Certains experts constituent avec d'autres populations de cadres ce que l'on appelle des - hommes-clés -. Ce terme limpide en soi permet de comprendre l'esprit des systèmes de gestion mis en place dans les entreprises depuis une dizaine d'années. Certains dirigeants, les experts de haut niveau, les cadres A haut potentiel et dans une moindre mesure les chefs de projets, forment l'essentiel du
capital humain stratégique aux yeux des employeurs. Comme le souligne Nicolas Michel, spécialiste de ces questions, ces profils sont - clés - parce qu'ils relèvent de compétences spécialisées et rares, parce qu'ils disposent de capacités et traits de personnalité recherchés, parce qu'ils occupent des postes stratégiques reposant sur des réseaux relationnels puissants et enfin, parce que leur départ subit et leur remplacement seraient sources de nombreux dysfonctionnements ou difficultés1.
Mais, mASme parmi les hommes-clés, il existe une hiérarchie qui place A son sommet les cadres A haut potentiel. Pourtant, pendant longtemps, leur existence mASme est restée largement confidentielle en France. L'association d'employeurs - Entreprise et Personnel - traille, dès le début des années 70, sut la question de la détection des futurs dirigeants avec des grandes entreprises nationalisées et quelques rares groupes privés comme BSN (qui deviendra plus tard Danone), Casino et Lafarge. Le thème refait surface A la fin des années 80 et connait aujourd'hui un regain d'intérASt qui ne se dément plus1.
Jeunes, hommes de préférence et managers
Mais qui sont ces - cadres A haut potentiel - que les Américains nomment aussi - high fliers - ou - fast-trackers - ?2 Ant toute chose, ils traillent dans de grandes entreprises. Ils représentent en moyenne 7 % des cadres d'une firme donnée, et ne font vérilement l'objet d'une politique de gestion que dans des entreprises d'au moins 500 cadres ! Le taux d'encadrement étant d'environ 15 % en France, il faudrait alors retenir les seules entités de plus de 3 300 salariés. Ces moyennes cachent cependant des situations contrastées. D'une part, dans de grands groupes de plus de 100 000 employés, le taux de cadres A haut potentiel peut ne pas dépasser les 1 %. D'autre part, le taux d'encadrement peut atteindre 70 % et plus dans certaines firmes de hautes technologies de taille moyenne, ce qui autorise de trouver des cadres A haut potentiel en grande proportion dans des entreprises relativement plus petites.
Dans la très grande majorité des cas, ils sont jeunes (entre 30 et 40 ans) et sont des hommes (moins de 10 % de femmes). Ils sont la matérialisation quasi parfaite du plafond de verre auquel se heurtent les femmes et du jeunisme des politiques de GRH d'aujourd'hui. En outre, ce sont tous des managers, les experts n'ayant pas leur place parmi eux. Une autre évidence A rappeler, ils sont tous en CDI A temps très plein !
Quant au - potentiel - qu'on leur attribue, l'équation toute subjective qui pourrait le résumer serait :
capacité A manager
+ capacité pressentie A évoluer
+ pari sur la capacité A devenir dirigeant
= potentiel.
Le cadre A haut potentiel se doit d'AStre un généraliste possédant une très bonne
connaissance théorique et pratique des principes de gestion, des métiers de son entreprise, de ses
stratégies et de sa culture. On ne s'étonnera donc pas de trouver parmi les critères incontournables pour AStre étiqueté - haut potentiel - la performance, la motition, mais aussi le leadership, des qualités morales ou éthiques, le charisme, la vision, l'adapilité Autant d'éléments qui ne sont pas étrangers aux traits typiques des - nouveaux cadres - !
En France, le repérage par la hiérarchie, les entretiens annuels d'éluation, les entretiens de carrières et toutes les informations récoltées par les réseaux des principaux dirigeants, sont A la base du processus de détection du potentiel parmi les cadres. Les tests anglo-saxons comme le MBTI (Myers-Bridds Type Indicator), les centres d'éluation (- assessment center -), restent minoritaires alors qu'ils ont une bonne
presse dans de nombreux autres pays industrialisés. De toute faA§on, les réseaux relationnels du cadre, sa capacité A saisir des opportunités (comme, par exemple, un projet avec des membres d'une importante direction d'une filiale), et aussi sa capacité A se - mettre en scène - pour loriser ses compétences, jouent un rôle déterminant.
