Ce qui rend les entreprises humaines, c'est la constante possibilité d'y voir s'y nicher, s'y construire et s'y développer, A  tous les niveaux, ce qu'on peut appeler l'irrationnel. L'irrationnel est non seulement ce qui ne s'explique pas selon la raison ' c'est-A -dire selon la logique communément admise qui n'a que l'objectité qu'elle prétend avoir ' c'est également ce qui est par définition, tour A  tour et selon les cas : caché, obscur, inavoué, provoquant, impertinent, honteux, inventif, incompréhensible, puissant ou génial. Il n'en reste pas moins que l'irrationnel est souvent ce qui fait la richesse d'une entreprise, ce qui ne peut s'exporter et se reproduire ailleurs que dans un certain contexte. Nous retrouvons ici la définition mASme de ce qui fait la complexité d'un système, c'est-A -dire ce qui échappe A  toute analyse et ne peut qu'AStre ctime d'un réductionnisme outrancier. On sait l'importance de l'irrationnel dans la e politique et sociale (les technocrates et les astrologues se partagent le pouvoir), il est donc édent que l'entreprise n'y échappe guère. Ce qui rend les entreprises irrationnelles, c'est donc précisément leur humanité. Il en résulte que l'irrationnel est toujours présent, et il est, en ce sens, éminemment respecle. Mais il est très difficile de raisonner sur l'irrationnel, c'est prendre le risque de le simplifier et de vouloir, encore une fois, le rendre plus logique. Je m'y attacherai cependant en essayant de débusquer, dans l'entreprise au sens le plus général, les zones d'irrationnel les plus fréquemment rencontrées. Les secrets les mieux partagés et les plus répandus, sont ceux qui tournent autour des rapports affectifs, éventuellement sexuels. On sait également que le milieu professionnel offre souvent les seules occasions de rencontres pour bien des employés, surtout lorsque la e professionnelle occupe une place prépondérante dans le quotidien. Tout le mouvement culturel, social et juridique qui s'est déployé A  partir du harcèlement sexuel dans l'entreprise démontre, a contrario, dans son aspect le plus olent et le plus pervers, l'importance de ce phénomène. Dans la majorité des cas, au moins dans le contexte franA§ais, l'existence de liens affectifs et sexuels entre employés d'une mASme entreprise fait partie de ces secrets de polichinelle que j'ai déjA  mentionnés. D'une certaine faA§on, et dans la plupart des cas, ils ne portent pas A  conséquences et semblent faire partie du jeu relationnel couramment admis. Ils deennent dys-fonctionnels lorsque le contexte professionnel et le contexte affectif se mASlent ouvrant la porte A  une inadéquation entre fonction et rôle dans le cadre professionnel. C'est le cas, par exemple, pour prendre une situation éminemment classique, lorsque la secrétaire-maitresse du patron exerce un pouvoir (fonction) qui outrepasse son rôle.
En deA§A  des liens affectifs et sexuels existent, tout simplement, les liens proprement dits et, parmi eux, l'attachement. Cet attachement peut transcender les conventions hiérarchiques, éventuellement sous-tendre la motivation mais, dans tous les cas, attacher deux personnes, ou une personne A  un groupe, selon un ensemble de loyautés dans des liens de triangulation. L'attachement est A  la fois normal, banal et imprésible. C'est, par définition, un lien mais également un jeu, au sens noble du terme. Dans ce jeu interennent de nombreux facteurs qui rendent aléatoire tout pronostic sur le devenir de ce lien. C'est donc ici que l'irrationnel interent de nouveau.
