Avant 1905, les cultes reconnus étaient intégrés A l'Etat, et érigés en
services publics. Cette situation comportait deux aspects principaux : un certain nombre de prérogatis, dont la principale était le
financement des cultes par les budgets publics, et, en contrepartie, un ensemble de sujétions qui restreignaient leur liberté. La séparation met fin A cette situation. Elle comporte cependant certaines limites.
A) La suppression du statut privilégié des cultes reconnus
Elle emporte trois séries de conséquences.
1A° L'exercice matériel des cultes était assuré, avant 1905, par des personnes morales de
droit public, qui recueillaient les subntions, dons et legs, géraient les patrimoines des dirses Eglises et en utilisaient les renus. Ceux-ci s'ajoutaient aux crédits que le budget de l'Etat affectait aux cultes. Ces élissements publics sont supprimés.
2A° Les ministres des cultes perdent leur caractère d'agents publics, ac toutes les prérogatis qui en découlaient, et notamment leurs traitements.
3A° Surtout, l'ensemble des crédits publics affectés aux cultes disparait du budget de l'Etat. La prohibition de toute contribution publique aux charges du culte s'étend A toutes les collectivités publiques, et notamment aux budgets communaux.
Elle s'étend également aux subntions indirectes : la loi du 2 janvier 1907 a notamment soumis A approbation préfectorale les baux passés par les municipalités pour la location du presbytère. Avant 1905, cet édifice communal était gratuitement affecté au logement du curé. Les communes, que la séparation rendait maitresses de son affectation, maintenaient sount la pratique antérieure, en se contentant d'un loyer symbolique. Le législateur a vu, dans ce procédé, une subntion indirecte, qu'il a entendu supprimer en soumettant le bail au préfet.
Le financement des cultes, et notamment la rémunération de leurs ministres, incombe donc exclusiment A leurs fidèles, selon la logique des activités privées.
4A° Ainsi, les anciens cultes reconnus se trount mis sur un pied d'égalité ac ceux qui ne bénéficiaient pas de cette reconnaissance. L'égalité entre tous les cultes, quelle que soit leur importance dans la société, n'est pas la moindre conséquence de la séparation. Elle se situe dans la logique de la liberté de conscience, en supprimant les discriminations qui pouvaient peser sur les options religieuses personnelles.
B) La suppression des sujétions pesant sur les Eglises
Si les cultes reconnus perdent leurs privilèges, l'Etat en contrepartie leur rend leur pleine liberté : il renonce aux droits qui lui appartenaient en ce qui concerne leur organisation intérieure. Replacées dans la sphère du droit privé, les Eglises échappent aux interntions et aux contrôles du pouvoir. L'appel comme d'abus (supra, p. 180), la participation A la désignation des évASques disparaissent. Les seules limites qui subsistent A la liberté des cultes sont celles que le
droit commun impose A toutes les activités privées, c'est-A -dire le respect de l'ordre public.
La conséquence de cette renonciation de l'Etat A ses prérogatis antérieures est que lorsque des litiges nés A l'occasion de la pratique du culte sont portés devant le juge, celui-ci ne peut, pour les trancher, adopter une solution autre que celle qui résulte des règles en vigueur dans l'organisation religieuse en cause : en procédant autrement, il s'immiscerait dans la vie de cette organisation.
