Le boom que connait l'économie américaine depuis dix ans doit-il vraiment AStre attribué aux noulles technologies? C'est ce que contestent nombre de spécialistes, qui trount bien d'autres raisons au nouau cycle de la croissance américaine.
L' EXPRESSION noulle économie est apparue pour la première fois aux Etats-Unis en décembre 1996, sur la courture de Business Week. Le magazine consacrait alors un dossier au boom de l'économie américaine. Tout commenA§ait par un constat : une croissance impétueuse depuis le début des années 90, une inflation maitrisée, une progression boursière rtigineuse, des créations d'emplois par millions et un
chômage qui chute. La cause de tout cela ? L'ordinateur et Internet évidemment ! Les noulles technologies seraient le moteur d'une troisième révolution (post)industrielle, source du dynamisme
économique actuel. Depuis, la formule a fait mouche. La noulle économie a fait les gros titres des revues économiques ; rapports officiels, colloques, articles, sites web lui sont consacrés. Au-delA des chiffres et des constats, la noulle économie est denu une idée-force, un slogan. Elle a ses symboles (Amazon.com, Yahoo, l'indice Nasdaq) son vocabulaire (start-up, e-commerce, e-business), ses hauts lieux (la Silicon Valley), sa mythologie (le petit Linux qui défie le géant Microsoft, la mégafusion AOL-Times Warner), ses gourous et ses détracteurs.
Tenants du New Age contre traditionalistes
Si le dynamisme de l'économie américaine depuis dix ans maintenant n'est contesté par personne, reste que les interprétations sur les causes profondes suscitent bien des débats. Deux thèses s'affrontent A ce propos. Pour les tenants de la thèse dite du New Age - du Noul Age de l'économie (1) -, une révolution industrielle est en cours aux Etats-Unis. Elle s'appuie sur l'ordinateur, les logiciels et Internet (les NTIC, ou noulles technologies de l'information et des communications). Les NTIC généreraient d'énormes gains de productivité, diminuant les coûts d'organisation et de transport, ouvrant de nouaux marchés. Le secteur de l'édition en est le témoin. Les transmissions de textes ou d'images se font désormais en ligne, de l'auteur A l'éditeur, puis A l'imprimeur. Des sociétés comme Amazon.com ndent des livres en ligne aux quatre coins de la ète, la promotion est assurée par le réseau De la production A la distribution et au marketing, tout change. Les promoteurs de la new economy parlent de -nouau paradigme- A propos de la révolution managériale et de la révolution industrielle. Car elle changerait les lois mASmes de l'économie. L'information et l'immatériel seraient la noulle source de richesse de cette économie numérique. Comme l'affirme Manuel Castells, -l'ère informationnelle repose sur la technologie de la production de savoir, et () la principale source de productivité, c'est le savoir- (2). Mais la thèse du New Age n'est pas partagée par tous. Certains économistes, tenants de la thèse -traditionnelle-, avancent des interprétations plus conjoncturelles pour expliquer la dynamique de la croissance américaine. Tout d'abord, on a fait remarquer que cette phase de croissance n'est, quant A elle, pas si exceptionnelle. Le cycle actuel est able A celui des années 60 aux Etats-Unis - marquées par une croissance forte, une faible inflation et peu de chômage (3).
» Les noulles technologies ne seraient que pour une faible part dans la dynamique actuelle. Selon les calculs les plus optimistes, leur part est évaluée au mieux A un tiers de la croissance des grands pays industriels (4).
» De plus, contrairement A ce que déclarent les tenants de la new economy, la
productivité du travail semble avoir peu augmenté sous l'effet des noulles technologies. C'est le fameux paradoxe de Solow : tout se passe comme si des millions d'ordinateurs installés dans les bureaux n'avaient pratiquement pas augmenté la performance des entreprises (voir l'encadré e suivante) !
