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ECONOMIE

L’économie, ou l’activité économique (du grec ancien οἰκονομία / oikonomía : « administration d'un foyer », créé à partir de οἶκος / oîkos : « maison », dans le sens de patrimoine et νόμος / nómos : « loi, coutume ») est l'activité humaine qui consiste en la production, la distribution, l'échange et la consommation de biens et de services. L'économie au sens moderne du terme commence à s'imposer à partir des mercantilistes et développe à partir d'Adam Smith un important corpus analytique qui est généralement scindé en deux grandes branches : la microéconomie ou étude des comportements individuels et la macroéconomie qui émerge dans l'entre-deux-guerres. De nos jours l'économie applique ce corpus à l'analyse et à la gestion de nombreuses organisations humaines (puissance publique, entreprises privées, coopératives etc.) et de certains domaines : international, finance, développement des pays, environnement, marché du travail, culture, agriculture, etc.


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La lignée de ricardo ou le socialisme - scientifique - de karl marx

La lignée de ricardo ou le socialisme - scientifique - de karl marx
- Je ne suis pas marxiste -, a dit Karl Marx. Ac quelle impatience sans doute il le répéterait aujourd'hui, que le temps nous a dotés de tout un arsenal bariolé de marxisme dirs ! Il y a le - marxisme vulgaire -, et beaucoup de marxismes distingués. Il y a des marxismes de marxistes, et des marxismes d'antimarxistes. Il y a tous les marxismes de ceux qui n'ont pas lu Marx (1) ; de ceux qui l'ont trop lu ; de ceux qui n'ont lu de lui que Le Capital ; de ceux qui ont lu Marx, mais aussi Taine et Littré, Claude Bernard et Berthelot ; de ceux qui ont lu Marx, mais aussi Proudhon et Bergson (2). Ces marxismes-lA , pour la plupart, se laissent plus aisément exposer que la doctrine de Marx, ardue, incertaine, et qui a évolue. Ils ont sans doute exercé plus d'influence sur le moument socialiste et sur le moument antisocialiste, sur l'opinion publique et sur les esprits cultivés, que l'authentique pensée du maitre. De tous les marxismes, c'est pourtant celui de Marx que nous tenterons ici de dégager (3).
On rapporte qu'au délicat Verlaine un sot certain jour demanda quel était le plus grand poète franA§ais. L'amant de l'impair eut un moment de douloureuse concentration, puis répondit en hochant la tASte : - Victor Hugo, hélas. - Si l'on me voulait contraindre de désigner le plus grand penseur de l'économie politique, volontiers je dirais : - Karl Marx, hélas ! - Karl Marx ! A  cause de la puissance écrasante de sa dialectique rigoureuse, rébarbati et enivrante ; A  cause de l'ampleur inégalée de sa construction, qui relie l'histoire et la théorie, l'action et la connaissance ; A  cause de ses dons prophétiques intimements joints aux talents du spécialiste. Mais j'ajouterais : - Hélas ! - Non point tant parce que le système économique de Marx repose tout entier sur l'erreur scientifique de la valeur-travail héritée de l'école classique anglaise : c'est lA  son moindre défaut, qui n'en ébranle point la portée autant qu'on le pourrait croire. Mais A  cause de la sécheresse de tout cet effort, et pour l'indigeste appareil rbal qui stérilise cette pensée. Parce que l'art, le bonheur, la légèreté, tout cela que nous autres FranA§ais savons bien AStre le vrai génie, parait terriblement absent de cette vision du monde conceptuelle et logomachique.
Né en 1818, mort en 1883, Karl Marx a vu les idées de la Révolution franA§aise conquérir l'Europe, après que l'Europe eut vaincu la France. Il a assisté A  la fin de la révolution industrielle, A  la grande poussée du prolétariat. Sa vie le situe au confluent de toutes les traditions, sur toutes les frontières. Il est né A  TrASs, dans un pays catholique, d'une famille israélite récemment conrtie au luthéranisme. Sa pensée sera prophétique comme celle d'IsraA«l, dogmatique comme celle de Rome, révoltée comme celle de Luther. De sa Rhénanie natale, terre germanique où souffle le nt de France, Karl Marx, rs le milieu de sa vie. s'exilera en cette Angleterre industrielle où tous les économistes vont alors contempler des scènes de la vie future. La philosophie de Marx sera allemande, ses idées politiques seront franA§aises, son système économique s'inspirera surtout des doctrines et des expériences britanniques.
