Faut-il continuer A lutter contre l'inflation ? La résorption du
chômage passe-telle par un retour A la croissance ? Y a t il une alternative A la -pensée unique"? Telles sont, depuis les années 80, quelques-unes des questions qui ont nourri, en France, les débats autour des objectifs de la
politique économique. En France, quatre grandes familles de pensée émergent des débats sur la politique économique : les détracteurs de la pensée unique, les tenants de l'
économie solidaire, les héritiers de Keynes et les libéraux. Nous avons sélectionné quatre titres représentatifs de chacune de ces familles.
1. Les détracteurs de la - pensée unique -
Mots d'ordre : rompre avec la politique de rigueur économique menée depuis les années 80 (politique du franc fort), privilégier la lutte contre les inégalités sociales et l'exclusion, réduire le temps de trail
Représentants : Hoang Ngoc LiASm, maitre de conférences A l'université de Paris-I Panthéon-Sorbonne. Auteur de La Facture sociale (voir ci-après) et de Salaires et emploi, une critique de la pensée unique (Syros, 1995), il anime la revue Pétition (trimestrielle); Henri Guaino (ex-commissaire au Plan) Adversaires désignés : la Fondation Saint-Simon (Daniel Cohen, Alain Mine).
Manifeste : l'- Appel des économistes pour sortir de la pensée unique-, lancé en 1995.
La Facture sociale.
Sommes-nous condamnés au libéralisme ?
(Hoang Ngoc LiASm, Artéa, 1998)
Loin d'avoir engendré une homogénéisation autour d'une classe moyenne () [notre société] est donc, plus que jamais, une société de classes où, loin de s'AStre atténuées, les inégalités se sont creusées. Le fossé s'est agrandi entre les revenus salariaux et ceux du patrimoine, entre la part des
salaires et celle des profits dans la leur ajoutée (). Pire, la reproduction sociale continue déjouer A plein : la mobilité intergénérationnelle entre les classes sociales ne s'est pas améliorée. » Tel est le diagnostic alarmiste que Hoang Ngoc LiASm dresse de la société franA§aise. Le responsable est tout désigné : il s'agit du " libéralisme social - qui inspire la politique économique menée par la plupart des pays industrialisés, A commencer par la France et l'Allemagne depuis les années 80. Le libéralisme social? Un croisement curieux entre les thèses néoclassiques favorables A l'économie de
marché et la social-démocratie. Sur le de la politique économique, il consiste A privilégier la lutte contre l'inflation par la maitrise des coûts de production, et la déréglementation sur la lutte contre le chômage, en maintenant un minimum de protection sociale. A l'heure de la mondialisation, une alternative A une telle politique est-elle seulement possible? Oui, répond Hoang Ngoc. Elle est non seulement envisageable, mais elle a déjA été esquissée dans les pays pourtant traditionnellement considérés comme les foyers de l'ultralibéralisme : les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ! Revenant dans le détail sur les politiques menées dans ces pays depuis la fin des années 70, Hoang Ngoc rappelle que Ronald Reagan et Marga-ret Thatcher ont été tour A tour contraints d'opérer un tournant (en 1985 pour les Etats-Unis, en 1987 pour le Royaume-Uni). Après l'échec des politiques d'inspiration monétariste, ces pays n'ont pas hésité A user de la déluation compétitive et du déficit public pour relancer leur économie, non sans une certaine réussite. Reste la question des inégalités L'- autre politique - que prône Hoang Ngoc a une tout autre ambition. Sur le théorique, elle procède d'une synthèse originale entre le keynésianisme et le marxisme. Du premier, il retient non seulement la défense et l'illustration de la politique de relance mais encore et surtout l'idée d'incertitude. Keynes fut le premier, rappelle-t-il, A avoir souligné l'incertitude dans laquelle opèrent les agents économiques. Dans ce contexte, seule une - main visible- - celle de l'Etat - peut parvenir A coordonner efficacement l'offre et la demande. S'agissant de Marx, Hoang Ngoc souligne l'actualité de son analyse en termes de lutte des classes. De ce dialogue entre Keynes et Marx, il tire les arguments en faveur d'une réhabilitation du rôle du politique dans la redistribution des fruits de la croissance. Parmi les formes que celle-ci pourrait revAStir, il retient la diminution du temps de trail et diverses réformes fiscales visant notamment A privilégier les entreprises les plus créatrices d'emplois. Reste que les économies nationales sont interdépendantes. Si une politique de relance et de redistribution est menée, c'est A une échelle supranationale qu'elle doit AStre envisagée, en l'occurrence, pour un pays comme la France, A l'échelle de l'Europe. Tout en dénonA§ant le maintien des critères de Maastricht, Hoang Ngoc suggère la définition d'une politique de relance concertée entre les Etats membres.
