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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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Russie : trop-plein d'énergies ou d'inerties ?

Pleine d'énergies et saturée d'inerties, la Russie progresse alors que son pouvoir régresse. Ce mouvement contradictoire entraine des situations profondément paradoxales. D'un côté, un pays régi par l'informel, qui change A  vue d'oeil. De l'autre, un régime hyper-présidentiel, caractérisé par une forte imprévisibilité et qui se crispe A  vue d'œil. énergique et pragmatique, Vladimir Poutine semble, au début de son premier mandat, en mars 2000, vouloir conduire une modernisation en équilibrant autoritarisme et réformisme. Cet équilibre est aujourd'hui rompu. Figé et démodé, Poutine a perdu tout allant réformiste, un an après avoir été plébiscité en mars 2004. Cependant, mASme si son projet s'est brouillé, il demeure, en raison de l'organisation du pouvoir, maitre du jeu (du calendrier comme des nominations), capable d'initiatives décisives - pour le meilleur et pour le pire.
Ce chevauchement des évolutions du pays et du régime conduit A  concentrer l'analyse sur deux points, l'un conjoncturel et l'autre contextuel. La Russie a connu dernièrement une série d'événements (de la mini-crise bancaire de juillet 2004 aux manifestations de retraités de janvier 2005, en passant bien évidemment par la prise d'otages de Beslan et les événements d'Ukraine) qui ont modifié les rapports de force intérieurs et extérieurs. Le jour de sa réélection triomphale, Poutine a basculé vers un nouveau mode d'organisation politico-économique, ce qui invite A  s'interroger sur sa volonté, mais surtout sa capacité, de mener des réformes avant la fin de son mandat en mars 2008. Parallèlement, la crispation du régime ne saurait occulter les changements profonds de la société russe ainsi que les potentialités du pays. L'action de Poutine doit AStre évaluée non seulement A  l'aune des événements récents mais aussi dans un contexte élargi A  l'ensemble de son règne. En effet, la tension entre les signes de stagnation du pouvoir et les énergies de toutes sortes qui fusionnent - au propre comme au uré - au sein de la société conduit A  s'interroger sur le risque de blocage, voire de crise, du système russe.


Inclassable Russie


Cette situation donne lieu A  des interprétations divergentes, A  la fois sur l'expérience Poutine et sur les orientations futures de la Russie. Plus que la situation intérieure, ce sont les choix de Poutine et de son entourage qui concentrent désormais les critiques, en Russie comme A  l'étranger. Cinq ans après son arrivée au pouvoir, le président russe fait l'objet de jugements négatifs qui provoquent le courroux d'un Kremlin toujours très attentif A  son image. Ces critiques portent une forte charge idéologique. Parler de la Russie n'est jamais neutre dans la mesure où ce pays semble destiné A  des expériences historiques radicalement opposées (de l'expérience soviétique A  la restauration actuelle en passant par la libéralisation sauvage des années Eltsine). Pays inclassable, la Russie échappe A  toute typologie, comme A  toute interprétation définitive. Parmi les nombreuses grilles de lecture possibles, deux débats, qui parfois se superposent, méritent une attention particulière. Le premier porte sur la nature du pays alors que le second concerne celle du régime.