C'est comme économiste (innteur du - socialisme scientifique -) et comme agitateur prolétarien (fondateur de la Première Internationale ouvrière) que Marx surtout est célèbre. Pourtant ce penseur précoce, qui très tôt s'est lancé dans la bagarre idéologique et dans la vie publique, n'a rien écrit qui touche A  l'économie politique avant son Manifeste communiste de 1847. Jusqu'A  cette date il ignorait A  peu près tout des questions économiques. Il a commencé par AStre journaliste libéral et philosophe hégélien. Sa doctrine économique n'a pas en soi-mASme son centre de gravité. Elle prolonge une philosophie, elle soutient une lutte acti qu'elle n'a été conA§ue que pour illustrer ; hors desquelles il serait tout A  fait vain de la prétendre interpréter.
A l'unirsité, Marx a eu pour maitres des disciples de Hegel. Tout le marxisme est conA§u selon les rythmes hégéliens. Le principe de la philosophie hégélienne est le moument dialectique, qui va de la thèse A  l'antithèse (négation de la thèse), le heurt de l'une contre l'autre produisant quelque chose de nouau, la synthèse (négation de la négation). Dans la métaphysique hégélienne, ce qui correspond A  la thèse c'est l'Idée ; une réalité intellectuelle impersonnelle, antérieure A  toute pensée. L'Idée se heurte A  la Nature, qui en ure l'antithèse. Du choc nait la synthèse : l'Esprit, la pensée. Vision abstraite, audacieuse, enivrante pour les jeunes étudiants A  qui sur les bancs des unirsités rhénanes en est offerte la primeur. Philosophie idéaliste, puisqu'elle fait de l'Idée le principe du monde ; dynamique, puisqu'elle définit l'unirs par le moument dialectique ; antinomique, puisqu'elle fait de l'opposition des contraires le principe mASme de la vie ; humaniste, puisqu'elle ne suppose pas d'autre sujet pensant que l'homme. La pensée de Hegel est en équilibre entre l'Idée et la Nature. Equilibre insle. Hegel penche tantôt d'un côté, tantôt de l'autre. Ses disciples se sépareront bientôt pour former une droite hégélienne (orthodoxe du point de vue religieux, et conservatrice), et une gauche hégélienne (anticléricale, humanitaire, panthéiste). C'est A  la gauche que le jeune Marx se rattache. Sur le philosophique, elle est avant tout idéaliste. Elle se lance A  la poursuite de l'Idée pure. Tentati impossible selon la doctrine mASme, laquelle enseigne que dès que l'Idée est pensée, elle n'est plus pure, elle est insérée dans la Nature, elle est Esprit. A la poursuite de l'Idée pure, Bruno Bauer et les autres membres de la gauche hégélienne échafaudent les abstractions les unes sur les autres ; ils se vautrent dans l'abstraction qui, comme l'érudition, est un vice allemand. D'interminables querelles d'école surgissent, soulevées et soutenues par une passion aussi apre que factice. A vous donner la nausée. On tourne en rond. On cherche l'idée pure, on ne trou que des mots de plus en plus creux et barbares. La philosophie se transforme en acrobatie cérébrale et logomachique.
Une première réaction se manifeste en 1841, qui fait sensation : Ludwig Feuerbach publie L'Essence du christianisme. Feuerbach - remet la dialectique hégélienne sur ses pieds -. Il affirme que le principe du moument dialectique n'est pas une Idée abstraite antérieure A  toute pensée, mais l'homme lui-mASme. L'homme n'est pas le résultat d'un heurt d'Idée pure et de Nature antithétique, mais une réalité première unique, qui s'est artificiellement brisée. Tout était originellement dans l'homme et lui appartient. Mais l'homme a projeté hors de soi, pour lui prASter une existence autonome et transcendante, la meilleure partie de lui-mASme. L'homme a créé Dieu A  son image ; et puis il a adoré Dieu. Il faut que l'homme reprenne conscience que le Dieu de la religion, l'Idée de Hegel, le Bien et le Beau des métaphysiciens ne sont que des éclats détachés de sa propre pensée, et dont il a perdu le sounir ; il faut qu'il les ramène A  lui d'où ils procèdent. Alors, ayant réassumé ce qu'il avait indûment aliéné, l'homme retroura sa plénitude primiti.
