Le temps de travail de ceux qui ne le comptent pas, titrait le cabinet Bernard Brunhes Consultants A propos du temps de travail des cadres dans un récent ouvrage1. Car tel est le constat dressé A la suite d'une aison entre différents pays européens plus les Etats-Unis. Par delA toutes les différences qui peunt exister entre les managers, les experts et les commerciaux appartenant A dirses nationalités, tous ont en commun de ne pas se définir par un horaire de travail. Comme si dépenser ses heures sans compter était un gage de loyauté enrs l'entreprise, une faA§on d'apprendre en travaillant plus, et aussi une manière de montrer son appartenance A un groupe social supérieur.
La France ne fait pas exception, bien au contraire. Et le fait est d'autant plus surprenant que, du point de vue du droit franA§ais, le temps de travail des cadres n'a jamais été différent de celui de n'importe quel autre salarié. Les centaines de procès-rbaux dressés par une inspectrice du travail chez Thomson CSF Radars et Contre-Mesures en 1997, par exemple, étaient une vaine tentati de mettre en plein jour une réalité connue de tous : les cadres en France travaillent bien plus de 39 heures par semaine et ils ne se font pas payer leurs heures supplémentaires. Le forfait heure ou la notion de mission ont sount été invoqués par les entreprises pour se justifier. Pourtant le droit du travail a toujours été clair : un salarié est payé en fonction du temps de travail qu'il réalise, qu'il soit cadre ou non.
C'est d'ailleurs l'un des derniers éléments fondateurs de l'identité des cadres. Ils ne limitent pas leur temps A la durée légale du travail, et ce d'abord parce qu'ils sont des travailleurs autonomes. Comme le précisait l'un d'eux lors d'un entretien : - Vous ne croyez quand mASme pas que je vais pointer et rendre des comptes A mon supérieur sur mon temps de travail. Je ne suis pas ma secrétaire ! - Cette autonomie, si chère aux yeux de certains, les cols blancs la payent sount au prix fort. Elle est pourtant, A leurs yeux, une
marque de confiance donnée aux professions intellectuelles supérieures.
Les cadres et la loi sur les 35 heures
La loi Aubry II a tenté de réglementer ce dernier avantage ' certes très relatif. Faisant fi de tout réalisme concernant le rapport de l'encadrement A son temps de travail réel, le Ministère du Travail a choisi la voie législati pour imposer une réduction du temps de travail (RTT) A une large partie des cadres. Se sont-ils mis pour autant A compter leurs heures ? Ont-ils pris l'habitude d'exiger le paiement d'heures supplémentaires au-delA des 35 hetires hebdomadaires ? Et les entreprises se sont-elles pliées A une telle obligation alors qu'elles ne l'avaient pas fait auparavant ? On devine que le plus sount, c'est non !
La loi du 19 janvier 2000, dite loi Aubry II, n'hésite pas A constituer trois catégories de cadres, lA où dans la réalité il en existe un plus grand nombre. Ainsi, les cadres dirigeants ont été immédiatement écartés du passage aux 35 heures. Point d'innovation ici, puisque depuis longtemps la jurisprudence se refusait A les considérer comme des salariés A part entière. Sauf qu'en légalisant une telle exception au droit de la durée du travail, la loi a ourt une brèche dans laquelle certaines entreprises se sont empressées de s'engouffrer. En nommant leurs cadres au sein d'un comité de direction élargi et quelque peu fantoche, certaines directions générales ont ainsi échappé facilement A la réduction dti temps de travail qui concerne la deuxième catégorie .
Les - cadres intégrés - constituent le nouau sous-groupe tout droit sorti du chapeau ministériel. Ce dernier désigne tous ceux dont on peut prédéterminer l'horaire et qui travaillent en équipe. Ils sont directement concernés par la RTT. Quant A la troisième catégorie, elle sert de fourre-tout. Les - autres cadres - sont censés connaitre eux aussi une réduction effecti de leurs horaires mais celle-ci doit faire l'objet d'une
négociation collecti et repose sur le principe du forfait. Les forfaits en jours sont bornés A la fois par un maximum de 217 jours par an et de 13 heures par jour, soit au maximum 2 821 heures sur l'année. Comme le soulignent Paul Bouffartigue et Jacques Bouteiller, tous deux sociologues, la surprise est de taille puisque les cadres franA§ais déclaraient travailler environ 2 000 heures par an avant la promulgation de la loi ! - On peut se demander comment une loi sur la réduction du temps de travail visant le déloppement de l'emploi peut, sans rire, rendre possible une augmentation du temps de travail de 1 000 heures et plus, pour environ un million de salariés. -
Pour ne citer qu'un exemple, chez Infogrames, l'accord sur les 35 heures repose sur des définitions maison qui ont pour avantage de clarifier les trois catégories très vaguement délimitées par la loi. Le cadre intégré est assimilé aux autres salariés et le cadre autonome se définit suivant deux critères : avoir au moins cinq jours de travail nécessitant des déplacements chaque mois ou travailler ac des collaborateurs ou
clients se trouvant distants de plus de cinq fuseaux horaires.