La nature du pays

Sur ce point, le débat se concentre d'abord sur le caractère - normal - ou - anormal - de la Russie. En raison de son unicité géographique (17 075 400 km2, 60 933 km de frontières, 16 voisins et une densité de 8,4 habitants/km2) et historico-démographique (coût humain des guerres, de l'expérience soviétique et situation démographique actuelle -l43 millions d'habitants en 2005 et 124 millions prévus en 2025), ce débat peut sembler vain. Il présente néanmoins l'intérASt de modifier les points habituels de aison en précisant la situation exacte de la Russie par rapport A  un certain nombre de critères internationaux. Pour certains, la Russie est aujourd'hui un pays normal1. Leur principal argument est politico-économique : avec un pouvoir d'achat par habitant en 2003 de 8 950 dollars, la Russie occupe le 82e rang mondial derrière le Mexique et la Malaisie2. A€ titre de aison, la Lettonie occupe le 75e rang. L'argument principal consiste A  dire qu'elle présente les caractéristiques des pays appartenant A  cette catégorie de revenus : une forte corruption, un système judiciaire politisé, des médias sous contrôle, de profondes inégalités de revenus, une tendance oligarchique et des performances macroéconomiques irrégulières. Sur plusieurs points, la Russie ne serait pas moins démocratique que les pays de cette catégorie, et le serait mASme plus.
Le débat se concentre ensuite sur le potentiel énergétique (la Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole après l'Arabie Saoudite, avec 11,4 % de la production mondiale et 6 % des réserves prouvées, et le premier producteur mondial de gaz, avec 22,1 % de la production mondiale et 26,7 % des réserves prouvées3) qui pèserait sur les modes tant de développement économique que d'organisation politique. La Russie serait unpelro-state, c'est-A -dire un état tirant la majeure partie de ses revenus des exportations pétrolières (55 % du total de ses exportations et 40 % de ses revenus fiscaux) ce qui entrainerait de forts déséquilibres institutionnels, une concentration importante de la richesse, mais surtout un décalage saisissant entre la richesse globale du pays et la paueté réelle de la population. Pour certains analystes4, la Russie est passée en quinze ans du statut de superpuissance militaire A  celui de superpuissance énergétique. Ce changement de statut lui conférerait une vérile force de pénétration dans l'espace post-soviétique doublée d'une forte capacité d'influence mondiale.
Compte tenu de la spirale ascendante des prix du brut, le potentiel pétrolier est aujourd'hui la sectiune maitresse de la Russie. De son utilisation dépendent une bonne part des orientations futures du pays. Dans la mesure où le pic de la production pétrolière deait AStre atteint en 2010 (si un effort de prospection en Sibérie orientale n'est pas fait), les cinq prochaines années s'avéreront aussi décisives que délicates. Par ailleurs, le gaz, qui atteint aujourd'hui 20 % de la consommation mondiale d'énergie, deait en représenter 30 % en 2020. Autrement dit, un des enjeux cruciaux consiste A  envisager le passage du statut de petro-state A  celui de gas-state (plus de la moitié de la production russe de pétrole est disponible pour l'exportation alors qu'un tiers seulement de celle de gaz est exportée).
La combinaison des discussions sur la normalité de la Russie et sur son potentiel énergétique conduit A  s'interroger sur le caractère post-impérial de cette puissance nucléaire appartenant au Conseil de sécurité des Nations unies, membre du G8 mais pas de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Ces interrogations, récurrentes depuis la chute de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), traduisent le profond désarroi identitaire d'un pays qui connait un rapide déclin démographique mais fait preuve de résistance, d'adaptation et de vitalité dans bon nombre de domaines5. Selon Anatoli Tchoubaïs, père des privatisations et actuel président de Unified Energy System (UES) -qui détient le monopole de l'électricité-, la Russie serait en train de devenir une sorte d'- empire libéral -. Cette formule énigma-tique illustre assez bien les contradictions des élites russes qui sont A  la recherche de nouvelles formes de présence au monde, par le biais notamment d'investissements A  l'étranger, mais qui restent attachées aux vestiges de puissance. Dans cette optique, la stratégie de développement de la Russie serait indissociable de sa politique A  l'égard de la Communauté des états indépendants (CEI). Avant la crise en Ukraine, elle reposait sur trois principes : investissements massifs pour contrôler les infrastructures énergétiques, défense de ses intérASts de sécurité et création d'un espace culturel commun fondé sur la langue russe.
La nature du régime
En octobre 2003, Vladimir Poutine a défini le régime politique comme une manageddemo-cracv6, c'est-A -dire un régime où les libertés publiques sont corsetées au nom de la silisation du pays, de l'autorité de l'état et de la remise en ordre de la société. Lors d'une conférence de presse au Kremlin, le 23 décembre 2004, il est revenu sur un de ses thèmes favoris : le choix par chaque pays du rythme de son développement et, par conséquent, de l'organisation politique correspondant le mieux A  ses traditions et A  sa situation. Ce principe d'une - spécificité russe - traduit le refus catégorique d'un modèle d'organisation plaqué ou inspiré de l'extérieur.
Cette approche déplace le débat sur le degré d'autoritarisme du régime. Les interprétations qui en sont faites embrassent un large spectre allant du régime paternaliste au régime dictatorial. Les plus excessives envisagent un retour au totalitarisme méconnaissant, d'une part, le degré d'ouverture internationale du pays et, de l'autre, le respect progressif de certaines normes internationales. A titre d'exemple, la Russie ne pratique plus la peine de mort. Pour les uns, Vladimir Poutine s'inscrit dans la logique traditionnelle du pouvoir russe, c'est-A -dire un système personnalisé et monolithique, déconnecté de la société et du système politique, qui recourt aux élections pour légitimer les nominations. L'absence de contrôle institutionnel sur le Kremlin le laisse en prise directe avec des clientèles défendant leurs intérASts. Insistant sur la carrière de Poutine au sein du Comité pour la sécurité de l'état (Komitet Gossudarsveni Bezapastnosti, KGB), puis du Service fédéral de sécurité (Fédéralnaia Sloujba Bezapastnosti, FSB) et sur son entourage, ces analyses soulignant la dérive policière du régime se sont multipliées au cours des derniers mois. Intimidation, arbitraire et peur diffuse seraient de retour.
Pour les autres, évidemment plus proches du Kremlin, le durcissement du régime est A  replacer dans un contexte post-Eltsine7. Ce courant défend l'idée selon laquelle Poutine poursuit une œue de silisation. Le premier argument est politique : la Russie d'Eltsine était une pseudo-démocratie, corrompue, affaiblie sur le international et, pour tout dire, A  la limite de la désintégration. Leur deuxième argument est socioéconomique : lasse de l'insilité des années 1990, la population russe aspirerait avant tout A  consommer et A  se rapprocher du niveau de vie de ses voisins européens. Le troisième argument est politicien : les principaux contempteurs de Poutine, comme Boris Beresovski, sont ceux qui ont le plus profité des largesses du système Eltsine.
Le point de vue sur le régime conditionne, en grande partie, l'image de la Russie A  l'étranger, au moment où celle-ci cherche A  attirer des investissements, mais aussi A  AStre reconnue comme une puissance régionale A  dimension mondiale. Ces discussions sur le régime soulèvent inévilement la question de son efficacité en termes de modernisation et d'amélioration des conditions de vie, efficacité A  évaluer A  l'aune des événements intervenus depuis l'été 2004, mais aussi de l'ensemble de la séquence Poutine.

2004, annus horribilis
En mars 2004, Poutine a toutes les sectiunes en main. Après la large victoire de Russie unie (Edinaïa Rossia, le parti du Kremlin) aux législatives de décembre 2003, le président russe est réélu au premier tour de scrutin avec 71,31 % des suffrages.


