivants : - Pour que cet intérASt puisse prendre un caractère spécifiquement juridique, il faut que la mission sacrée elle-mASme soit ou devienne quelque chose de plus qu'un idéal moral ou humanitaire - (Rec., p. 34).
2 ' Un préjudice individualisé.
' Au niveau international, un Etat ou tout autre sujet du droit international ne peut faire valoir que ses propres droits. Il ne saurait jouer le rôle du ministère public dans l'ordre interne et agir pour la défense d'un intérASt collectif qui aurait été méconnu.
La C.IJ. eut l'occasion d'insister sur ce principe dans l'affaire du Sud-Ouest africain de 1966, ainsi que nous l'avons déjA signalé. La Cour s'exprima en ces termes : - Les droits ou intérASts juridiques ne sauraient exister que s'ils ont été clairement conférés A ceux qui les revendiquent par un texte, un instrument ou une règle de droit ; en l'espèce on n'en a jamais conféré aux membres de la S.D.N. A titre individuel, que ce soit par l'un des instruments pertinents ou dans le cadre général du système des mandats ou d'une autre manière - (Rec, p. 32-33). Et la Cour ajouta, d'une faA§on plus générale, qu'elle se refusait A - admettre une sorte A 'actio popularis ou un droit pour chaque membre d'une collectivité d'intenter une action pour la défense d'un intérASt public. S'il se peut, poursuit la Cour, que certains systèmes de droit connaissent cette notion, le droit international, tel qu'il existe actuellement, ne la reconnait pas - (p. 47).
En conséquence, il n'y a donc pas A 'actio popularis au titre d'une défense des intérASts collectifs sauf convention particulière contraire, ainsi que cela est le cas, par exemple, avec la Convention européenne des droits de l'homme de 1950 (voir supra, nA° 1002).
' Toutefois dans l'affaire de la Barcelona Traction, la Cour a semblé aller au-delA de ce qu'elle avait admis avec force dans l'extrait précité de son arrASt de 1966 sur le Sud-Ouest africain, au cas où il y aurait des violations de normes impératives du droit international (normes du - jus cogens -). Dans cette affaire, la Cour s'exprima ainsi : - Une distinction essentielle doit AStre élie entre les obligations des Etats envers la Communauté internationale dans son ensemble et celles qui naissent vis-A -vis d'un autre Etat dans le cadre de la protection diplomatique. Par leur nature mASme, les premières concernent tous les Etats. Vu l'importance des droits en cause, ajoute la Cour, tous les Etats peuvent AStre considérés comme ayant un intérASt
juridique A ce que ces droits soient protégés ; les obligations dont il s'agit sont des obligations - erga omnes - (p. 32). Et, dans ce mASme arrASt, la Cour mentionne une liste non exhaustive de ces obligations - erga omnes -, A savoir l'interdiction de l'agression et du génocide ou la protection des droits fondamentaux de la personne humaine, comme l'interdiction de l'esclavage ou la discrimination raciale.
' Faut-il affirmer ici que, dans tous ces cas, les Etats bénéficieraient d'un droit pour intervenir dans une instance internationale, afin de faire respecter de telles obligations internationales fondamentales ? Il convient d'AStre prudent avant de donner une réponse positive et il faut reconnaitre que, en l'état actuel du droit international, il n'existe pas encore de - contentieux objectif - de la légalité internationale.
3 ' Un préjudice direct.
' La distinction entre préjudice direct/préjudice indirect est bien connue de l'ordre interne. On la retrouve également en droit international. En droit international comme en droit interne, le seul type de préjudice qui soit pris en considération est le préjudice direct. Autrement dit, il doit exister un lien de causalité étroit entre la violation du droit international et le préjudice qui en résulte.
' Ce principe essentiel du droit international que seul le préjudice direct est indemnisé a été posé par un arbitrage célèbre que nous avons déjA rencontré : celui de YAlabama, en 1872. Le tribunal arbitral, A l'époque, accepta d'indemniser les seules pertes directes subies par les Etats-Unis du fait des activités de ce navire armé illégalement en Grande-Bretagne. En revanche, il refusa d'indemniser les dommages indirects, par exemple les dommages inhérents A la prolongation de la guerre, A la hausse des primes d'assurances ou de fret (voir La Pradelle et Politis, vol. II, p. 891 et s.).
La jurisprudence, sur ce point, est constante, qu'il s'agisse de la jurisprudence arbitrale ou de celle de la Cour permanente de justice internationale.
Ainsi, en matière d'arbitrage, on peut citer la sentence du 30 juin 1930 entre l'Allemagne et le Portugal A propos de la responsabilité de l'Allemagne A raison des actes commis postérieurement au 31 juillet 1914 et avant que le Portugal ne participat A la guerre (R.S.A., vol. II, p. 1035 et s.).
La C.PJ.L, dans l'affaire précitée du Wimbledon (nA° 1, sér. A, p. 32) adopta la mASme position de principe : le droit international n'indemnise que le préjudice direct et non le préjudice indirect. Toutefois, chacun le sait, la ligne de démarcation entre ces deux types de préjudices n'est pas toujours facile A tracer.
4 ' Un préjudice matériel et moral.
' Cet aspect du droit international de la responsabilité présente lA encore des analogies étroites avec les solutions retenues par le droit interne. Par exemple, en France, l'unification de la jurisprudence est maintenant réalisée : le juge civil comme le juge administratif indemnisent A la fois le préjudice matériel et moral. Mais il est bien connu qu'il n'en a pas toujours été ainsi : les tribunaux administratifs, A commencer par le Conseil d'Etat, ont été pendant longtemps fort réticents pour indemniser le préjudice moral, le - prix de la douleur -.
' On a assisté A une évolution identique dans l'ordre international. En effet, pendant longtemps, le préjudice moral n'a pas été indemnisé par les tribunaux internationaux. Le changement est apparu A partir de la sentence dite des veuves du Lusitania du 1er novembre 1923 où les arbitres acceptèrent d'inclure le préjudice moral parmi le préjudice indemnisable A l'échelon international (R.S.A., vol. VII, p. 32 et s.). Dans l'affaire précitée Cheeau de 1931 entre la France et la Grande-Bretagne, la Cour permanente d'arbitrage devait adopter une position identique.
' Il est donc maintenant loisible d'estimer que, en droit international, le préjudice indemnisable coue A la fois te préjudice matériel et le préjudice moral.