Sans pouvoir énoncer toutes les autres contradictions et imprécisions des textes, il est clair qu'une telle disposition est une vérile hérésie. Non pas qu'une réflexion sur le temps de travail des cadres soit inutile, au contraire ! Mais vouloir réduire autoritairement et quasi uniformément leur temps de travail, relè d'une utopie centralisatrice dont les tribunaux déjA débordés n'ont pas fini de voir les effets perrs. Enjeux Les Echos illustre clairement cet aspect du problème dans son numéro de mai 2001 en rapportant le jugement annulant le volet cadre de l'accord ARTT de Diac (filiale crédit de Renault). Comme l'indique le journaliste Lionel Steinmann, certains accords sont hors-la-loi et les contentieux vont se multiplier1.
Des inégalités criantes
Finalement, ces mesures d'ARTT aboutissent A un entre-deux qui ouvre la voie A deux situations opposées. D'une part, les cadres dirigeants et les - autres cadres au forfait jour annualisé - consernt leur spécificité, c'est-A -dire qu'ils ne comptent pas le temps de travail. D'autre part, les cadres intégrés se retrount dans la situation - banale - des salariés soumis aux 35 heures.
Une autre conséquence majeure de la mise en place des 35 heures est la création d'inégalités criantes entre deux cadres pris au hasard dans deux entreprises différentes. Ainsi, celui-ci, de cinquante ans, ingénieur et directeur informatique dans une moyenne industrie précise : - Chez nous, on a obtenu 9 jours de RTT, plus 20 minutes de pause par jour, pour passer de 38 A 35 heures. Enfin, tout A§a sur le papier bien sûr, car dans les faits, je fais toujours au moins 45 heures par semaine !- A er aux - 25 jours RTT, 4 jours exceptionnels et les congés classiques - obtenus par certains A France Télécom, on admettra que le fossé est impressionnant. Ces jours non travaillés sont A prendre sur l'année ou selon une périodicité définie A l'avance (2 jours par mois par exemple). Plus rarement, la RTT se traduit par une réduction ou une modulation de la durée journalière sauf pour de nombreuses femmes et certains cadres-producteurs aux horaires fixes.
Certaines directions générales ourtement opposées A la loi Aubry II ont aussi tenté de s'affranchir des contraintes légales en incorporant les jours de formation dans les jours de RTT négociés. Dans d'autres entreprises au contraire, la capacité d'un collaborateur A réduire son temps de présence sera valorisée : - Tous les cadres ne sont pas effectiment passés A 35 heures. C'est d'ailleurs assez mal perA§u par la hiérarchie, ces gens qui travaillent trop. Les chefs pensent alors qu'ils ne sont pas organisés, trop pointilleux -, indique un cadre de la SNCF. L'attitude des entreprises et les résultats des négociations salariales varient donc énormément.
De toute faA§on, les cadres des PME-PMI sont les grands perdants de ce dispositif législatif puisqu'ils sont sount en très petit nombre, voire seuls, dans des entreprises de moins de 50 salariés. Une réduction de temps de travail de 10 % ne peut engendrer une embauche. Le pluri-emploi (un cadre A temps partiel chez plusieurs employeurs du mASme bassin d'emploi) serait une solution pour répondre aux enjeux de la quantité de travail, mais il reste très théorique pour l'instant.
