NAVIGATION RAPIDE : » Index » ECONOMIE » ECONOMIE GéNéRALE » Nature et destin du capitalisme L'essor de l'industrialisation en occidentPatrick Verley montre comment l'essor de la demande, l'émergence d'un modèle de consommation, et l'invention de circuits de distribution et de commerce ont constitué les moteurs de la révolution industrielle. S ' IL EST VRAI que nous sommes en train de vivre une troisième révolution industrielle (fondée sur la micro-informatique, le multimédia et la mondialisation des marchés), il n'est pas inutile de se pencher sur les ressorts de la première, sur ses causes et sur sa dynamique globale. C'est ce que nous propose Patrick Verley, spécialiste d'histoire économique et déjA auteur d'un ouvrage de référence sur la question (1) avec cette magistrale étude sur -l'industrialisation de l'Occident-. De la première révolution industrielle, on retient souvent quelques symboles clés : la machine A vapeur et le chemin de fer, l'exploitation forcenée des prolétaires dans les mines ou les grandes usines de textiles, le luxe et l'appat du gain de la bourgeoisie conquérante. En fait, l'industrialisation suppose une transformation globale de l'économie et de la société : les innovations techniques se sont accomnées de la création de nouveaux marchés intérieurs, de la croissance du commerce mondial, de l'apparition d'une couche sociale d'entrepreneurs et d'ingénieurs, de la mobilisation de capitaux, de l'apparition de nouvelles sources d'énergies, d'une révolution des transports, de la diffusion de nouveaux modèles de consommation. Tous ces facteurs sont imbriqués, mais sont-ils les ressorts profonds de cette révolution ? C'est lA une des premières grandes questions posées aux historiens. Dans une première partie, P. Verley propose une synthèse d'un siècle d'études sur le sujet. Les innovations techniques (machine A vapeur, chemin de fer, métier A tisser, etc.) ont été considérées par de nombreux auteurs comme le moteur de l'industrialisation. D'autres ont insisté sur le rôle des structures de production : l'invention du capitalisme industriel, l'exploitation des salariés dans les grandes fabriques. Certains, comme Paul Bairoch, ont souligné l'importance de la révolution agricole comme condition préalable au décollage industriel. D'autres, enfin, ont mis tour A tour en avant l'importance de l'essor démographique, des nouvelles structures politiques et idéologiques et du rôle stimulant du marché. Après un siècle d'historiographie, note cependant P. Verley, il n'est pas aisé de s'accorder sur une e d'ensemble du processus. D'où viennent ces divergences d'interprétation ? Il y a plusieurs raisons A cela. D'abord, chaque auteur se focalise sur un aspect de la réalité (la technique, la dynamique du marché, tel secteur de production) et, comme c'est souvent le cas, a tendance A survaloriser l'impact de son objet d'étude au détriment d'autres facteurs. Ensuite, on voit bien que -les différents auteurs ne posent pas la mASme question -. Certains s'interrogent sur les moteurs du changement, d'autres sur les conditions préalables du démarrage (révolution agricole, démographique ou culturelle) ; certains encore centrent leur travail sur un cas national particulier ou une étape précise de la révolution. Enfin, il est certain que les interprétations des historiens sont -conditionnées par les visions théoriques et les problèmes de leur temps-. Toujours est-il que -l'accumulation des travaux n'est pas parvenue A dégager aujourd'hui un consensus sur ce thème, ni mASme une direction unique dans laquelle les connaissances pourraient se sédimenter-. Pour tempérer ce constat désabusé, remarquons pourtant que la plupart des interprétations ne sont, au fond, pas exclusives. Seule la radicalisation d'une thèse conduit A des oppositions irréductibles. Beaucoup d'auteurs admettent aujourd'hui l'existence d'un processus en chaine. Des phases différentes se succèdent : certains facteurs, prépondérants A un moment, perdent de leur importance alors que d'autres émergent et deviennent déterminants, entretenant ainsi leur propre dynamique. Par exemple, on peut repérer en Grande-Bretagne deux phases successives de l'industrialisation. La première est une phase de croissance (période 1800-l830) qui est fondée sur la division du travail et la conquASte d'un marché intérieur (2). Un autre régime de croissance a pris ensuite le relais, fondé sur les innovations techniques. Ces deux phases qui se suivent (en se chevauchant largement) ne sont donc pas mues par la mASme logique : l'une est produite par la demande croissante (qui stimule l'innovation et l'essor des centres de production), l'autre est propulsée A son tour par l'offre de production et la baisse des coûts. Ainsi, le cas du - ratage- hollandais est intéressant. Au XVIII