Les contestations qui se sont élevées entre deux prAStres, ou deux pasteurs, chacun rendiquant pour lui la qualité de desservant de la paroisse, ont été tranchées sur la base de la solution
donnée par l'autorité ecclésiastique : le juge a reconnu comme desservant légal celui que les dirigeants de son Eglise désignaient comme tel (ce, 8 février 1908, abbé Deliard, Rec, p. 128, pour le culte catholique ; 25 janvier 1943, Eglise réformée de Marseille, Rec., p. 116, pour le culte protestant). Cette solution a été confirmée A la suite de l'occupation illégale de l'église Saint-Mrolas-du-Chardonnet A Paris par des catholiques - traditionalistes - en rébellion contre la hiérarchie ecclésiastique (TGI Paris, réf., I- avril 1977 ; C. Paris, 13 juillet 1977. D, 1977, p. 458 et la note ; Cass., 17 octobre 1978, D, 1979, p. 120). Elle est la seule en accord ac la structure de l'Eglise catholique. Sur le mASme problème, A propos du refus par un maire de mettre une église A la disposition d'un groupe intégriste : ta de Nantes, 2 juin 1977, AJDA. 1977, p. 632, note F. Moderne, qui adopte les mASmes principes.
Cette prise en considération du droit propre aux Eglises, si elle est dans la logique de la séparation, n'en montre pas moins, déjA , les limites.
C) Les limites de la séparation
La séparation, on l'a vu, n'a pas voulu, et ne pouvait pas AStre une ignorance. Ignorer les Eglises eût été une attitude dangereuse pour l'Etat, étant donné la force sociale, morale, voire mASme politique qu'elles continuent de représenter dans la société. C'eût été aussi risquer de mettre en péril la liberté de conscience des citoyens.
Il en résulte que, sur les différents points qu'on vient d'examiner, les règles de la séparation connaissent certaines limites.
1A° L'absence de caractère public des cultes n'interdit pas A l'Etat d'entretenir des relations de courtoisie ac leurs représentants, comme ac les autres autorités privées.
Dans le cas de l'Eglise catholique, ces relations prennent un caractère juridique, étant donné la qualité de personne de
droit international reconnue au Saint-Siège : les relations diplomatiques, supprimées avant mASme la loi de séparation, ont été rébes en 1921. La France est représentée par un ambassadeur auprès du Vatican, et celui-ci par un nonce apostolique A Paris.
La promotion récente du concept de - société civile a tend A rendre plus fréquentes aujourd'hui les rencontres entre les représentants de l'Etat et ceux des cultes considérés, au mASme titre que les associations et les syndicats, comme des composantes de la société. D'où leur présence dans certaines instances consultatis (Commission des droits de l'homme, comités d'éthique), la place réservée aux émissions religieuses sur les chaines publiques de télévision, l'importance que les médias attachent aux interntions des autorités religieuses. Sur les problèmes dits - de société - l'Etat semble avoir pris conscience de la nécessité de s'informer des positions des grandes religions.
2A° L'interdiction des subntions comporte, elle aussi, des limitations.
a I Elle ne s'étend pas aux activités qui, bien qu'organisées dans un cadre confessionnel, présentent par elles-mASmes un caractère d'intérASt général.
C'est le cas des nombreuses ouvres sociales créées A l'initiati des Eglises : hospices, hôpitaux, dispensaires, etc. Elles reA§oint, sans discrimination fondée sur leur inspiration religieuse, les mASmes subntions que les autres ouvres privées de mASme na'ure, et sont soumises aux mASmes contrôles. Les subntions A l'enseignement privé confessionnel ont soulevé plus de contestations. La loi du 31 décembre 1959 a résolu la question dans le sens affirmatif, dans des limites qui seront précisées, infra, p. 333 s.
6 / Les services non cultuels rendus aux
personnes publiques par des ministres des cultes peunt AStre rémunérés. Lorsque l'édifice du culte appartient A une personne publique (infra, p. 195), sa garde et son entretien par le ministre du culte peunt faire l'objet d'une indemnité proportionnée au service rendu (indemnité dite de gardiennage). A fortiori, les prAStres qui, selon une pratique qui se répand, exercent, A côté de leur ministère, une activité rémunérée au service d'une collectivité publique, peunt recevoir le salaire correspondant A la fonction.