Certains cadres qualifient l'ARTT - d'irréaliste - ou de - dispositif inconcevable et inapplicable - et continuent A vivre leur temps de travail de faA§on classique comme le prount les propos suivants : - Lorsqu'on est cadre, que l'on pense gagner suffisamment sa vie et que l'on aime son métier, alors il n'est pas pensable de compter ses heures de travail. - D'autres se réjouissent au contraire des jours de congés ainsi dégagés : - Pour moi. les 35 heures représentent une grande avancée sociale on sera tous gagnants puisqu 'on aura d'office des jours de congés, mais le temps de travail ne changera pas, sauf peut-AStre pour les cadres qui font de la production et qui pourront tenir leurs horaires annualisés sur une base de 35 heures hebdomadaires. Pour ma part, je serai au forfait ac 12 jours de congés en plus ce qui est énorme. J'attends cela ac impatience parce que jusque-lA on se faisait avoir ! -, déclare ainsi un ingénieur de 41 ans, chef de projet dans une banque. Interrogés en 1999 par le magazine Liaisons Sociales, 54 % des cadres sondés estimaient que leur vie professionnelle leur prenait trop de temps et 79 % souhaitaient consacrer davantage de temps A leur vie privée et familiale. De plus, 73% d'entre eux jugeaient devoir bénéficier des 35 heures au mASme titre que les autres salariés, et 30 % disaient voir leurs horaires de travail s'alourdir. Ces opinions ont-elles pour autant trouvé un écho dans les dispositions sur les 35 heures de la loi Aubry II promulguée un an plus tard ?
Les 35 heures et leurs effets perrs
Par un cadre de 27 ans de Védior Bis
- L'unique avantage est surtout la possibilité de récupération par journées RTT qui nous oblige A prendre du temps pour soi. La limite A ce système est que je dois gérer des dossiers plus nombreux. L'accroissement d'activité est récurrente mais pas saisonnière, et dans cette hypothèse il est pratiquement impossible de ifier les jours de RTT ! En outre, les modalités des 35 heures sont appliquées dans l'entreprise en fonction du niau du cadre et de sa fonction. Ainsi, je suis cadre de niau 5 et j'ai par conséquent droit au maximum de jours de RTT (comme les employés, assimilés cadres et cadres qui encadrent une équipe) soit 23 jours (2 semaines complètes et 13 jours A prendre séparément). Les cadres de niau 6 n'ont droit qu'A 10 jours. Cela fait réfléchir en termes de carrière Et puis, je crains que pour financer cette réduction du temps de travail des cadres, les entreprises ne soient tentées de limiter les hausses de la part fixe du salaire.-
Parmi le personnel d'encadrement, peu d'entre eux se font d'illusions. Durant les périodes de présence, une intensification du travail se produit en effet, et non une réduction ! Car, pour les cadres, la loi sur les 35 heures n'a, en aucun cas, permis de créer des emplois ainsi que cela était prévu. Un cadre de 45 ans explique clairement la situation : - L'A RTT, c'est une très très bonne chose. On a besoin de souffler, défaire du sport, d'aller au spectacle Mais on paye également assez cher ce temps libéré. Les jours où on n'est pas lA , personne ne fait ce que vous az en charge, personne n'a été recruté pour faire votre travail. Donc, dès le lendemain il faut démarrer plus tôt le matin, finir tard le soir, courir les aéroports Les journées de travail sont donc plus denses, les repas d'affaires se raréfient et s'écourtent -
Les dix A vingt jours en moyenne de congés supplémentaires obtenus par les salariés doint AStre
financés lorsque les entreprises embauchent du personnel, ainsi que le prévoyait la loi. Or en ce qui concerne l'encadrement, ces embauches n'ont, le plus sount, pas été réalisées. Deux situations cohabitent alors. Pour les cadres réellement passés aux 35 heures, il a bien fallu que les entreprises se posent la question de la
productivité horaire des - cadres-producteurs -. Dans l'autre cas, ils ont obtenu des congés supplémentaires mais une réduction du temps de travail variable suivant les situations. Pour le coup, les réflexions sur l'organisation du travail des encadrants ont été escamotées et le statu quo réaffirmé.
La pointeuse ne saurait AStre la réponse A ce temps de travail morcelé qui dépasse de partout. Dans le train, le week-end, le soir A la maison ou pendant les congés, de nombreux cadres poursuint leur activité. Les jours de congés supplémentaires risquent, eux aussi, de rester virtuels dans des entreprises qui n'ont rien changé au contenu du travail de leurs cadres. Soit ils ne seront tout simplement pas pris, soit ils seront stockés sur des comptes épargne-temps rapidement saturés, soit enfin, ils seront effectiment pris, mais au détriment de journées de plus en plus chargées.