La capacité pressentie A évoluer est un élément essentiel de la définition du potentiel qui renvoie directement A la question de la carrière. Les cadres A haut potentiel - grimpent - en effet plus vite que les autres. Ils jouissent d'une vérile promesse de carrière. Ils ne restent pas plus de deux ou trois ans dans un mASme poste et passer par l'international est souvent incontournable. Beaucoup d'entreprises font de la disponibilité pour une mobilité A l'international un préalable A l'obtention du - label haut potentiel -. En cela, ces
managers haut de gamme ressemblent étrangement A leurs ainés, assurés d'une carrière verticale synonyme de progression salariale et de responsabilités. Comme eux, ils font aussi l'objet d'un pilotage serré de la part des plus hauts dirigeants et des DRH - corporate - (du siège) souvent réunis dans des comités de carrière où ils réalisent des - people review - (revues de personnel) et élissent la liste des hauts potentiels.
Un vivier renouvelable
Mais du point de vue de la carrière, le parallèle s'arrASte lA . Car celle-ci est tout d'abord plus transversale avec des changements de fonctions qui ne sont pas rares. Surtout, les garanties d'évolution sont élies A court terme. En effet, non seulement les cadres A haut potentiel ne savent pas qu'ils le sont, mais en plus, chaque année, les directions s'arrogent le droit de réviser leur jugement et éventuellement d'ôter le label - haut potentiel -. Les sorties de liste entrainent alors un sérieux ralentissement de la carrière. Secret et réversibilité du fameux sésame font donc er sur le collaborateur détecté une incertitude inconnue de la silité du statut de cadre tel qu'il existait jusque dans les années 80. Ainsi, untel pense qu'il est A haut potentiel mais n'en a souvent pas l'assurance malgré des signes qui ne devraient pas tromper (comme l'augmentation des primes ou des propositions alléchantes d'évolution) tout en risquant de perdre A tout moment et sans le savoir, les antages d'un label gardé secret. Certains objecteront que ces - supermen - sont des élus, assurés d'échapper au sort du commun des cadres. Cette situation existe rarement, les - hauts potentiels - constituant plutôt un vivier renouvelable. Pourquoi garder secrète cette information stratégique ? D'abord parce qu'un cadre trop sûr de son appartenance A la liste risquerait de devenir une proie facile pour les chasseurs. Mais aussi pour éviter qu'il soit atteint par le syndrome du - prince de la couronne -. Les directions veulent en effet garder un ascendant sur ces cadres choyés et elles craignent qu'une
publicité trop importante engendre chez certains une suffisance doublée d'une augmentation inconsidérée de leurs exigences.
Par ailleurs, ces - meilleurs espoirs - de l'
entreprise n'ont rien de commun avec les cadres nomades et sans attaches déjA évoqués. Point d'errance chez eux, bien au contraire : ils appartiennent A un segment privilégié pour lequel les directions des RH dépensent temps et argent. Les firmes qui choisissent de mettre en place une telle politique poursuivent en fait des buts allant A l'encontre de toute logique de désengagement. Préparer les futurs dirigeants, organiser le remplacement dans les postes-clés et les emplois sensibles, et enfin, fidéliser les meilleurs, sont les trois mots d'ordre affichés par les instances de direction lorsqu'elles mettent en place de tels systèmes de gestion des - Hommes-clés -.
