Construire l'Europe, pour la majorité des citoyens, c'est d'abord et avant tout transférer un certain nombre de responsabilités à « Bruxelles », appellation sount utilisée pour souligner l'éloi-gnement, voire le caractère étranger, des détenteurs de ce nouau pouvoir.
Plusieurs éléments de cette construction jouissent d'une certaine notoriété. On connait généralement la Commission européenne — ne fût-ce que parce que son aspect technocratique est sount dénoncé — ou le Parlement de Strasbourg, puisque des élections ont lieu tous les cinq ans, même si elles n'ont pas eu l'effet mobilisateur escompté. Rares sont en revanche ceux qui ont une idée précise du rôle important de
la Cour de justice des communautés européennes dans le fonctionnement de l'Europe, et plus encore ceux qui sant que la machine institutionnelle bruxelloise est irriguée chaque jour par des dizaines de réunions de représentants nationaux — ministres, diplomates, experts et fonctionnaires — qui sont les yeux et la voix de leur pays dans la capitale de l'Europe. Or, ce savant équilibre entre les Etats-membres et les institutions communautaires est une des caractéristiques les plus originales du système de gournance européen, qui se différencie à la fois des organisations internationales classiques et des systèmes fédéraux.
Comprendre cet équilibre est indispensable pour saisir le sens historique de la
construction européenne, qui a été conçue comme une innovation dans les rapports interétatiques, et pour évaluer le degré d'intégration auquel l'Europe est parnue. De surcroit, comme tout système où coexistent différents niaux de pouvoir, l'Europe a de tout temps été le théatre de pressions contradictoires — centralisatrices et décentralisatrices. Le point d'équilibre a changé en fonction des époques. L'analyse de ce système original est essentielle pour situer la
crise actuelle dans l'évolution de la construction européenne.
1. UN MODÈLE ORIGINAL
Depuis les temps lointains du lancement de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l'acier), l'intégration européenne est associée à une méthode de travail, la « méthode communautaire ». En dépit de cinquante ans de débats sur la façon de construire l'Europe, celle-ci reste mal comprise, même parmi ses défenseurs les plus zélés - y compris au sein de la Commission européenne —, tant son originalité est grande. Elle n'en est pas moins évoquée dès le premier article du projet de constitution1. La déclaration Schuman du 9 mai 1950 en énonce certains traits essentiels ; d'autres ont émergé des interactions quotidiennnes entre les principaux acteurs de la construction européenne. Dans le Livre blanc sur la gournance européenne qu'elle a présenté en juillet 2000, la Commission la décrivait de la façon suivante :
La méthode communautaire garantit à la fois la dirsité et l'
efficacité de l'Union. Elle assure le traitement équile de tous les Etats-membres, des plus grands aux plus petits. Elle fournit un moyen d'arbitrer entre dirs intérêts au trars de deux filtres successifs : le filtre de l'intérêt général, au niau de la Commission ; le filtre de la représentation démocratique, européenne et nationale, au niau du Conseil et du Parlement, qui constituent ensemble le pouvoir législatif de l'Union.
— La Commission européenne est la seule à formuler des propositions législatis et politiques. Son indépendance renforce sa capacité d'exécuter les politiques, d'être la gardienne du traité et de représenter la Communauté dans les négociations internationales.
— Les actes législatifs et budgétaires sont adoptés par le Conseil des ministres (représentant les Etats-membres) et le Parlement européen (représentant les citoyens). L'emploi du vote à la majorité qualifiée au Conseil est un élément essentiel de cette méthode. L'exécution des politiques est confiée à la Commission et aux autorités nationales.
— La cour de Justice des communautés européennes garantit le respect de l'Etat de droit2.
Cette définition met à juste titre l'accent sur le rôle essentiel que jouent dans ce cadre deux institutions « supranationales », la Commission européenne et la cour de Justice. Qu'il s'agisse d'organes non élus n'a rien d'étonnant si l'on tient compte du fait qu'ils ont été créés par les États pour régler des rapports entre Etats : à l'époque, le problème de leur légitimation démocratique ne se posait pas ac la même acuité qu'aujourd'hui. À juste titre, la Commission souligne que la méthode communautaire s'appuie également sur la possibilité, pour le Conseil, de prendre des décisions à la majorité. La précision est importante, car elle met en évidence un aspect essentiel du système politique mis en place par les traités européens, à savoir le fait que les Etats — et plus précisément leurs gournements — y tiennent une place centrale, ce qui distingue, par exemple, l'Union européenne d'un modèle fédéral, où les liens entre les composantes et le pouvoir central sont plus ténus.