En faire plus en moins de temps
Pourtant, réduire le temps de travail des cadres impose de réfléchir aux
moyens mis A leur disposition pour parnir A faire au moins autant en moins de temps ! Si les entreprises ulent obtenir une réelle réduction du temps de travail, elles devront stimuler les comportements de délégation et recentrer leurs cadres sur les taches A haute valeur ajoutée. Certaines directions ont d'ailleurs recréé des postes de secrétariat un peu vite supprimés, afin de délester les
managers de nombreuses activités périphériques et administratis. Comme le propose Xavier Baron, directeur d'études au sein d'Entreprise et Personnel, il est possible d'imaginer de nouaux dispositifs de gestion pour améliorer intelligemment le rendement des experts et cadres-producteurs1. Mesurer les contributions plutôt que les absences, parier sur le travail collectif, redonner de l'autonomie de décision aux cadres innovateurs et gestionnaires de risque, repenser l'environnement de travail des - travailleurs intellectuels -, sont quelques-unes des pistes avancées.
L'ANACT" a proposé d'autres sujets de réflexion qui s'ajoutent A ces pistes. La flexibilité qualitati A trars la polyvalence et la co-responsabilité décisionnelle pourrait représenter une amélioration dans la prise en charge des régulations individuelles et informelles réalisées par les cadres sur leur temps de travail. La capitalisation des savoirs est une autre solution pour éviter de réinnter constamment des méthodes de travail et pour accélérer la circulation de l'information au sein du personnel d'encadrement. Enfin, l'Observatoire des cadres-CFDT rappelle que la restriction des plages horaires des réunions ou la clarification et la simplification des processus de décision, peunt permettre des aménagements réussis dans l'organisation du travail des cols blancs1.
De toute faA§on, les entreprises vont devoir se conformer A la loi et on constate déjA les premières transformations du rôle et du métier des cadres qu'elle a entrainées. Tout d'abord, la mise en place de l'ARTT a multiplié les taches de régulation du travail au sein des équipes. Les cadres doint passer plus de temps A la gestion de la charge de travail de leurs subordonnés. Pour les managers de première ligne, la RTT des employés et des ouvriers qui leur sont rattachés, se traduit sount par une augmentation des activités de coordination. La RTT des non-cadres est donc sount synonyme d'augmentation la charge de travail pour les cadres !
Deuxièmement, pour les cadres concernés par la RTT, le passage aux 35 heures se traduit par une certaine perte d'autonomie. Ils disposent en effet moins librement qu'avant de leur temps de travail et de leur temps hors travail. Ils doint pointer, afficher leur ning prévisionnel, programmer leurs activités, éléments d'autant plus essentiels pour la dimension collecti du travail, que leurs collègues cadres sont, eux aussi, plus sount absents. Le contrôle de l'emploi du temps est aussi perA§u comme une atteinte A cette fameuse marge de manouvre des cadres par rapport A leur faA§on d'atteindre les objectifs fixés. Bien sûr, il est facile pour l'encadrement supérieur d'accomner ce contrôle du temps par un contrôle de la faA§on dont il est occupé. Les méthodes, outils, compétences mis en ouvre pour réussir tel ou tel projet, sont alors étroitement analysés. Ce contrôle est d'autant plus facile A légitimer qu'il est rendu nécessaire pour suriller la qualité de la coopération de - cadres A 35 heures - travaillant par définition en équipe. Auparavant beaucoup de cadres se disaient autonomes et sans réelle hiérarchie au-dessus d'eux. Désormais, la marge de manouvre réduite de certains d'entre eux évacue leur autonomie rendiquée (et fantasmée) sount haut et fort. Des cadres - inférieurs - sont donc aujourd'hui directement contrôlés sur leur temps et leurs méthodes de travail par d'autres cadres - supérieurs - qui échappent A l'obligation de mesurer leurs horaires !
Une autonomie encadrée
Pourtant il n'est pas certain non plus que les cadres non soumis aux 35 heures échappent A la logique de contrôle renforcé. La loi Aubry II impose en effet un décompte obligatoire du temps de travail pour les cadres au forfait, que ce dernier soit hebdomadaire, mensuel, annuel en heures ou en jours. Au-delA des cas du badge ou de la pointeuse évoqués précédemment, certaines entreprises recourent au système de l'auto-déclaration des temps. Ainsi, chez Infogrames, les cadres déclarent eux-mASmes leurs heures de travail sur l'intranet chaque semaine, ac un délai maximum de 5 jours après la fin de la semaine écoulée. Et comme le précise l'un des collaborateurs : - Si les cadres ulent déclarer des horaires bidons, c'est leur libre choix-. A l'auto-
censure des cadres eux-mASmes qui s'explique par une volonté de paraitre plus performants, s'ajoute parfois la censure des supérieurs hiérarchiques qui ulent respecter officiellement les normes affichées.