Les privilèges ' certes réversibles - octroyés A ces cadres sous haute surveillance et dûment détectés, sont nombreux. Ils ont accès au de souscription d'achat d'actions (stock-options) et bénéficient d'augmentations de salaire exceptionnelles - mais dans un tiers des cas étudiés seulement, car les DRH hésitent A utiliser abondamment ce signal fort. Les dispositifs de
développement qui leur sont uniquement consacrés sont, en outre, très fréquents. Les formations peuvent AStre hébergées dans une université interne. Les firmes ayant fait ce choix ont souvent le souci de décloisonner leurs différentes entités et de diffuser une culture commune A la suite d'une fusion, par exemple. Mais les formations peuvent aussi AStre externalisées sur de prestigieux campus comme celui de l'INSEAD A Fontainebleau, dans le cadre du cursus CEDEP. Les - high potentials - se mélangent alors avec des pairs appartenant A d'autres entreprises afin d'élargir leur vision et de stimuler leur réflexion stratégique. En 1999, un vice-président de Cap Gemini expliquait ainsi les raisons d'AStre de l'université interne : - L'université interne est un peu la maison du Groupe qui permet de réunir les meilleurs de tous les continents. Les objectifs sont clairs : repérer les best-practices, mailler et mettre en réseau les équipes et les cadres A potentiel, développer des compétences collectives et diffuser la culture du groupe dans un contexte de frontières organisationnelles visqueuses et d'une très forte croissance. Durant la formation, les dirigeants sont impliqués et servent de sponsors aux équipes-projets de cadres A potentiel. Si le projet est retenu comme bon lors de la soutenance dent le comité exécutif il est mis en œuvre avec les promotions que cela suppose pour les individus ! -
Une série de sauts d'obstacles ant l'intronisation
De nombreux autres extraits d'entretiens auraient pu AStre rapportés ici, soulignant la forte implication des états-majors dans la gestion des cadres A haut potentiel. On les retrouve souvent A la tASte de comités de carrière ou lors d'une session de formation, aux côtés de la direction des
ressources humaines. Par ce seul élément, on comprendra le caractère hautement stratégique donné par les entreprises A ce système de gestion d'un effectif-noyau déterminant pour l'avenir de l'entreprise. C'est en effet parmi ces cadres que les entreprises cherchent aujourd'hui A repérer leurs futurs dirigeants. Le parachutage n'a plus la cote, les directions générales préférant trouver en interne les individus conformes aux stratégies, aux cultures et aux métiers qui les caractérisent.
Une analyse fine des carrières de managers de - haut vol - est riche d'enseignements sur ce que les cadres peuvent encore espérer atteindre dans un groupe de taille conséquente. Tout d'abord, il faut garder A l'esprit que les hauts potentiels ont A leur disposition des outils de gestion de carrière rarement accessibles aux autres cadres. Le coaching en est le symbole mASme. Ce dispositif d'accomnement individualisé, coûteux pour l'employeur, permet de répondre au plus près aux demandes et aux difficultés de celui qui en profite. A contrario, les postes réservés aux cadres A haut potentiel ainsi que les CV de ces derniers se retrouvent rarement dans les bourses d'emploi, qui restent le principal dispositif de gestion de la mobilité des autres, plus - anonymes -. Les organigrammes de remplacement, les s et courbes de carrière sont aussi largement plus utilisés pour les - hauts potentiels - que pour le reste de l'encadrement. La
segmentation entre les deux populations est donc bien réelle. Et les différences ne s'arrAStent pas lA .
La vitesse de progression revient toujours pour définir le cadre qui monte plus haut et plus vite que les autres. En témoigne ce Directeur des ressources humaines d'une division d'une grande société pétrolière : - Notre définition du cadre A potentiel est relativement précise. Nous fonctionnons avec un système d'éluation des postes de type HAY-Metra. Nos postes de cadres vont du niveau 10 pour les débutants A 20 pour la direction générale. La définition des collaborateurs A potentiel est un pronostic d'évolution : c'est quelqu'un, capable dans les cinq ans maximum, de franchir deux niveaux de postes au moins- - Pour développer un haut potentiel et vérifier que miser sur lui était fondé, il faut donc multiplier ses expériences professionnelles : lui faire changer de métier, l'expatrier, le nommer A la tASte d'une filiale en difficulté, lui confier un projet sensible constituent des défis qui seront autant d'étapes A franchir. La carrière du cadre sélectionné s'apparente alors A une série de sauts d'obstacles, une sorte de tournoi pour arriver éventuellement A l'ultime segment, le saint des saints, un poste parmi la plus haute instance dirigeante.