A€ la croisée des liens professionnels et affectifs ou familiaux, doit AStre mentionné le partage de responsabilités avec d'autres membres de la mASme famille et surtout les conjointes. Il me faudrait ajouter aux conjointes, les conjoints. Mais chacun sait que dans notre culture - machiste - cette situation est, de loin, l'exception. Je veux mentionner ici la place que peuvent prendre, ou que prennent, les conjointes des dirigeants dans la conduite de l'entreprise. Comme tout ce qui est irrationnel, il est impossible de modéliser ce type de phénomène. Simplement cet exemple :
Un dirigeant, membre d'une entreprise internationale, se rend A  une de ces réunions de travail où les hommes s'ennuient sérieusement devant des transparents tandis que les épouses, ou assimilées, assistent A  des conférences A  connotation culturelle. Ce dirigeant salue chaleureusement la femme d'un de ses supérieurs. Il ignore que ce dernier a récemment été écarté d'une responsabilité importante. Quelques jours plus tard, notre dirigeant apprend qu'il est l'objet d'une promotion inattendue. Il est vrai qu'entre temps son supérieur hiérarchique est revenu en grace. édemment tout lien entre les deux événements ne peut que relever du pur hasard. Pourtant
J'ai déjA  mentionné l'importance et la dynamique des secrets. Ces secrets interennent dans tout système humain. Ils sont, ou ils paraissent, irrationnels car ils correspondent A  des situations dont la logique n'est plus d'actualité ou dont les références se situent en dehors de l'entreprise. La composante affective et émotionnelle qu'ils possèdent leur donne une force qui n'est pas nécessairement en rapport avec leur contenu. La plupart des dettes restent ouvertes et, selon la définition que j'ai donnée plus haut, rationnelles. Ces dettes deennent irrationnelles lorsqu'elles s'attachent plus au siège qu'aux personnes qui occupent successivement ce siège. Elles fonctionnent encore alors que leur origine est perdue dans les méandres des souvenirs et de l'histoire. Ces dettes deennent alors partie intégrante des testaments (non dits et non annoncés) qui circulent d'une personne A  une autre. Elles imposent des règles qui échappent parfois A  toute logique et leur résiliation demande une grande énergie ou exige un bouleversement radical du fonctionnement du système.
La peur, et son utilisation, peut malheureusement faire partie d'un certain type de gestion des rapports humains. Nous ne sommes pas loin ici du harcèlement, non pas sexuel mais émotionnel. Il est très facile de l'induire chez certaines personnes fragilisées par ailleurs dans leur e affective ou familiale.
Comme tout système humain, l'entreprise génère ses propres rituels et croyances qui donnent A  ses membres la possibilité de croire qu'il est possible de contrôler tout ou partie de ce qui constitue la fatalité. La mort et, de manière plus large encore, la séparation sont l'occasion de rituels plus ou moins apparents et élaborés. Nous verrons, A  propos des mécanismes de deuil comment cet irrationnel interent dans la marche de l'entreprise.
Il n'est rien de plus puissant qu'une croyance ou qu'un ensemble de croyances. Une croyance, par définition, ne se justifie pas et ne s'explique que dans son propre système de croyances. On dit alors qu'elle est auto-référentielle, elle ne se réclame que d'elle-mASme, elle peut donc AStre facilement irrationnelle puisque échappant A  toute objectité ou toute scientificité. Sous cette rubrique peuvent AStre regroupées toutes les croyances en un système de pensée irrationnel. Nous ne sommes ici pas loin, ou de plein pied, dans la superstition. Les chefs d'entreprise qui font appel A  des systèmes de valeur étrangers A  toute logique économique ou commerciale pour prendre des décisions qui concernent, quelquefois de faA§on déterminante, la marche de leurs affaires, ne sont pas rares. Par exemple, tel créateur d'entreprise déposera les statuts de son nouveau-né A  une date qui sera en accord avec ses conctions astrologiques. De mASme, telle décision sera prise en fonction de la conjonction, supposée favorable, de quelques astres du firmament. De mASme, dans le choix d'un collaborateur, des critères non immédiatement professionnels seront mis en jeu, parfois A  l'insu de l'impétrant, mettant clairement en jeu des référentiels étrangers A  toute logique professionnelle.
Les irruptions de l'irrationnel dans l'entreprise ne sont pas rares, comme dans toute actité humaine. Elles sont A  la mesure du haut degré de technicité qui s'y développe. Cet irrationnel deent alors une forme d'humanisation qui permet au hasard d'AStre introduit, ou réintroduit, pour mieux contrebalancer les exigences de présion et de certitude.