L'immanentisme intégral, l'humanisme absolu de Feuerbach apportent A  Marx un grand soulagement et comme un éclair de lumière. Marx était trop profondément marqué d'idées franA§aises pour ne pas souffrir de voir ses amis de la gauche hégélienne se perdre en un dédale d'inhumaines obscurités ; il était surtout trop engagé dans la lutte politique libérale pour ne pas s'impatienter d'une logomachie qui perdait toute prise sur la vie. Mais la grande espérance que l'ouvrage de Feuerbach a d'abord soulevée chez Marx est bientôt déA§ue. Feuerbach a décourt le fait de l'aliénation, mais il ne l'explique pas. Feuerbach proclame qu'il importe de refaire la synthèse de l'homme en mettant fin A  l'aliénation ; mais il ne dit pas comment cela se peut faire ni pourquoi cela se ferait. Il se répète, il piétine, il tourne en cercle, comme les - critiques-critiques - de la gauche hégélienne contre lesquels il a pris la plume. Feuerbach a posé l'homme A  la place de l'Idée hégélienne ; mais l'homme de Feuerbach est encore une idée. Un AStre de raison, qui se définit essentiellement par la raison. Non pas l'homme, mais l'essence immuable de l'homme. Si pourtant l'aliénation et la libération de l'aliénation doint avoir un sens, il faut que ' comme le péché originel, la rédemption et la parousie des chrétiens ' elles s'insèrent dans l'histoire et s'expliquent par l'histoire.
Par réaction contre la conception abstraite de l'homme qui a tari l'élan de Feuerbach, Marx se trou ainsi entrainé A  insister sur tout ce qui dans l'homme n'est pas la raison. Il oppose la chair A  l'intellect, le collectif A  l'individuel, aux - superstructures idéologiques - l'activité économique. En face de l'homme abstrait de Feuerbach, il dresse l'homme réel : un AStre de chair qui désire, qui souffre, qui envie, qui hait, qui aime, qui travaille et agit, et ne pense pas seulement. Un homme social, qui fait partie d'une classe, et non pas un individu ; un homme situé dans l'histoire, et non pas dans l'abstrait intemporel.
Le matérialisme historique de Marx ne signifie sans doute rien autre que cela. C'est un humanisme total, un réalisme au sens vulgaire du mot, une conception temporelle de l'homme. Et c'est aussi sans doute un parti pris de toujours chercher l'explication des choses par en bas (4) ; mais parce que plus on descend dans l'échelle des phénomènes, plus aussi bien on saisit de réalité vivante. Le matérialisme historique n'a rien A  voir ac cette métaphysique moniste qui nie toute substance immatérielle, et ne voit dans la pensée humaine qu'une - sécrétion du cerau -. Engels peut-AStre a pensé cela, mais Marx n'a jamais rien dit de semblable. Marx distingue dans l'histoire, dans la société, une - infrastructure - et une - superstructure -. La superstructure, ce sont des idées. L'infrastructure, c'est le réel. Marx affirme que l'évolution de la superstructure est commandée par celle de l'infrastructure. Il semble bien d'ailleurs que, dans son optique, il faille distinguer plus de deux étages : civilisation technique, structure sociale, constitution politique, culture intellectuelle, religion, chacune est l'infrastructure de ce qu'elle précède et la superstructure de ce qu'elle suit. La coupure la plus importante est celle qui sépare le Ciel de la Terre. Alors la superstructure, c'est Dieu ; l'infrastructure, c'est l'homme : l'homme charnel, social, temporel. Bien plus qu'il n'oppose la matière A  l'esprit, Marx oppose la vie A  l'abstraction morte. Le matérialisme historique est une réhabilitation de la chair. En un sens la réaction de Marx contre la - critique-critique - de Bruno Bauer et de ses comnons prélude A  celle de Péguy contre Lanson, Langlois et autres maitres en Sorbonne (5). Le matérialisme historique n'est pas un matérialisme. Ce n'est pas non plus un déterminisme, un fatalisme comme on l'a dit. Lorsque Marx affirme : - L'infrastructure commande la superstructure -, cela n'emporte pas que la superstructure soit purement passi. Il y a des retards, il y a des résistances de la superstructure. La preu que la superstructure est pour Marx mieux qu'un épiphénomène, c'est qu'il faut une révolution pour l'adapter aux changements de l'infrastructure (6) ; c'est que la - prise de conscience -, par le prolétariat, de sa misère, de sa force, de sa vocation est la condition de cette révolution. - Les hommes ' a dit Marx ' font leur propre histoire. - Cette petite phrase n'est pas moins authentiquement marxiste qu'elle n'est authentiquement de Marx. Le matérialisme historique, c'est un humanisme, c'est un géïsme ; c'est ' dit Jacques Maritain (7) ' l'aboutissement dernier de la grande révolte de l'homme contre Dieu qui a commencé A  Luther et qu'a poursuivie le xvin siècle franA§ais. Pendant trois siècles, dans tous les domaines successiment, l'homme s'est exercé A  se passer de Dieu. Ac Feuerbach, ac Marx il prend Sa place, et ne voit plus en Dieu qu'un fantôme de lui-mASme.