Les hauts potentiels forment aujourd'hui la principale force de frappe des entreprises lorsqu'elles expatrient des cadres pour accomner leur développement A l'étranger. Voici un cas réel (rendu anonyme) qui illustre parfaitement l'itinéraire de ces - hommes A réaction -.
M. Ki : un cadre A haut potentiel devenu cadre-dirigeant.
D'origine belge, M. Ki entre en 1982 au sein d'une des trente premières entreprises franA§aises comme ingénieur de production. Ayant repéré un fort désir d'évolution chez ce jeune embauché diplômé de l'université de Liège, l'entreprise envoie M. Ki dans l'une des ses filiales américaines, avec sa femme, lui payant une partie de sa formation dans un prestigieux MBA. De retour en France, il entre au sein de la fonction contrôle de gestion dans une des principales filiales du groupe. Puis il rejoint le siège, A la fonction RH, où il se retrouve au contact de nombreux dirigeants et réalise une multitude de projets dont celui de la mise en place de formations pour les cadres A haut potentiel. Après deux ans et demi passés A Paris, il part dans une filiale en province pour préparer sa première vérile expatriation en Italie, où il restera presque quatre ans. Puis, après plus de deux ans en Allemagne, il est nommé, A l'age de 41 ans, directeur général d'une des principales divisions et devient du mASme coup l'un des quarante membres du comité opérationnel du groupe.
Des parcours comme celui-lA ne sont que rarement l'effet du hasard et ressemblent plutôt A des opportunités préparées et A une gestion anticipée. D'un côté, les DRH tentent d'organiser au mieux les voies qu'ils souhaitent voir se développer, et de l'autre, les cadres A haut potentiel s'ingénient A décoder les politiques et les pratiques les plus sûres de conduire A la réussite. Ainsi, il est assez courant de rencontrer des cadres A haut potentiel d'une mASme entreprise qui désignent quelques postes-tremplins idéaux pour se faire remarquer ou pour commencer A prouver leur potentiel. Dans telle firme, il s'agira des postes d'ingénieurs-commerciaux, dans telle autre ce seront les directeurs de filiales en création A l'étranger ' exposés mais grands accélérateurs de carrière - qui seront préférés. Il peut y avoir aussi des destinations plus ou moins ensoleillées ! - Prendre la tASte d'une filiale pays qui dispose A la fois d'une structure de production conséquente et d'un réseau
de distribution -vente est un signe qui ne trompe personne -, explique-t-on dans un grand groupe. Les pays-phares sont vite repérés par ceux qui ont compris la nécessité absolue de s'expatrier, mais veulent éviter de devenir des mercenaires ou des Robinson CrusoA« oubliés de tous et surtout du siège de la maison-mère !
Candidats A l'expatriation bichonnés
Une destination prestigieuse représente un enjeu majeur pour le futur expatrié. Un - package - expatriation sera offert pour faciliter la décision de départ et l'intégration dans le pays d'accueil. Formation aux langues, voyage d'agrément pour visiter le pays en famille ant la décision irrévocable, stage de sensibilisation au
management interculturel, prise en charge des frais de déménagement ' de scolarité des enfants ' de recherche de logement pourront AStre proposés. Comme le souligne Jean-Luc Cerdin, professeur A l'ESSEC, des freins A la mobilité existent pourtant bel et bien : non désir ou carrière du conjoint, peur du retour, éloigne-ment de la famille et des amis, sont quelques-uns des éléments qui peuvent faire obstacle1.
Il est mASme possible d'affirmer que les
aides sont proportionnées A l'intensité du potentiel de l'expatrié. Ainsi, pour un cadre jugé particulièrement clé, l'employeur pourra prendre en charge le conjoint. Ceci est particulièrement vrai dans les situations de double carrière, c'est-A -dire lorsque la situation professionnelle du conjoint suiveur risque d'AStre une raison du refus de partir de la part du cadre pressenti. Ainsi, plus les espoirs placés en lui sont élevés, plus l'entreprise osera déployer des trésors d'attentions. Certes, les candidats A l'expatriation ne sont pas toujours légion, mais ils ne se lent pas tous non plus !
