L'existence d'une monnaie nationale autonome, échangée contre les autres monnaies sur le
marché des changes, a deux implications majeures, qui disparaissent dans le cas d'une union monétaire : l'existence d'une balance des paiements et la possibilité d'une dévaluation de la monnaie. Quelles sont les conséquences de la suppression des frontières monétaires ? Que deviennent les déséquilibres extérieurs ? Par quoi remplacer les dévaluations ?
La disparition de la dévaluation
La dévaluation a, en France en particulier, mauvaise presse, depuis le début des années 1980 : l'expérience historique et les analyses économiques ont, A maintes reprises, souligné les effets perrs des dévaluations, d'autant puis forts que les demandes de biens (domestiques et étrangers) sont peu sensibles A la variation de prix et que la hausse
des prix des biens importés se répercute sur l'inflation, dans un - cercle vicieux -. Ce discrédit de la dévaluation légitime, non seulement la politique de monnaie forte, mais aussi l'adhésion A une union monétaire dans laquelle les dévaluations sont rendues impossibles. On aurait tort toutefois d'enterrer un peu vite les politiques de change et d'oublier l'intérASt du recours A la dévaluation dans certaines circonstances, dévaluation défensi qui vise A rélir une compétitivité dégradée par une hausse des prix ou dévaluation offensi, de conquASte des marchés. Un retour en arrière dans la période des Trente "Glorieuses montre que la dévaluation a constitué, pour de nombreux pays, un rouage d'une régulation des rapports salariaux : des rapports sociaux plus ou moins conflictuels débouchent sur des hausses de salaires, d'autant mieux acceptées par les chefs d'entreprise qu'ils peunt les répercuter sur
les prix et qu'ils s'attendent A une dévaluation compensatrice, préservant la compétitivité-prix des produits. La souraineté monétaire coïncide alors ac l'espace national, ce qui autorise une forme de régulation particulière : un pays, qui enregistre une hausse de
salaires plus élevée que ses partenaires, peut compenser la perte de compétitivité-prix par un ajustement de change. Une
crise aiguA« des relations sociales, comme celle qui a débouché sur les accords de Grenelle en France en 1968, ne peut trour d'issue dans la hausse des salaires que si un ajustement du taux de change est ultérieurement possible.
La monnaie unique, en supprimant les possibilités de dévaluation, interdit radicalement toute poussée inflationniste isolée et donc tout dérae salarial dans un seul pays. Il est vrai que les temps ont changé : le
chômage ilQuffe les tensions salariales, la dimension prix de la compétitivité régresse au profit de la dimension qualité, mais il ne faut pas sous-estimer les effets de la disparition du recours possible A la dévaluation. L'euro déconnecte l'espace de la formation des renus - qui reste national - et l'espace de la souraineté monétaire - qui devient européen : chaque pays doit mieux maitriser la formation des prix, et donc les salaires.
Union monétaire et chocs asymétriques
Une grande partie de l'analyse
économique de l'union monétaire s'est, au cours des dernières années, focalisée sur le problème dit des - chocs asymétriques -, des chocs localisés affectant un pays ou un groupe de pays (Erkel-Rousse, 1997). Si les chocs symétriques peunt faire l'objet d'un traitement collectif - une
politique monétaire de relance en particulier - en revanche, les chocs qui touchent inégalement les différents pays doint faire l'objet d'un traitement particulier.
Supposons un pays qui a un déficit des opérations courantes ; quatre caractéristiques sont, en principe, associées A cette situation : a) le déséquilibre provient d'une insuffisante compétitivité ; b) ce déséquilibre s'accomne nécessairement d'une entrée de capitaux ; c) ce déséquilibre extérieur est générateur de
chômage puisqu'une partie de la demande interne est orientée rs la production externe ; d) le pays essaie de remédier A cette insuffisance de compétitivité par une variation du taux de change, par une dévaluation.
Un pays non inclus dans une union monétaire et confronté A un choc asymétrique qui affecte la demande globale, la production, les exportations, peut donc jouer sur la politique monétaire (baisse des taux d'intérASt) et sur le taux de change : il tente de remédier A l'insuffisance de compétitivité par une variation du taux de change, par une dévaluation ou une dépréciation. En union monétaire, ces deux outils sont neutralisés. Or, il parait assez probable que l'union économique et monétaire, qui fait progresser les échanges A l'intérieur de l'Union, accroit la spécialisation de chaque région ou pays et augmente la probabilité d'un choc asymétrique. Comment donc résoudre les chocs asymétriques ?
