QUAND ON PARLE DE SES TA‚CHES avec un travailleur du savoir, on comnTence en général par lui conseiller de ifier son travail. Cela semble une évidence. Le malheur, c'est, que cela
marche rarement. Le reste toujours A l'état de bonnes intentions sur le papier. Il aboutit rarement dans les faits.
Le travailleur du savoir efficace, A ce que j'ai pu constater, ne commence pas par étudier ses taches. 11 commence par le temps dont il dispose. Il ne commence pas par dresser un , mais par étudier A quoi il passe effectivement son temps. Il s'efforce ensuite de le gérer, et d'en éliminer les moments improductifs. Finalement il répartit le temps disponible en périodes continues, les plus longues possibles. Procéder ainsi en trois étapes :
» nnrer le temps disponihle ;
» le gérer ;
» le consolider ;
c'est la base de l'efficacité d'un cadre.
Les gens efficaces savent que le temps est le facteur limitant. Les limites de tout processus de production sont fixées par la ressource la plus rare, et dans le processus que l'on appelle - réalisation -, cette ressource c'est le temps.
Le temps est quelque chose d'unique. On ne saurait l'acheter, le louer, le prASter ou s'en procurer davantage d'une manière ou d'une autre.
L'offre de temps est parfaitement inélastique. Quelle que soit la demande, l'offre n'augmentera pas. Ce n'est pas une affaire de courbe de prix ou d'utilité marginale. De plus, le temps est totalement périssable et ne peut pas se stocker. La journée d'hier est passée pour toujours et ne reviendra jamais. Le temps, par conséquent, est toujours d'une extraordinaire rareté.
I1 n'existe aucun ersatz du temps. On peut toujours, dans certaines limites, substituer une ressource matérielle A une autre, l'aluminium au cuie par exemple, ou le
capital au travail humain. Qn peut déployer davantage de savoir ou de force physique. Mais rien ne peut remplacer le temps.
Tout ce qu'on peut faire demande du temps. C'est la seule-chose vérilement incontournable. Toute action se situe dans le temps et consomme du temps. Et pourtant, la plupart des gens tiennent cette ressource unique, irremplaA§able et nécessaire pour librement disponible. Rien ne distingue davantage un cadre efficace, peut-AStre, que le soin jaloux qu'il prend de son temps.
L'AStre humain est mal équipé pour gérer son temps. Dans l'obscurité la plus profonde, la plupart des gens conservent leur perception de l'espace, mais mASme avec la lumière allumée on est incapable d'estimer le temps écoulé après quelques heures passées dans un endroit clos. La plupart des gens le sous-estimeront ou le surestimeront grossièrement. La mémoire ne suffit donc pas pour mesurer le temps. Il m'est arrivé de demander A des cadres très fiers de leur mémoire de mettre sur le papier A quoi, selon eux, ils passaient leur temps. Puis, pendant quelques semaines ou quelques mois, ils s'imposaient de noter concrètement leur emploi du temps. Je ressortais alors la première esti' mation, pour leur faire constater le peu de concordance entre celle-ci et la réalité.
Un certain PDG était convaincu que son temps se partageait, en gros, en trois parties : un tiers passé avec les dirigeants de son entreprise, un tiers avec ses gros
clients et un tiers consacré aux nécessités sociales- Un relevé précis éli sur six semaines lui montra clairement que rien de cela n'était exact; ce n'était que la faA§on dont il croyait devoir passer son temps - et sa mémoire, avec son obligeance coutumière, l'avait convaincu qu'il en était bien ainsi. En fait, l'enregistrement montrait que la plupart du temps il servait en quelque sorte de boite aux lettres, notant les commandes des clients qu'il connaissait personnellement et les transmettant lui-mASme A l'usine par téléphone. Bien sûr, la plupart des commandes parvenaient directement de toute faA§on et son intervention ne pouvait que les retarder. Quand sa secrétaire lui remit le relevé de son emploi du temps, il n'en crut pas ses yeux. Elle dut renouveler deux ou trois fois l'exercice pour le convaincre que sa mémoire ne recoupait en rien son activité réelle.