La logique d'individualisation des pratiques de gestion est donc-ici poussée A son maximum. Les DRH connaissent souvent chacun des cadres A haut potentiel, rencontrés au moins une fois par an, et les gèrent au cas par cas. Vérile haute couture de la gestion des cadres, éphémère et luxueuse tout A la fois !
Finalement, la gestion des cadres A haut potentiel conduit dans nombre de cas A une hiérarchisation importante des différentes strates de cadres au sein d'une entreprise. Le cas de Lafarge au début de l'année 1999 est significatif. Tout en haut, le comité exécutif avec ses 11 postes. Puis, un comité opérationnel de 43 membres pount tous AStre considérés comme dirigeants. En dessous, les autres postes placés au-delA d'un certain niveau dans la classification, soit environ 110 postes brigués par environ 140 cadres A haut potentiel de niveau 1 ou 2. Les jeunes A haut potentiel ' lA aussi subdivisés en niveaux 1 ou 2 ' viennent juste derrière. Enfin, les jeunes A potentiel et les jeunes A suivre qui sont au total environ 850. L'entreprise ressemble alors A une vérile fusée de lancement, avec ses étages et ses passerelles entre chaque niveau. Dans le cas de Lafarge, c'est environ un millier de cadres, managers ou en voie de le devenir, qui fait l'objet d'un suivi particulier, pour quelque 7 000 cadres au total.
A cette radiographie insistant sur les hiérarchies entre cadres, il faut ajouter l'image d'une succession de cercles concentriques, pour décrire les différents segments pount exister au sein d'une grande firme . Au centre, le noyau dur, avec ses cadres dirigeants et ses hauts potentiels ; viennent ensuite les hommes-clés puis une partie des cadres en CDI A temps plein. Ce groupe ne connait pas de pratiques de flexibilité via la réduction du temps de trail ou l'emploi. Ce sont d'abord eux qui portent la flexibilité, parce que polylents, généralistes, capables d'apprendre tout au long de leur vie professionnelle. Ils sont aussi ceux qui décident et mettent en œuvre la flexibilité des structures : ils décentralisent, délèguent, modifient l'organisation du trail Enfin, c'est A eux que revient la tache de gérer les cadres - banalisés - et les non-cadres, sujets pour la plupart A la modulation des horaires, aux CDD, A l'intérim, au contrôle par les NTIC Ces remarques ne lent toutefois que pour des entreprises possédant un
marché interne du trail suffisamment ste, tant par la taille exprimée en nombre de cadres que par l'étendue géographique de leurs imtations.
Mais une telle schématisation est particulièrement utile et fidèle pour se représenter aujourd'hui les différences, les inégalités et les hiérarchies au sein du groupe des cadres.
Les couacs d'une gestion mal orchestrée
Comment les autres vivent-ils cette gestion des hauts potentiels ? La question est essentielle car si elle peut représenter un magnifique levier pour impliquer les salariés en rendant visibles des promesses de carrière, elle peut AStre aussi source de démotition.
Aux entreprises qui n'ont pas de tels systèmes de gestion des futurs dirigeants, il faut ajouter le cas de tous ces cadres qui en ignorent jusqu'A l'existence mASme. Ainsi A La Poste : - Une gestion des cadres A potentiel ? Je ne sais pas vraiment A quoi cela correspond et je ne pense pas que cela marche chez nous. - Un autre entretien dans la mASme entreprise et avec un directeur commercial départemental relent du droit privé, montre pourtant le contraire : - Oui. il y a une gestion des potentiels officielle et écrite qui permet une gestion de carrière rapprochée via des postes de direction au niveau régional et national. - Une absence totale de
communication ou un dévoilement mal maitrisé des pratiques par des voies officieuses, comme c'est trop souvent le cas, peuvent aussi avoir des résultats désastreux auprès de certains cadres déboussolés en proie aux hésitations, doutes, paranoïa (méfiance, sur-interprétation). Le cas suint a été recueilli dans une grande firme où le directeur des ressources humaines entretenait un faux silence autour d'une gestion des cadres A potentiel assez informelle qu'il mettait en œuvre seul.