Certaines entreprises ont choisi de normaliser et de standardiser aussi le temps de travail des - autres cadres -. Les commerciaux par exemple, mASme s'ils sont itinérants, sont de plus en plus sount soumis A des procédures de vérification de leur - tournée -, de mesure de leurs - actions - et autres - challenges - Les porles connectés sur l'extranet de l'entreprise depuis la chambre de l'hôtel le soir, représentent un moyen efficace de contrôles serrés sur des personnels dont les horaires de travail ne sont pas directement vérifiables. D'autres entreprises préfèrent utiliser des outils de reporting ou de fixation d'objectifs pour exercer une pression sur les cadres au forfait ou - dirigeants -. Ceci évite de coûteux systèmes de surillance et permet tout aussi bien de jouer sur la triple logique : - Vous AStes déterminés A l'avance sur les objectifs, autonomes pour la mise en ouvre et surillés sur le résultat -. Si l'on peut dire, il s'agit lA d'une autonomie très encadrée !
Cette fameuse autonomie dans le travail n'a pas disparu, bien sûr. Mais elle n'est plus l'apanage des seuls cadres. Les opérateurs sont de plus en plus polyvalents et il revient aux - cadres encadrants - d'analyser les savoirs détenus par leurs salariés et d'orchestrer la pluricompétence au sein des équipes. Aussi comme l'autonomie et l'organisation de son travail ne sont plus des privilèges de l'encadrement, c'est tout le rapport au temps qui est A reconstruire. Pour les cadres du baby boom, une logique s'était rapidement imposée : - Pour réussir, il faut que je travaille beaucoup, ou du moins que ma hiérarchie croie que je passe beaucoup de temps au travail -. Mais il n'est plus toujours possible de raisonner ainsi.
Surtout, les mentalités évoluent. Les femmes et les jeunes en particulier souhaitent réussir tout en ayant plus de temps libre pour leur famille, leurs loisirs Les 35 heures sont mASme parfois une aubaine pour les femmes-cadres car elles remettent en cause la norme de disponibilité sans limite exigée par les entreprises enrs l'encadrement et réduisent ainsi certaines discriminations. Quant aux juniors, ils sont 69 % A vouloir gagner moins et avoir plus de temps libre, d'après une enquASte IFOP-LASi Echos publiée en janvier 2002. Cependant, femmes et jeunes sont plus que d'autres dans l'obligation de faire leurs preus. Ils ne renoncent pas pour autant A rechercher une combinaison harmonieuse entre les différentes sphères de leur vie. Aspirations de réussite professionnelle, d'épanouissement familial et social font partie de leur exigeante quASte qui refuse tout sacrifice de l'un ou l'autre de ces trois pôles.
Les 25-35 ans parés pour les 35 heures
Toutefois, les pressions d'horaires des clients et des supérieurs, la chrono compétition ac les concurrents, les aléas et les urgences aussi bien internes qu'externes rendent difficiles la gestion équilibrée des temps sociaux. De plus en plus de cadres voudraient limiter cette - débauche de temps - qu'ils se sont imposés pendant des générations, mais il leur est encore très difficile de le faire. Les directions générales sont toujours peuplées de cadres qui ont gravi les échelons en se vouant corps et ame A leur employeur. Elles sont donc enclines A demander le mASme comportement A la jeune garde montante. Les conflits sur cette question entre les deux générations, celle des 25-35 ans et celle des plus de 50 ans, sont donc forts actuellement. La situation évoluera naturellement, mais les directions d'entreprise qui ne sauront pas prendre en compte les noulles aspirations des jeunes managers, auront bien du mal A retenir ceux qui souhaitent construire un équilibre vie professionnelle / vie privée plus harmonieux.
Un bureau de recherche en sciences sociales parisien s'est penché sur les représentations de jeunes cadres au forfait vis-A -vis des 35 heures, au sein d'un grand groupe de la distribution spécialisée1. Leur analyse insiste sur le fait qtie ces jeunes se sernt de l'image du - cadre-qui-fait-de-la-présence - comme d'un repoussoir. Ils ulent d'abord AStre reconnus comme efficaces. Ils ne souhaitent pas se conformer A ce mythique cadre débordé, surchargé, toujours présent et donc loyal. Pourtant, selon une étude effectuée dans un cabinet de conseil, la ure du cadre surbooké était tellement forte que les jeunes devaient rapidement s'y soumettre2.