Et donc, c'est dans l'infrastructure qu'il faut chercher une explication de l'aliénation, et une raison d'espérer la fin de l'aliénation. Seuls une contradiction, un antagonisme, une aliénation d'ordre social et économique peunt expliquer l'aliénation religieuse que Feuerbach a dénoncée. Et pour qu'il soit permis d'espérer la fin de l'aliénation religieuse, il faut découvrir dans les nécessités internes de l'évolution sociale et économique l'annonce de la résolution prochaine de cet antagonisme social et de cette aliénation économique. Marx qui sans cesse, en face des jeunes hégéliens et de Feuerbach, a invoqué l'histoire contre l'AStre abstrait, l'homme agissant contre l'homme pensant, l'homme tel que le font les rapports sociaux et les rapports sociaux tels que les font les rapports économiques ' eux-mASmes résultats des modes techniques de la production ' contre toutes les constructions idéologiques, Marx se doit, pour justifier et pour poursuivre sa propre philosophie, d'étudier la réalité économique. Et d'avance il sait ce qu'il y ut trour : un antagonisme social, une aliénation économique actuels, qui expliquent l'aliénation religieuse ; et des lois de l'évolution économique et sociale qui confèrent la certitude de la fin prochaine de cet antagonisme et de cette aliénation.
A vingt-sept ans, Marx, qui a déjA  publié d'importants ouvrages en d'autres domaines, est presque totalement ignorant de la théorie économique. Pour en aborder l'étude, il se laisse sans doute guider par Engels, ac lequel il s'est depuis peu lié d'amitié. Marx lira les classiques anglais. Il lira surtout le plus récent d'entre eux, Ricardo, dont la rigueur déducti et l'appareil scientifique sont bien faits pour en imposer A  tout économiste débutant. Il a conscience d'aborder un domaine d'étude où il n'est pas spécialiste. Et comme le psychologue s'en remet facilement au médecin pour le documenter sur la physiologie des centres nerux, de mASme Marx, qui n'a entrepris l'étude de l'économie politique qu'afin d'illustrer sa philosophie, fait confiance aux maitres de l'art pour lui enseigner les lois économiques. Il rencontre la théorie ricardienne de la valeur-travail. Il ne la discute pas (8), il la prend. Il s'en sert pour la seule chose qui lui importe : trour un fondement économique A  l'antagonisme des classes qui doit expliquer l'aliénation feuerbachienne.
