Que la connaissance soit un enjeu pour l'entreprise est une idée qui s'est fait jour assez fortement, ces derniers temps, autant dans les milieux managériaux que dans la littérature spécialisée. On pourrait mASme parler de mode managériale A propos de la thématique du Knowledge Management (qui signifie littéralement : -gestion de la connaissance-). Mais ces effets de mode cachent mal un certain flou dans les notions, qui se ressent dans nombre d'interventions dont nous avons été témoins.
En fait, ce qu'on peut regretter dans cette littérature, c'est la trop grande facilité avec laquelle on parle de -la- connaissance en entreprise, où de facto l'on prend pour acquis l'existence -d'une- connaissance homogène ou, du moins, que l'on pourrait traiter comme telle.
Les deux dimensions de la connaissance
Or, il ne faut pas se le cacher, la connaissance est une réalité structurellement complexe car elle est A la fois acte de connaissance et le résultat de cet acte.
La connaissance n'est pas, en effet, une réalité -en soi-, connaitre est toujours connaitre quelque chose (Kant). Elle suppose toujours de ce fait un certain rapport entre celui qui connait et la réalité connue. Selon une définition traditionnelle, d'ailleurs -connaitre c'est avoir l'intelligence directe d'un objet avec qui nous sommes en relation-l. Cette connaissance peut toutefois nous AStre transmise, et mASme entièrement, A l'image de la fameuse loi de la gravitation. Connaissance désigne alors une réalité partagée ou partageable : ce qui est connu.
Une telle dualité ut pour toute connaissance évidemment et donc pour la connaissance en entreprise. Cependant, ce qui est sans doute plus important, c'est qu'elle conduit
le management A considérer simultanément deux modes de relation de l'entreprise A la connaissance.
- En tant qu'elle s'applique A l'entreprise, la première définition concerne ant tout le trail des hommes au sein de l'entreprise : c'est A dire la manière dont -ils créent de la connaissance-, dont ils se l'approprient, ils l'utilisent. Bref dont ils parviennent, dans leur trail, A cette -relation d'intimité-.
- Mais la deuxième définition signale une autre dimension de la connaissance. Elle désigne un objet spécifique - le connu -et surtout un objet potentiellement commun A l'entreprise, existant souvent sous forme écrite, et qui concerne au premier chef le management.
Il y a donc - encore une fois - dualité dans le phénomène de la connaissance en entreprise, une dualité incontournable. Et, fondamentalement, le management des connaissances se définit par cette dualité.
Spécificité de la connaissance en entreprise
Dès que posée, cette affirmation doit néanmoins AStre précisée au moins sur un point. En effet, la définition que nous venons de donner se situe encore sur le terrain de la généralité, c'est-A -dire qu'elle ut pour toutes les connaissances possibles. Tel est d'ailleurs le propos de la philosophie. Cependant, cette généralité ut-elle aussi pour l'entreprise ?
On peut en douter, car il existe une vraie spécificité des connaissances en entreprise, qui tient A deux raisons, sur lesquelles nous attirons l'attention du lecteur :
- d'une part, l'existence d'un intérASt, d'un point de vue propre de l'entreprise, puisque la connaissance lui doit AStre utile. Or, il est clair que ce point de vue - et c'est en cela qu'il est important ici -génère un rapport particulier au réel, ce qui veut dire qu'il est déterminant (qu'il détermine le contenu de la connaissance) ;
- d'autre part, la séparation structurelle entre la production et l'usage de la connaissance, du fait de la division fonctionnelle de l'entreprise. Or cette séparation est pour l'essentiel ignorée de la
philosophie et de l'épistémologie, c'est-A -dire des principales références grace auxquelles on aborde la connaissance.
Autrement dit, la connaissance d'entreprise possède une dynamique particulière, et qui ne peut que réagir sur son management. Nous appellerons -règles- ce mode particulier de formation de la connaissance en entreprise.
Plusieurs questions peuvent AStre détaillées sur ces règles. Qu'est-ce que la connaissance d'entreprise ? Quelle est sa dynamique ? Comment se forme-t-elle : id est comment est-elle formée par les individus -sur le terrain- ? Comment est-elle rendue commune ? Comment se transmet-elle ? Quels sont surtout - car tel est notre fil conducteur - les points durs qu'un manager des connaissances doit connaitre A ce propos ?
Partant de lA , la question plus générale de l'action managériale et, au-delA , celle de son rapport A la
stratégie d'entreprise s'éclaireront un peu plus facilement. En effet, savoir comment se forme la connaissance -en général dans les entreprises- permet alors d'interroger son rapport concret avec l'organisation du trail, l'efficacité opérationnelle et la stratégie. Nous le ferons dans notre troisième partie.
Cependant, il convient auparant de mettre ces règles A jour de faA§on pure en quelque sorte. Nous procéderons pour ce faire en deux temps : en séparant les enjeux de connaissance au sens strict du terme des enjeux de sa transmission, c'est-A -dire, pour l'essentiel, de
la communication d'entreprise. Cette séparation recoupe partiellement la dualité que nous venons de voir puisque la connaissance communiquée relève essentiellement de notre deuxième définition.
Mais elle possède aussi sa logique propre.
Connaissance d'entreprise et communication
En effet, les mASmes raisons qui justifient l'existence de règles spécifiques A la connaissance d'entreprise font qu'elle se présente au quotidien de faA§on extrASmement complexe, totalement imbriquée A des informations de toute sorte. Nous le vivons d'ailleurs tous peu ou prou, et nos bureaux mASlent allègrement les rapports structurés A des
données de toute sorte. Toutefois, comme nous l'avons vu A propos des processus, information et connaissance n'ont pas le mASme enjeu organisationnel, la mASme relation au management global de la firme : l'une est compatible avec une organisation structurée - l'organisation par processus - et l'autre ne l'est pas. L'une peut se diriger, la seconde certainement pas.
Il conviendra donc d'AStre très précis sur l'ensemble de ces points, car nous entrons dans un domaine mal connu des
managers et nous devrons très clairement distinguer ce qui relève de la connaissance ou de l'information de leur formation ou de leur circulation. C'est ce que nous ferons pour l'essentiel le chapitre 6 et le chapitre 7.
- Le chapitre 6 sera consacré A la dynamique de la connaissance, et A la distinction entre connaissance et information. Nous y insisterons surtout sur les enjeux de formation de la connaissance, ainsi que de son partage par un collectif,
- Le chapitre 7 étant, lui, consacré A la
communication professionnelle, c'est-A -dire aux circuits réels permettant ce partage et cette utilisation. Nous montrerons alors ce que peut AStre la fonction d'influence du management en distinguant son action sur les hommes de celle sur la communication,
La forme que nous allons donner A notre exposé se déduira alors d'autant. Car en posant de telles questions, nous nous engageons sur une voie inhabituelle pour l'entreprise, largement marquée par des débats qui lui sont extérieurs. La connaissance est en effet une notion essentielle de la culture occidentale, y compris dans sa dimension collective (-intersubjective- pour parler ici comme Habermas). Il y a donc une expérience A son propos, celle, pour aller vite, de lA philosophie de la connaissance et pour la période moderne de l'épistémologie. Et sauf A opérer les pires confusions, nous aurons A nous situer par rapport A de telles références, comprendre ce qu'on peut leur emprunter et, surtout, la vérile spécificité de la connaissance en entreprise.
Aussi est-ce par ce trail de délimitation qu'il nous faut aborder ces questions.