La mesure de la valeur du capital a été de tous temps un phénomène complexe qui a mis en difficulté la théorie économique.
Le problème général de la mesure du capital
En fait, et indépendamment de la question du
capital immatériel, la mesure d'un capital s'exerce A un double niveau :
» la valeur d'un capital s'estime d'abord au travers de sa finalité, par les revenus qu 'il est susceptible de générer.
Ainsi, je peux estimer la valeur de telle machine par la valeur des produits qu'elle fabriquera, ou, ce qui reent au mASme, par les économies qu'elle m'autorisera. Nous sommes ici A la base de l'analyse financière dont les techniques permettent une telle évaluation (cf. notre encadré sur le choix d'investissement).
Ce mode d'estimation est spontané, mais il est incomplet.
A n'estimer en effet que la production des revenus par un bien capital, on ignore la possibilité de transformation du
marché par l'arrivée d'un capital concurrent : une nouvelle
entreprise peut se créer avec un bien capital techniquement équivalent, par exemple si une avancée technologique se manifeste.
» Il est donc souvent nécessaire de se doter d'une deuxième valeur traA§ant le mode d'obtention d'un bien capital (que les économistes keynésiens appellent le prix d'offre). Théoriquement, cette valeur dépend, pour les biens capitaux banalisés, de l'offre marchande ou, pour les biens spécifiques, des conditions de production.
En période sle, la théorie
économique enseigne que les valeurs s'équilibrent. C'est la raison pour laquelle l'analyse financière n'a bien souvent retenu que la première valeur dans ses techniques d'évaluation. Cependant, en période de forte évolution technique - assez fréquente en dernière analyse - les deux mesures sont nécessaires a minima pour les opérateurs concernés.
L'évaluation des capitaux exige enfin la possibilité d'une mesure physique pour le capital évalué, car il est nécessaire d'assigner A telle ou telle fraction du capital les revenus futurs, voire les investissements A effectuer. Ce besoin est purement pratique : il ne correspond en effet qu'au point de vue de celui qui va investir (ou de celui qui va vendre). C'est pourquoi économistes et théoriciens l'ignorent le plus souvent. Néanmoins, il se fait jour A chaque mutation importante de la structure d'une entreprise (évolutions de métiers, fusion, acquisition, cession partielle etc.). Traditionnellement, la structure comple de l'entreprise permet de telles évaluations.
La complexité inhérente A la mesure du capital en
économie traditionnelle est déjA importante. Elle donne alors la mesure des difficultés posées par la dématérialisation du capital.
Les difficultés posées par la mesure du capital immatériel
En effet, on a déjA noté la difficulté d'isoler et d'identifier les capitaux immatériels. On imagine aisément la difficulté que l'on éprouvera A effectuer ces trois mesures, mASme si -en théorie- le principe n'en est pas changé. Dans l'abstrait, on pourrait certes imaginer une évaluation prospective de la renilité d'un capital immatériel, au travers de l'évolution des revenus générés, mais ce serait faire fi des questions pratiques qui se posent le plus souvent.
- ainsi en est-il de son évaluation par les conditions de sa production en raison du phénomène d'absence de rareté : je peux évaluer grossièrement la valeur de cette machine outil car il existe un marché. Je ne peux le faire pour ce logiciel dont la reproduction est quasi gratuite.
- ainsi en est-il de la mesure physique du capital : dans la mesure où le capital est très difficilement séparable des nombreux objets sur lesquels il s'applique, on imagine aisément la difficulté d'assigner les revenus futurs A une fraction du capital pour mesurer sa renilité, par exemple. A supposer qu'une évaluation globale soit elle-mASme facile !
Cette difficulté pose un problème spécifique car elle rend très délicates les démarches internes de pilotage
économique : on l'abordera notamment dans le chapitre 13. Mais il faut noter qu'elle a été perA§ue assez récemment par les
marchés financiers qui ont progressivement -surévalué- les entreprises dont le -potentiel- économique était notoirement supérieur A ce qu'une analyse financière traditionnelle aurait proposé, en raison notamment de ses actifs immatériels.
Ceci a conduit A élaborer la notion financière de -goodwill- qui se définit par la différence entre la valeur de
marché d'une entreprise (sur le marché boursier) et la valeur qui se déduirait de la stricte application des techniques financières. Et pour certains observateurs le goodwill représente la mesure du capital immatériel.