c / MASme une activité proprement cultuelle, lorsqu'elle est exercée A la demande d'une personne publique, peut faire l'objet d'une rémunération. La loi de 1905, dans son article 2, le prévoit expressément : elle excepte, de la prohibition des subntions, le traitement des aumôniers appelés par l'Etat A exercer leur ministère dans des élissements publics pour y assurer la liberté de conscience (supra, p. 157). La jurisprudence, dans le mASme sens, autorise les collectivités, lorsqu'elles sont amenées A demander une cérémonie religieuse, notamment A l'occasion des obsèques de personnalités publiques qui en ont exprimé la volonté, A rémunérer le ministre des cultes A raison des frais du service qu'il a célébré.
ce, 6 janvier 1922, commune de Perquie, Rec, p. 14 : dans cette affaire, le préfet avait cru devoir refuser d'approur l'inscription au budget d une commune des frais d'une cérémonie religieuse organisée par la municipalité A l'occasion de l'inhumation au cimetière communal des corps des soldats morts pour la France pendant la guerre de 1914. Le Conseil d'Etat a annulé ce refus.
d I Pour l'impôt général sur le renu, les rsements des fidèles aux associations chargées de subnir aux frais des cultes bénéficient désormais de la mASme déductibilité que les rsements aux ouvres d'intérASt général, ce qui peut AStre assimilé A une subntion indirecte.
e I Enfin, on rra que nombre d'édifices du culte sont restés propriétés de la commune ou de l'Etat (infra, p. 195). Les dépenses nécessaires A leur conservation ne constituent pas des subntions cultuelles.
3A° L'absence de tout contrôle de l'Etat sur les Eglises comporte, elle aussi, des limites.
Elle laisse subsister la prise en considération de la qualité de ministre du culte par le droit pénal pour y attacher certaines conséquences : l'article 199 du Code pénal érige en délit la célébration par un ministre du culte d'un mariage religieux avant celle du mariage civil. De mASme, des sanctions pénales frappent ceux qui auraient donné l'enseignement religieux aux élès des écoles publiques A des heures coïncidant ac les heures de classe, ou diffamé dans un lieu de culte un agent public, ou provoqué A la résistance aux lois (1. 1905, art. 30, 34 et 35). Le Code civil, de son côté, frappe de nullité les testaments ou legs faits A un ministre du culte par ceux qu'il assiste dans leur dernière maladie.
D'autre part, le rélissement des rapports diplomatiques ac le Saint-Siège a rendu A l'Etat un droit de regard sur la nomination des évASques. En l'absence de tout texte, une procédure officieuse permet au gournement de recevoir
communication du nom du candidat, et de faire valoir, éntuellement, ses objections par l'intermédiaire de la nonciature. En pratique, ce système fonctionne A la satisfaction des deux autorités.
La séparation comporte d'autres limites. Un certain nombre de traits, issus de la tradition chrétienne, sont si profondément incorporés A la vie collecti, qu'il n'est guère possible de renir sur eux. L'échec des tentatis faites en ce sens par la Révolution ' calendrier républicain, fAS tes - civiques - ' a été concluant. Le rythme de la semaine ac le repos du dimanche réli par la loi du 13 juillet 1906, la plupart des jours de fASte légale ' lundi de Paques, Ascension, Toussaint, NoA«l ' gardent la
marque de l'origine chrétienne de la société franA§aise. Contre-épreu : certains pays musulmans dans lesquels la colonisation avait introduit le repos du dimanche ont reporté le repos hebdomadaire au ndredi, jour de prière dans les mosquées. Une autre survivance est le maintien des sonneries de cloches lors de la visite du chef de l'Etat dans une localité. Les mours, mASme coupées de leurs racines religieuses, ont prévalu sur la logique intégrale de la séparation.
Sur la séparation de l'Etat et des cultes, outre les ouvrages historiques : MéJEAN, La séparation des Eglises et de l'Etat, 1959 ; Crotjzil, Quarante ans de séparation (1905-l945), 1946 ; Kerleo, L'Eglise catholique et le régime franA§ais de séparation, 1963.