Les sectiunes en main

Ce résultat confirme celui des législatives - domination écrasante du Kremlin, net recul des communistes et écroulement des libéraux -, avec une différence toutefois : la percée A  la Douma (9,02 %) de Patrie (Rodina, parti nationaliste), dirigé par Sergueï Glaziev et Dmitri Rogozine, ne se confirme que partiellement puisque Glaziev ne réunit que 4,10 % des suffrages A  l'élection présidentielle. Pour preuve que le Kremlin se considère comme l'unique source politique du pays, il suffit de rappeler que Poutine a refusé de débattre avec ses rivaux et a nommé un nouveau Premier ministre inconnu - Mikhaïl Fradkov - A  la place de Mikhaïl Kassianov, deux semaines avant le scrutin. Les commentaires sur la composition du nouveau gouvernement ont tenu lieu de camne. La mobilisation des - ressources administratives -, c'est-A -dire l'utilisation massive de la télévision au profit du président sortant, a provoqué la stérilisation de tout débat contradictoire. Les chaines de télévision ont largement contribué A  associer le redressement économique A  l'action personnelle de Vladimir Poutine.
A€ 52 ans, Poutine dispose donc, au début de son second mandat, d'un pouvoir incontesté renforcé par une forte popularité. En théorie, il se trouve dans une position idéale pour mener sa propre politique. L'heure de vérité est arrivée, car il dispose de tous les leviers pour montrer ce qu'il veut pour la Russie et s'il porte un dessein réformateur*.
Un an plus tard, le président se retrouve tiraillé entre des objectifs libéraux et des moyens qui ne le sont pas. Rattrapé par ses contradictions, le discours de Poutine sur la croissance économique ne suffit plus A  justifier la limitation des libertés publiques et la régression démocratique. Cette occasion inespérée, mais manquée, de franchir un nouveau seuil de développement s'explique par deux raisons principales. Tout d'abord, les conceptions de Poutine, et de son entourage, dissocient radicalement libéralisme économique et libéralisation politique. Ce groupe d'hommes se concentre sur le contrôle de la rente énergétique, privilégiant ainsi une nouvelle forme de dirigisme national. Ensuite, deux événements ont eu un puissant effet désilisateur, amplifié par la gestion du Kremlin : Beslan et la camne présidentielle en Ukraine.

- LE 11 SEPTEMBRE RUSSE -
Comparée par les autorités comme par la population au 11 septembre 2001, la prise d'otage de l'école de Beslan (Ossétie du Nord) marque une rupture profonde. Le traumatisme subi va bien au-delA  des jeunes victimes et de leurs familles : c'est celui de tout un peuple, touché dans sa substance. Cette opération d'envergure s'inscrit dans une série d'actions illustrant la capacité des terroristes A  frapper aussi bien A  Moscou que dans le Caucase : attentat dans le métro de Moscou le 6 féier, double attentat contre des Tupolev le 24 août et nouvel attentat dans le métro moscovite le 30 août, qui ont fait respectivement 41,89 et 10 morts.


L'agression

Le Ier septembre, A  l'occasion de la rentrée des classes, qui est jour de fASte en Russie, un commando de 32 terroristes prend en otage plus d'un millier de personnes parmi lesquelles une majorité d'enfants. Après deux jours de confusion, l'assaut est donné. Sans mésestimer les difficultés opérationnelles, il révèle le degré de désorganisation des forces fédérales, ainsi qu'une incapacité A  doser et A  adapter l'usage de la force. Le bilan officiel est très lourd : 331 morts (dont 172 enfants) et plus de 540 blessés. A€ une exception près, tous les terroristes sont tués après avoir atteint un triple objectif: en exerA§ant leur terreur sur des enfants, ils ont franchi un seuil symbolique irréversible qui marquera durablement les consciences ; ils ont placé le Caucase au centre de l'actualité internationale par le biais d'images télévisées diffusées en continu ; ils ont enfin démontré l'inadaptation du dispositif contre-terroriste élaboré par le Kremlin. Grace A  une stratégie indirecte particulièrement efficace, ce commando est parvenu A  transformer une opération ponctuelle en acte de guerre, en provoquant une réaction purement militaire de la part des autorités russes, suivie de mesures politiques.
Le 4 septembre, Poutine dissocie explicitement Beslan de la Tchétchénie, présente la prise d'otages comme une attaque du - terrorisme international - et estime que Moscou doit désormais faire face A  - une guerre totale, cruelle, A  grande échelle -. Sa réaction traduit, en réalité, une certaine confusion entre la faiblesse géopolitique de la Russie post-soviétique, son statut nucléaire et la volonté prAStée A  - certains - de la démembrer. Poutine mASle, en effet, une lecture classique de la rivalité des puissances et une lecture transnationale du terrorisme de masse : - Nous vivons aujourd'hui après l'effondrement d'un état immense. Un état qui malheureusement ne s'est pas montré viable dans un monde en pleine évolution. Mais, malgré toutes ces difficultés, nous avons réussi A  conserver le noyau de ce géant qu'était l'Union soviétique []. Nous avons fait preuve de faiblesse. Et les faibles se font rosser. Certains veulent nous arracher un morceau juteux, d'autres les aident A  le faire, car ils considèrent que la Russie est encore une menace parce que c'est une des plus grandes puissances nucléaires du monde une menace qu'il faut ésectiuner. Le terrorisme n'est qu'un moyen pour parvenir A  ce but. -