Pour AStre efficace, il faut donc savoir gérer son temps, et d'abord savoir A quoi il passe réellement.
A€ quoi passe le temps
On est poussé constamment A faire de son temps un usage improductif et inutile. Tout travailleur du savoir, qu'il soit cadre ou non, en dépense une bonne partie sans en tirer la moindre contribution. Le gaspillage est inévile. Plus on est haut placé dans l'organisation, plus celle-ci se montrera dévoreuse de son temps.
Le PDG d'une grande
entreprise me racontait un jour que pendant deux ans il n'avait pas diné chez lui une seule fois, sauf A NoA«l et au jour de l'An. Toutes ses soirées avaient été consacrées A des réceptions officielles, qui lui prenaient des heures. Pourtant, il ne voyait pas comment faire autrement. Tantôt il s'agissait d'honorer un employé prenant sa retraite après cinquante ans de service, tantôt de recevoir le gouverneur d'un des états où se situaient ses usines, mais il lui fallait AStre lA , les mondanités faisaient partie de sa tache. 11 ne se faisait aucune illusion sur l'utilité de ces diners, pour la comnie ou pour lui-mASme, son plaisir ou sa promotion. Mais il devait AStre lA et faire bonne ure.
Tous les travailleurs du savoir connaissent les mASmes pertes de temps. Lorsqu'un bon
client l'appelle au téléphone, le directeur des ventes ne peut pas répondre - je suis occupé -. Il doit prASter une oreille complaisante, mASme si l'autre veut l'entretenir du tournoi de bridge auquel il a participé le samedi précédent ou des chances de sa fille d'intégrer une bonne université. Le directeur de l'hôpital doit assister A toutes les réunions de travail des médecins, des infirmières, des techniciens et autres groupes, sinon ceux-ci se sentiront offensés. Le haut fonctionnaire a intérASt A écouter le député qui souhaite AStre inscrit rapidement sur la liste rouge ou dans l'annuaire administratif. Et ainsi de suite, sans arrASt.
Les petits employés ne sont pas indemnes non plus. Eux aussi voient leur temps dévoré par des demandes qui n'ajoutent rien A leur productivité, et pourtant ne peuvent pas AStre rejetées.
A tous les postes, une grande partie du temps est donc perdue A des occupations soi-disant incontournables, mais qui ne contribuent A rien, ou presque.
La plupart des taches d'un travailleur du savoir demandent pas mal de temps, si l'on vise un minimum d'efficacité. Ne pas leur consacrer ce minimum sans s'interrompre, c'est du gaspillage pur et simple. On n'aboutit A rien et il faut repartir A zéro.
Rédiger un rapport, par exemple, peut demander six ou huit heures, rien que pour le premier jet. Il ne sert A rien d'y consacrer un quart d'heure par jour pendant trois semaines: on n'aura finalement qu'une e couverte de quelques griffonnages. Si au contraire on ferme la porte, on décroche le téléphone et on s'attelle au travail pendant six ou huit heures sans interruption, on a une bonne chance d'en sortir avec ce que j'appelle le - brouillon zéro - ' celui qui précède la version numéro un. A€ partir de lA , oui, on peut le retravailler par petites touches, réécrire, corriger chapitre par chapitre, paragraphe par paragraphe, phrase par phrase.
Une expérience de laboratoire, c'est la mASme chose. Il faut bien disposer de cinq A douze heures d'une seule traite pour monter le matériel et faire au moins un premier essai. Si l'on est interrompu, il faut tout recommencer.
Pour AStre efficace, tout travailleur du savoir, surtout si c'est un cadre, doit donc pouvoir disposer librement de larges plages de temps. Des petits bouts de temps grappillés A§a et lA ne serviront A rien, mASme si au total ils représentent beaucoup d'heures.
Cela est particulièrement ai du temps qu'on passe A travailler avec les autres ' fonction essentielle, bien sûr, d'un cadre. Les gens vous prennent du temps, dévorent votre temps.