siècle, la Hollande est en avance sur les autres pays d'Europe et dispose de nombreux atouts pour s'engager dans la voie de l'industrialisation. En effet, elle possède un grand centre financier, la confiance des négociants due A sa tolérance politique, une main-d'œuvre qualifiée, des savoir-faire techniques, des réseaux commerciaux, du combustible A bon marché (tourbe). Elle possède enfin une production de qualité dans plusieurs secteurs clés : tuileries, brasserie, teintures, draperies, porcelaine de Delft, textiles. Pourtant, l'économie hollandaise va perdre de son dynamisme dès le début du XIX siècle. Pourquoi ? L'auteur souligne une raison majeure, déjA relevée par Fernand Braudel : l'absence de marché intérieur suffisamment puissant et la restriction des marchés extérieurs due aux guerres et bouleversements politiques. Les exemples anglais et hollandais illustrent bien, selon P. Verley, le rôle essentiel joué par la demande dans l'industrialisation. Ce facteur est selon lui trop négligé par les explications traditionnelles qui mettent en effet l'accent sur le rôle de l'offre : techniques, capitaux, main-d'œuvre, entrepreneurs. L'auteur va s'attacher dans la suite de son étude A décrire cet aspect méconnu de l'industrialisation. Dès la fin du XVII siècle, et donc bien avant le décollage technologique, on constate en Grande-Bretagne une augmentation de la consommation de biens manufacturés - vAStements, ameublement, alimentation - qui s'étend dans les larges couches de populations. Quels sont les éléments déterminants de cette nouvelle consommation? Plusieurs types de produits jouent un rôle stimulant. Les produits de luxe pour les classes aisées sont des marqueurs sociaux qui traduisent, dans les familles aristocratiques, une consommation ostentatoire. Les ventes des produits -féminins-, de type savons, ustensiles de cuisine, gants, bonneterie, soieries, augmentent de faA§on considérable. Dans les classes intermédiaires se développe une consommation de produits imitant les produits de luxe : soie mélangée, orfèvrerie d'argent plaqué, bijouterie en faux, etc. Ce mécanisme d'émulation sociale est l'un des ressorts puissants de l'extension des marchés. Témoin : l'industrie des indiennes (toiles de coton légères imprimées par impression) servant A la confection des jabots, des manchettes et autres accessoires raffinés, connait un succès foudroyant. -La production des indiennes, premier produit industriel de consommation de masse dont le marché dépasse le cadre national, donne naissance, dans toute l'Europe, A de nombreuses entreprises importantes pour l'époque, qui emploient souvent entre cent et mille ouvriers et qui, de surcroit, s'organisent et fonctionnent de manière similaire. - Elle est un point de départ de l'industrialisation dans le textile, la branche industrielle la plus importante durant la majeure partie du XIXA° siècle. Les classes populaires n'accèdent A la consommation industrielle que grace A l'augmentation des revenus des ménages liée A l'entrée des femmes et des enfants sur le marché du travail. Cela permet un gonflement de la consommation populaire des produits industriels : ustensiles de cuisines, outils de bricolage ou de couture, de tissus et parfois de chaussures. L'extension du marché intérieur, la diffusion de nouveaux produits et de nouveaux modèles de consommation n'auraient pas été possibles sans le développement des moyens de transport et l'invention de nouveaux circuits de distribution. Contrairement A une idée reA§ue, le chemin de fer n'a été ni une condition indispensable, ni le moteur principal de l'industrialisation pendant la première phase (3). C'est par route et par bateaux, dont les réseaux se multiplient, que se fait l'essentiel du commerce. Les nouvelles structures commerciales se mettent en place avec des grands négociants, des grossistes, mais surtout une vérile révolution du commerce de détail. Alors que le marché, le colportage, les foires deviennent un lieu de diffusion de nouveaux produits de consommation, apparaissent enfin les premiers grands magasins. Le Bon Marché est fondé en 1852 et La Samaritaine en 1869. Un autre élément de la croissance des marchés résidera enfin dans l'exportation des marchandises. Finalement, quelle conclusion tirer de cette leA§on d'histoire ? L'auteur a certes voulu revaloriser le rôle stimulant de la demande sur l'offre mais sans jamais prétendre en faire un nouveau deus ex machina. Une fois les conditions initiales réunies, la révolution industrielle s'est lancée dans une dynamique de croissance largement auto-entretenue où offre et demande vont tour A tour jouer un rôle déterminant, dans un processus cyclique, non dépour de heurts, de distorsions, d'emballements et de ralentissements. |
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