La réaction

Neuf jours après cette déclaration. Pouline annonce une série de mesures visant A  renforcer l'unité du pays et A  lutter contre le terrorisme : élection des gouverneurs régionaux après proposition des candidats par le Kremlin (ce qui vise A  renforcer la - verticale du pouvoir -), élection des députés A  la proportionnelle A  partir de listes de partis (ce qui vise A  supprimer les derniers députés indépendants et A  créer des partis sles), de lutte contre la paueté dans le Caucase du Nord (ce qui revient A  reconnaitre la spécificité de cette région), création d'un nouveau système de sécurité (ce qui correspond A  un énième avatar de la répartition des responsabilités entre services) et bannissement des organisations extrémistes. Ces mesures répondent A  une certitude du Kremlin : le - terrorisme international -, dont la Russie est la victime, doit AStre éradiqué par tous les moyens, au premier rang desquels ure le renforcement de l'état.
En réalité, le - combat contre la terreur - définit la présidence Poutine. Le président russe n'a jamais considéré la Tchétchénie comme un des conflits ethniques résultant de l'effondrement soviétique, mais comme un conflit entre la civilisation et des barbares qui doivent AStre, selon lui, - butés jusque dans les chiottes - (comme il l'a dit le 24 septembre 1999). Au cours de son premier mandat, la lutte contre le - terrorisme international - devient progressivement aussi structurante sur la scène intérieure qu'A  l'extérieur. Ce mouvement est évidemment accéléré par le 11 septembre. Au début de son second mandat, la lutte se transforme en guerre globale contre la terreur, une guerre sans définition des objectifs politiques, sans limitation de temps, présentée comme une lutte de survie face aux menaces pesant sur l'intégrité territoriale de la Russie.
La centralité du terrorisme dans le discours du Kremlin se traduit par des réflexes sécuritaires dans toutes les couches de la société et se répercute sur sa politique de sécurité. A€ l'instar des états-Unis, Moscou, par la voix du général Youri Balouevski, chef de F état-major général, défend, le 8 septembre 2004, le principe de frappes préventives, pas nécessairement nucléaires, contre les bases terroristes A  travers le monde. Compte tenu des capacités opérationnelles de l'outil militaire russe, cette déclaration s'adresse surtout aux voisins de la Russie et, en particulier, A  la Géorgie accusée de faciliter le soutien logistique aux combattants tchétchènes. En mASlant sans discernement - terrorisme international -, jeu classique des puissances, tentatives de désilisation venant de l'étranger, hantise de l'encerclement et nouvelles menaces transnationales, le Kremlin entretient une certaine confusion mentale et une vision conspiratrice des processus internationaux. Cet état d'esprit contribue A  expliquer son attitude vis-A -vis de l'Ukraine.

Révolution orange et réaction russe
Dans l'esprit du Kremlin. l'Ukraine était moins un sujet de politique étrangère que de politique intérieure. En portant Viktor louchtchenko au pouvoir, la - révolution orange - a renversé cet ordre des priorités. Comptant sur des méthodes d'ingérence caricaturales et sur ses conseillers en - communication -. le Kremlin a été complètement dépassé par la détermination de la société civile ukrainienne, la médiatisation internationale et la convergence de vues euro-américaine. Conditionné par des réflexes post-impériaux et pas mal de suffisance, le Kremlin sort de la crise isolé, avec une image très dégradée. Sans revenir sur le déroulement des événements9, la dimension médiatique mérite d'AStre soulignée, tant la - révolution orange - a été une révolution de l'image : d'un côté, le visage ravagé de Viktor louchtchenko et celui radieux de loulia Timochenko. son égéric parfumée au scandale ; de l'autre, le tandem Leonid Koutchma et Viktor lanoukovitch ou l'association d'un apparatchik affairiste et d'un ancien repris de justice A  rélocution difficile, qui doit son ascension A  la puissance de son clan1". Ces contrastes, très habilement exploités par l'opposition, ont contribué A  la popularité internationale des nouvelles autorités.


Trois influences sur l'Ukraine

La plasticité de la plaque ukrainienne joue sur la silité générale du continent après les élargissements de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et de l'Union européenne. En raison de sa position de carrefour, l'Ukraine est, en effet, soumise A  des influences contraires. Outre l'étroitesse des liens histo-rico-économiques des deux pays, l'Ukraine représente un enjeu capital pour la Russie pour trois raisons".
Premièrement, son potentiel la rend indispensable aux projets d'intégration régionale souhaités par Moscou pour retrouver de l'influence au sein de la CEI et renforcer sa position internationale. Poutine avait beaucoup misé sur le projet d'espace A  quatre - Russie, Ukraine, Kazakhstan et Biélorussie -, lancé en septembre 2003, dans l'espoir de créer un pôle de croissance sur le continent12.
Deuxièmement, l'Ukraine est un pays de transit pour les exportations énergétiques de la Russie vers l'Europe (le gaz russe exporté vers l'Union européenne transite A  90 % par ce pays). Depuis septembre 2001, un oléoduc, construit A  l'initiative des autorités ukrainiennes, relie le port d'Odessa A  Brody (A  la frontière polono-ukrainicnnc). Initialement destiné A  exporter le pétrole en provenance d'Azerbaïdjan et du Kazakhstan, cet oléoduc est sous-exploité. La comnie russo-bri-tanniqueTNK-BP a proposé de l'utiliser dans le sens Brody/Odessa afin d'exporter ses huiles via la mer Noire. Moscou, par l'intermédiaire de Viktor Tchernomyrdine pratique un intense lobbying permettant aux propositions de TNK-BP d'AStre finalement acceptées par Kiev en juillet 2004, au détriment de son indépendance énergétique14. Ce dossier est loin d'AStre clos car, en mars 2005. Ioutchenko et Timochcnko ont exprimé leur intention de rouir le débat non seulement sur l'oléoduc mais aussi sur sa possible extension jusqu'au port de Gdansk.
Troisièmement, l'Ukraine fait ure de dernier rempart face aux élargissements successifs de l'OTAN. Elle s'inscrit directement dans la hantise de l'encerclement des élites russes, pour lesquelles il est essentiel d'entretenir des relations étroites avec Kiev en matière de sécurité, afin notamment de pouvoir utiliser sa puissance navale en mer Noire15.
Pour l'Union européenne, l'Ukraine représente un enjeu de taille au lendemain de son élargissement. Pays de 48 millions d'habitants ayant exprimé, au cours des journées de décembre 2004, un fort désir d'Europe, l'Ukraine a vocation, selon certains états membres, A  la rejoindre rapidement. Elle est désormais une cible privilégiée de la politique européenne de voisinage (PEV). Par ailleurs, l'Union européenne a accueilli de nouveaux pays pour lesquels la Russie est au mieux un partenaire A  surveiller étroitement, souvent une menace potentielle et parfois un objet de profond ressentiment. Dans cette optique, décrocher l'Ukraine de la Russie est pour certains nouveaux membres, comme la Pologne, un moyen d'affaiblir momentanément Moscou tout en s'en protégeant A  terme.
Pour les Etats-Unis, l'Ukraine est un pays pivot. L'argumentation défendue par Zbigniew Brze/inski depuis plusieurs années est connue : la Russie avec l'Ukraine est un empire, qui cesse de l'AStre dès que Kiev s'émancipe'6. A€ cela, s'ajoute une idée répandue selon laquelle, pour inciter Moscou A  la démocratisation, il est inutile d'exercer une pression directe, mais préférable d'exercer une pression indirecte, en escomptant que la société civile russe imite les sociétés civiles géorgienne ou ukrainienne, La vision américaine de l'Ukraine est également A  rattacher aux transformations futures de l'OTAN, appelée A  jouer un rôle plus global et moins directement lié A  la sécurité ouest-européenne.