2. Pour une économie solidaire
Mots d'ordre : créer de nouvelles formes d'emplois en encourageant l'émergence d'un nouveau secteur (l'économie solidaire, le tiers secteur, l'économie quaternaire), réduire le temps de trail
Représentants : Jean-Louis Laville, sociologue (A l'origine de la notion d'économie solidaire); Alain Caillé, économiste et sociologue {Revue du MAUSS) ; Bernard Perret, économiste (qui développe la notion de contrat d'activité du rapport Boissonnat) Manifeste : l'- Appel A débattre sur les voies de sortie de la
crise et du chômage - (Le Monde, juin 1995) A l'origine de la création l'année suinte de l'association de l'- Appel européen pour une citoyenneté et une économie plurielles - (juin 1996).
Vers une économie plurielle.
Un trail, une activité, un revenu pour tous
(Guy Aznar, Alain Caillé, Jean-Louis Laville, Jacques Robin
et Roger Sue, Alternatives économiques/Syros, 1997)
Sur un ton mesuré, mASme s'il renoue parfois avec les accents de l'utopie, les principaux animateurs de l'Appel européen pour une citoyenneté et une économie plurielles livrent leurs analyses sur la crise de l'emploi et leurs propositions pour en sortir. S'agissant du diagnostic, les signataires sont unanimes : la crise que connait la France depuis le milieu des années 70 n'est pas économique. Roger Sue rappelle A cet égard qu'entre 1975 et 1995 la richesse nationale a crû de 70% en France. La crise traduirait en fait des mutations profondes sous l'effet d'une nouvelle révolution : la révolution informationnelle. Celleci n'affecte plus seulement les emplois industriels, elle en détruit également dans le secteur tertiaire. D'où cette - croissance sans création d'emplois-.
Dans ces conditions, les principaux signataires de l'Appel s'accordent aussi pour considérer qu'une politique de relance de type keynésien ne changerait rien A l'affaire. Articulées autour de trois axes, leurs propositions visent A dessiner un nouveau projet de société. La première concerne la réduction du temps de trail. Si certains prônent en la matière une baisse rapide et d'autres une évolution plus graduelle, tous soulignent la nécessité d'une telle réduction dès lors que les innotions techniques permettent de produire toujours plus avec toujours moins de main d'ouvre.
Deuxième proposition : le
développement d'une économie solidaire (appelée aussi secteur quaternaire ou encore le tiers secteur) A partir du monde associatif (les associations loi 1901, les mutuelles, les régies de quartier, les systèmes d'échanges locaux, etc.). Selon Jean-Louis Laville, une telle économie pourrait constituer un vivier de nouveaux emplois dans le domaine des services A finalité sociale. Dans cette perspective, l'économie plurielle ne ferait que traduire la coexistence des économies classiques (marchande et non marchande) avec l'économie solidaire.
Enfin, contre l'exclusion, les auteurs militent en faveur du renforcement des dispositifs de protection sociale. Mais sans doute est-ce A ce niveau que se situent les plus fortes divergences, certains recommandant l'instauration d'un revenu universel (Alain Caillé), d'autres (Guy Aznar) se bornant A demander l'application A la lettre du droit au revenu et du droit A l'insertion inscrits dans le RMI. Loin de se formaliser de ces divergences, les signataires les soulignent, pour montrer peut-AStre que de leurs débats contradictoires, peut aussi éclore une pensée plurielle.
3. Les héritiers de Keynes
Mots d'ordre : relancer la
consommation par une politique d'expansion dans le cadre de politiques coordonnées au niveau de l'Europe, baisser les charges sociales sans baisser les salaires, privilégier la lutte contre le chômage sur la lutte contre l'inflation, etc.
Représentants : Jean-Paul Fitoussi, directeur de l'OFCE et auteur du Débat interdit; Olivier Blanchard, professeur A Harrd ; Edmond Malinud, professeur au Collège de France ; Pierre-Alain Muet, de l'OFCE.
Croissance et chômage
(Olivier Blanchard et Jean-Paul Frtoussi,
La Documentation franA§aise, 1998)
Quels sont les liens entre croissance et emploi? Quelles politiques économiques permettraient de réduire le taux de chômage? Telles sont les questions auxquelles est consacré le rapport du Conseil d'analyse économique. Selon ses auteurs - Olivier Blanchard, professeur au MIT et Jean-Paul Fitoussi, professeur A l'IEP de Paris -, trois causes fondamentales expliquent le ralentissement de la croissance et la hausse du chômage dans les années récentes.
La première est la baisse de la -croissance potentielle - (soit, le taux de croissance qu'une économie peut atteindre compte tenu de son potentiel productif). Cette croissance potentielle ne peut dépendre que de facteurs structurels sur le long terme (population active,
productivité du trail, etc.). Les auteurs avouent cependant leur impuissance A agir durablement sur ce facteur. -Malheureusement, en dépit d'efforts importants de recherche, les économistes n'ont pas découvert de remèdes magiques pour parvenir A ce résultat. -
La deuxième cause est liée A l'offre (c'est-A dire aux conditions de production). Les auteurs récusent les explications qui attribuent systématiquement le chômage aux seules - rigidités - du trail (salaires trop élevés, absence de flexibilité dans la gestion de la main-d'ceuvre). Ils reconnaissent cependant qu'il existe certains facteurs structurels qui nuisent A l'emploi : le coût trop élevé des emplois peu qualifiés, par exemple. Dans certains secteurs (hôtellerie/restauration, commerce de détail), le coût du trail freine considérablement l'embauche. Mais comme il est socialement difficile d'envisager une baisse des bas salaires, les auteurs préconisent plutôt une réduction des charges sociales qui pèsent sur ces emplois. Il y aurait donc réduction du coût du trail sans baisse de salaire.
