On l'a vu tout au long de ce chapitre, les outils de
connaissance partagée se distinguent de la traditionnelle fonction d'automatisation des outils informatiques classiques : ils doivent AStre définis comme des outils de soutien au
travail de la connaissance et ne sauraient se substituer A l'intelligence humaine. Mais face A leur explosion actuelle, les acteurs ont du mal A faire le départ entre l'utile, le superflu, ce qui mérite effort d'appropriation et ce dont on peut se passer. On peut mASme parler d'un désarroi qui vient du sentiment de ne plus maitriser un ensemble de plus en plus lié A la logique -de la machine-. Il est ai que les offreurs de -solutions- ont souvent intérASt A cultiver la confusion autour de la thématique d'outils de KM.
Pour dépasser ce désarroi, nous proposons de classer les outils selon les fonctionnalités qu'ils sont censés servir sans prendre parti pour tel ou tel applicatif. Et pour cela nous allons distinguer les fonctionnalités de base des fonctionnalités avancées.
Fonctionnalités simples et fonctionnalités élaborées
Les fonctionnalités de base sont celles que nous avons présentées dans le cour du texte avec les outils de groupware, et de workflow. On peut les définir comme des outils de mise en forme de textes, documents ou données de faA§on A en faciliter le partage.
L'utilité de ces outils n'est plus A démontrer aujourd'hui et leurs progrès non plus : depuis l'arrivée des premiers groupwares A l'ergonomie grossière, sont apparus des outils de plus en plus élaborés capables de gérer en deux / trois écrans les fonctionnalités nécessaires A une équipe dé travail. Citons les outils dédiés aux équipes projet - packages reliant les groupwares aux bases de données et de pilotage - les outils de travail coopératif - qui permettent la co-rédaction de documents - les outils d'aide aux réunions -régulières- (appelés -réunions assistées par ordinateur-). Les mASme progrès s'observent au niveau des workflows qui s'imposent désormais dans la gestion des processus.
Toutefois, le principe de ces outils n'a pas été fondamentalement modifié. Il ne s'agit que de mise en forme de textes déjA écrits, d'où la aison possible avec une messagerie évoluée qui serait servie par une fonction d'administration de réseau et éventuellement une fonction d'animation.
C'est pourquoi les évolutions les plus noles dans l'univers des outils de connaissance partagée relèvent aujourd'hui de fonctionnalités élaborées. A la différence des outils précédents, on organise ici une intervention du logiciel dans le contenu mASme des informations transmises. C'est en cela qu'elles peuvent apporter un soutien très réel A l'activité, mais aussi qu'elles peuvent générer ce sentiment d'opacité dont nous parlions ci-dessus. Nous les classons par ordre d'utilité.
Les fonctionnalités évoluées de recherche de documents
Le premier besoin d'un professionnel est celui de la recherche d'un document A partir d'une question qu'il se pose.
La recherche dite -full text- (ou pleine e)
Un outil de recherche full text exploite l'ensemble d'un document pour effectuer ses recherches, par opposition aux outils qui se limitent A des recherches dans des listes de termes clés (indexation) et / ou dans le titre (certaines recherches théoriques postulent que les titres des documents scientifiques sont suffisamment explicites et complets pour constituer une base de recherche suffisante).
Ces logiciels de recherche peuvent utiliser différentes techniques. La simple vérification de la présence / absence d'une liste de termes dans un document se révèle robuste mais assez fruste. Cette technique peut AStre enrichie par une étude statistique des corrélations entre les termes (A l'intérieur d'une phrase ou d'un paragraphe). Ainsi, si deux termes co-occurrent dans une phrase, on considère qu'ils ont une certaine probabilité de renvoyer A un sujet sémantiquement cohérent. Ce type de technique, connu sous le vocable de -mots associés-, a donné naissance A de très nombreux produits qui diffèrent essentiellement par la nature des statistiques et des calculs de probabilités effectivement implémentés.