Un processus difficile A  maitriser

Indisculement, une des clés des relations états-Unis/Russie/Union européenne réside dans l'attitude des nouvelles autorités ukrainiennes A  l'égard de l'OTAN et d'une éventuelle réactivation du GUAM17. Beaucoup dépend de leur aptitude A  se rapprocher des structures euro-atlantiques sans provoquer de cassures irrémédiables avec Moscou, qui entraineraient une marginalisation progressive de la Russie, avec des conséquences difficiles A  prévoir. La diplomatie ukrainienne s'emploie A  rassurer en expliquant que son désir d'Europe est aussi son désir d'une Russie européenne.
Une bonne partie du problème actuel réside dans l'erreur d'analyse faite A  Moscou sur la nature de la - révolution orange -. Dans les cercles dirigeants, ce mouvement est interprété comme un complot fomenté par les fondations et les services américains, puis relayé par certaines capitales européennes. Marié A  une Américaine, Ioutchenko alimente A  Moscou toutes les suspicions. S'il ne fait pas de doute que des fondations, des agences gouvernementales et des personnalités américaines ont activement contribué A  la structuration du mouvement, cette implication ne suffit pas A  expliquer la lame de fond qui a traversé une société ukrainienne déterminée A  rompre avec un mode d'organisation du pouvoir.
Par réflexe, Moscou se focalise sur ces interventions étrangères pour différer une double interrogation sur la nature de sa politique vis-A -vis de la CEI et sur son mode de présence dans l'espace post-soviétique. Approvisionnements énergétiques, coopération militaire et soutien administratif ne suffisent plus A  AStre attractif mais produisent surtout des effets contre-productifs. La - révolution orange - marque une rupture profonde dans l'évolution de la Russie sous Poutine. Cultivant son image de modernisateur pragmatique, ce dernier sort de la crise avec une image écornée et démodée : il fait désormais ure de nostalgique aux côtés du sémillant Mikhaïl Saakachvili ou de Viktor loutchenko, le miraculé. Néanmoins, personnalité ambivalente, le président russe a déjA  démontré ses capacités tant de rebond que d'initiative. Dès lors, la question est désormais de savoir si c'est l'homme d'action, ou l'homme de réaction, qui va dominer la fin de son mandat.

DéjA  60 mois, encore 36 mois

En mars 2005, Poutine occupe le pouvoir depuis 60 mois. En théorie, il dispose encore de 36 mois pour conduire son action. En décembre 2004, A  une question sur son éventuelle candidature en 2012, Poutine a répondu qu'il n'envisageait de se représenter ni en 2012 ni en 2016 ni plus tard. 11 a cependant indiqué se préoccuper du franchissement de la - ligne critique - de 2008 en insistant sur la nécessaire garantie d'une élection démocratique. Si les intentions personnelles de Poutine restent difficiles A  percer, un premier bilan de son action peut désormais AStre dressé en tenant compte, d'une part, des éléments incontesles de silisation et d'amélioration de la situation générale et, de l'autre, des éléments indiscules de durcissement et de stagnation.

Silisation économique
Le phénomène le plus marquant des années Poutine est inconteslement la forte croissance de l'économie russe, qui se traduit par de très bons indicateurs macro-économiques. Entre 1989 et 1998, celle-ci a connu une baisse cumulée de son produit intérieur brut (PIB)19 de 44 % et, entre 1999 et 2004, une hausse cumulée supérieure A  40 %. Parallèlement, balance des paiements, balance commerciale et balance budgétaire (excédent record, en 2004, de 4,4 % du PIB) sont excédentaires. L'inflation a été ramenée de 20,2 % en 2000 A  12 % en 2003 et a atteint 11,7 % sur l'année 2004. La dette extérieure est en très forte diminution relie représentait 97 % du PI Ben 1999 et 33 % en 2004. Le taux de chômage officiel s'élevait A  12,6 % de la population active en 1999 et A  8,5% en 2003.
Un fonds de silisation, alimenté par les excédents budgétaires et les surplus des recettes pétrolières20, existe désormais pour faire face A  un retournement des marchés énergétiques. Fin 2004, ce fonds a dépassé le seuil ( 18 milliards de dollars) au-delA  duquel le surplus peut AStre réinjecté dans d'autres postes, notamment sociaux. L'allocation de ces fonds suscite un débat politique d'autant plus vif qu'elle touche A  la redistribution de la rente énergétique au-delA  des cercles du pouvoir. Avec la loi de finances 2005, les autorités choisissent d'utiliser ce surplus pour accélérer le remboursement de la dette extérieure et financer le déficit des retraites.

