L'interaction des systèmes sociaux et techniques dans l'entreprise
Les premières expériences
Elles sont A l'origine de la découverte de cette méthode d'analyse et elles ont été menées pour partie en Angleterre par Trist et Bamforth'7. Ils étudient l'extraction du charbon dans les mines qui comporte 3 opérations : l'abattage du charbon A la main ou A la machine dans une veine, le chargement et le transport du charbon abattu, les activités de préparation qui consistent A ancer les supports du toit des galeries et le système de transport du charbon.
Initialement le mode opératoire était le résultat de l'expérience et du passé. Toutes les taches étaient accomplies par un petit groupe de mineurs, traillant par équipes successives, chacune constituée, au minimum de deux mineurs avec un ou deux assistants. Chaque groupe exploitait une surface faible de la veine de charbon. A€ chaque changement, l'équipe montante reprenait le trail lA ou l'équipe descendante l'ait laissé. Les mineurs d'un groupe de trois équipes étaient payés A l'identique sur la base de la
productivité de leur groupe. Chaque groupe et chaque équipe s'auto-sélectionnait, était assez homogène, appliquait ses propres standards de production avec une quasi complète autonomie et une forte cohésion interne. Le contrôle managérial s'effectuait surtout dans la
négociation du mode de salaire. Le système était très adaple aux qualités riables des veines de charbon et produisait un certain degré de conflit, limité, entre les groupes.
Ce système traditionnel fut remplacé par l'abattage A la machine sur une surface longue et le transport mécanisé du charbon A la surface. Les équipes continuaient A se succéder mais cette fois-ci avec une division du trail entre et A l'intérieur des équipes. La première équipe de dix hommes abattait le charbon (avec plusieurs qualifications différentes spécialisées elles aussi : forer des trous, couper des entailles dans la veine de charbon, les dégager et y placer des supports, dégager la machine, mettre A feu les explosifs). La deuxième équipe de 20 hommes (1 qualification) chargeait le charbon abattu dans le système de transfert. Enfin, la troisième équipe construisait et préparait l'ance de la galerie pour la première équipe (2 qualifications : déplacer le convoyeur, ancer la galerie).
L'introduction de la méthode brisait la polylence des mineurs, les confinait A une seule tache, rompait la coordination du cycle de trail précédent entre équipes, distinguait des statuts et séparait le paiement de chacun de la performance collective. De plus, globalement, la forte intégration sociale qui ait caractérisé les petites équipes précédentes disparaissait complètement.
La productivité déclina, des rilités et conflits entre groupes et entre qualifications dans les groupes se développèrent, l'absentéisme augmenta pour certaines catégories de personnel, chaque équipe montante en vint A rejeter la responsabilité des erreurs et fautes sur l'équipe descendante, car les responsabilités étaient devenues diffuses, etc.
Cependant les chercheurs découvrirent que certains puits n'aient pas adopté la nouvelle organisation du trail malgré l'imtation de la nouvelle technologie d'extraction. LA aussi, 41 hommes étaient impliqués activement et un nombre important d'entre eux en mASme temps par la technologie nouvelle, et non des petits groupes de trois fois de petites équipes comme précédemment (avec en plus leurs aides). Cependant, ils étaient divisés en trois équipes aussi mais il n'y ait pas division du trail ; chaque équipe exécutait les taches successives en répartissant elles-mASmes ses membres dans les différentes opérations et en se réorganisant A chaque changement de tache. Elle s'était auto-selectionnée et la rémunération était partagée également. Tous les hommes n'étaient pas polylents car tous ne maitrisaient pas les nouvelles machines A abattre, mais tous permutaient parmi certaines taches.
Les chercheurs mirent ensuite dans des conditions similaires des groupes en situation de aison suint les deux méthodes. Les résultats furent frappants : les équipes qui étaient autorisées A conserver leur autonomie montrèrent une productivité accrue, un meilleur moral, une diminution considérable de l'absentéisme, etc.