Consacrer quelques minutes A quelqu'un ne sert A rien. Si l'on veut aboutir A quoi que ce soit, il faut y passer tout le temps nécessaire. Le travailleur du savoir qui se ure pouvoir arrASter en un quart d'heure les s, l'orientation et la performance de l'un de ses subordonnés ' beaucoup le croient, effectivement - se met le doigt dans l'œil. S'il veut parvenir A un vérile résultat, il lui faudra probablement une heure, voire beaucoup plus. Et infiniment plus encore s'il veut élir entre eux une relation humaine.
Les relations avec d'autres travailleurs du savoir prennent encore davantage de temps. Quelle qu'en soit la raison - parce qu'entre vous il n'y a pas de barrière de classe, que l'autorité hiérarchique ne joue pas, ou simplement que vous vous prenez davantage au sérieux ' un autre travailleur du savoir vous prendra beaucoup plus de temps qu'un ouier n'en prend A son supérieur ou A ses camarades. De plus, comme le travail du cadre ne peut pas se mesurer comme celui de l'ouier, on ne peut pas dire en quelques mots simples A un travailleur du savoir s'il fait ce qu'il a A faire et s'il le fait bien. A€ un ouier, on peut dire: - la norme est de cinquante pièces A l'heure, et tu n'en sors que quarante-deux - ; avec un travailleur du savoir, il faut s'asseoir tranquillement, discuter avec lui de ce qu'il y a A faire et pourquoi, avant mASme de savoir s'il travaille convenablement ou pas. Et cela dévore du temps.
Comme le travailleur du savoir est son propre patron, il doit comprendre ce que l'on attend de lui, et pourquoi. 11 doit comprendre aussi ce que font les gens qui utilisent sa production de savoir. Il y faut beaucoup de discussions, d'information, d'instructions, activités qui prennent du temps. Et contrairement A ce qu'on pense généralement, ce temps est pris non seulement au supérieur, mais aussi aux collègues.
Pour obtenir de lui performance et résultats, le travailleur du savoir doit s'intéresser aux objectifs de performance de son organisation. Cela exige qu'il retire A son travail du temps pour le consacrer aux résultats, et qu'il sorte de sa spécialité pour considérer le monde extérieur, seul lieu où se réalise sa performance.
Chaque fois que, dans une grande organisation, un travailleur du
savoir est performant, c'est qu'un dirigeant lui consacre un certain
temps A intervalle régulier, mASme si c'est un débutant, et lui demande :
- Qu'est-ce que nous, la direction générale, devons savoir de votre tra-Vail ? Que souhaitez-vous me dire au sujet de l'organisation ? Voyez-vous des opportunités qui restent inexploitées ? Des dangers auxquels nous serions aveugles? Et en gros, que souhaitez-vous apprendre de moi concernant l'organisation ? -
Pareil échange décontracté est une bonne chose aussi bien pour une administration que pour une entreprise, un laboratoire de recherche ou un état-major militaire. A€ défault le travailleur.du savoir.
perd son enthousiasme et devient un tacheron,.ou bien concentre ses énergies sur sa spécialité et ignore les possibilités et les besoins de l'organisation. Mais ces discussions prennent beaucoup de temps, surtout si l'on veut les mener sans hate, A l'aise. L'interlocuteur doit avoir le sentiment qu'on a - tout le temps -. En fait, beaucoup de choses aboutiront rapidement, mais il faudra consacrer beaucoup de temps A certains points, et sans AStre interrompu.
Faire de la relation de travail une relation personnelle prend du temps. Si l'on veut aller plus vite, il y aura des frottements. Toute organisation, cependant, repose sur un mix des deux. Plus les gens passeront de temps ensemble, ne serait-ce qu'A leurs rapports personnels, moins ils pourront en consacrer A leur travail, leurs réalisations, leurs résultats.
Le travailleur du savoir aura d'autant moins de temps A lui que l'or ganisation seta plus grande; il sera donc d'autant plus important qu'il sache bien A quoi passe son temps, et comment gérer le peu qu'il lui reste.
Plus il y a de monde dans unforganisation et plus il faut prendre de décisions les concernant. Mais si on prend ces décisions trop vite, on risque fort de se tromper. Une bonne décision sur les personnes demande un temps étonnant. Et ce qu'elle implique n'appatait clairement qu'après plusieurs occurrences.