Comment lire la croissance russe ?
Avec un taux de 7,1 % en 2004, l'économie russe poursuit une trajectoire de forte croissance. Si les analystes s'accordent sur l'amélioration de la situation macroéconomique, ils proposent, en revanche, des interprétations divergentes des indicateurs globaux. Le débat s'articule autour de deux clivages principaux : la pérennité et le poids du facteur énergétique. Cinq lectures en résument l'essentiel21.
Tout d'abord, la croissance est expliquée par ses facteurs exogènes au premier rang desquels urent les cours du pétrole ; le passage du prix du baril de 10 dollars en 1998 A  plus de 50 dollars en 2005 est une aubaine pour une économie qui a profité, en outre, de la dévaluation du rouble par rapport au dollar après 1998. Deuxièmement, la Russie s'inscrit dans la transition des économies postsoviétiques caractérisée par une silisation progressive des marchés et des institutions. Troisièmement, la crise de 1998 aurait créé les conditions d'une reprise en main politique, en provoquant une prise de conscience, au sein des élites et de la société, de la nécessité de retrouver une unité pour surmonter des contraintes économiques particulièrement pénalisantes. Quatrièmement, la Russie aurait achevé son cycle révolutionnaire commencé en 1985 et se trouverait désormais en voie de silisation post-révolutionnaire ; en d'autres termes, la population russe souhaiterait aujourd'hui consommer et profiter des fruits de la croissance plutôt que de se diviser sur le mode de développement A  suie. Enfin, les réformes lancées par Poutine auraient porté leur fruit : pour beaucoup de Russes, la croissance correspondrait A  son arrivée au pouvoir alors que le début de la reprise (mars 1999) est antérieur A  sa nomination comme Premier ministre (août 1999).
Cette cinquième interprétation défend la thèse selon laquelle la croissance russe résulterait principalement des réformes économiques libérales classiques (silisation financière après le krach d'août 1998, refonte de l'Etat et limitation de son interventionnisme, réforme fiscale, dérégulation, contrôle budgétaire et réforme de la propriété) ; cette croissance serait menacée par l'incertitude créée par les rivalités entre les sihviki22, le secteur social (retraités, pensionnés, etc.) et les monopoles d'état23.


Divergences d'appréciation et d'explication

Cette situation suscite trois lectures. La première est optimiste24. Les fondamentaux de la croissance russe sont sains grace aux décisions prises par Evgueni Primakov25 en 1998 et A  la vigueur de l'intervention publique. En d'autres termes, le renforcement de l'état ne doit ni surprendre ni décourager les partenaires de la Russie car il serait la meilleure garantie de silité et de croissance. En considérant que la politique de Poutine est libérale -jusqu'A  un certain point -, la deuxième lecture conteste le lien éli entre réformes institutionnelles et forte croissance en soulignant le renouveau d'un dirigisme plus informel que par le passé26. La troisième est radicalement critique27. Sur le macroéconomique, la croissance s'explique par la flambée des prix du pétrole, qui serait le deus ex machina de l'économie russe. Sur le politique, on voit, par un mouvement de balancier commencé avec la thérapie de choc d'Egor Gaïdar et poursuivi par les privatisations d'Anatoli Tchoubaïs, un retour des étatistes. En d'autres termes, la victoire des sihviki fait courir A  la Russie des risques ables, en termes de crise, A  ceux des réformes ultralibérales de la dernière décennie.
Ces débats témoignent de l'étroite intrica-tion des sphères politique et économique dans la Russie actuelle. Une chose est sûre pour les 36 mois A  venir : l'évolution économique du pays ne pourra AStre dissociée des choix politiques du régime et de ses orientations internationales. A titre d'exemple, la Russie qui présidera son premier G8 en 2006 n'est toujours pas membre de l'OMC. En matière économique, force est de constater que les autorités russes sont aujourd'hui divisées sur la marche A  suie. Outre l'arrestation de Mikhaïl Khodorkovski et le démantèlement de son groupe, l'affaire loukos a mis en lumière des fragilités du système qui risquent de se révéler A  tout moment. Autour de Poutine, les libéraux sont A  la fois divisés et en perte de vitesse.
Mikhaïl Kassianov est remercié en féier 2004 pour avoir notamment pris publiquement la défense des dirigeants de loukos. Les critiques sur les orientations économiques du Kremlin émanent également de proches de Poutine comme Andreï lllarionov, son conseiller économique. Ce dernier s'est lié A  un réquisitoire sans concession de la politique gouvernementale en dénonA§ant le secret des décisions, la mise sous tutelle de la société civile et le manque de professionnalisme des recompositions énergétiques ordonnées par le Kremlin2*. Côté gouvernemental, Guerman Gref s'est publiquement inquiété des conséquences de l'affaire loukos en termes non seulement d'image mais aussi d'investissements. Selon lui, les incohérences de la politique gouvernementale et le poids de la bureaucratie risquent de ne plus AStre compensés par les prix élevés du pétrole dans les mois A  venir.

Captation des pouvoirs
Ces déclarations traduisent le profond malaise traversé par les élites libérales dirigeantes face A  la montée en puissance de ceux que l'on pourrait appeler les capitalistes dirigistes, c'est-A -dire ce groupe d'hommes proches de Poutine, issus des services spéciaux, ou transfuges de la mouvance libérale, qui sont nommés A  des postes-clés de l'appareil industriel. A€ titre d'exemple, Dmitri Medvedev, chef de l'administration présidentielle, préside le conseil d'administration de Gazprom. Vladislav Sourkov et Igor Setchine, ses deux adjoints, dirigent respectivement Transnefteprodukt, qui détient le monopole des transports d'hydrocarbures, et Rosneft, le dernier grand groupe pétrolier public. Homme-clé du dispositif Poutine, Viktor Ivanov, qui contrôle les nominations au sein de l'administration présidentielle, dirige la comnie aérienne Aeroflot.