Pris dans leur ensemble, ces éléments soulignent l'originalité de la construction européenne par rapport aux schémas traditionnels de la coopération internationale. La différence tient moins à l'ampleur des compétences transférées aux institutions européennes - celles du Conseil de l'Europe sont aussi très étendues - qu'aux méthodes de
travail de ces dernières. Non seulement la Commission européenne joue un rôle central dans l'élaboration des politiques communautaires, mais la combinaison du vote à la majorité et de décisions à caractère contraignant est extrêmement rare. On vote bien à l'assemblée générale des Nations unies, mais sur des résolutions, textes « à caractère politique » - bel euphémisme qui revient à dire que les Etats ne sont pas tenus de les appliquer. Lorsque des décisions contraignantes doint être adoptées, l'unanimité ou tout au moins un consensus sont de mise dans la plupart des enceintes internationales, chaque Etat gardant en outre le droit de ne pas ratifier les décisions élaborées de la sorte. En revanche, accepter la possibilité d'être contraint d'exécuter des décisions auxquelles on s'est opposé, comme l'ont fait les Etats-membres en adhérant à l'Union européenne, équivaut bel et bien à un transfert de souraineté, fût-il partiel ou temporaire.
Les grandes fresques historiques sur l'histoire de la construction soulignent à juste titre le rôle essentiel qu'y ont joué les États. D'où la question : pourquoi les gournements des pays en question ont-ils voulu, pourquoi les parlements - ou le peuple, lorsqu'il a été consulté -, ont-ils accepté un système aussi contraignant ?
2. À QUI SERT LA MÉTHODE COMMUNAUTAIRE ?
Dans le système institutionnel de la Communauté
économique européenne, mis en place par le traité de Rome, la Commission joue un rôle sans commune mesure ac celui qui incombe traditionnellement au secrétariat des organisations internationales. Organe d'impulsion, elle doit par ses propositions amener les autres institutions à réaliser les objectifs définis par les traités. Pour ce faire, elle dispose d'instruments considérables. Elle détient tout d'abord un monopole presque complet de l'initiati législati, puisque la plupart des décisions prises dans ce cadre requièrent une proposition de sa part, qu'elle peut modifier tout au long de la procédure ultérieure. À la différence de ce qui se passe dans la plupart des démocraties nationales, le Parlement européen et le Conseil des ministres, où siègent des représentants des Etats-membres, ne peunt en principe prendre aucune initiati à ce niau. S'ils estiment un texte européen nécessaire, ils doint demander à la Commission de déposer une proposition en bonne et due forme. De plus, ces propositions ne peunt être modifiées qu'ac l'accord unanime des Etats-membres, ce qui confère à la Commission un pouvoir essentiel. En modifiant ses propositions, elle peut favoriser la formation d'une majorité au sein du Conseil ou du Parlement. Bref, en fait sinon en droit, la Commission constitue la troisième branche du pouvoir législatif, aux côtés du Parlement et du Conseil. Enfin, gardienne des traités, elle doit assurer le respect par les Etats-membres des obligations qui leur incombent. Elle dispose de pouvoirs quasi judiciaires dans le cadre de la politique de concurrence, ainsi qu'un rôle de procureur dans les affaires qu'elle choisit de porter devant la cour de Justice.
Le pouvoir « supranational » ainsi créé est sount opposé aux structures plus familières que sont l'État fédéral ou la confédération. Dès 1953, Robert Schuman écrivait que « le supranational se situe à égale distance entre, d'une part, l'individualisme international, qui considère comme intangible la souraineté nationale et n'accepte comme limitations de la souraineté que des obligations contractuelles, occasionnelles et révocables ; d'autre part, le fédéralisme d'Etats qui se subordonnent à un super-État doté d'une souraineté territoriale propre. L'institution supranationale, telle que notre Communauté, [] ne possède pas les caractéristiques d'un Etat ; mais elle détient et exerce certains pouvoirs sourains4. »
Comment expliquer que l'on ait choisi de confier à un organe non élu des pouvoirs d'une ampleur sans équivalent, au national comme au international ? La question mérite d'autant plus d'être posée que les pouvoirs en question ne doint rien à une interprétation audacieuse des traités : ils étaient bel et bien prévus dans les textes qu'ont signés les ministres des Affaires étrangères.