Les travailleurs du savoir, dans les pays industrialisés d'aujourd'hui, n'ont pas A se demander A quoi consacrer leurs loisirs. Au contraire, ils travaillent tous un grand nombre d'heures et ont plus de choses A faire que de temps A y consacrer. Et cette pénurie de temps ne peut sans doute que s'aggraver. La raison en est qu'un standard de vie élevé présuppose une
économie d'innovation et de changement, et qu'innovation et changement prennent aux cadtes énormément de temps. Tout ce qu'on peut penser ou faire en peu de temps, c'est repenser ce qu'on savait déjA et faire ce qu'on a toujours fait.
Diagnostic du temps
Cela fait presque un siècle qu'on a compris qu'il fallait enregistrer le temps pour savoir A quoi il passait et pour essayer de le gérer. Du moins en ce qui concerne le travail manuel, qualifié ou non; c'est aux environs de 1900 que l'organisation scientifique du travail a mesuré pour la première fois le temps nécessaire A la production d'une pièce donnée. Aujourd'hui il n'est guère de pays, si arriéré soit-il dans ses méthodes industrielles, qui ne chronomètre systématiquement les opérations des travailleurs manuels.
Mais on a appliqué ce savoir lA où ce n'est pas tellement important, c'est-A -dire lA où l'économie de temps se traduit seulement dans le rendement et les coûts. En revanche, on ne l'a pas appliqué lA où c'était le plus important, c'est-A -dire lA où l'économie porte sur le temps lui-mASme : aux travailleurs du savoir, et notamment aux cadres. LA , le bon emploi du temps retentit sur l'efficacité et sut les résultats.
Le premier pas en direction de l'efficacité consiste par conséquent A noterTcmploi effectif qui est tait du temps. Pat quel moyen, cela ne nous concetne pas ici. Certains cadres tiennent eux-mASmes leur agenda; d'autres, comme le PDG dont il est question plus haut, le font tenir par leur secrétaire. L'important est que ce soit fait, et en - temps réel -, c'est-A -dire sur le champ, sans attendre et sans se fier A sa mémoire.
Un bon nombre de personnes efficaces tiennent un pareil agenda en permanence et le consultent régulièrement chaque mois. Au minimum, elles le tiendront trois ou quatre semaines de suite deux fois par an, A intervalles réguliers. Au vu de chaque relevé, on remaniera son emploi du temps - pour s'apercevoir inévilement, six mois plus tard, qu'on s'est laissé aller A perdre son temps A des broutilles.
Avec la pratique l'emploi du temps s'améliore, mais pour pallier aux dérives il faut un effort constant- L'étape suivante consiste donc en une gestion systématique du temps. Il faut débusquet les activités improductives, dévoreuses de temps, et les éliminer dans la mesure du possible. Pour cela, se poser un certain nombre de questions, bases du diagnostic:
1. D'abord, tachet d'identifier et d'éliminer les occupations qui ne servent rigoureusement A tien, qu'A petdre son temps sans le moindre résultat. A cet effet, se demander au sujet de toutes les activités notées dans l'agenda: - Que se serait-il passé si je n'avais pas fait cela ? - Et si la réponse est - rien -, la seule conclusion possible, évidemment, c'est d'y renoncer.
Les gens actifs se lient A un nombre étonnant d'activités dont ils pouttaient se passer. Par exemple les innombrables allocutions, diners, réunion de comités ou de conseils qui leur prennent un temps inadmissible, où ils s'ennuient ou se sentent inefficaces, mais qu'ils supportent néanmoins tout au long de l'année comme une plaie d'Egypte tombée du ciel. La seule chose A faire, lA , c'est de savoir dire non si l'activité en question n'apporte rien A l'organisation, A l'auditoire ou A soi-mASme.