La théorie statique de Marx est fidèlement ricardienne. Marx s'en remet A  l'autorité compétente. Il renchérit mASme sur la théorie ricardienne de la valeur, faisant du travail la source unique et non plus seulement la mesure commune de la valeur, affirmant l'improductivité du capital ' A  l'exception de cette portion qui en est destinée A  l'achat de la force de travail (9). Ricardo distinguait le capital fixe du capital circulant ; Marx oppose au capital constant le capital variable. Les deux diptyques ne sont pas tout A  fait super-posables. Le capital variable de Marx ne comprend que les sommes destinées au paiement des travailleurs : tout le reste est pour lui capital constant. Le capital circulant de Ricardo (Marx aussi emploie cette expression dans le mASme sens) comprend en outre tous les autres fonds de roulement (pour l'achat des matières premières, etc.) que Marx range ac les capitaux fixes (immobilisés pour la construction des élissements et l'achat des machines) dans la catégorie du capital constant, c'est-A -dire improductif. Mais entendons-nous bien : les machines comme les matières premières contiennent pour Marx du travail incorporé qui s'ajoute au travail actuel qu'exige la fabrication des produits pour déterminer leur valeur. L'amortissement du coût en travail de la fabrication des machines entre dans la valeur des produits. Mais - la machine ' écrit Marx ' ne produit pas de valeur ; elle transmet simplement la sienne A  l'article qu'elle sert A  fabriquer Elle ne transmet jamais plus de valeur que son usure ne lui en fait perdre en moyenne -. C'est ici que Marx se sépare quelque peu de Ricardo ; mais Ricardo du principe de la valeur-travail strictement entendu (10). Marx est un intégriste de la valeur-travail, un intégriste de l'orthodoxie ricardienne ; et naturellement, comme tous les intégristes, il rétrécit et trahit la doctrine A  laquelle il s'est voulu fidèle ac trop de rigidité. Tout compte fait pourtant, la théorie marxiste de la plus-value ne se distingue pas A  l'œil nu des lois du salaire et du profit qu'avait posées Ricardo, selon du moins que nous les avons interprétées. L'employeur nd la marchandise A  sa valeur, que mesure le nombre d'heures de travail qu'elle a coûté. 11 ne rse A  l'ouvrier que le minimum nécessaire A  sa subsistance. L'ouvrier se trou donc naturellement spolié (11) d'une partie du fruit de son travail : le capitaliste s'approprie la - plus-value - (Mehrwert). La terminologie de Marx distingue de la plus-value le profit. Le taux de la plus-value, c'est le prélèment que le capitaliste opère sur le fruit du travail de l'ouvrier (c'est-A -dire le montant de la plus-value) rapporté au capital variable (c'est-A -dire au fonds des salaires), seul productif de valeur. Le taux des profits, c'est ce mASme prélèment rapporté au capital total de l'entreprise, c'est-A -dire A  la somme du capital variable et du capital constant (12). Le capital constant ' dont la partie la plus importante est le capital fixe ' tient beaucoup plus de place dans le système de Marx qui le tient pour improductif, que dans celui de Ricardo. C'est aussi bien que la technique de la production mécanisée a fait de grands progrès pendant les cinquante ans qui séparent les Principles du Capital.
L'accent mis sur le capital constant explique en quoi la dynamique marxiste s'éloigne de celle de Ricardo. L'hypothèse fondamentale de la dynamique ricardienne était l'accroissement continu de la population, la mise en culture de terres de moins en moins fertiles, la hausse du prix du blé. Toute la dynamique de Marx repose sur le progrès continu de la technique producti et l'accumulation indéfinie du capital (13). Le résultat de l'un el de l'autre est un processus général de concentration : les entreprises deviennent de moins en moins nombreuses, et leurs dimensions de plus en plus étendues. Il y a de moins en moins de capitalistes, qui sont de plus en plus riches ; et de plus en plus de prolétaires, qui sans doute ne sont pas de plus en plus pauvres ' puisque leurs renus restent constamment fixés au niau du minimum nécessaire A  leur subsistance ' mais qui sont du moins de plus en plus exploités. Car d'une part les capitalistes, pour accroitre la plus-value (14) augmentent sans cesse la longueur de la journée de travail (15) ; tandis que d'autre part l'accumulation du capital et les progrès techniques diminuent la valeur en travail de la subsistance ouvrière, et donc le taux des salaires (16). La structure de la société devient de plus en plus purement dichotomique. Les classes moyennes (artisans) tendent A  disparaitre, et viennent grossir le prolétariat. Des masses de chômeurs ou ' comme dit Marx ' des - armées industrielles de réser - que les progrès du machinisme et les crises de surproduction alimentent sans cesse, exercent sur le marché du travail une pression constante, qui tend A  avilir les salaires. Le taux du profit baisse aussi bien, pour Marx comme pour Ricardo. Mais non plus du tout pour la mASme raison. Selon Ricardo, les profits diminuent du fait de la hausse de la rente, du prix du blé, et des salaires. Pour Marx, ils baissent en dépit de l'élévation constante du taux de la plus-value, parce que la composition du capital se modifie. Dans le capital total, la part du capital constant (improductif) s'accroit relatiment. Bien que la masse des renus capitalistes s'élè continuellement, le taux des profits s'abaisse.