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette décision n'a pas nécessairement été le fruit d'un parti pris idéologique. Bien que la déclaration Schuman présente la mise en place de la CECA comme « la première étape de la Fédération européenne », les signataires des traités européens étaient loin d'être tous acquis à la cause fédéraliste. Mais même dans l'optique de gournements jaloux de leurs prérogatis, la voie communautaire offrait de nombreux avantages5.
Le traité de Rome se contente en effet de définir en termes généraux les objectifs à atteindre, ainsi que les institutions et les procédures mises en place pour y parnir. Or, le fait de pouvoir disposer d'experts chargés de suivre de façon quotidienne l'évolution technique et
juridique peut contribuer à faciliter la prise de décision dans des domaines techniquement complexes. Par ailleurs, confier à un organe neutre un pouvoir d'initiati lui permet de rechercher une synthèse entre les différents intérêts nationaux et sectoriels en présence, ce qui est de nature à faciliter l'émergence d'un compromis. Last but not least, cette centralisation évite que le programme législatif ne soit simplement dicté par les rapports de puissance entre les Etats-membres ou par des contingences électorales. Ce point a fait l'objet d'apres discussions lors des négociations de Val Duchesse, au cours desquelles a été élaboré le traité de Rome 6. Craignant de se voir mis en minorité de façon systématique en raison du poids des « grands » au Conseil, les pays les moins peuplés ont insisté pour que toute procédure législati commence par une proposition de la Commission. Imposer l'unanimité pour toute modification de ses propositions interdisait en outre à une majorité de faire prévaloir ses intérêts particuliers sur ceux de la minorité. Ce passage obligé par la Commission, vérile « réducteur de méfiance entre les Etats7 », selon l'heureuse expression de Pascal Lamy, a été le sésame qui a rendu possible le recours à la majorité pour l'adoption de décisions contraignantes, sans lequel la construction européenne n'eût pas été possible.
Sur le front de la mise en œuvre, confier des missions de surillance à une institution que son caractère plurinational protège contre des pressions politiques trop directes contribuait à asseoir la crédibilité du système, en rendant plus vraisemblable le respect par chacun des décisions communes 8. Le cas de la politique de
concurrence est symptoma-tique à cet égard. Contrairement à la règle retenue pour les autres politiques européennes, dont la mise en œuvre incombe à des organes nationaux, c'est en effet à la Commission que l'on a confié le soin d'appliquer les principes généraux définis dans ce domaine par le traité de Rome. Ce choix s'explique aisément : l'alternati n'aurait pas seulement menacé l'uniformité des conditions de concurrence au sein de la Communauté - chaque Etat interprétant les règles à sa façon -, elle aurait surtout été beaucoup moins crédible, eu égard à la tradition d'interntionnisme économique de certains gournements, voire à l'absence totale de règles de concurrence dans certains pays.
Ce manque de crédibilité n'eût pas manqué d'engendrer des réflexes de défiance mutuelle. Pourquoi le Bundeskartellamt aurait-il dû pénaliser les entreprises allemandes en faisant preu de zèle dans l'application des règles européennes, si les mêmes règles faisaient l'objet d'une application plus laxiste dans d'autres pays ? Pour prendre un exemple plus actuel, la
décentralisation de la surillance du secteur bancaire est source de problèmes lorsque les régulateurs peunt être soupçonnés de favoriser systématiquement les intérêts des entreprises nationales. Les multiples signes de collusion entre la Banque d'Italie et les
banques privées italiennes qui ont été relevés au cours de l'été 2005 ne sont pas de nature à encourager les autres régulateurs nationaux à faire preu de plus d'ourture. En d'autres termes, dans un système international
marqué par l'absence de confiance mutuelle entre les Etats, la centralisation de la fonction de surillance a l'avantage de rendre plus crédibles les engagements pris au niau communautaire, ce qui a facilité le déloppement d'une logique de coopération entre les pays membres. Le choix de déléguer des pouvoirs décisionnels autonomes à la Banque centrale européenne peut s'expliquer de la même façon : craignant que la monnaie commune ne soit affaiblie par les pressions de pays qui avaient montré par le passé une nette tendance à l'inflation, l'Allemagne a exigé de ses partenaires un statut qui garantisse une indépendance absolue à la BCE, tout en conférant à cette dernière une mission principale, la lutte contre l'inflation.