Le PDG mentionné plus haut, qui dinait dehors tous les soirs, finit par constater en y réfléchissant que pour un tiers au moins de ces réceptions l'un ou l'autre des cadres supérieurs de l'entreprise aurait très bien fait l'affaire. Il s'aperA§ut mASme, A son grand dépit, que dans beaucoup de cas ses hôtes ne souhaitaient mASme pas sa présence. Ils l'invitaient par politesse mais s'attendaient bien A ce qu'il s'esquive, et
se trouvaient fort embarrassés quand il acceptait l'invitation.
Je n'ai jamais rencontré de travailleur du savoir, quel que soit son
rang, qui ne puisse jeter au panier le quart des obligations inscrites A
son agenda sans que personne s'en aperA§oive.
2. Question suivante: - Parmi les activités inscrites A mon agenda, lesquelles pourraient AStre exécutées aussi bien, sinon mieux, par quel-qu'un d'autre ? -
Notre PDG mondain constata bientôt qu'un autre tiers de ses obligations pouvait AStre refilé A l'un de ses collègues ; tout ce que souhaitaient les hôtes, c'était d'avoir un représentant de l'entreprise sur leur liste a'invitations. Pour moi, je n'ai jamais trouvé de travailleur du savoir qui, procédant A l'analyse de son agenda, n'ait acquis très vite l'habitude de confier A d'autres tout ce qu'il ne devait pas faire personnellement. Un seul coup d'ceil suffit A constater clairement qu'on n'a jamais assez de temps pour faire ce qu'on estime important, qu'on désire faire soi-mASme et qu'on s'est engagé A faire. Le seul moyen de s'en tirer, c'est de confier A d'autres tout ce qui peut leur AStre confié.
Parler de - délegation -, comme on le fait d'habitude, est un terme impropre. Mais se débarrasser_de-tout-ce qu'un autre peut faire, de faA§on A se consacrer totalement A son travail sans avoir besoin de déléguer - c'est ainsi qu'on améliore son efficacité.
3. Une cause fréquente de perte de temps, qu'un cadre est en mesure de contrôler et d'éliminer, c'est le temps qu'il fait perdre aux autres.
Les symptômes de ce gaspillage ne manquent pas, mais il existe une faA§on simple de le repérer: c'est de poser la question autour de soi. Les gens efficaces savent demander systématiquement aux autres, sans fausse timidité: - M'arrive-t-il de vous faire perdre votre temps sans utilité pour votre contribution ? - Agir ainsi, sans craindre d'entendre la vérité, c'est la marque d'un cadre efficace.
Un cadre peut s'acquitter productivement de sa tache tout en faisant perdre beaucoup de temps A quelqu'un d'autre.
Le directeur financier d'une grande entreprise s'était parfaitement rendu compte que les réunions tenues dans son bureau lui faisaient perdre beaucoup de son temps, parce qu'il convoquait tous ses subordonnés A chaque réunion, quel qu'en fût l'ordre du jour. Naturellement, la réunion s'éternisait ; comme chacun des participants croyait devoir manifester son intérASt, tous posaient au moins une question -la plupart sans rapport avec le sujet ' et les réunions n'en finissaient pas. Ce que notre directeur ne savait pas - tant qu'il ne s'en fût pas enquis - c'est que ses subordonnés eux aussi avaient l'impression de perdre leur temps. Conscient de la grande importance que chacun attachait A son statut, au besoin d'AStre - au courant -, il craignait, s'il tenait un seul homme A l'écart, que celui-ci se sentit blessé et boycotté.
Maintenant, il a trouvé un autre moyen de répondre A leur inquiétude. Il envoie A tous un formulaire pré-imprimé et rempli par ses soins, ainsi rédige : - Je demande A MM. [Smith, Jones et Robinson] de se retrouver avec moi [mercredi A 3 heures] dans [la salle de réunion du quatrième] pour discuter [du budget d'investissement de l'an prochain]. Venez aussi si vous pensez que l'information vous concerne ou si vous avez quelque chose A dire. De toute faA§on, vous receez un compte rendu détaillé de la réunion et des décisions prises, et vous voudrez bien me communiquer vos commentaires. -
Avant, la réunion retenait une douzaine de personnes tout un après-midi; depuis, trois personnes et une secrétaire chargée du compte rendu s'en acquittent en moins d'une heure. Et personne ne se sent tenu A l'écart.