Le système économique de Marx ' A  cela près qu'il donne un rôle accru A  la question de la composition du capital, au phénomène de son accumulation progressi, A  l'accroissement de la productivité du travail qui en résulte ' relè au fond de la mASme méthode et aboutit A  peu près aux mASmes conclusions que celui de Ricardo. Mais Marx a passé la théorie ricardienne au moule de la dialectique massi, puissante, que Hegel lui a enseignée. Et surtout, plus que les mécanismes eux-mASmes, ce sont les conséquences humaines des phénomènes économiques, l'aspect humain des catégories économiques, qui retiennent l'attention de Marx. Ce qui l'intéresse, ce n'est pas le salariat, le capital (- fétiches - dont la prétendue existence indépendante n'est A  ses yeux qu'une illusion fatale des économistes en régime capitaliste) ; c'est le salarié, c'est le capitaliste, et les répercussions de leur situation économique sur leur mentalité collecti. Certes, Marx ne s'est pas su dégager toujours suffisamment du - fétichisme - des lois économiques qu'il reproche A  Ricardo. Il a été trop fidèle A  Ricardo pour le demeurer tout A  fait A  lui-mASme. Ou plutôt, cédant A  cette invincible tendance allemande A  l'abstraction qui le possédait quoi qu'il en eût. il est retombé en économie politique dans le défaut mASme qu'il avait si véhémentement reproché A  Bruno Bauer en philosophie Mais une confrontation du marxisme ac le ricardianisme, entreprise ac le souci de dégager la marque personnelle de Marx, ferait apparaitre quel abime sépare l'humanisme et le matérialisme dialectique de Marx du naturalisme et du déterminisme mécaniste de l'école classique anglaise. Marx incarne et anime les - fétiches - de Ricardo. Les - classes - que celui-ci distinguait (propriétaires, capitalistes, salariés) n'étaient guère que des catégories du raisonnement économique. Chez Marx, elles deviennent de vivantes réalités psychologiques et sociales. Alors l'irréductible complémentarité des salaires et des profits que Ricardo démontrait impassible se prolonge en une - lutte de classes - acharnée, qui oppose les - prolétaires - aux - bourgeois -. Ac Marx, la compassion, l'indignation, la haine, la révolte, l'espérance pénètrent les mécanismes économiques. Mais c'est bien de mécanismes qu'il s'agit ! La plus-value, pour Marx, c'est l'aliénation économique cherchée ! Le prolétaire aliène sa propre substance dans le produit que l'employeur s'approprie. Et l'élévation constante du taux de la plus-value entraine une exploitation croissante des ouvriers, aggra sans cesse l'aliénation économique. Cependant, le bourgeois s'aliène lui aussi, dans l'argent, de plus en plus au fur et A  mesure que pour lui l'accroissement de la dimension des entreprises tend A  substituer une compilité en monnaie au contact direct des choses. L'aliénation est poussée au maximum dans le prolétariat. Les superstructures bourgeoises (politique, morale, culture, art) ne sont pas pour lui ! Le prolétariat, c'est la - perte de l'homme -. Quand cette - perte - sera totale, quand elle deviendra pleinement consciente, la lutte des classes ' dont la disparition des classes moyennes simplifie progressiment les données et dont la densité croissante des agglomérations prolétariennes facilite la proande et l'organisation ' atteindra son paroxysme. Le prolétariat se révoltera. Et sa révolte sera nécessairement victorieuse, car le prolétariat devient sans cesse plus nombreux, tandis que les capitalistes le sont de moins en moins, et que les liens qui les attachent A  leurs entreprises se font ' au fur et A  mesure que celles-ci s'agrandissent ' de plus en plus abstraits et purement juridiques. Et cependant la proande révolutionnaire aura déloppé chez les capitalistes une mauvaise conscience qui les affaiblira. D'ailleurs la baisse continue du taux des profits, le retour périodique des crises (que Marx explique par la sous-consommation ouvrière) entrainent une anémie progressi du capitalisme. On ne sait trop s'il mourra sur les barricades ou dans son lit. Les deux prophéties sont chez Marx, où elles s'appuient réciproquement.
Le prolétariat, c'était la - négation de l'homme -. La révolution sera la négation de la négation. Elle sera l'avènement d'une société sans classes ; elle éliminera l'exploitation de l'homme par l'homme ; elle fera cesser les antagonismes sociaux et l'aliénation économique. L'aliénation religieuse, alors, n'aura plus d'infrastructure, donc plus de raison d'AStre. Elle disparaitra. Ce qu'il fallait démontrer.