La troisième cause est liée A l'insuffisance de la demande et aux politiques budgétaires et monétaires restrictives menées durant les années antérieures. La politique du franc fort, les restrictions budgétaires ont bridé la demande et donc la croissance. Or, le taux d'inflation actuel est très faible, il est donc possible de pratiquer une relance par la demande (la consommation). A l'échelle européenne, il n'est pas inenvisageable de pratiquer une telle action de relance sans mettre en cause les équilibres financiers.
Pour ces auteurs, il faut une croissance de près de 4% l'an pendant cinq ans pour abaisser le chômage A un taux de 7,5%. Pari impossible? Le rapport rappelle que, de 1965 A 1975, le taux de croissance annuel en France était de 4%. En agissant de concert sur l'offre et la demande par des réformes structurelles couplées a une politique de relance européenne, les auteurs du rapport pensent qu'il est possible de -contribuer de faA§on décisive A la solution au problème du chômage'.
4. Les libéraux
Mots d'ordre : réduire le poids de l'Etat (pritisations, réduction des déficits publics), supprimer les rigidités du marché de l'emploi (flexibilité des emplois, suppression du RMI), abaisser les charges sur les entreprises. Tous ne sont pas favorables A la monnaie unique (exemple : Jean-Jacques Rosa, membre de la Fondation Marc-Bloch, proche des détracteurs de la pensée unique) ou aux positions ultralibérales (désengagement complet de l'Etat).
Représentants : Béatrice Majnoni d'Intignano (université Paris-XII) ; Jean-Jacques Rosa (IEP de Paris) ; Alain Mine (auteur de La Mondialisation heureuse. Pion, 1997).
L'Usine A chômeurs
(Béatrice Majnoni d'Intignano, Pion, 1998)
Béatrice Majnoni d'Intignano, professeur d'université, est la seule femme membre du Conseil d'analyse économique (CAE) mis en place par le gouvernement Jospin. Les thèses qu'elle y défend sont nettement libérales : il faut favoriser la création d'emplois plutôt que la défense des acquis. La France est paralysée par un Etat-providence pléthorique qui paralyse l'activité, par un esprit de protection plutôt qu'un esprit de conquASte, etc. Sur ce point, le discours n'a rien d'original. Plus intéressants sont les arguments ancés. B. Majnoni d'Intignano propose d'aborder le problème de l'emploi, non A partir du taux de chômage, mais sous l'angle du taux d'activité. Le taux d'activité, c'est le nombre de personnes au trail par rapport A la population totale (en age de trailler). Le livre débute par un graphique très pariant. En 1970, les taux d'activité aux Etats-Unis et en Europe étaient A peu près similaires (autour de 67%). Aujourd'hui, le taux d'activité est passé A 79% de la population aux Etats-Unis, alors qu'il est resté sle (66,6%) dans l'Union européenne.
On traille beaucoup plus aux Etats-Unis. C'est le cas des hommes (75% en France, 85% aux Etats-Unis), mais aussi des femmes (72% contre 62%), des jeunes (22% en France, 57% aux Etats-Unis). Les immigrés y trouvent également plus facilement du trail. Et ces emplois ne sont pas uniquement des emplois sous-payés comme on le dit généralement : un emploi sur trois est A forte qualification et bien payé. Bref, les Etats-Unis sont bien cette - machine A créer des emplois - et l'Europe une -usine A chômeurs-. Pourquoi? L'économie américaine favorise l'activité, stimule la création, alors que l'Europe et particulièrement la France se contentent de défendre les situations acquises et de partager l'existant.
Pour l'auteur, le chômage n'est pas la cause du mal mais la conséquence d'un fait plus général : la paralysie de l'activité. B. Majnoni d'Intignano rappelle, en s'appuyant sur les calculs de l'Insee, qu'un emploi créé, c'est en fait trois emplois nouveaux et deux disparitions. Ce simple fait donne une vision beaucoup plus dynamique de l'activité économique, un processus incessant de - destruction créatrice - selon la formule de Joseph A. Schumpeter.
La question n'est donc pas de maintenir un hypothétique niveau d'emploi sle et de le partager. Il s'agit plutôt de créer des emplois nouveaux. Sur ce point, les Etats-Unis montrent la voie. La politique économique devrait AStre tournée vers l'innotion, la création, l'aide aux créateurs, aux investisseurs plutôt que vers l'emploi public, le partage du trail et l'assistance. Nous devons - nous remettre au trail plutôt que de nous plaindre de sa disparition -, conclut l'auteur.