S'il fallait choisir une date pour situer l'irruption en masse du trail intellectuel dans l'économie, elle serait paradoxalement éloi-gnée. Il faudrait la situer au début de la deuxième moitié du XX siècle, période où se sont massivement développées les grandes banques, les assurances et les structures de distribution grand public.
Il faut donc se garder de tout impressionnisme qui verrait dans le trail intellectuel un phénomène récent, simplement parce que la littérature
économique n'en parle que depuis quelques années. Il faut surtout constater que les entreprises ont d'abord réagi en niant la spécificité de ce trail intellectuel, c'est-A -dire en cherchant A couler les
activités intellectuelles dans la logique classique d'organisation de l'entreprise. Ce point est d'une importance fondamentale pour notre objet car il signale un retard structurel des entreprises face aux questions posées par le
développement du trail intellectuel en leur sein. Ainsi en a-t-il été des grandes comnies bancaires ou d'assurance où le principe d'organisation a souvent été de renvoyer le traitement des dossiers au sein de grands -back-office-, gérés selon une logique explicitement taylorienne :
- des pools importants étant consacrés A des écritures simples - tache éminemment mesurable ;
- seules certaines équipes étant dédiées aux traux plus spécifiques.
On pourrait d'ailleurs trouver des exemples plus récent dans la gestion en processus qui renvoie A la nécessité de traiter de faA§on efficace les flux d'information (nous le verrons mieux dans notre chapitre 4).
Il faut donc excuser les obserteurs des années 70 ou 80 qui n'ont pas vu émerger de grandes mutations dans le fonctionnement des entreprises avec l'arrivée du trail intellectuel. Mais il ne s'est agi lA que d'une phase transitoire.
Trail immatériel et trail de la connaissance
Car si ces activités de type administratif sont faciles A organiser de la sorte, cela ne représente qu'une partie des activités intellectuelles qui vont AStre mobilisées dans l'économie. Ces activités portent d'ailleurs pour la plupart sur des transferts d'information, dont on verra qu'ils sont assez facilement automatisables, notamment par le biais des systèmes informatisés. Cependant, du fait mASme de cette informatisation et sans que l'on s'en soit très bien rendu compte, elles ont cédé la place A des opérations intellectuelles plus riches et plus élaborées, qui, elles, ne peuvent pas AStre traitées de la mASme faA§on.
On peut prendre A ce niveau l'exemple des guichets de banque. Un guichet comportait - il y a une quinzaine d'années - un nombre important d'agents d'accueil effectuant l'ensemble des opérations courantes : seuls quelques cadres étaient présents pour les transactions complexes en back-office. Aujourd'hui, une grande partie de ces opérations s'effectue de faA§on automatique, au travers de distributeurs dédiés. Les agents n'ont cependant pas vérilement disparu : ils ont été remplacés par un nombre quasiment aussi important de conseillers financiers qui offrent une expertise plus poussée A des
clients de plus en plus intéressés par ce service. Ces conseillers sont de plus appuyés par tout un back-office élaboré qui s'analyse comme un apport de connaissance dédié A ces activités d'expertise.
Si l'on regarde la tendance sur une longue période, il s'est donc produit un phénomène de complexification du trail intellectuel, ce que signale l'importance du soutien dont bénéficient nos conseillers financiers. Et aujourd'hui, ce phénomène s'étend A des sphères toujours plus larges de l'entreprise.
La thèse centrale de cet ouvrage peut alors s'énoncer, car nous considérons que l'enjeu majeur de ce phénomène - ce qui en fait sens pour l'entreprise - est l'apparition et le développement du trail centré sur la connaissance. Il s'agit lA , A notre sens, de la question majeure posée A l'entreprise aujourd'hui, aussi bien pour des raisons empiriques - celles que nous venons d'évoquer - que pour des raisons liées A la manière dont elle a jusqu'ici structuré le trail en son sein.
Nous constatons en effet - et vu l'importance de ce point, nous le précisons dans l'annexe A ce chapitre - que ces activités de connaissance sont beaucoup plus difficiles A diriger dans le cadre classique de l'entreprise que les autres formes de trail intellectuel3. Pour AStre plus précis, les principes traditionnels du
management leur sont source d'inefficacité croissante et de plus en plus dangereuse en environnement concurrentiel.
La question de l'efficacité de la connaissance
Or, en partant de ce constat, nous avons pu observer que deux types de tensions étaient en train d'émerger dans les entreprises qui, si l'on n'y prend garde, peuvent désiliser leur vision de l'efficacité :
- une tension de type organisationnel ~ au sens d'organisation
du trail.
La connaissance, on le sait depuis Kant et Hegel, relève de l'ordre du concept. Or un concept ne se transmet pas comme une information ; il se partage ou s'approprie mais il ne répond pas aux règles traditionnelles du trail organisé : c'est ce que signale, pour notre guichet, l'apparition de fonctions dédiées au sein du back-office. Si l'on veut AStre efficace, il faudra bien imaginer une forme d'organisation spécifique pour la connaissance en entreprise, c'est-A -dire a minima autonome par rapport A ses cadres classiques organisés.
- une tension économique, qui apparait de ce fait, car cette connaissance autonome fonctionner comme un capital (d'un type particulier, comme on le verra).
La connaissance, on l'a vu, est un moyen, un outil au service de la production. Or, dire que la connaissance s'organise de faA§on autonome, c'est dire que ce moyen lui-mASme est autonome en entreprise, ce qui est la caractéristique d'un capital. Autrement dit, la connaissance - et mASme si elle se produit tous les jours, inconsciemment presque - devra quand mASme AStre appréhendée selon des règles proches de la lorisation des actifs. C'est d'ailleurs dans ce sens qu'évoluent les réflexions des analystes financiers.
Il y a donc un double défi dans le phénomène que nous pointons et qui ne peut qu'interpeller profondément
le management. Car nous nous sommes placés, ici, sur un terrain fondamental pour l'entreprise, loin des -suppléments d'ame pour dirigeants-, si fréquents sur de tels sujets. La question que nous posons est simplement celle de l'
efficacité économique de l'entreprise A venir. Comment faire pour intégrer ce poids croissant du -trail de la connaissance- ? Comment le faire, surtout, pour que ce trail soit efficace pour l'entreprise ? Comment appréhender le capital lorsqu'il comprend cet élément aussi flou que la
connaissance partagée ? Ces questions sont incontournables, d'après nous, mASme si le champ en apparait bien ste.