À cette question, la théorie économique des zones monétaires optimales a tenté de répondre dans les années 60 afin de déterminer le périmètre politique et géographique le plus approprié à l'usage d'une monnaie
donnée : espaces monétaires pluri-nationaux, comme la zone franc ou la zone dollar, espaces monétaires fédéraux, espaces monétaires nationaux avec plus près de nous les débats suscités par l'union monétaire inter-allemande, voire espaces monétaires régionaux lorsque les disparités entre régions sont très importantes. Cette théorie offre un cadre pour analyser les modes de réaction des régions ou des États à une
crise locale mais elle ne présente pas de façon exhaustive l'ensemble des coûts et encore moins des avantages associés à une union économique et monétaire. Cette dernière approche a été développée par la direction des affaires économiques et financières de la Commission afin d'étayer les travaux du comité Delors sur la transition à la monnaie unique.
L'UEM est-elle une zone monétaire optimale (ZMO) ?
La théorie des ZMO passe en revue un certain nombre de critères économiques afin de délimiter l'extension géographique optimale d'un espace monétaire constitué autour d'une monnaie unique ou d'un système de parités fixes entre des signes monétaires différents. Cette « géographie monétaire » ne se fonde pas sur l'existant : bon nombre d'États-nations, dotés d'une monnaie unique, ne constitue pas une ZMO. Les économistes n'ont jamais préconisé, pour autant, d'organiser la sortie de l'union monétaire des régions ou des États d'une fédération les plus atypiques. La théorie des ZMO permet néanmoins, à partir de critères assez réducteurs, de cerner les facteurs susceptibles de fragiliser l'UEM et d'ensager les réponses de politique économique qui pourront y être apportées.
Le critère de mobilité du facteur travail
Mundell2 a fourni le premier, en 1961, un critère qui permet d'apprécier si une zone monétaire est optimale. Deux pays A et B for-ment une ZMO si, dans une situation où le pays A est affecté par une crise locale ou un choc spécifique, sa main d'oeuvre peut se déplacer vers le pays B plus dynamique. La mobilité du facteur
travail à l'intérieur de la zone se substitue à l'ajustement par le taux de change ou par les
salaires réels. A contrario, si la mobilité du travail est faible entre les deux pays, la formule des changes flexibles est plus avantageuse pour compenser les pertes de compétitité.
Le critère de Mundell amène à des unions monétaires très petites, proches des bassins d'emploi, dans la mesure où la mobilité du facteur travail est relativement faible. Les nations ne sont pas nécessairement des ZMO et encore moins l'UEM dont les fondements tiennent davantage à l'intégration des marchés des biens et des capitaux qu'à l'intégration des marchés du travail.
La pertinence de ce critère est contestée1. Mundell ne l'apprécie jamais au regard des avantages associés à une monnaie commune et des coûts inhérents aux changes flexibles. Il se donne implicitement pour cadre des économies caractérisées par une rigidité des salaires. L'ajustement qui ne s'opère pas au moyen de la flexibilité salariale s'effectue par les migrations de main d'ouvre ou, si elles s'avèrent insuffisantes, par du chômage. Cette hypothèse de rigidité des salaires est sans doute excessive et néglige les possibilités d'ajustement qui existent à ce niveau (voir Chapitre 6). Enfin, si une forte mobilité du travail permet parfois de corriger des pénuries locales ou nationales en main d'ouvre, sur certains types de qualification, des flux migratoires excessifs sont coûteux et créent de nouveaux déséquilibres au moins à trois niveaux :
- les politiques budgétaires nationales peuvent être, tout d'abord, fragilisées par l'érosion de leur base fiscale ;
- la mobilité du travail va, ensuite, dans le sens d'une plus grande spécialisation de chaque pays sur quelques actités industrielles (phénomène de polarisation) nocive en cas de crise sectorielle ;
- les déséquilibres régionaux sont, enfin, parfois renforcés par les sorties de zones en déclin au profit de zones déjà surencombrées, ce qui impose la mise en place de coûteuses politiques structurelles.
Le critère d'ouverture d'une économie
Mac Kinnon2 se fonde, en 1963, sur le critère d'ouverture d'une
économie pour apprécier les contours d'une ZMO. Une économie est ouverte si le rapport des biens échangeables au PIB est élevé. Plus les pays sont ouverts les uns sur les autres, plus ils ont intérêt à former une zone monétaire commune afin de ne pas être affectés par les perturbations imputables aux variations des taux de change. S'ils sont relativement fermés, ils peuvent opter pour les changes flexibles.
Pour les pays de l'Union européenne, la présomption d'optimalité apparait plus forte sur la base de ce critère. Les pays de l'Union sont relativement ouverts avec deux caractéristiques (voir Chapitre 1) :
- plus les pays sont petits, plus ils sont ouverts ;
- les flux commerciaux sont orientés vers le commerce intra-union au détriment des échanges avec le reste du monde.