Par la suite, d'autre part, une autre expérience fut menée dans une usine textile aux Iodes qui employait 8000 salariés'8. Le remplacement des métiers A tisser A main et l'introduction de métiers automatiques n'ait eu aucun des effets escomptés sur la productivité. Cependant, le moral et les rapports entre ouvriers et encadrement paraissaient bons. Les salariés étaient répartis en 12 qualifications sur les nouveaux métiers avec des charges de trail et des spécifications riant suint la qualité du fil, et de nombreux autres facteurs. Au lieu de définir plus étroitement les spécifications des taches et d'augmenter la supervision, les expérimentateurs rendirent un groupe de salariés responsables pour un groupe de métiers avec un certain degré de partage des qualifications (sauf le réglage) et avec un leader de groupe.
Le succès fut instantané. La productivité et la qualité augmentèrent immédiatement et restèrent élevées sur les 2 ans et 3 mois qu'elles furent mesurées. Un certain nombre de problèmes, bien sûr, apparurent, avec chute corrélative de productivité, mais ils furent réglés (formation, changements de matériaux, etc.) et la productivité remonta A chaque fois.
Les conclusions tirées AStes expériences
En premier lieu, elles élissent que l'organisation peut faire l'objet de choix et n'est pas dictée par des considérations techniques. Pour une technologie
donnée il existe bien un choix large du mode d'organisation puisque dans les deux cas l'introduction d'un mode de production et d'outillage entièrement nouveau ait pu coexister avec des modes d'organisation des équipes de trail différentes.
L'organisation ne dépend donc ni de la technologie seule, comme l'ont soutenu certains théoriciens de la contingence, ni de la situation psychologique et sociale seule des hommes au trail, comme l'ont soutenu certains théoriciens des relations humaines. Elle dépend en fait des deux : c'est un système socio-technique, organisation sociale et organisation technique interagissent dans ce système et s'influencent réciproquement. Par ailleurs, c'est un système ouvert et l'entreprise doit sélectionner ses taches prioritaires19 en s'adaptant A l'environnement. Ceci fait que la technologie définit un cadre, qui pose des limites au type d'organisation possible (le système des équipes A 2 n'est plus possible dans la méthode d'abattage mécanique) ; mais il reste une marge de choix et ce choix de l'organisation sociale du trail a des conséquences sociales et psychologiques qui sont indépendantes de la technologie. Par exemple, plusieurs organisations sociales sont concebles et possibles pour les équipes, mASme avec une contrainte technologique qui impose un total de 41 hommes dans l'exemple des mines de chatbon.
Les contraintes techniques et sociales réagissent les unes sur les autres. Il est aberrant de tenter d'optimiser l'une sans adapter l'autre car elles auront des conséquences l'une sur l'autre. En d'autres termes, l'autogestion A l'usine ne changera rien A la nature du trail A la chaine. La technologie doit aussi prendre en compte les caractéristiques de l'homme. Inversement des modes d'organisation sociale différents peuvent très bien coexister dans des systèmes techniques similaires. Une technologie ne dicte pas un mode unique d'organisation sociale de la production.
Par ailleurs, l'organisation socio-technique doit aussi AStre économiquement viable, ce qui entraine une série additionnelle de contraintes et amener A parler de système socio-économico-technique2". LA aussi, cependant, il s'agit bien de contraintes A partir et A l'intérieur desquelles divers choix technologiques et sociaux sont possible, et non de l'imposition automatique d'un modèle. Il y a toujours optimisation conjointe de trois riables maintenant au lieu de deux. De plus certains des théoriciens y ajoutent aussi plus de poids sur la riable individuelle et le bien-AStre psychologique des individus impliqués dans le système. Il s'agit alors de l'optimisation de systèmes socio-technico-économico-psychologiques21. L'autonomie du groupe et le facteur d'auto-organisation deviennent alors essentiels.