Et Marx en reste lA . Sa vision prophétique s'arrASte au seuil de l'ère messianique. N'est-ce pas la règle d'or des prophètes, de ne jamais rien annoncer que l'anir risque de démentir ? Et n'est-il point sage de laisser er un peu de mystère sur le paradis futur ? Il ne faut pas montrer la fiancée de trop près. Qu'on ne parle donc pas de - régime marxiste - ! Marx est le plus grand théoricien du régime capitaliste, dont il a innté la notion, analysé les rouages, prédit la fin tragique. Mais il n'a décrit aucune société socialiste.
Du système théorique qu'il a construit ' en en empruntant presque toutes les pièces A  Ricardo ' pour prolonger sa philosophie, Marx était-il vraiment satisfait ? Plus d'un indice porte A  croire au contraire qu'en fait de théorie économique il craignait de s'AStre trompé, c'est-A -dire que Ricardo ne l'ait induit en erreur. Et pourquoi donc, si le capital fixe ne rapporte rien, continue-t-on de l'accumuler ? Pourquoi les entreprises les plus mécanisées ne sont-elles pas éliminées, réalisant de moindres profits ? (17) Il semble qu'Engels ait eu besoin de ranimer constamment la confiance toujours vacillante de Marx en son œuvre économique. Ce n'est que sur les instances de son ami que Marx s'est décidé A  livrer au public sa Critique de l'économie politique en 1858 ; puis en 1867, le premier volume du Capital dont il avait longtemps prolongé la rédaction et retardé la publication. Marx semblait rempli de scrupules scientifiques. Il éprouvait le besoin de faire de noulles lectures. Jamais il ne voulut tenir pour achevés les tomes II et III du Capital, qu'Engels n'a publiés qu'après sa mort. Le tome III a déA§u tous les interprètes ; A  bien des égards, la théorie difficilement intelligible que Marx y échafaude pour concilier ac les faits la thèse de l'improductivité du capital fixe parait A  tout le moins inconciliable ac celle du premier tome (18). Mais les objections que les critiques adressent A  Marx ne sont-elles point précisément celles qu'il se faisait A  lui-mASme, et qui l'incitaient A  différer la publication de son œuvre ? La théorie de la valeur de Ricardo, sur laquelle Marx s'était appuyé, subissait alors les assauts de noulles écoles d'économistes. Marx a-t-il pu ignorer Jevons ? Les théories psychologiques de la valeur n'ont-elles pas ébranlé sa confiance en son propre système ? N'est-ce point parce qu'il en voulait tenter une révision A  la lumière de l'économie mathématique, qu'il s'est mis sur la fin de sa vie A  étudier le calcul infinitésimal ? Peut-AStre après tout une autre analyse économique eût-elle pu. tout aussi bien que celle du Capital, illustrer le matérialisme historique et la conception dialectique du monde. Est-il prouvé que l'un et l'autre soient liés A  la valeur-travail et A  l'improductivité du capital fixe ?
Quelque souci que Marx ait eu de ne pas engager imprudemment l'anir, sa doctrine économique a aujourd'hui vieilli. Elle repose sur les catégories de l'économie classique anglaise, que nous avons abandonnées. La loi de concentration, que Marx leur a superposée, porte aussi bien la marque d'une époque partiellement révolue : elle date de l'ère du charbon et de la vapeur ' qui est une source d'énergie soumise A  une loi de rendements rapidement et indéfiniment croissants ; ' et d'une époque antérieure A  la mobilisation des capitaux, au déloppement des formes sociétaires d'entreprise : où par conséquent la concentration de la propriété et celle de l'initiati économique étaient étroitement parallèles A  la concentration technique des élissements. Marx a abusiment extrapolé le processus qu'il voyait se dérouler sous ses yeux, dans la grosse industrie, en Angleterre. Mais pour ne s'AStre point réalisées sous la forme qu'il avait prédite, ses prophéties sont-elles infirmées autant qu'on le dit sount ? Marx n'avait pas prévu le déloppement de la petite bourgeoisie, de la classe des white collar people. Il n'avait pas prévu l'extension de l'actionnariat, ni que grace A  lui le petit capitaliste survivrait A  la petite entreprise. Mais la prédominance dans le monde moderne d'une oligarchie financière de gérants du capital ne réalise-t-elle pas en un sens différent cette prolétarisation générale prédite dans le Manifeste communiste dès 1847 ? Et si nous ne croyons plus A  l'analyse marxiste de la plus-value, les ouvriers s'en sentent-ils pour cela moins exploités ? Isaïe non plus n'avait pas annoncé le Messie littéralement comme il est nu
Et Marx nous laisse une méthode. Analyser les tendances dynamiques du présent pour prévoir l'anir, et fonder son action sur une prévision scientifique de l'anir. Dégager la ligne de l'évolution récente pour prévoir l'évolution future, et épouser ensuite les pas du destin. Etre persuadé que les hommes font leur propre histoire, mais qu'ils ne la font pas selon leurs caprices ; qu'on ne commande A  l'histoire qu'en lui obéissant ; que la psychologie collecti est une donnée résistante et acti. Telles sont les grandes leA§ons que Marx apporte, et dont il laisse une magnifique démonstration. Il a soustrait la pensée socialiste A  l'emprise de l'utopie, A  la tyrannie du juridisme, aux naïtés du volontarisme. En fondant son socialisme sur l'histoire, il a donné au socialisme droit de cité dans l'histoire.
