' L'Etat ' tout Etat ' dispose de compétences, de pouvoirs dans l'ordre international et ce en vertu du
droit international lui-mASme. Autrement dit, c'est le droit international qui fonde les compétences de l'Etat, gui tes détermine et les ordonnance, en mASme temps qu'il en conditionne l'exercice.
Cela étant, le concept de
compétence est utilisé de deux manières différentes, ce qui est de nature A engendrer une certaine confusion : soit la notion de compétence est entendue au sens matériel, c'est-A -dire comme couvrant l'ensemble des compétences de l'Etat, soit la notion de compétence est entendue au sens formel du terme, c'est-A -dire que l'on se réfère ici A la capacité de l'Etat A agir ou A sa juridiction.
I ' La notion matérielle : les compétences de l'Etat.
' On peut ici examiner ces compétences sous deux aspects : interne et externe. C'est d'ailleurs ce que l'on appelle parfois la souveraineté interne et la souveraineté externe de l'Etat. Il s'agit lA des deux volets d'une mASme réalité.
a) Les compétences internes.
' On est ici en présence de tous les actes que l'Etat peut adopter sur le territoire qu'il contrôle : c'est-A -dire que l'Etat est compétent pour organiser de la manière dont il l'entend ses pouvoirs politiques, et on se réfère ici A son organisation constitutionnelle. L'Etat est prima facie compétent pour organiser, comme il l'entend, son système économique. Il est également compétent pour organiser, comme il l'entend, son système social. Cela étant, bien entendu, dans l'exercice de ses compétences, l'Etat pourra AStre lié par des obligations de l'ordre international.
b) Les compétences externes.
' Il s'agit lA de toutes les compétences que l'Etat exerce en tant que membre de la communauté internationale. Elles concernent les relations internationales de l'Etat entendues dans un sens large.
II en ainsi de la conclusion des traités, de la participation éventuelle A des
organisations internationales, de l'envoi et de la réception de missions diplomatiques, etc..
Il ne faudrait pas conclure qu'il s'agit lA de deux domaines distincts, séparés. La frontière est, en effet, changeante entre ces compétences internes et externes : une matière de l'ordre interne peut fort bien relever plus tard du droit international si l'Etat en décide ainsi, par exemple en concluant un traité sur cette matière. Ainsi, la monnaie, traditionnellement, était un domaine rentrant dans la souveraineté interne de l'Etat ; depuis la fin de la seconde guerre mondiale, il n'en plus de mASme dans la mesure où il existe tout un ensemble d'obligations conventionnelles que les Etats ont accepté de respecter dans ce domaine. On pourrait faire la mASme remarque pour bien d'autres secteurs du droit international si l'on se rappelle son extension matérielle considérable : par exemple une matière comme les droits de l'homme était jadis considérée comme rentrant dans ,1a compétence interne de l'Etat, alors que, maintenant, elle est devenue une matière d'intérASt international où les Etats ont des obligations A respecter.
2 ' La notion formelle : la juridiction de l'Etat.
' L'expression doit AStre ici employée dans son sens étymologique (juris dicere) pour signifier le pouvoir de l'Etat d'édicter une règle de droit et également d'en assurer l'exécution. C'est ce que précise clairement le Restatement publié par l'American Law Institue dans son chapitre I. C'est également la conception de la compétence de l'Etat que nous retiendrons ici en raison de sa plus grande leur explicative. Bien entendu, il s'agit lA encore de noter que cette compétence de l'Etat A la fois d'édicter une règle de droit et d'en assurer l'exécution lui est attribuée en vertu du droit international.
Cette distinction (entre compétence d'édiction et compétence d'exécution) est largement acceptée par les tribunaux américains : on en donnera pour exemple la très importante décision rendue par
la Court of Appeals for the District of Columbia le 17 novembre 1980 dans l'affaire Fédéral Trade Commission v. Comnie-de-Saint-Go-bain-Pont-A-Mousson (texte in I.L.M. 1981.597 et commentaires in L. & P. I.B. Extraterritorial service of administrative subpoenas par David M. Simon, ou in J.I.L.E. 1981.119 par Ann E. Condon).
On notera également avec intérASt que cette distinction se trouve en filigrane de la décision du Conseil Constitutionnel franA§ais du 11 février 1982 dans son analyse des effets extra territoriaux des nationalisations franA§aises de l'époque : le Conseil reconnut au Parlement le pouvoir de légiférer sur des biens et avoirs situés hors du territoire national, tout en admettant comme un - fait - les refus éventuels d'exécution opposés par les ordres juridiques étrangers.
a) La capacité d'édicter une règle de droit.
' On fait ici référence A ce phénomène général selon lequel l'Etat est compétent pour adopter des règles de droit régissant la conduite des sujets de droit de l'ordre interne. C'est ainsi que tout Etat édicté des règles de droit civil, de droit commercial, de droit administratif, de droit du trail ou de droit criminel.
b) La capacité d'en assurer l'exécution.