Enfin, Rice" mettre en évidence l'importance pratique de la notion théorique de limites ou de frontière du système en équilibre dynamique. Dans l'expérience précitée d'une filature aux Indes, le problème de l'encadrement de premier niveau des groupes d'employés de l'entreprise était essentiellement celui de la gestion des conditions A la frontière du sous-système dont il était responsable. La gestion de leurs subordonnés et la supervision absorbaient trop de leur temps pour qu'ils puissent s'y consacrer et ces taches n'étaient pas clairement identifiées dans leurs responsabilités. Il s'agissait lA en fait des activités qui assuraient l'équilibre dynamique et qui reliaient ce sous-système A son environnement immédiat, consistant en certains des autres sous-systèmes constitutifs de l'entreprise, eux-mASmes aux prises avec les mASmes problèmes.
Or, la
constitution adéquate de l'organisation sociale des groupes autour d'un ensemble de taches techniques aux frontières rendues, par le choix de ces taches mASmes, facilement identifiables et cohérentes doit permettre de maximiser l'autonomie du groupe et la responsabilité de chacun. L'encadrement sera ainsi libéré d'une large part de ses préoccupations rendues superflues et pourra consacrer plus de temps aux échanges A la frontière. Celle-ci étant par ailleurs, du fait de l'isolation de taches techniques cohérentes en ensembles, elle-mASme plus clairement élie et mieux identifiée, son trail s'en trouve d'autant facilité. 11 peut ainsi mieux concentrer son attention plus aisément focalisée sur les entrées/sorties et assurer le maintien de l'équilibre dynamique indispensable A la
croissance et mASme A la survie du sous-système. Il en est de mASme au niveau du système constitué par l'organisation globale.
Il apparait donc clairement que, dans la construction de systèmes et de sous-systèmes socio-techniques la détermination des frontières revASt une importance fondamentale. Miller et Rice'1 soulignent que la limite ou frontière d'un système d'activités doit répondre A deux conditions :
- une discontinuité dans le processus d'activité ;
- l'interpolation d'une région de contrôle. C'est-A -dire qu'une frontière doit elle-mASme AStre contenue entre deux limites : celle entre les activités internes du système et le début des activités de régulation, et celle entre la région de régulation et l'environnement.
L'analyse socio-technique
Elle est essentiellement développée A partir des années 1950 au Tavistock Institute en Angleterre auquel appartenaient en particulier Emery, Trist et Rice. A€ partir des années 1960, le Tavistock Institute participe au projet de
démocratie industrielle en Norvège conA§u par Einer Thorsrud qui comportait A la fois participation A la décision et restructuration des taches ouvrières dans les unités de production. Les groupes autonomes et semi-autonomes de trail découlent de ces analyses. Le courant de l'amélioration de la qualité de la vie au trail s'y rattache directement. Un autre centre apparu plus récemment et qui participe A ces recherches est le Ontario Quality Of Working Life Center21. Les activités en France de l'Agence Nationale pour l'Amélioration des Conditions de Trail2,5 se sont A l'origine directement inspirées de ces traux, ainsi que les recherches autour de nouvelles formes d'organisation du trail.