Le masque du discours

Cette prise de contrôle s'accomne d'un discours volontiers alarmiste sur les risques encourus actuellement par la Russie. Ainsi Dmitri Medvedev est sorti récemment de sa réserve pour déclarer que la Russie pourrait disparaitre comme état unifié dans un proche avenir, sans une consolidation des élites autour d'une plateforme commune2''. En réalité, sous couvert d'un discours d'intérASt général, teinté de nationalisme, des fortunes personnelles sont amassées dans un mouvement de confiscation qui n'a rien A  envier, dans certains cas, aux privatisations sauvages de la période Eltsine. Cette reprise en main poursuit un objectif explicite : recouer le contrôle de la rente énergétique par le biais d'un géant semi-public, comprenant Gazprom, Rosneft et louganskneftegaz, la principale composante de loukos. Sur le papier et sans présager des di fficultés de direction politique et de management économique, un tel groupe contrôlerait 30 % de la production pétrolière et la quasi-totalité de la production gazière. Sa constitution chaotique montre toutefois qu'il correspond moins A  un projet industriel qu'A  une lutte de clans rivaux visant A  contrôler le noyau dur du régime.

Nouvelles formes de dirigisme
Ce dirigisme informel ne se limite pas au secteur énergétique, mais se ressent dans tous les domaines. En août 2004, le Kremlin a publié une liste d'entreprises A  caractère stratégique3". Cette liste élit deux catégories d'entreprises : celles dont l'état possède la totalité du capital et celles dont il est actionnaire. En grande majorité gérée par les collectivités territoriales, la première catégorie compte 514 entreprises, réparties sur l'ensemble du territoire et couant des domaines d'activités très divers (infrastructures de transport, instituts de recherche, espace, aéronautique, armement, bureau d'études, construction, textile, mécanique, etc.). La seconde catégorie compte 549 entreprises dont l'état détient tout ou partie du capital. De manière évidente, cette liste place le président de la Fédération de Russie au cœur de l'activité économique du pays dans la mesure où aucune de ces 1 063 entreprises ne peut AStre privatisée sans son accord personnel.
Ce dirigisme n'est pas celui d'un état qui poursuit une stratégie de développement cohérente visant notamment A  profiter des moyens actuels pour diversifier son économie et investir massivement dans son potentiel scientifique. C'est davantage celui de clans qui n'entendent pas manquer l'occasion de concentrer le maximum de pouvoir en un minimum de temps par le biais de la rente énergétique. Outre la négation de l'opposition et la domestication des principaux contre-pouvoirs (Parlement, télévision ou autorités locales), cette concentration du pouvoir provoque un triple effet : une profonde défiance entre acteurs sociaux, une déresponsabilisation des acteurs individuels ainsi qu'une bureaucratisation paralysant les initiatives. Disposant de tous les leviers, Poutine et son entourage immédiat ne cherchent plus A  concilier les principaux antagonismes du premier mandat - libéralisme/traditionalisme, attitude de gréat power/orientation prooccidentale et paternalisme/violence sociale - mais défendent désormais un statu quo caractérisé par une logique de régime bureaucratique, A  la fois autocentré et déconnecté de la société, une répartition en cours des principales richesses du pays et, enfin, un verrouillage institutionnel destiné A  assurer la succession du pouvoir au sein du groupe dirigeant31.

Blocages et stagnation
Les difficultés structurelles de la Russie s'expliquent en grande partie par la nature des interactions état/société. Celles-ci sont très limitées comme si ces deux univers distincts se protégeaient l'un de l'autre. Cette dichotomie empASche une répartition et un partage des responsabilités entre acteurs sociaux. Profondément fragilisée, la société russe connait aujourd'hui d'importantes mutations.


Une société fragilisée

Le krach démographique que la société subit semble impossible A  enrayer et creuse les clivages générationnels et sanitaires. Depuis la chute de l'URSS, la Russie a connu une perte sèche de 5 millions de personnes, avec une projection A  104 millions en 2050. L'espérance de vie atteint aujourd'hui 63 ans (57 ans pour les hommes et 71 pour les femmes). Le taux de fécondité oscille entre 1,25 enfant (zones urbaines) et 1,5 enfant (zones rurales). Le dernier recensement, qui date de 2002, fait apparaitre la répartition par age suivante (en pourcentage de la population totale) : 25,2 % pour les moins de 20 ans, 29 % pour les 21 -40 ans, 27,2 % pour 41-60 ans et 18,5 % pour les plus de 60 ans. Plusieurs autres chiffres aident A  comprendre l'état ic la société russe : après avoir été supérieure A  I million entre 1996 et 2000, la population carcérale atteint aujourd'hui 763 000 personnes. Avec 305 000 cas de contamination par le virus de l'immuno-déficienec humaine ( VIH) officiellement déclarés'2 en 2005, sida et hépatites constituent aujourd'hui un problème de santé publique particulièrement préoccupant.
Aux clivages générationnels, sanitaires et régionaux s'ajoutent de profondes disparités sociales. Le revenu moyen A  l'échelle fédérale s'élève en janvier 2005 A  7 850 roubles (environ 220 euros, non corrigé en SPA). Les catégories les plus fragiles se situent aux deux extrémités de la société russe. Signe des tensions sociales qui la traversent, la monétari-sation des avantages accordés aux retraités et anciens combattants a provoqué une série de manifestations en janvier 2005. Ces avantages étaient les suivants : une sectiune gratuite poulies transports locaux, occasionnellement un aller-retour A  Moscou, des vacances estivales subventionnées, 50 % de réduction sur les factures d'électricité, de gaz et de téléphone et enfin sur les médicaments. Le projet du gouvernement était de les remplacer par le versement d'une allocation mensuelle de 250 roubles (environ 7 euros) et le maintien de la gratuité pour certains médicaments. Ces avantages sociaux se situent au cœur du choc des générations dans la mesure où les retraités entendent défendre leurs acquis alors que les générations montantes en supportent le coût, sans AStre assurées d'en bénéficier A  leur tour.
En termes de réforme, ces avantages demeurent une cible prioritaire, au mASme titre que les services communaux, l'éducation ou le logement. Tenant la passivité sociale pour acquise, le Kremlin a été très surpris par la mobilisation des retraités qui, conjuguée A  d'autres forces sociales, pourrait prendre un tour explosif. Signe d'impuissance, le thème de la réforme a disparu de son discours, paralysant des ministres qui attendent l'impulsion présidentielle pour ne pas devenir les boucs émissaires du régime ou de la population. Possible signe d'une prise de conscience, Poutine place l'effort de démocratisation au cœur de son dernier discours A  l'Assemblée fédérale, prononcé le 25 ail 2005. Néanmoins, le statu quo deait AStre privilégié par les groupes au pouvoir mASme s'ils courent le risque d'accentuer la coupure avec le pays réel et de différer encore les opportunités de changement.