' Si l'Etat est compétent pour édicter une règle de droit donnée, il doit aussi AStre en mesure d'en assurer l'exécution, la sanction.
Ainsi, la capacité d'assurer l'exécution d'une règle de droit édictée par l'Etat, c'est le pouvoir des autorités étatiques de se saisir d'un individu, de l'arrASter, au cas où il a violé une règle du droit criminel, par exemple ; c'est également la possibilité de saisir un bien d'un individu ; c'est la possibilité de traduire un individu en jugement si celui-ci a violé une règle édictée par l'Etat. En bref, c'est la possibilité pour l'Etat de mettre en ouvre toutes les voies d'exécution forcée afin de faire respecter l'ordre juridique interne.
c) Les rapports entre ces deux capacités.
' La capacité d'édicter une règle de droit et d'en assurer l'exécution coïncident le plus souvent ; mais parfois la coïncidence n'est pas complète.
I. ' Leur coïncidence.
' Nous l'avons signalé, il s'agit du cas le plus fréquent : celui où un Etat, en exerA§ant sa juridiction, édicté une règle de droit et, en mASme temps., a les moyens, la compétence d'en assurer l'exécution. Prenons un exemple typique avec les nationalisations. Un Etat a le droit de nationaliser les biens de ses propres nationaux ou de ressortissants étrangers : il possède ici la capacité d'édiction. Il pourra également procéder A l'exécution de cette mesure en prenant effectivement possession des biens qui se trouvent situés sur son territoire : l'Etat possède ici la compétence d'exécution en raison de la localisation des biens.
Dans une telle hypothèse, la coïncidence est parfaite entre l'édic-tion et l'exécution d'une règle de droit par l'Etat.
II. ' Leur absence de coïncidence.
' Il existe des cas, relativement rares, où ces deux types de compétence n'appartiennent pas cumulativement au mASme Etat ; lorsque celui-ci prétend néanmoins les exercer, on se trouve alors dent des difficultés internationales sérieuses et délicates tenant A des conflits de juridiction, c'est-A -dire mettant en présence et en opposition deux souverainetés étatiques. En règle générale, les Etats exercent avec mesure et modération leurs propres compétences de faA§on A éviter des conflits avec celles de pays tiers ; mais ce n'est pas toujours le cas, ainsi que le montrent les anciennes et traditionnelles prétentions des Etats-Unis A faire une large application extra-territoriale de certaines de leurs lois nationales (lois boursières ou anti-trust) (voir aussi infra, nA° 893 et s.). Toutefois, pour éviter de tels conflits et afin de se prASter main-forte, il est fréquent que les Etats concluent des conventions bi ou multilatérales de coopération et d'entraide judiciaire (ainsi la Convention de La Haye de 1970).
Ceci étant deux situations générales sont ici A examiner :
a) L'absence de compétence d'exécution alors qu'il y a compétence d'édiction.
' Par exemple, un Etat a le droit de prendre une mesure déterminée, mais il n'a ni la capacité, ni les
moyens de la faire respecter, c'est-A -dire d'en assurer l'exécution.
Ainsi, un Etat peut décider que tous ses citoyens, mASme ceux qui résident A l'étranger, devront faire leur service militaire. Toutefois, dans,une telle hypothèse, il n'a aucun moyen de procéder A l'exécution de cette mesure A rencontre de ses nationaux qui résident A l'étranger. Il n'a pas compétence d'exécution car celle-ci se heurterait A la souveraineté territoriale d'un pays tiers ' l'Etat d'accueil de son national -'.
De mASme, en cas de nationalisation, un Etat pourra décider, en vertu de sa juridiction, de ses capacités d'édiction d'une règle de droit, que les biens de ses citoyens situés A l'étranger seront également nationalisés. Toutefois, lA encore, il n'aura aucun moyen de s'assurer de l'exécution de cette décision, il devra obtenir le concours du pays tiers, du pays d'accueil où sont situés ces biens, une telle mesure mettant A l'évidence en cause la compétence territoriale d'un Etat tiers ou encore intenter une action en justice. Ainsi, en 1986, les autorités suisses acceptèrent de bloquer provisoirement les avoirs locaux des anciens Présidents Marcos des Philippines et Dulier de Haïti en attendant que les tribunaux se prononcent au fond sur la requASte de ces deux Etats qui cherchent A récupérer ces sommes, A leur avis, indûment possédées et sorties du pays.