Ce critère explique davantage l'adhésion aux changes fixes et à l'Union monétaire des «petits pays ouverts » que celle des pays plus importants. Avec des taux d'ouverture sur la seule Union européenne qui sont, en 1995, de 45,8 % pour le Bénélux, de 36,2 % pour les Pays-Bas, de 19,7 % pour l'Autriche et des échanges avec l'Allemagne qui sont prédominants, le rattachement au deutschemark deent une condition impérative pour se prémunir s-à-s des incertitudes du change et pour minimiser les coûts de transaction. Néanmoins, la portée explicative du critère introduit par Mac Kinnon ne va pas au-delà du cas des petites économies très ouvertes et dont la monnaie est peu utilisée au niveau international.
Le critère de diversification des structures industrielles
Kenen1 met en édence, en 1969, l'importance de la diversification de l'appareil de production : un pays relativement spécialisé a intérêt à opter pour la flexibilité des changes afin de compenser les crises qui pourraient affecter une branche industrielle dont il est très dépendant, tandis qu'un pays diversifié peut opter pour les changes fixes dans la mesure où une crise sectorielle n'affectera qu'une fraction de son économie. La mobilité intersectorielle du travail permettra l'ajustement.
Les grands pays de l'Union européenne ont un appareil industriel diversifié qui les protège d'un choc spécifique à un secteur et rend moins impératif l'existence de
moyens d'ajustement au sein de la zone euro. L'échange entre les pays européens est, en effet, un commerce intrabranche de variétés (voir Chapitre 2). Cette diversification des économies est leur meilleure assurance face à une crise sectorielle. L'intégration européenne aurait davantage favorisé la spécialisation économique des régions plutôt que des nations 2. Néanmoins, certains « petits pays », comme la Finlande, l'Irlande et le Luxembourg, dont la taille avoisine celle des « grandes régions » européennes, ont des structures de production très spécialisées : le bois et l'électronique pour la Finlande, l'agriculture et la haute technologie pour l'Irlande, la banque et la finance pour le Luxembourg. En outre, le commerce extérieur de l'Irlande est très dépendant du Royaume-Uni et celui de la Finlande de la Russie, deux pays qui n'appartiennent pas à la zone euro. La Finlande, l'Irlande et le Luxembourg seraient d'autant plus vulnérables à une crise sectorielle qu'ils sont liés par la
politique monétaire et la politique de change communes à l'ensemble de la zone euro et par les contraintes imposées par le pacte de stabilité et de croissance. Leur capacité à réagir de façon autonome s'en trouve considérablement atténuée (Encadré 1). Le critère de diversification des structures industrielles amène par conséquent à tempérer les conclusions tirées à partir du critère d'ouverture d'une économie : les « petits pays spécialisés » peuvent être fragilisés par des changes fixes ou l'intégration dans une union monétaire.
Le critère d'inflation
Haberler et Flemjng montrent, au début des années 1970, que si le diffrerentiel de taux d'inflation entre deux pays A et B est nul, ils constituent une ZMO. Le taux d'inflation est appréhendé comme un indicateur qui synthétise à la fois les différences de compétitité des par exemple, être mises en ouvre. La stabilité des changes permettra de garantir l'équilibre des contrats commerciaux entre les entreprises européennes. Le
marché unique pourrait de la sorte dégager le surcroit d'efficacité et de croissance escompté lors de son lancement.
. Un complément essentiel de l'intégration financière. L'avènement de la monnaie unique devrait lever les dernières barrières à l'intégration du marché financier européen. En raison de leur segmentation, les marchés financiers européens ne captent qu'une part réduite des flux d'investissements mondiaux, sans commune mesure avec la puissance économique et financière des pays européens. Les grands investisseurs américains et japonais hésitent à acquérir des emprunts et des valeurs mobilières en Europe car ils leurs reprochent leur « manque de liquidité » : ils craignent de ne pas pouvoir vendre à tout moment, dans de bonnes conditions de prix, d'importantes quantités de titres. Un marché unifié, plus large et plus liquide,- amènerait à un accroisse-rfïênt du volume des transactions sur les titres européens. Il permettrait en outre de financer plus aisément les déséquilibres des balances des transactions courantes et les emprunts publics dès le moment où les emprunteurs seront jugés ables. La contrainte extérieure n'existera plus en effet pour un pays qui intègre l'union monétaire. Il sera simplement soumis aux contraintes de
financement de sa dette publique et de maintien de sa compétitité réelle à l'égard de ses partenaires commerciaux. La balance des paiements est collective à l'ensemble de l'union monétaire (Encadré 2).
