L'adjectif a été substantivé par Georges Clemenceau au moment de l'affaire Dreyfus, en 1898. Il est aussitôt devenu un objet de lune symbolique pour la dénomination des partisans ou adversaires du capitaine. Barrés reprend ce terme A son compte pour tourner en dérision tous les - savants - ou - lettrés - dreyfusards, qui répliquent aussitôt en revendiquant ce titre dans le célèbre Manifeste des imellectuels. Depuis, le mot a toujours conservé une valeur symbolique fone et une teneur combative. Ainsi, chez Gramsci, l'intellectuel est-il le lien organique entre la structure (les classes sociales) et la superstructure (l'idéologie et la politique), celui qui maintient une cohérence dans les valeurs dominantes et qui légitime l'exercice du pouir. Chez Jean-Paul Sartre, l'intellectuel a pour mission de combattre l'esprit bourgeois. Comme le résume André-Jean Bélanger, - la fonction de l'intellectuel devient une fonction de déilement de la vérité. Elle ne se revendique nullement de la science mais d'une action pratique de démystification du monde, qui prétend en révéler les inégalités et l'exploitation des uns par les autres. L'intellectuel est mis en situation unique d'affranchissement personnel et collectif : sa prise de conscience lui permet de mettre un terme A sa propre aliénation, et, ce faisant, A celle des autres '. - Dans une acception plus restreinte, - l'intellectuel peut AStre défini comme un producteur de symboles qui, en vertu de son statut, se prononce sur les grandes orientations de la cité. L'intellectuel se fonde sur une notoriété qui n'a rien de commun avec les affaires publiques comme telles. Il assume une fonction de représentation de l'intérASt général en se fondant sur le caractère présumément désintéressé de son engagement. Témoin de l'universel, il répond A une mission qu'il s'assigne lui-mASme et, donc, sans mandat2. -
Mais tous ces éléments de définition de la fonction de l'intellectuel ne disent rien du groupe social lui-mASme. La sociologie s'interroge sur le fait de pouir regrouper sous le mASme cable des individualités aux intérASts politiques et idéologiques si divergents. Boudon et Bourricaud ' tentent d'avancer des critères de définition. Premièrement, -un minimum de
compétence cognitive est requis de tout intellectuel -. - On est donc amené A faire l'hypothèse que les intellectuels se retrouveront chez les professionnels, les enseignants, les responsables des organisations publiques ou privées. Dans ce cas, on peut parler d'intellectuels par qualification. Mais les intellectuels ainsi entendus demeurent un groupe latent. - Pour délimiter le groupe, il convient donc d'ajouter un autre critère, celui qu'Edward Shils définit comme -la proximité aux valeurs centrales de la société -. R. Boudon et F. Bourricaud les appellent intellectuels - par cation -. Enfin, ils retiennent un dernier critère d'identification, celui de la déontologie dont les intellectuels se réclament, dans laquelle la recherche de la vérité occupe une place éminente1. L'intellectuel moderne, intervenant dans un système médiatisé, est - un professionnel de la culture qui décide de prendre publiquement position sur un ou des problèmes de société ou de politique, ne relevant pas forcément de sa compétence professionnelle. Cette intervention publique se fait au nom de la légitimité acquise antérieurement dans la sphère professionnelle. Il faut donc une triple condition pour devenir - intellectuel - au sens où on l'entend dans nos démocraties. Air une compétence dans le domaine de la science ou de la culture qui soit reconnue par la communauté des pairs. Décider d'intervenir régulièrement publiquement sur les problèmes de société ou de politique. Soutenir des positions la plupart du temps contradictoires avec le discours dominant du moment. Pas d'intellectuel, donc, sans cette alliance un peu bizarre entre la connaissance, qui renie A l'échelle étroite de la communauté professionnelle, et la communication, qui renie A celle du grand public. - (D.W.)