Le recours au vote, autre forme de renonciation à la souraineté, tient à des considérations d'un autre ordre. Dans un système où les traités se contentent sount de définir de façon générale les objectifs à atteindre, les institutions sont appelées à prendre un grand nombre de décisions communes. Dans ce cadre, l'unanimité est pénalisante, puisqu'elle donne à chacun un droit de to. En revanche, la décision à la majorité facilite la prise de décision même lorsque l'on ne vote pas ! Les études qui ont été conduites sur ce point montrent que les votes effectifs sont beaucoup plus rares que ne le permettrait le traité, mais la simple possibilité d'une décision à la majorité incite les différents acteurs à la recherche d'un compromis9.
Participer à un club n'a de sens que s'il fonctionne. Accepter un minimum de décisions à la majorité a permis au club européen de prendre un nombre considérable de décisions, dans une gamme étendue de domaines. Certes, cette efficacité décisionnelle a un prix, puisqu'elle implique la possibilité pour un gournement de se voir mis en minorité par ses pairs. Mais pour peu que cela ne se reproduise pas trop sount, ce coût peut être compensé par les avantages que l'on retire des décisions prises dans d'autres domaines. Plusieurs garanties ont d'ailleurs été mises en place pour apprivoiser les États les plus défiants. Ainsi, même de nos jours, l'unanimité reste requise dans les domaines sensibles : on se rappellera les fameuses « lignes rouges » tracées par le gournement britannique, à Nice et à la conntion, afin d'éviter de se voir imposer un jour des choix qu'il estimerait inacceples en matière fiscale ou en matière sociale. Même lorsqu'un vote est permis, on a longtemps invoqué un accord informel — le fameux « compromis de Luxembourg10 » — pour permettre malgré tout un to à un Etat qui estimerait ses intérêts essentiels menacés. Enfin, le vote n'a jusqu'à présent été utilisé qu'ac une grande modération, pour passer outre aux objections d'un ou deux gournements isolés, et les perdants n'ont pas toujours été les mêmes, ce qui permet à chacun de dresser de la règle un bilan globalement positif.
Que retenir de ce survol rapide de la méthode communautaire ? Deux éléments qui vont à rencontre d'autant d'idées reçues. D'abord, la méthode en question ne doit pas être vue comme le fruit d'un parti pris fédéraliste plus ou moins bien déguisé : elle doit beaucoup aux calculs utilitaires de gournements conscients de ce que, dans le contexte d'interdépendance dans lequel ils opèrent, il leur est nécessaire de définir des règles qui leur permettent de prendre ensemble un grand nombre de décisions, en réduisant le risque que celles-ci ne soient défavorables à leurs intérêts. Ensuite, les petits Etats ne sont pas les seuls à avoir besoin de la méthode communautaire. Celle-ci doit avant tout son existence à une
donnée de base des relations internationales : les Etats - petits et grands - n'ont ni une confiance innée en leurs partenaires, ni une tendance spontanée à la coopération ; ils ne s'engagent sount dans cette voie que sous l'emprise de la nécessité - d'où la nécessité d'institutions qui facilitent les conrgences de vues et assurent la bonne application des décisions communes.
Cet élément structurel est essentiel pour comprendre les contours institutionnels de l'intégration. Sount, en effet, ceux-ci sont analysés sous l'angle d'une tension entre deux institutions incarnant deux types d'intérêts distincts : intérêt communautaire pour la Commission, intérêts nationaux pour le Conseil11. Sans nier cet aspect, il est tout aussi important de souligner le principe commun qui sous-tend l'ensemble de l'édifice : la nécessité d'assurer une coopération efficace entre les pays membres de l'Union. Dans cette optique, même l'existence d'un organe autonome comme la Commission européenne doit être vue comme la réponse à un besoin des États. Encore faut-il pour cela qu'elle soit organisée en conséquence.
3. Commission : les conditions de la confiance
À l'évidence, pour que la Commission puisse remplir ce rôle d'agent de confiance des Etats-membres, il ne suffit pas que le traité l'exhorte à la rtu en lui commandant d'agir « dans l'intérêt général de la Communauté ».
