La ville de Lille avait conclu un marché de fournitures de pavés avec la Société des granits porphyroïdes des Vosges. A la suite d'un retard dans les livraisons, l'Administration prononA§a des sanctions qui furent contestées par son fournisseur. Le Conseil d'état, saisi de cette affaire, se déclara incompétent car le marché qui a -pour objet unique des fournitures A livrer selon les règles et conditions37 des contrats intervenus entre particuliers- ne saurait AStre considéré comme un contrat administratif38. Bien entendu, comme le soulignent les conclusions du commissaire du gouvernement, cet arrASt signifie a contrario que la solution eût été inverse en présence de clauses exorbitantes du
droit commun. Cette jurisprudence est39 illustrée par de nombreuses décisions de justice, soit implicitement, soit explicitement : le juge affirme alors que la convention -comporte plusieurs clauses exorbitantes du droit commun- qui -confèrent au contrat dans son ensemble le caractère d'un contrat administratif soumis aux règles du droit public40.
Le problème est donc de savoir ce que sont ces clauses. Selon le juge, elles ont pour objet de -conférer aux parties des droits ou des obligations étrangers par leur nature A ceux qui sont susceptibles d'AStre librement consentis par quiconque dans le cadre des lois civiles et commerciales-41. Sans doute expriment-elles en général la présence ou les exigences de l'intérASt général dans la convention : elles ont été insérées dans celle-ci -en fonction de préoccupations d'intérASt public qui sont étrangères aux personnes de droit privé lorsque celles-ci contractent entre elles-42. Ainsi le Conseil d'état décide que le contrat passé entre la ville de Paris et la -Société du vélodrome du parc des Princes-, ayant pour objet la location de cet édifice en e d'y organiser des spectacles, présente un caractère administratif parce qu'il comporte des clauses qui attribuent A l'Administration trois sortes de prérogatives : le droit de résilier unilatéralement le contrat après simple mise en demeure, le droit de contrôler les résultats financiers de l'exploitation, le droit de s'opposer A tout spectacle différent de ceux qu'é-numère la convention. L'ensemble de ces stipulations donne certainement A l'Administration un pouvoir qui excède celui qu'un propriétaire aurait A l'égard de son locataire dans une opération semblable, et surtout il -dénote des préoccupations de bon ordre, de tranquillité publique et peut-AStre de moralité publique qui sont spécifiques de l'administration publique-43.
La qualification dépend presque toujours d'un ensemble ou d'un faisceau de stipulations et non d'une seule clause sauf lorsqu'elle renvoie, en réalité, A un ensemble complexe comme un cahier des charges44. Il semble mASme erroné de parler d'une clause exorbitante du droit commun45. En effet, outre que la jurisprudence n'en fournit pas d'exemples clairs, cette notion se dérobe A toute analyse rigoureuse. Certains juristes ont essayé d'en donner une définition mais ils ont été conduits eux-mASmes A dresser un constat d'échec46. La clause exorbitante du droit commun serait-elle une clause impossible, illicite ou inusuelle, dans un contrat de droit privé? Impossible comme la stipulation qui prévoit le recouvrement des créances par voie d'état exécutoire? Il est difficile d'en trouver des exemples significatifs; d'autre part, tout contrat de l'Administration comprend, d'une certaine faA§on, des clauses de ce type : celles qui visent l'intervention d'
autorités administratives signataires du contrat ou chargées de l'exécuter dont on imagine mal la présence dans une opération contractuelle qui se déroulerait entre des particuliers; enfin, une impossibilité fortuite ne saurait suffire A exclure un contrat de l'emprise du droit privé. Illicite? La liberté contractuelle est si large entre les particuliers qu'il est difficile de concrétiser cette hypothèse d'autant plus qu'une stipulation contraire A l'ordre public en droit privé le serait également en
droit administratif : par exemple, il en serait ainsi de l'engagement de renoncer A toute action en justice. Inusuelle? Il est inadmissible de confondre la règle statistique et la règle
juridique : ce n'est pas parce qu'une disposition est rarement prée dans les contrats entre particuliers que sa présence dans un contrat de l'Administration entraine la soumission de celui-ci au droit public.