Un climat de défiance
Plus profondément, la société russe fonctionne moins par corps constitués, reliés et capables d'influer sur la politique présidentielle que par réseaux transversaux A  travers lesquels les stratégies individuelles de survie se construisent. A€ l'instar du régime, cette société se caractérise aujourd'hui par une profonde défiance. La mini-crise bancaire de juillet 2004 a parfaitement illustré l'incertitude dans un pays où le réflexe de la classe moyenne reste de convertir, dès que possible, ses revenus en liquide et en devises étrangères. Une des clés du développement économique réside dans la constitution d'un système bancaire solide et assurant, en particulier pour la banque de détail, un niveau suffisant de garantie. La fragilité actuelle du système se ressent dans le fait que les financements bancaires ne représentent que 5 % des investissements de l'économie russe. Pour les investisseurs russes, le climat semble également empreint de défiance. On touche A  la conséquence la plus tangible de l'affaire loukos, car, en 2004, les sorties de capitaux, en nette augmentation, n'étaient que partiellement compensées par les emprunts russes A  l'étranger et les investissements directs étrangers. Avec près de 30 milliards de dollars de capitaux exportés, la Russie présente le montant net des sorties de capitaux (6,5 milliards de dollars) le plus élevé depuis 2001.
Cette situation est prise très au sérieux par le Kremlin puisque Poutine, dans son discours A  l'Assemblée fédérale du 25 ail 2005, propose une forme d'amnistie pour encourager le retour des capitaux.
Le manque de confiance n'est pas seulement lié A  l'incertitude, mais correspond au jeu quotidien d'acteurs sociaux enchevAStrés dans de multiples formes de corruption. Au début de leur action, Poutine, son administration et son gouvernement ont contribué A  restaurer un certain degré de confiance alors qu'aujourd'hui ils contribuent A  instiller de la défiance. L'absence d'opposition politique accentue cette tendance, absence qui s'explique aussi par l'inconséquence de ses leaders potentiels. Si les hommes du président n'excluent pas de construire une opposition de toute pièce, ils ne semblent pas disposés A  envisager les conditions d'une vérile alternative. L'efficacité prAStée A  Poutine se transforme progressivement en inefficacité en raison principalement d'une inadéquation entre un groupe dirigeant divisé pour lequel la réforme doit AStre imposée du sommet et une société composite en ébullition.


Vers une - contre-perestroïka - ?


L'année 2005 marque le 20e anniversaire de -perestroïka lancée par Mikhaïl Gorbatchev pour ouir le régime communiste et encourager les initiatives. Pour le dernier secrétaire général du Parti communiste d'Union soviétique (PCUS), il s'agissait de restructurer en déverrouillant un système. Pour Poutine, après les années Eltsine, il s'agit toujours de restructurer mais en verrouillant les rouages du système. Entre-temps, celui-ci s'est décomposé, puis recomposé, sans se siliser entièrement. L'actuel système politico-économique russe porte en lui de lourdes contradictions. L'émergence d'une nouvelle génération voyageant, consommant et rASvant de normalité, rend hypothétiques les retours au passé, mais ne dissipe nullement les risques de durcissement. Dans son style comme dans ses choix, Poutine incarne une sorte de restauration, indissociable d'une forte croissance et d'une ouverture au monde ambivalente. Sa volonté de silisation l'a emporté sur celle de renouveau, créant ainsi plus d'inerties que d'énergies.
Le président russe a dilapidé une partie de son capital diplomatique lors de la crise ukrainienne. Après avoir réprimé les mouvements nationaux en Géorgie ( 1989), en Azerbaïdjan (1990) et en Lituanie (1991), Mikhaïl Gorbatchev est entré dans l'histoire pour avoir compris que le temps des interventions militaires, A  rencontre des satellites européens de l'URSS, était révolu. S'il n'a pas saisi la nature de la - révolution orange -, Poutine a, semble-t'il, renoncé A  toute forme d'intervention directe A  l'encontre de la perle de l'espace post-soviétique. Il est encore prémaliuv d'apprécier pleinement la portée de cette rupture historique, mais, indisculement, le cheminement identitaire suivi par les Russes depuis 1991 a pris, en 2004, un tour nouveau, mASme si le 60e anniversaire de la victoire et l'actuel regain de nationalisme illustrent la prégnance des enjeux de mémoire dans la culture politique des élites russes.
La Russie et les Russes n'ont nullement renoncé A  leur rôle historique mais celui-ci passe aujourd'hui par une phase d'introspection sur la nature de leur contrat social et sur la manière d'épouser les mutations internationales. De ce point de vue, la question de l'exploitation du capital énergétique est secondaire par rapport A  celle de la valorisation du capital humain. Autrement dit, pour préparer l'avenir, le pouvoir russe deait d'abord miser sur sa population. Ce serait le plus sûr moyen de limiter les inerties et de mobiliser les énergies.



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