. Une souveraineté monétaire commune. L'adoption de la monnaie unique doit favoriser le passage d'un régime asymétrique à une plus grande collégialité dans les décisions prises en matière monétaire. C'est le seul moyen d'éter que l'Europe ne se transforme en une vaste zone mark. Elle permet aux autres pays que le
leader de retrouver une capacité à négocier le niveau des taux d'intérêt communs. La disparition des primes d'intérêt irait dans le sens d'une baisse des taux d'intérêt moyen dans la Communauté. Le risque qu'un pays conduise une politique monétaire non coopérative serait conjuré et permettrait la recherche d'une croissance optimale pour l'ensemble du bloc monétaire européen.
. L'émission d'une monnaie internationale qui favorisera l'émergence d'un système monétaire multipolaire. En raison du poids économique de l'ensemble européen, la monnaie unique va provoquer, selon le rapport Emerson, une redistribution des rôles entre les deses internationales. La monnaie européenne concurrencera le dollar dans les transactions et la facturation des contrats internationaux et comme monnaie de réserve des
banques centrales pour leurs inter--ventions sur le marché des changes. Là aussi, la monnaie unique idevrait entrainer une réduction des coûts de transaction et des
risques de change pour les entreprises et les banques européennes en leurs permettant de travailler davantage au niveau international dans leur propre monnaie. Les banques centrales des pays membres de l'UEM devraient pouvoir réduire leurs réserves de change, puisqu'il n'y aura plus d'intervention nationale pour soutenir le cours des différentes deses européennes et que les interventions à destination du reste du monde se feront dans la monnaie commune. Le rapport Emerson chiffre à 230 milliards de dollars les économies susceptibles d'être réalisées. En tant que monnaie internationale, la monnaie unique sera demandée par des résidents non européens pour un stock en billets, estimé par le rapport Emerson, à 35 milliards de dollars. L'utilisation internationale de la monnaie européenne permettra la réalisation de recettes de seigneuriage imputable à la détention de billets qui ne portent pas d'intérêt. Le
développement du poids international de la monnaie européenne est enfin, d'après le rapport Emerson, de nature à amener à un meilleur équilibre des relations économiques et monétaires internationales. Le fonctionnement du système monétaire international actuel, dominé par le dollar, est préjudiciable aux nations européennes car trop asymétrique et mal coordonné. L'UEM, en réunissant des économies de taille moyenne au sein d'un seul grand bloc, permettrait de peser sur les États-Unis et le Japon et favoriserait une meilleure coordination au niveau international, notamment dans le cadre du G7 ', des décisions de politique économique.
Les caractéristiques de la zone euro
Les 2 et 3 mai 1998, le Conseil des chefs d'État ou de gouvernement a désigné les onze pays qui constituent, depuis le 1er janer 1999, l'Union économique et monétaire : l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Esne, la Finlande, la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Portugal.
Cette entité économique nouvelle produit le cinquième de la richesse mondiale (leau 1), soit un chiffre équivalent à celui des États-Unis. Avec 290 millions d'habitants, la zone euro a une population légèrement supérieure à celle des États-Unis et nettement plus importante que celle du Japon. La structure de production de la zone euro se situe dans une position intermédiaire par rapport à ces deux pays, avec une orientation industrielle plus marquée que les États-Unis et un secteur des serces plus important qu'au Japon. Elle se distingue surtout de ces deux pays par le poids qu'occupe le secteur public dans l'économie avec une dépense des administrations publiques qui représente près de 50 % du PIB contre 37 % aux États-Unis et 36 % au Japon. La zone euro affiche une ouverture sur le reste du monde légèrement plus importante que celle des États-Unis et du Japon avec 12,3 % mais qui contraste fortement avec l'ouverture très forte qui était celle de chacun des pays de la zone pris isolément (voir Chapitre 1).
Le cumul des titres de créances, de la capitalisation boursière et des actifs bancaires montre que les marchés financiers de la zone euro ont un poids équivalent à celui des États-Unis et plus élevé qu'au Japon mais avec une répartition bien différente : plus de marchés d'actions et d'obligations aux États-Unis, une bancarisation plus poussée dans la zone euro.
L'analyse des variables macro-économiques récentes atteste des difficultés traversées par les pays de la zone euro avec un taux de
chômage record à 11,6 % de la population active, bien au-delà des 4,9 % des États-Unis et des 3,4 % du Japon. Si les performances inflationnistes sont proches, les chiffres divergent au niveau des taux de croissance et des
finances publiques avec les meilleurs résultats pour l'économie américaine, tandis que le Japon associe les déficits publics les plus importants et la croissance la plus faible malgré des taux d'intérêt très bas. La zone euro se trouve dans une situation intermédiaire avec des taux proches de ceux des États-Unis. Le Japon se distingue par l'excédent de sa balance des transactions courantes, sui de près par la zone euro, tandis que les États-Unis accusent un déficit.