Le
textmining ou classement sémantique est une version un peu plus élaborée de cette technique. Il s'agit de caractériser un document A partir d'un traitement sur son contenu, c'est-A -dire par rapport A l'ensemble des mots qu'il a employés. Le principe des logiciels est de classer les mots selon leur occurrence et leur proximité statistique dans les textes traités (cf. ci-après sur les techniques du datamining). Ainsi le logiciel restituera la forte fréquence du mot de -bateau- sur des sites de plaisance, mais il la présentera en notant la proximité statistique de -bateau- avec -voile-, voire -aviron-, etc. Cette technique permet alors de construire des arborescences de termes utiles dans l'analyse de texte ou le classement, ce qui en rendra l'utilisation d'autant plus ergonomique.
Les recherches élaborées
- Les techniques précédentes peuvent AStre enrichies par le recours A un thésaurus, lequel peut également AStre employé seul. A la différence d'une simple liste de mots clés -A plat-, le thésaurus propose une organisation arborescente des termes dans laquelle les liens sont signifiants. Il peut aussi se fonder sur une organisation des termes en réseau. Si l'outil de recherche sait exploiter ces liens, en fonction de la question et de la quantité des réponses possibles, il proposera A l'utilisateur d'élargir ou de restreindre la requASte. Dans ce sens on analysera les textes A partir d'une structure globale de mots clés, ce qui permettra, par exemple, de retrouver un document comportant le terme -voile- A partir d'une recherche sur -bateau-. On parle A ce niveau de -réseaux-sémantiques- qui sont in fine des ensembles de relations entre mots clés.
Ce type de démarche a surtout l'intérASt de permettre une certaine évolutivité des classements, puisque l'apparition d'un nouveau type de produit ne fera pas pour autant disparaitre les réseaux auxquels il appartient, alors que c'était assez fréquemment le cas dans les exemples précédents (la disparition d'un mot ne supprimant que quelques relations). Bien sûr, l'évolution des outils tend A proposer A l'utilisateur l'ensemble de ces techniques, ce qui lui donne les
moyens - en théorie bien sûr - de devenir un professionnel des sciences de l'information.
Les outils d'analyse automatique des données (datamining)
Il s'agit d'outils d'analyse de vastes quantités de données (comme par exemple l'exploitation de panels de
consommation ou des données de crédit bancaire). Leur objet est de parvenir A une analyse qualitative de ces données, par exemple par la mise en évidence des principaux facteurs explicatifs des variations que l'on peut y observer. L'analyse se distingue ici de l'analyse statistique -classique- qui n'étudie les corrélations qu'A partir d'une définition a priori - chercher un lien entre consommation et CSP, par exemple - car elle recherche en premier lieu les variables explicatives, qui sont en fait des combinaisons linéaires des variables initiales. Techniquement, le logiciel calcule des proximités statistiques entre les variables et découe ainsi les paramètres par rapport auxquels il va situer les objets observés, ce qui permet de trouver des corrélations indécelables intuitivement.
La puissance de ces outils est souvent fascinante. Ainsi peut-on par exemple élaborer des
segmentations marketing dans des univers opaques A l'interprétation. Et nombre d'outils CRM sont fondés sur le principe de l'aide en ligne aux agents de contact A partir de ce genre d'outils. Il faut toutefois insister sur ce que corrélation n'est pas explication et son usage inconsidéré est source de nombreuses erreurs ou incompréhensions -sur le terrain-.
Structure des documents et structuration des référentiels
La recherche de l'information gagne en performance si le fonds documentaire de référence (le référentiel) est structuré, c'est-A -dire pré-organisé en tenant compte le plus souvent du type de documents qui le composent. Il est alors possible d'améliorer les performances de la recherche en croisant la recherche guidée par le contenu avec les types de documents. Néanmoins, la structuration du référentiel documentaire se doit d'AStre pensée avec soin : comme il s'agit d'une organisation a priori, elle doit A la fois AStre pertinente et suffisamment souple pour pouvoir AStre maintenue. Le chapitre 9 propose A ce propos une typologie générale des documents d'
entreprise A partir de laquelle il est possible d'envisager une telle typologie.