S'il est difficile de définir l'intérêt général, tant au théorique qu'au pratique, on voit bien qu'il doit aller au-delà de
la satisfaction d'intérêts particuliers. Ainsi, une institution ne jouira de la confiance générale que si elle offre des garanties d'indépendance suffisantes pour éviter tout risque de « capture » par des intérêts sectoriels ou nationaux. Telle est en l'occurrence l'origine des dispositions du traité qui régissent la composition et le fonctionnement de la Commission.
À l'heure actuelle, chaque pays conser la possibilité de désigner un commissaire européen. Bien qu'une remise en cause de ce principe ait été envisagée pour éviter une commission pléthorique à l'issue du processus d'élargissement, les petits Etats s'y sont farouchement opposés, soulignant l'importance qu'ils attachaient à leur « représentation » au sein de la Commission. Ils n'ont cédé qu'en échange d'un principe de « rotation égalitaire », destiné à préserr leur égalité formelle ac les « grands12 ». Le poids des gournements reste déterminant dans le choix des membres de l'exécutif, même si l'on a assisté au cours des dix dernières années à l'émergence du Parlement, qui doit approur la nomination de la Commission « en tant que collège » avant son entrée en fonctions. Comme la couleur politique des majorités au pouvoir au niau national n'est jamais identique dans tous les pays membres de l'Union, il en résulte inévilement une Commission multipartisane, dans laquelle les principales familles politiques européennes sont représentées. La commission Barroso compte ainsi des commissaires issus du PPE (centre-droit), des commissaires socialistes, et des libéraux.
A l'origine simple primus inler pares, le président s'est vu confier par les traités d'Amsterdam et de Nice un pouvoir d'orientation politique, ainsi qu'une autorité accrue sur les commissaires, dont il peut désormais exiger la démission. Le président de la Commission est nommé par le Conseil européen, qui réunit les chefs d'Etat et de gournement des Etats-membres, et dont le choix doit être avalisé par le Parlement. Pour éviter la répétition de la situation que l'on a connue en 1994, quand la Grande-Bretagne a opposé son to à la candidature du Belge Jean-Luc Dehaene avancée par ses partenaires, le traité de Nice prévoit que cette désignation peut être effectuée à la majorité qualifiée. En pratique, toutefois, les difficiles négociations qui ont précédé la nomination de M. Barroso ont montré que l'on préférait s'en tenir à une décision consensuelle.
Deux règles de nature coutumière ont longtemps régi cette importante nomination. Premièrement, le président était tour à tour issu d'un « grand » et d'un « petit » Etat. En revanche, la durée des mandats a varié. L'Allemand Walter Hallstein tout comme le Français Jacques Delors ont été reconduits dans leurs fonctions pendant dix ans, ce qui tempère la règle d'alternance. Deuxièmement, l'appartenance politique du président obéit à un même principe d'alternance. On a connu des présidents socialistes (Roy Jenkins, Jacques Delors), des libéraux (Jean Rey, Gaston Thorn), des démocrates-chrétiens (Walter Hallstein, Jacques Santer, Romano Prodi) et même un gaulliste (François-Xavier Ortoli). Ces deux règles répondent à la même logique : éviter toute apparence de mainmise d'un État ou d'un parti sur l'exécutif commun. Elles sont aujourd'hui remises en cause. En effet, depuis le traité de Maastricht, le Parlement européen s'affirme progressiment dans la procédure de désignation du président de la Commission. Aujourd'hui, il vote l'institure, et pourrait donc la refuser au candidat désigné par le Conseil européen, comme n'a pas manqué de le reler le groupe politique le plus important au sein de la présente législature, celui du Parti populaire européen, pour faire obstacle à la candidature du libéral belge Guy Verhofstadt au lendemain des élections européennes de 2004.
Une fois nommés, les commissaires sont censés agir dans l'intérêt général de l'Union, sans s'arrêter aux préférences de leur Etat d'origine (lesquels se voient expressément interdire par le traité de leur adresser des instructions). Certes, il s'agit là pour partie d'un vœu pieux : les responsables politiques que sont les commissaires ne peunt entièrement ignorer les vues de « leur » gournement s'ils entendent être renoulés (ce que le traité n'interdit pas) ou simplement poursuivre une carrière politique. Une partie appréciable des activités de leurs cabinets consiste donc à suivre les dossiers gérés par leurs collègues, surtout lorsque ceux-ci ont à traiter de questions sensibles pour le pays dont ils proviennent13.