Nombre de travailleurs du savoir sont conscient de perdre ainsi leur temps sans nécessité, mais ils ont peur de tailler dans le vif. Ils craignent que quelque chose leur échappe. Sans doute un oubli peut arriver, mais il est facile A corriger. Si l'on va trop loin, on s'en apercea bien vite.
La preuve qu'il ne faut pas craindre de sabrer dans son agenda, c'est l'extraordinaire efficacité A laquelle parviennent certaines personnes très malades ou sévèrement handicapées. Un cas exemplaire est celui de Harry Hopkins, le conseiller particulier du président Roosvelt. pendant la Seconde Guerre mondiale. C'était un homme fini, presque un moribond, chaque pas lui était une épreuve, il ne pouvait travailler que quelques heures un jour sur deux. Obligé ainsi de tout laisser tomber, A l'exception des questions réellement vitales, il n'était pas inefficace pour autant, au contraire: Churchill l'appelait - Monsieur Cœur du Problème -, et il a abattu plus de besogne que quiconque A Washington pendant la guerre.
A€ la recherche du temps perdu
Les trois questions-diagnostic ci-dessus concernent les activités improductives et mangeuses de temps sur lesquelles le travailleur du savoir peut agir. Tous deaient se les poser. Mais les
managers doivent s'inquiéter aussi des pertes de temps qui résultent d'une gestion médiocre et d'une organisation déficiente. Une gestion médiocre fait perdre du temps A tout le monde, et d'abord aux managers. Voici quatre exemples pour illustrer ce point.
1. Première cause de perte de temps : le désordre organisations et l'imprévoyance. Symptôme : la < crise > récurrente, qui éclate réguliè rement tous les ans. Une crise que l'on rencontre une seconde fois ne deait plus jamais avoir lieu.
Exemple: la crise de l'inventaire annuel. Qu'on puisse désormais, grace A l'ordinateur, la surmonrer mieux qu'avant ' A grand peine et A grand coût - il n'y a guère lA de quoi se vanter.
Une crise qui se renouvelle deait toujours avoir été prévue; on peut alors la prévenir, ou la banaliser et la faire traiter par n'importe qui. La définition de ce qu'on appelle - une routine -, c'est que celle-ci permet A des personnes non qualifiées, sans jugement, d'accomplir ce qui était réservé auparavant A des génies, parce qu'elle formalise en un processus pas A pas systématique, ce qu'un homme très capable a appris en résolvant la crise précédente.
Ce genre de crise peut s'attaquer A tous, pas seulement aux éche-Ions inférieurs de l'organisation.
Une entreprise assez importante en connaissait une chaque année aux environs du 1er décembre. Elle avait une activité très saisonnière, faible au dernier trimestre, et donc difficilement prévisible. La direction s'entAStait néanmoins A donner une prévision de ses résultats dans son rapport intérimaire, A mi-exercice. Trois mois plus tard, la panique s'installait et on ne savait plus quoi inventer pour accomplir finalement les prévisions de la direction. Pendant trois ou quatre semaines, plus personne ne pensait A autre chose. La solution pourtant était simple, il suffisait d'un ttait de plume: au lieu de prévoir un chiffre d'affaires et un bénéfice précis pour la fin d'année, la direction indique maintenant des fourchettes. Tout le monde s'en satisfait, les cadrés, les actionnaires et les milieux financiers. Non seulement la crise de fin d'année a disparu, mais les résultats du quatrième trimestre se sont améliorés, parce que les cadres ne perdent plus leur temps A aligner les résultats sur les prévisions.
Avant que Robert McNamara fut nommé secrétaire A la défense en 1961, le système militaire américain connaissant ainsi une crise de la dernière minute quand approchait le .30 juin, terme de l'année budgétaire. Tous les cadres du ministère, civils ou militaires, cherchaient désespérément quoi dépenser pour utiliser les crédits annuels votés pat le Congrès, dans la crainte, s'ils n'y parvenaient, pas, de devoir rendre l'argent (le soviétique connait aussi, chroniquement, cette folie dépensière de fin d'exercice). La crise était pourtant parfaitement inutile, comme McNamara s'en aperA§ut immédiatement: la loi, depuis toujours, permettait de placer sur un compte intérimaire les sommes non dépensées, mais toujours utilisables.