L'évaluation par les analystes financiers
Cette notion de goodwill est cependant insuffisante sur le pratique, car elle ne représente qu'un constat, qui plus est global, d'évaluation de la firme. Elle a donc pour elle de sensibiliser les acteurs aux enjeux du capital immatériel, mais elle ne suffit pas aux opérateurs engagés dans des transactions sur le capital : pour ces derniers, il est important de pouvoir expliquer ce goodwill pour pouvoir anticiper son évolution, et expliquer reent A se doter du référentiel de mesure physique que nous décrivons ci-dessus.
On peut prendre A ce niveau l'exemple
des prix de cession des opérateurs du mobile dans les années 1999 et 2000. Les parties prenantes ont été obligées de mobiliser un indicateur immatériel de performance (le potentiel de clientèle) dont la valorisation a été effectuée dans un deuxième temps. Il s'agit lA d'une valeur physique1 qui a ser de référentiel pour évaluer le capital des opérateurs. On remarquera - mASme dans ce cas de ure assez simple - qu'une très forte indétermination a régné sur cette valorisation.
Outre son caractère spectaculaire, cet exemple est intéressant dans ce qu'il montre la réaction logique des acteurs économiques confrontés A la nécessité d'évaluer le capital immatériel. Retenons les points suivants :
- l'extrASme difficulté de mesure, pour ne pas parler de l'indétermination structurelle de l'évaluation des biens capitaux immatériels ;
- la nécessité de se doter d'un référentiel physique permettant sinon d'expliquer, du moins d'évaluer raisonnablement les composantes immatérielles du capital d'une entreprise ;
- enfin le rôle croissant que vont jouer les experts (analystes financiers spécialisés) sur ces questions, du fait de l'impossibilité de trouver une objectité mASme minimale A ces processus d'évaluation.
Ce dernier point - qui se constate dans l'évolution actuelle des marchés financiers - est d'une importance considérable et largement sous-estimée par
le management des entreprises les plus capi-talistiques -en immatériel-.
L'inopérabilité des mesures du capital immatériel par indicateurs
Signalons enfin - mais presque pour l'anecdote - que certaines tentatives ont été réalisées pour trouver des indicateurs spécifiques susceptibles d'évaluer le capital immatériel d'une entreprise. Mais ces tentatives nous semblent peu opératoires du fait des trop nombreuses conventions qu'elles ont été conduites A adopter pour dépasser les limites que nous venons de tracer. A titre d'exemple nous rapportons ci-après la plus connue d'entre elles, réalisée par la société suédoise Skandia.
Eléments du capital immatériel chez Skandia
La société d'assurance suédoise Skandia est la première entreprise A notre
connaissance A avoir tenté une mesure de son capital immatériel. De cette tentative, il ressort plusieurs idées : - la difficulté de mesurer objectivement et/ou financièrement ce capital ;
- mais a contrario la possibilité d'évaluer ce capital sur le mode d'une évaluation multicritères. Le capital immatériel est, pour Skandia, multidimensionnel (cinq dimensions ont été retenues) et des critères mesurables (91 en tout) peuvent AStre définis pour le -tracer-. Les indices peuvent AStre suis sur le moyen terme. Nous reprenons ci-après les indices les plus significatifs.
- Dimension 1 : Finance. 20 indices dont :
- chiffre d'affaires provenant des nouvelles affaires commerciales,
- chiffre d'affaires par employé,
- valeur ajoutée / client,
- temps passé face au client / temps total des employés.
- Dimension 2 : Clients. 22 items dont :
- la part de marché,
- le nombre de comptes clients, ' le nombre de clients perdus.
- l'accessibilité téléphonique,
- les jours passés en clientèle,
- un indice de satisfaction clientèle.
- Dimension 3 : Process. 16 indices dont :
- coût de l'erreur administrative,
- demande de souscription effectuée sans erreur. -Dimension 4 : Développement. 19 indices dont :
- dépense de développement de compétence par employé,
- dépense marketing / actif géré, -formation / employé,
- primes venant de nouveaux lancements. - Dimension 5 : Ressources humaines. 13 indices :
- indice de leadership,
- indice de motivation, -frais déformation /employé,
- connaissance en informatique du personnel.
Cette tentative souffre des faiblesses que nous avons présentées dans le texte, mais elle a l'intérASt d'éclairer la manière dont la mesure du capital immatériel peut AStre abordée aujourd'hui. D'après L Ednsson et M Malone, Le capital immatériel de l'entreprise, Maxima, 1999