Il semblerait que nous soyons aujourd'hui dans un entre-deux. Des cadres ont réduit leur temps de travail, mais beaucoup ont en fait - gagné - un peu plus de congés contre des journées de travail plus chargées. Les femmes et les plus jeunes ont, dans une large majorité, besoin et/ou envie d'innter un nouau rapport au temps, mais des habitudes et des schémas déjA anciens perdurent, exigeant de la présence et des heures. Certains s'auto-exploitent pour mieux se faire remarquer des décideurs et grimper les échelons, tandis que d'autres cherchent A s'engager différemment. Des entreprises refusent toujours de se pencher sur la question du temps de travail des cadres, quand A l'opposé, des dirigeants profitent des 35 heures pour envoyer un message clair A leurs cadres : - Restez chez nous ; ici. on se préoccupe aussi de votre bien-AStre après le travail ! -
Il faut reconnaitre que le bilan est nettement plus positif du côté de la vie de famille et des loisirs : 50 % partent plus sount en week-ends courts (contre 20 % pour les ouvriers et employés) et 38 % notent une amélioration dans la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, d'après une enquASte de la DARES réalisée fin 2000.
Nous reproduisons ici le résumé de l'interntion de Jean Le Gac, directeur des Affaires sociales du Groupe Siemens France, lors du colloque du 26 octobre 2001 organisé par l'Observatoire des Cadres . Il est exemplaire A plus d'un titre. Il montre tout d'abord la multiplicité, la superposition des dispositifs de RTT qu'il est possible de trour dans une grande entreprise. Ensuite, les propos de ce dirigeant éclairent le travail de recomposition du groupe des cadres qu'entraine l'introduction du contrôle du temps de travail, ainsi que la dirsité des situations entre différentes sous-populations. Surtout, on voit A quel point la question du temps de travail des cadres ne saurait AStre séparée de celle de l'organisation et des conditions de travail, sans quoi aucune solution ne perdurerait très longtemps dans des entreprises toujours plus en moument.
- Siemens est une société qui comporte 12 000 salariés dont 60 % sont des cadres. Le débat sur le temps de travail est globalement neuf A l'intérieur de l'entreprise. Aujourd'hui, c'est A peu près une réalité qui se tient. Dans Siemens SAS on compte 6 617 salariés. En nombre 2000. un autre accord a été signé sur le temps de travail des cadres, ingénieurs et techniciens. Il y a plusieurs types de réduction du temps de travail chez Siemens : par exemple, les 70 dirigeants (il existe en fait plusieurs sociétés) ont obtenu dix jours de congé supplémentaires mais aucune mesure du temps n'étant effectuée, les journées de ces personnes peunt avoir une plus grande amplitude. D'autres personnels sont badges A 35 ou 37 heures (c'est la différence entre les non-cadres et les cadres) et ont dix jours de congés supplémentaires. Ceux qui interviennent dans les industries, eux, sont complètement badges A l'année. Ils doint faire 1 720 heures annuelles et ont gagné douze jours de congé. Presque 800 personnes sont mesurées A la journée dont la moitié de cadres. Ils ont gagné treize jours de congé et n'ont pas eu de diminution de salaire ni n'ont bénéficié de stock-options. C'est donc un accord assez exceptionnel ac des cadres qui pointent. Comment se vit cet accord ? Les congés RTT se badgent, mais c'est difficile A vérifier dans les faits. Il est aussi difficile d'assumer la RTT pour les managers. Tout un débat se forme au regard du temps de travail. Il reste des différences entre les cadres et les non-cadres, mASme parmi ceux qui badgent. Ce sont particulièrement les cadres administratifs qui badgent, et ils ont parfois des difficultés A gérer leur temps. On ne sent pas vraiment, en fait, la différence entre les badgeants et les non-badgeants. Mais la question se pose de savoir si le temps de travail des cadres peut AStre complètement badgé. -
La loi sur les 35 heures a été A l'origine d'une recomposition du groupe des cadres tout A fait patente. Elle a conduit A une banalisation de ceux qui sont effectiment passés A un régime horaire hebdomadaire et a renforcé les logiques de contrôle et d'encadrement de l'autonomie d'une large partie des cadres - non-intégrés -. Mais le temps de travail n'est pas le seul domaine où l'on peut obserr cette tendance A la dilution des cadres dans le salariat qualifié