Etre ou ne pas AStre cadre A haut potentiel
- On connait l'existence de ce que le groupe appelle cadres A haut potentiel, mais la faA§on dont c'est géré je ne sais pas par contre, je sais que j'en fais partie. J'ai été contacté il y a peu de temps par mon DRH pour une formation interne qui semble prestigieuse[] Mais
la communication autour de tout cela n'est pas très claire, voire inexistante [] Il y a des gens qui passent leur temps A se poser la question - j'y suis ou je n'y suis pas ? - [] ce ne sont que des impressions vous me direz [.. .]je pense qu'il y a une volonté affichée, pas très nette encore une fois, de gérer une population qu'on appelle A potentiel ou autre, de faA§on différente que les autres. Cela transpire déjA A travers l'information sur certaines formations, [] Il y a une prise de risque de la part de la RH en ce qui concerne l'attribution du potentiel, et je dois dire qu'en ce qui me concerne, ils en ont pris puisque je ne suis mASme pas entré cadre ici Et puis votre présence ici et le titre de votre enquASte ne confirment-ils pas mes impressions ? -
Bien d'autres dysfonctionnements peuvent AStre provoqués par une gestion des hauts potentiels mal orchestrée. Le découragement des autres cadres n'est pas le moindre de ces problèmes. Le carriérisme de certains hauts potentiels, leur (trop) rapide passage dans leurs postes et le manque de continuité dans
le management font que les autres collaborateurs plus sles se retrouvent A absorber le trail au quotidien et les effets A long terme de stratégies mises en oeuvre puis aussi tôt délaissées par ces vériles carriéristes. La dépréciation des dimensions techniques qui guette aussi ce système de gestion, peut AStre source de démotition chez certains experts ou ingénieurs.
Les cadres Iabellisés eux-mASmes peuvent subir des conséquences négatives. Ils peuvent - dérailler - - AStre sortis de la voie royale où ils ont été placés - et avoir des sentiments d'échec, de désenchantement et de désillusion. La réussite et l'accès au sésame des postes de dirigeant auraient donc un coût pour ceux qui n'y parviendront pas malgré leurs efforts, ainsi que pour ceux qui finiront par y accéder. Banalisés ou pas, A haut potentiel ou sans, experts ou managers, passés aux 35 heures ou non, les cadres se retrouvent face A des difficultés et A des tensions sources de stress. La route vers les sommets n'est pas pavée de roses. Et le prix A payer pour réussir sa vie professionnelle semble n'avoir jamais été aussi élevé
Yves-Frédéric LIVIAN, professeur de sciences de gestion de l'IAE de Lyon, a été aussi DRH et consultant. - L'idée d'un bouleversement des carrières est largement mythique -
Si l'on vient de voir que les cadres - A haut potentiel - continuent A bénéficier de carrières bien dessinées, cela signifie-t-il que les autres sont livrés A la seule loi de l'offre et de la demande ? La silité et la progression dans l'emploi salarié ont-elles complètement disparu chez les cadres ? Depuis plusieurs années, une certaine littérature a beaucoup exploité le thème de la mort de la - carrière classique - et de l'explosion de formes innontes de trajectoires professionnelles. Il est indéniable que des changements ont lieu dans ce domaine. Par exemple, un nouveau groupe de - professionnels autonomes - est en train d'émerger chez certaines catégories qualifiées. Mais l'idée d'un bouleversement des carrières et de la disparition des - carrières organisationnelles - est largement mythique.