La crise récurrente n'est qu'un symptôme de je-m'en-foutisme et de paresse.
Voici quelques années, A mes débuts de consultant, j'ai appris comment distinguer sans
connaissances particulières une usine bien gérée d'une usine mal gérée. Une usine bien gérée respire la tranquillité. S'il y règne une atmosphère de drame, si on y raconte au visiteur une - épopée industrielle -, c'est qu'elle est mal gérée. Dans la première, on s'ennuie; rien d'intéressant ne s'y passe, parce que les crises sont anticipées et traitées routinièrement. Les seules décisions - héroïques - qu'on y prend sont celles qui ont pour but de préparer l'avenir, non d'éponger les erreurs du passé.
2. Le temps perdu l'est souvent, A cause d'un sureffectif.
Il peut arriver, c'est ai, qu'une équipe soit ttop peu fournie pour accomplir sa tache, et que celle-ci en souffre, parfois gravement. Mais ce n'est pas le plus fréquent. Le plus souvent, c'est le sureffectif qui entraine l'inefficacité, parce que les gens passent leur temps A - interagir - plutôt qu'A travailler.
Un symptôme ne trompe pas. Si la personne la plus ancienne du groupe - surtout, naturellement, si elle le dirige ' consacre plus d'une petite partie de son temps, disons dix pour cent, aux questions de - relations humaines -, aux querelles et aux frictions, aux conflits juridiques et aux problèmes de coopération, etc., c'est presque certainement que l'effectif est trop nombreux. Les gens se marchent sur les piedsfils gASnent la performance, au lieu de la favoriser. Dans un groupe maigre, chacun a la place de se remuer sans se cogner aux autres er peut travailler sans devoir constamment s'expliquer.
3. Autre cause de perte de temps, une mauvaise organisation. Symptôme: la multiplication des réunions.
Par définition, les réunions sont autant de concessions faites A une organisation déficiente. Car de deux choses l'une: ou on se rencontre, ou on travaille. On ne peut pas faire les deux en mASme temps. Dans la structure idéale (c'est un rASve, bien sûr, car le monde change sans arrASt), il n'y aurait pas de téunions. Chacun saurait ce qu'il doit savoir pour faire son boulot et disposerait de toutes les ressources nécessaires. On se réunit parce que des gens occupant des emplois différents ont besoin de coopérer pour remplir une certaine tache.
En tout cas, les réunions doivent AStre l'exception, non la règle. Une organisation où tout le inonde se réunit tout le temps est une organisation où personne ne produit rien. Chaque fois que les agendas montrent de la dégénérescence graisseuse - que les gens, par exemple, passent plus du quart de leur horaire en réunions ' il y a perte de temps par mauvaise organisation.
En règle générale, un travailleur du savoir ne deait jamais se permettre que les réunions prennent la plus grande partie de son temps- Un excès de réunions est le signe certain d'une médiocre conception des postes et d'une mauvaise organisation des taches: le travail qui deair revenir A un seul poste et constituer sa seule tache est réparti entre plusieurs postes et émietté en plusieurs taches. La responsabilité est diffuse, et l'information n'est pas adressée A ceux qui en ont besoin.
4- Dernière cause de perte de temps: les dysfonctionnements de l'information.
Depuis des années, le directeur d'un grand hôpital était assailli de coups de téléphone de médecins le priant de trouver un lit pour l'un de leurs patients. Le service des admissions - savait - qu'aucun lit n'était disponible, et pourtant le ditecteur finissait toujours par en trouver un. Pourquoi ? Simplement parce que les admissions n'étaient pas immédiatement informées lorsqu'un malade était renvoyé chez lui. La surveillante, elle, le savait, ainsi bien sûr que la caisse qui présentait la facture A la sortie. Mais le service des admissions, lui, recevait un - état des lits - éli le lendemain A cinq heures du matin, alors que la grande majorité des sortants étaient partis la veille juste après la visite du médecin. La solution n'exigeait aucun génie : il suffisait d'envoyer aux admissions une copie carbone du bon de sortie adressé par la surveillante A la caisse.