A partir des bases expérimentales que nous avons dégagées dans la section précédente, l'analyse socio-technique a évolué vers un certain nombre de caractères dis-tinctifs. L'on peut relever cinq éléments caractéristiques. En premier lieu, la recherche d'une analyse multi-disciplinaire mais tournée fondamentalement vers l'homme et son comportement. Ce sont les besoins de l'homme qui doivent AStre satisfaits dans son trail et qui doivent guider la conception des taches. En second lieu, l'importance de la nature des interrclations et des transactions A la frontière du groupe. En troisième lieu ces éléments se joignent A l'idée que l'autonomie ouvrière permet de libérer la capacité des salariés A s'organiser spontanément en groupes qui ont eux-mASmes les ressources spontanées de s'auto-réguler et sont susceptibles de prendre en compte A la fois les besoins des individus qui les composent et les impératifs de la production. En quatrième lieu, cette méthode considère qu'il faut prendre en compte chaque organisation comme un cas unique et qu'il est donc impossible de généraliser A partir des diagnostics de chaque cas individuel et des propositions faites A cette occasion. Dans ce cadre, définir, par exemple, une unité d'une organisation ne revient pas seulement A décomposet l'organisation, mais A reconnaitre aussi que cette unité a des traits ptoptes. Par définition, dans le cadre de l'analyse systémique, cette unité a des caractéristiques qui ne dépendent ni seulement de celles des éléments qui la composent, ni d'ensembles plus stes. Elle n'est donc pas transposable. Enfin, en cinquième lieu, l'on constate la volonté de ne pas fournir un simple diagnostic de l'organisation avec proposition de solutions mais d'effectuer une intervention en commun avec les salariés concernés qui débouchera sur des stades concrets de réorganisation en équilibre successif et non de simple proposition de nouvelle structure.
La théorie socio-technique, en son état actuel est donc souvent étroitement liée A la méthodologie de la - recherche intervention - ou - recherche action -. Cette démarche associe toutes les catégories de personnel consulté aux chercheurs. D'autre part, elle met moins l'accent sur l'aspect technique de résolution de problèmes que sur l'aspect social. Elle commence par élir un programme d'études, d'expérimentation et d'action ayant pour objectif de résoudre le problème auquel tous sont confrontés et d'élir un apprentissage mutuel entre chercheurs et utilisateurs afin d'amener ces derniers A percevoir, comprendre et résoudre leurs problèmes d'organisation. Ce deuxième objectif qui conditionne le succès de la démarche est important car l'expérience prouve souvent que les chercheurs ont tendance A mener l'étude en s'appuyant sur leurs corps de
connaissances techniques dent lesquelles s'effacent les salariés concernés, malgré leur
connaissance du terrain, par définition inégalée. En conséquence, cependant, ils en viennent ainsi A identifier les experts comme seuls responsables du changement A opérer et se désintéressent de la mise en place de la solution. Or les deux apports sont nécessaires A la démarche. Ainsi, elle permet une résolution en commun du problème avec un apprentissage mutuel entre experts et utilisateurs. Les connaissances pratiques et théoriques ancent ainsi de pair. Il n'est cependant pas facile de faire trailler ainsi ensemble et du mASme pas experts et salariés et c'est pourquoi il est recommandé de mettre en place un organe chargé du pilotage et de la coordination de la démarche. Il faut ensuite que soit prévue une phase de désengagement des experts qui permette aux participants de s'approprier pleinement la démarche.
Par définition, le processus de la démarche socio-technique est ainsi beaucoup moins nettement défini que celui dune démarche classique de changement d'organisation. Si l'on rappelle le caractère unique attribué A chaque organisation, la combinaison de ces deux éléments tend donc souvent A réduire A des expériences ou études de cas l'ensemble de la littérature récente de ce type d'analyse. Il existe peu d'éléments de doctrine2. Certains auteurs ont cependant, de manière tout A fait pertinente, essayé de formaliser certains traits généraux de l'analyse socio-technique au méthodologique'8. Après la mise en place d'un comité d'orientation suivie de l'imtation de comités de changement, intervenants/utilisateurs, il est procédé A une macro-analyse (tache primordiale et vue d'ensemble du système dans son environnement) suivie d'une micro-analyse (avec construction d'une matrice des écarts des composantes techniques et sociales du processus de transformation). Ainsi, la macro-analyse repère les frontières, se concentre sur le processus de transformation des entrées et identifie le système de
management et de soutien, et la micro-analyse découpe le système de transformation en unités de base. L'intervention suit ensuite une série de guides dans l'interaction avec les participants inspirés des principes socio-techniques dégagés ci-dessus.
Pour terminer, il convient de mentionner une démarche proche dans l'esprit mais A la méthodologie différente, celle de l'analyse socio-économique des conditions de trail et de la recherche des coûts cachés29.