Trois constats autour de la mobilité des cadres permettent de jeter un regard critique sur cette idée : - Tout d'abord, le glissement vers le trail indépendant n'a pas eu lieu. Globalement, on sait que c'est le salariat qui se développe dans nos sociétés, les chiffres en témoignent. La population des indépendants décroit de 2,5 % par an depuis 1990 et les - professions libérales supérieures - dont font partie certains des anciens cadres reconvertis, n'augmentent que de 1,3 % par an. Dans les enquAStes sur la mobilité, il apparait que plus de 90 % des cadres d'entreprises le sont encore l'année suinte, 1,4 % seulement sont devenus indépendants ou chefs d'entreprise et cette proportion a baissé entre 1990 et 1999 (enquASte emploi INSEE). On voit des chiffres identiques quant au devenir des cadres reclassés par l'intermédiaire des cabinets d'- outplacement - : très peu décident de créer leur emploi ou leur entreprise (enquASte ASCOREP). On peut le regretter, mais il est un fait que la création de son emploi n'attire que peu de cadres, en dehors du cas des activités de conseil.
- La mobilité inter-entreprises est plus limitée que certains tendraient A le suggérer. D'abord, les cadres des fonctions publiques (+ de 300 000 personnes) changent rarement d'administration. Ensuite, chez les cadres du secteur privé, la part de ceux qui changent d'entreprise dans l'année, oscille autour de 10 %, et ce depuis près de vingt ans (APEC, 2001). Aujourd'hui encore, 40 % des cadres actuellement en poste ont plus de dix ans d'ancienneté chez leur employeur. - L'emploi A vie n'a pas disparu, comme le montre le fait qu'un quart des ingénieurs diplômés - catégorie un peu plus mobile que la moyenne - parvenus en fin de carrière, n'a connu qu'un seul employeur -, comme le souligne le sociologue Paul Bouf-fartigue. Les carrières - monoentreprises - sont sans doute en déclin chez certaines catégories de cadres, mais le changement est moins radical que la littérature ne le prétend.
Bien sûr, cette mobilité inter-entreprise est plus forte chez les jeunes et elle correspond A une représentation partagée : 57 % d'entre eux sont conincus qu'ils devront fréquemment changer d'employeurs. Mais la réalité de cette mobilité est moindre qu'on aurait pu le penser il y a quelques années : les deux tiers n'ont eu qu'un seul poste dans les deux premières années de leur carrière (contre 59 % en 1998) et la proportion de ceux ayant eu trois postes ou plus pendant la mASme période passe de 17 A 11 % (APEC, 2001).
- Si l'on parle maintenant de la mobilité fonctionnelle au sein d'une mASme organisation, elle est indéniable et elle est plutôt le gage qu'il existe encore une certaine - gestion des carrières - dans des entreprises : les cadres changent de service (7 A 9 % par an) ou bénéficient de promotions internes (11 A 15 %). On voit donc que les trajectoires des cadres sont loin d'AStre laissées au libre jeu du marché du trail et correspondent, pour une bonne part, A des règles ou des pratiques silisées par lesquelles certaines directions d'entreprises cherchent A orienter le destin professionnel de ces salariés. La mobilité internationale fait aussi beaucoup couler d'encre. Mais l'expatriation longue ne touche qu'une frange des managers et la menace de - fuite des cerveaux - ne correspond A aucune réalité (il y a 15 200 FranA§ais diplômés traillant aux Etats-Unis, pour 3,4 millions de cadres et - professions intellectuelles supérieures - ; ce chiffre représente cinq fois moins que celui des cadres anglais ou allemands ables). Récemment, les autorités éducatives franA§aises ont déploré la stagnation du pourcentage d'étudiants franA§ais intéressés par une mobilité européenne (moins de 7 %).
Il n'est pas sûr que les jeunes générations modifient profondément cet état d'esprit. S'ils sont intellectuellement préparés A des mobilités, les jeunes sont aussi A la recherche de sécurité : si l'on regarde les choix d'emploi des jeunes, 37 % souhaitent rentrer dans la
fonction publique (41 % chez les étudiants), 38 % veulent trailler dans les grandes entreprises, 79 % souhaitent trouver un trail en France et 83 % des 18-20 ans dans leur région d'origine ! (SOFRES-ie Monde 2001).
Les - carrières - relativement régulières dans des organisations stes et se déroulant dans un contexte connu, ont donc encore de beaux jours dent elles !