» Dernier argument : la miraculeuse absence d'inflation - habituellement, l'inflation grimpe ac la croissance de l'économie et la baisse du chômage -pourrait s'expliquer par bien des raisons, qui n'ont rien A voir ac la magie de la noulle économie (5). Tout d'abord, le coût du travail a faiblement augmenté depuis dix ans, du fait de la faiblesse des rendications salariales, de la réduction des coûts non salariaux (assurances maladies) et du déloppe ment des stock-options (largement distribuées aux Etats-Unis et qui se substituent en partie aux augmentations de salaire). La concurrence exacerbée entre les entreprises et l'essor des chaines de hard discount contribuent aussi A freiner
les prix. Enfin, la politique monctaire anti-inflationniste menée par la Fed (Banque fédérale) ou la baisse du prix des matières premières sont autant de facteurs conjoncturels favorables A la croissance et A l'absence d'inflation.
Des mutations combinées
Alors, New Age de l'économie ou cycle de croissance traditionnel ? La difficulté A penser le phénomène tient au fait que plusieurs transformations - technologiques, managériales, économiques, sociales - se sont combinées durant les années 90 aux Etats-Unis. Tout d'abord, mASme si les NTIC n'ont eu qu'un faible impact sur la productivite, cela ne ut pas dire qu'elles n'ont pas eu un fort impact sur le dynamisme économique dans son ensemble. En matière de technologie, il faut toujours distinguer les innovations qui portent sur les processus de production et les innovations de produits. L'ordinateur ou Internet sont A la fois tant des outils de production, des produits de
consommation que des moyens de communication. A ce titre, ils agissent A plusieurs niaux.
U y a les branches directement productrices de NTIC (téléphonie, informatique et électronique, services informatiques). Elles représentent 10% de l'économie américaine (6). Il y a les branches qui intègrent les NTIC dans leurs dispositifs de production : tous les secteurs sont touchés, de la banque A l'agriculture (40% des salariés travaillent en France ac un ordinateur, 46 % aux Etats-Unis). Il y a ensuite les branches qui intègrent des NTIC dans leurs produits (électroménager, automobile, aéronautique, banques). Il y a les secteurs où se déloppe le commerce électronique (de la nte de voyages A la pornographie). Enfin, n'oublions pas aussi que les NTIC ne se réduisent pas A l'ordinateur et Internet : ce sont aussi les jeux vidéo, le téléphone mobile, les CD-Roms et les DVD, la télévision par cable et par satellite. Reste que les spécialistes ont du mal A mesurer l'impact global de ces NTIC sur la croissance et l'emploi (7). Accomnant cette - troisième révolution industrielle- des NTIC, le
capitalisme américain a connu par ailleurs d'autres transformations noles. En matière managériale : la corporate gor-nance
marque la prise du pouvoir par les actionnaires au détriment des managers, ac les vagues de fusion-acquisition d'entreprises et le phénomène des start-up. Puis il y a la
globalisation financière (qui a drainé beaucoup de capitaux rs les entrepreneurs), la conquASte des
marchés émergents (en Asie et Amérique latine). Autant de faaeurs qui ont remué l'économie américaine et impulsé des mutations profondes. Tout cela s'inscrit sur un fond sociologique, particulier A l'Amérique, qui favorise l'innovation. Le dynamisme entrepreneurial progresse de faA§on continue (530000 créations d'entreprises en 1980, 800000 en 1997) favorisé par un dispositif d'aide A l'innovation : du capital-risque sous toutes ses formes (partnerships, small
business instment companies, business angels) au rôle de la recherche-déloppement (2,6 % du PIB aux Etats-Unis (8), un budget assuré A 70 % par la recherche privée), en passant par les relations étroites entre unirsités et entreprises. Technologies, management, structures économiques, conjoncture les facteurs sont nombreux qui permettent d'expliquer la croissance actuelle aux Etats-Unis. Une chose est sûre : que l'on croit aux rtus de la noulle économie ou que l'on souligne la complexité des processus, il est clair que depuis 1990, le capitalisme est entré dans une noulle période.