L'analyse des unions monétaires A partir de la -
zone monétaire optimale - de Mundell (voir annexe III) montre que cinq types de mécanismes sont en jeu : la mobilité des travailleurs, la flexibilité des salaires et des prix, une relance budgétaire nationale, des transferts budgétaires intra-européens et de noulles formes de politique des renus.
a) On ne peut attendre de la mobilité des facteurs de production et tout particulièrement du
travail qu'elle joue dans l'Union européenne le mASme rôle qu'aux états-Unis où elle permet, par le déplacement de la main-d'œuvre des zones de fort chômage et de bas salaires rs les zones en expansion, de réduire et d'égaliser les taux de chômage (Mantel, 1993).
b) La flexibilité des salaires et des prix peut, en théorie, constituer une alternati aux modifications de taux de change : les pays touchés par une baisse de la demande et par une baisse des expor-tations enregistrent, de faA§on spontanée, ou sous l'incitation des pouvoirs publics (par le biais d'une forme de politique des renus), une baisse relati des "coûts salariaux et des prix de nature A relancer l'activité. Ainsi, selon le rapport - Marché unique, monnaie unique - : - La flexibilité salariale pourrait prendre la place de l'instrument des taux de change nominaux et jouer le rôle d'amortisseur traditionnellement dévolu A ceux-ci '. - On imagine que la flexibilité des prix et des coûts, nécessairement réduite du fait de rigidités institutionnelles et sociales, risquerait de ne pas AStre suffisante pour rélir l'équilibre.
c) Une relance nationale, qui prendrait la forme d'une injection de renu par le biais des dépenses publiques, ou d'une réduction d'impôts ou de charges sociales, qui aurait des effets analogues A ceux d'une dévaluation, est, certes possible, mais limitée par les normes pesant sur les déficits budgétaires (voir supra).
d) Un moyen, théoriquement efficace, mais délicat A mettre en œuvre, pour lutter contre des chocs asymétriques, consiste A créer, sur le modèle américain, un système budgétaire de mutualisation des conjonctures, dans lequel les Etats les plus prospères subissent des prélèments au profit des états en récession. Les zones subissant des difficultés gras bénéficient de transferts de fonds en pronance des régions, ce qui a pour effet de soutenir la demande et d'atténuer la crise (Eichengreen, 1990; Cohen, 1990; Banson, 1990; Muet, 1995b). Bien évidemment, ce mécanisme éminemment conjoncturel, et donc différent, par nature des fonds structurels, suppose aussi une forme de solidarité politique très forte. Si certains en déduisent la nécessité d'une forme de fédéralisme budgétaire et donc politique (Muet, 1995b), il parait plus probable que des formules de mutualisation sont, d'un point de vue politique, plus faciles A mettre au point. En tout état de cause, la cohérence et la solidité A nir de l'union monétaire dépendent de la capacité des gournements A mettre sur pied des mécanismes de solidarité budgétaire de nature A éviter des récessions isolées qui constitueraient une forme d'affaiblissement général.
e) Surtout, dans une union économique ac monnaie unique, les mécanismes de formation des renus et des prix revAStent un caractère stratégique (Boyer, 1993 Faugère, 1994b). Toutefois,"bien que les marchés de produits et de capitaux soient unifiés, il est fort probable que les modes de formation des salaires resteront pendant longtemps profondément nationaux : les progrès de l'Europe sociale, par la fixation de règles minimales communes et par l'européani-sation des formes de négociation, n'altèrent pas le caractère national de la fixation des renus par les acteurs sociaux. Cette
décentralisation de la fixation des salaires n'est nullement A déplorer : d'un point de vue économique, elle permet l'ajustement des renus en fonction de la
productivité ; d'un point de vue sociopolitique, elle exprime les identités nationales. Néanmoins, en l'absence d'ajustement de change dans une union monétaire, un dérae des salaires grèrait la compétitivité d'une région. Selon certains, dans le grand"marcné dont la transparence est accrue par la monnaie unique, les acteurs sociaux intériorisent les contraintes de compétitivité en adoptant des comportements qui ne remettent pas en cause les équilibres. On peut émettre des doutes sur cette régulation spontanée et se demander si l'union monétaire n'implique pas le retour A des - politiques de renus - : politiques plus incitatis qu'impé-ratis, plus contractuelles qu'unilatérales et qui visent A conjuguer une certaine forme d'équité et de paix sociale ac la compétitivité de l'appareil productif national. En effet, si des tensions sur les salaires et les prix se manifestent dans une économie particulière, ce qui peut AStre rendu plus probable par une réduction du chômage, entrainant une dégradation de la compétitivité, la régulation, par l'état, de la formation des renus peut pallier l'absence de politique de change.