Et plus encore que dogme, le marxisme est vie ; plus qu'un système économique, une philosophie de l'action. Marx n'a pas seu lement manié les concepts, mais aussi les sentiments et les hommes. La lutte des classes, il ne l'a pas seulement démontrée et définie, il l'a prASchée, il l'a menée en personne. Il n'a pas seulement fait la théorie de la tactique révolutionnaire (19), il a travaillé A  la révolution. Marx est de ceux qui prount le moument en marchant. Dans cette maison de pauvres qu'il habite A  Londres, il reA§oit, parmi ses piles de papiers poussiéreux, ses pipes et ses enfants qui piaillent, des ouvriers auxquels il explique patiemment, au leau noir, les mystères des mécanismes économiques. Il a des agents plus ou moins secrets dans presque toute l'Europe, qui le renseignent sur la vie des organisations ouvrières, tirent pour lui les ficelles du moument prolétarien, font triompher ses vues dans les congrès de l'Internationale. Marx suit au jour le jour les péripéties de la lutte ouvrière ; il intrigue, il excommunie et fustige les camarades qui s'égarent ; mais parfois lutte ac autant de souplesse qu'il pense ac rigidité (20) ; il blame la Commune de Paris, qui lui parait prématurée (et sans doute mal située sur la courbe de la conjoncture économique) (21) mais rend un éclatant hommage A  ses victimes. Ac lui le socialisme cesse d'AStre un idéal ou un programme, pour denir un moument de classe. La classe prolétarienne, une et unie par-dessus les frontières des nations, c'est une décourte, et c'est en partie une œuvre de Marx. A qui trou hermétique sa pensée, je ne conseillerais point d'apprendre l'allemand ni de passer ses nuits sur les volumes du Capital, mais bien de s'efforcer A  connaitre les prolétaires. Ceux-lA  n'ont jamais lu Marx ; ils le comprennent peut-AStre mieux que nous. Non qu'ils devinent Marx, mais parce que le génie de Marx les a devinés. Le marxisme, ne serait-ce point en quelque sorte la philosophie immanente du prolétariat, de l'action prolétarienne révolutionnaire ? (22) Marx l'a formulée en termes barbares. Des millions d'hommes la vint et l'incarnent obscurément, sans le savoir. Bien des choses n'ont pas été révélées aux doctes et aux prudents, que sant les petits et les humbles
Et Marx fournit au socialisme une orthodoxie, A  la fois ample et rigide, éclectique et dogmatique. Le marxisme, parmi les doctrines socialistes, joue en quelque sorte le rôle du catholicisme romain parmi les confessions chrétiennes. De qui s'en ésectiune tant soit peu, qui saurait dire jusqu'où l'entrainera sa révolte ?
Marx laisse A  l'histoire des doctrines économiques l'exemple d'une construction sans émule sous le rapport de l'ampleur et de la majesté. Une théorie économique remarquablement cohérente y sert de fondement A  une sociologie axée sur la notion de classe sociale, A  une philosophie de l'histoire axée sur l'importance primordiale des moyens matériels de produclion, A  une philosophie humanisle, A  une théologie ' ou une antithéologie ' axée sur l'idée d'aliénation. Le marxisme qui s'intitule - socialisme scientifique - est la plus achevée de toutes les doctrines économiques, au sens précis que nous avons donné A  ce mot. Ac lui s'achè peut-AStre aussi bien l'ère des doctrines en économie politique.



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