Toutefois, il est bien clair que par traité un Etat peut accepter que des nationalisations effectuées par un Etat étranger produisent un effet direct sur son territoire : tel fut l'objet du célèbre - Litvinov Assignment - du 16 novembre 1933 consistant en un échange de lettres entre le commissaire soviétique aux affaires étrangères et le Président Roosevelt aux termes duquel l'U.R.S.S. déléguait aux Etats-Unis tous les droits et créances qu'elle estimait posséder aux Etats-Unis A la suite des nationalisations effectuées après la révolution de 1917 ' ce qui revenait A leur reconnaitre un effet extraterritorial (voir U.S. v. Pink, 315 U.S. 203, 1942). Mais c'est lA l'exception qui confirme la règle. Celle-ci a eu l'occasion d'AStre réaffirmée récemment dans la controverse qui opposa au début des années 1980 l'Iran et les Etats-Unis A propos de la - fortune de l'ex-Shah - : l'Iran a procédé A la confiscation des biens de l'ancienne famille impériale en Iran, ce qui est parfaitement licite dans la mesure où ici cet Etat possède A la fois la compétence d'édiction et celle d'exécution ; en renche, lorsque l'Iran prétend également se saisir des biens de l'ex-Shah et de sa famille situés aux Etats-Unis, la situation est entièrement différente : l'Iran n'a aucune compétence pour assurer l'exécution d'une telle mesure A l'étranger et, pour ce faire, il devra obtenir l'accord du gouvernement - compétent - en raison de la localisation des biens, en l'occurrence ici les Etats-Unis. Les Etats peuvent agir plus subtilement, avec un - faux nez - pour reprendre la célèbre expression de Niboyet, en procédant par nationalisation - indirecte - où le passage du secteur privé au secteur public se réalise par simple substitution d'actionnaires : l'Etat devenant l'actionnaire unique de la société mère, le devient également pour ses filiales ' locales ou étrangères. La France procédera de la sorte pour ses nationalisations de 1982. Le Conseil constitutionnel dans ses décisions des 16 janvier et 11 février 1982 ne trou ' A tort ' rien A redire sur cette technique que le droit international coutumier ne saurait accepter.
b) Absence de compétence d'exécution s'il n'y a pas aussi compétence d'édiction.
' On se trouve ici dans une hypothèse différente selon laquelle un Etat n'est pas fondé A prendre des mesures d'exécution s'il n'a pas également compétence pour édicter la règle de droit qu'il prétend faire respecter.
Par exemple, un Etat quelconque ne saurait édicter une règle sanctionnant le comportement des nationaux d'un Etat tiers A l'égard de ses propres citoyens résidant dans cet Etat. Par exemple, la France ne saurait édicter de règles criminelles sanctionnant le comportement éventuel des citoyens suisses A rencontre de ses propres ressortissants résidant en Suisse. Dans la mesure où un Etat ' ici la France ' n'aurait pas compétence pour édicter une telle règle, il de soi qu'il ne serait pas fondé A en assurer la sanction en l'appliquant aux nationaux de cet Etat s'ils venaient A rentrer sur son propre territoire. Dans notre exemple, la France ne pourrait pas arrASter et poursuivre dent ses tribunaux des citoyens suisses qui viendraient A se trouver sur son territoire pour violation d'une loi criminelle franA§aise sanctionnant leur comportement en Suisse A l'égard de résidents franA§ais. La France n'ayant pas compétence d'édiction d'une telle norme n'aurait nullement compétence pour en assurer l'exécution. De mASme, un Etat ne saurait enrôler dans son armée les ressortissants étrangers d'un certain age résidant sur son territoire pour y faire leur service militaire faute d'avoir compétence pour les soumettre A une telle obligation.
' Ce problème de la coïncidence ' ou non ' de ces deux compétences ' édiction et exécution d'une règle de droit ' fut discutée lors de l'affaire du - Lotus - de 1927. La Turquie ait-elle le droit d'édicter une règle pénale prévoyant la répression de crimes affectant ses nationaux, alors que les faits dommageables s'étaient déroulés en haute mer, c'est-A -dire en dehors de son territoire ? La Turquie pouit-elle appliquer ' compétence d'exécution ' A un national étranger le respect de cette loi interne lorsque ce dernier se trouverait sur son territoire ? En l'occurrence, la Turquie pouit-elle appliquer A un national étranger ' franA§ais en l'espèce ' la sanction d'une règle criminelle pour des faits qui s'étaient produits en dehors du territoire, en haute mer, A l'occasion d'un abordage entre un navire franA§ais et un navire turc ? La réponse de la France était négative : la Turquie n'ait A ses yeux pas de compétence d'exécution, donc de poursuite des marins franA§ais responsables de l'abordage, car la Turquie n'ait pas également de compétence d'édiction d'une telle norme. A l'inverse, la Turquie prétendait posséder ces deux titres de compétence et avoir une entière juridiction. L'on se rappelle que la C.PJ.I. donna raison A la thèse turque, estimant que la Turquie possédait, en vertu du droit international, les deux compétences : édiction et exécution.
' En conséquence, on peut noter le principe général suint : si l'Etat agit en dehors de ses compétences, au-delA de sa juridiction, il viole le droit international car, dans une telle hypothèse, il aura agi - sans pouvoir -. Telle fut d'ailleurs la position que soutint ' en,in ' la France A rencontre de la Turquie dans l'affaire pré-citée.du Lotus de 1927.