Les pettes de temps provoquées par les sureffectifs, la mauvaise organisation ou les dysfonctionnements de l'information peuvent parfois trouver vite un remède. D'autres fois, il faudra travailler longuement et patiemment A les corriger. Mais les résultats sont alors sensationnels - en temps gagné tout spécialement.
Consolider le - temps discrétionnaire -
Le cadre qui note et analyse son emploi du temps, puis s'efforce de le gérer, peut alors mesurer combien il peut en consacrer A ses taches importantes - quel est son temps - discrétionnaire -, ce qui reste disponible pour effectuer une vérile contribution.
Ce ne sera sans doute pas énorme, quelque ardeur ait-il apporté A la chasse au temps petdu.
Plus haut est son rang hiérarchique, et moins le travailleur du savoir peut contrôler effectivement le temps qu'il affecte A sa contribution. Plus gtande est l'organisation, et plus il doit passer de temps A la maintenir simplement en état de marche, au lieu de la faire fonc-tionnet et produire.
Les personnes efficaces savent par conséquent qu'elles doivent consolidet leur temps discrétionnaire. Qu'il leur faut garder de grandes ptages disponibles, car des petits bouts de temps ne servent A rien. Le quart d'une journée de travail peut suffire normalement A ttaitet les problèmes importants, A condition d'AStre consolidé en périodes assez grandes; mais mASme les trois quarts testeront improductifs s'ils consistent en quarts d'heure ou demi-heures dispersés au long de la journée.
Le stade suprASme de la gestion du temps consiste donc A consolidet la marge que l'enregistrement et l'analyse ont montrée normalement disponible et sous le contrôle de l'intéressé.
11 y a bien des
moyens d'y parvenir. Certains, les cadres les plus anciens en général, restent travaillet chez eux un jour par semaine; c'est le cas notamment des journalistes et des chetcheuts scientifiques. D'autres concentrent les activités opérationnelles - reunions, inspections, enquAStes, etc. - sut deux jours, par exemple le lundi et le vendredi, et bloquent les matinées des autres jours pour ttavailler continûment aux gtands problèmes.
Mais la méthode adoptée importe moins que l'intention. La plupatt des gens s'en tirent en s'efforA§ant de ttaitet A la suite les questions secondaires, les moins productives, en réservant en quelque sorte un espace libre entre deux séries. Mais cela ne mène pas très loin. On continue de donner la priorité, dans sa tASte et dans son agenda, aux choses les moins importantes, celles qu'il faut bien régler mASme si leur contribution est faible. Résultat, toute demande nouvelle sera ai' semblablement satisfaite aux dépens du temps discrétionnaire et des taches qu'on deait lui réserver. Au bout de quelques jours ou quelques semaines, le temps discrétionnaire aura sombré corps et biens, grignoté par de nouvelles crises, de nouvelles urgences, de nouvelles futilités.
Toutes les personnes efficaces travaillent constamment A gérer leur temps. Non seulement elles l'enregistrent en continu et l'analysent périodiquement, mais elles se fixent des dates-butoirs pour leurs activités importantes, en fonction de l'estimation du temps discrétionnaire dont elles disposent.
Un homme extrASmement efficace de mes relations tient ainsi deux listes, l'une des choses urgentes qu'il doit faire, l'autre des choses déplaisantes, chacune affectée d'une date-butoir. Quand il constate que la limite est dépassée, il sait que son emploi du temps est en train de lui échapper.
Le temps est la ressource la plus rare; si on ne le gère pas, rien d'autre ne peut AStre géré. De plus, A nalysA«r son temps est la manière la plus accessible et cependant la plus systématique d'analyser son travail et de réfléchir A ce qu'il comporte de vérilement important.
- Connais-toi toi-mASme -, l'antique précepte de sagesse, n'est pas A la portée de tous les mortels. Mais tous peuvent suie le conseil - Connais le temps qui t'appartient -, qui leur ouira le chemin de la contribution et de l'efficacité.