Néanmoins, deux règles fondamentales tendent à atténuer l'emprise des gournements sur la Commission. La première est le principe de collégialité. En dépit de la répartition des portefeuilles entre les membres de la Commission, ceux-ci sont en principe dépourvus du moindre pouvoir de décision autonome. Toutes les décisions sont adoptées au nom du collège, soit à l'issue d'un débat, soit à la suite d'une procédure écrite. De la sorte, à supposer même qu'un commissaire se comporte en simple agent de son gournement, le droit de regard que peunt exercer ses collègues sur ses activités, ainsi que le caractère à la fois plurinational et multi-partisan de la Commission, rendent extrêmement difficile la « capture » de l'exécutif par des intérêts spécifiques. La seconde règle est énoncée à l'article 219 du traité, qui prévoit que les décisions de la Commission sont prises à la majorité de ses membres. En pratique, toutefois, l'éthique de l'institution attache une importance considérable à la recherche d'un consensus ; à ce niau aussi, le vote est une arme de dernier ressort, destinée à éviter les blocages, plutôt qu'un instrument de pouvoir d'un groupe sur un autre. Cette règle, imposée par des considérations d'efficacité, encourage les commissaires à ne pas se comporter en simples représentants de leur pays, s'ils ne ulent pas compromettre leur influence au sein du collège. Jean Monnet, qui ne fut pas seulement un des principaux architectes du système, mais aussi le premier président de la « haute autorité » de la CECA, ancêtre de la Commission, soulignait que toute discussion au sein de cette dernière se déroulait en deux temps : au cours du premier, chacun exposait la manière dont le problème était perçu dans son pays ; lors du second, le collège s'efforçait de parnir à une position commune.
Ac le vote à la majorité qualifiée et le rôle moteur joué à de nombreuses reprises par la cour de Justice, l'organisation et le rôle de la Commission représentent les traits les plus originaux du système politique européen, puisqu'ils permettent à des organes supranationaux d'y jouer un rôle de premier , contrairement à ce qui advient dans la plupart des organisations internationales. Mais il est essentiel de comprendre que les règles du jeu européen sont tout aussi éloignées des systèmes politiques nationaux, marqués par une lutte pour le pouvoir entre des partis politiques de différentes obédiences, entre majorité et opposition. Ici, le thème dominant du processus politique est l'opposition entre Parlement, Conseil et Commission, et entre les intérêts qu'ils défendent14.
Ce système novateur a permis à l'intégration européenne de connaitre un dynamisme sans équivalent sur la scène internationale. Conçue au départ pour intégrer quelques secteurs clefs de l'économie, la Communauté puis l'Union européenne ont été graduellement amenées à prendre en charge des pans entiers de la régulation sociale — environnement, protection des consommateurs,
santé publique. Bien sûr, le processus n'a rien eu de linéaire : les périodes de dynamisme ont alterné ac les phases d'incertitude, voire de reflux. Les phases de dynamisme ont sount été marquées par la place centrale qu'y tenait la Commission. Son rôle a varié selon les périodes et les domaines : entrepreneur politique au moment du lancement du programme
marché intérieur, où elle est parnue a dicter un programme d'activité législati qui couvrait la durée du mandat de deux commissions successis, elle a aussi assuré le pilotage de phases délicates, comme lors de la transition rs la monnaie unique16. Dans la plupart des cas de ure, cependant, la règle d'or était la même : la force de la Commission tenait moins aux décisions qu'elle était amenée à prendre de façon autonome qu'à sa capacité d'influencer les gournements nationaux. Il est vrai qu'elle dispose pour ce faire d'atouts indéniables. Son caractère plurinational et sa
connaissance de la gamme des activités communautaires lui offrent un
avantage concurrentiel par rapport aux autres acteurs du système communautaire : elle peut ainsi suggérer des synthèses entre besoins et ressources, ainsi que des compromis entre les préférences des différents États-membres. Ac toutefois une limite de taille : dépourvue de l'imperiutn qui lui permettrait d'imposer ses vues, elle doit pour asseoir son influence convaincre les gournements nationaux de collaborer, et leur suggérer des manières concrètes de le faire. On rappellera à ce propos une autre formule de Monnet, selon laquelle la mission première de la haute autorité n'était « pas de faire, mais de faire faire ». Cette magistrature d'influence requiert un cocktail de vision politique, d'expertise technique et de pragmatisme institutionnel, le tout pimenté d'une forte dose de modestie — cocktail assurément éloigné du
leadership charismatique auquel beaucoup associent la fonction gournementale.