L'aspect principal de la structuration concerne l'organisation des termes servant A l'indexation éventuelle des documents (lorsque l'on souhaite améliorer la recherche full text par la recherche thématique, par exemple). Dans ce cas, plusieurs organisations sont possibles :
- la simple liste des mots clés -A plat-. Une telle liste est utile lorsque le nombre des documents concernés n'est pas élevé et lorsque la liste est thématiquement assez homogène ;
- une organisation arborescente des termes. Par exemple, on dira que la 206 est une voiture et qu'une voiture est un moyen de locomotion ;
- une organisation complexe, dite -réseau sémantique- dans laquelle les liens entre les termes ont une sémantique propre qui peut AStre très riche. On décrira non seulement le fait que la 206 est une voiture, mais aussi des informations plus complexes, comme par exemple le fait de devoir amener la voiture au contrôle technique tous les trois ans. Grace A cette description très fine de la réalité, il est alors possible d'exploiter le référentiel documentaire en élargissant ou en restreignant les requAStes, tout en exploitant le référentiel comme un thésaurus élargi.
Comme nous l'avons souligné au paragraphe précédent, dans tous ces cas il faut que les outils soient capables d'exploiter ces organisations terminologiques et il faut, de plus, AStre en mesure d'en assurer la maintenance. Or, le rajout ou la suppression des termes impose une réindexation de l'ensemble du corpus, ce qui peut se révéler assez coûteux.
Les outils de profiling
Le profiling est une technique permettant soit de recevoir de l'information en fonction des centres d'intérASt déclarés (technique dite de -pull- où je tire l'information vers moi), soit de recevoir l'information d'office parce que l'on est dans un métier donné ou que l'on occupe une fonction
donnée (technique dite de -push- où on pousse l'information vers une personne parce qu'on pense qu'elle doit la recevoir).
Le profil peut AStre organisé A la demande des individus : c'est l'individu qui décrira alors son profil - généralement par thématiques clés. Le principe de l'outil de recherche renvoie alors aux outils que l'on vient de décrire ci-dessus. Toutefois, la pratique peut varier : dans le premier cas (-information tirée-), il faut pouvoir décrire ses propres centres d'intérASt, en général par des mots clés (cf. la problématique du glossaire ou du thésaurus, centrale dans toutes les applications de partage de l'information et des connaissances). Les termes descripteurs doivent alors AStre A la fois suffisamment précis pour éviter d'AStre submergé par trop d'informations, et suffisamment généraux pour couir les centres d'intérASt d'une personne. Par ailleurs, d'autres possibilités doivent AStre offertes, comme celle de connaitre toutes les modifications, ajouts, mises A jour, validations en cours, etc., concernant les sujets couverts par l'abonnement.
Dans le cas de l'information -poussée-, il faut disposer de moyens permettant de connaitre la position exacte d'une personne dans l'entreprise, ce qui est beaucoup plus complexe que cela n'en a l'air. En effet, une personne peut faire partie d'un service global (par exemple le bureau d'études), d'un sous-service (par exemple le bureau d'études mécaniques), d'un projet. Elle peut également exercer des fonctions (par exemple correspondant qualité, correspondant normalisation), jouer un rôle précis dans le projet (responsable d'un lot particulier), exercer des responsabilités annexes (délégué du personnel). A cela peuvent s'ajouter des fonctions temporaires (participation A un groupe de réflexion sur un thème de progrès, A un réseau transversal). Cette inscription plurielle de l'individu rend la diffusion de l'information -poussée- A la fois cruciale pour son
efficacité et fort complexe A gérer, car l'identification de l'individu dans l'enchevAStrement
organisationnel doit AStre A chaque instant aussi précise que possible. De plus, il faut pouvoir en prévoir la maintenance. Un profûing fin et précis impose donc une administration rigoureuse et amène en mASme temps une grande transparence de l'organisation.
Il faut cependant remarquer qu'au-delA des problèmes techniques qui lui sont propres (les sujets d'intérASt professionnel des acteurs ne se définissent pas toujours facilement A partir de leurs fonctions ), la problématique technique rejoint ici des enjeux managériaux, car on touche A des problèmes assez lourds de droits d'accès voire de confidentialité.
Qualification et validation de l'information
La plupart des organisations considèrent que toute information publiée doit AStre validée et signée (on connait son auteur). Les fonctions qui sous-tendent la validation correspondent A ce que l'on appelle le workflow : une fois émise, l'information suit automatiquement un circuit donné qui la dirige vers les personnes responsables de sa validation. Toutefois, il faut penser ces circuits de manière A éviter des -embouteillages- car sinon il arrive que l'information ne soit jamais publiée tant le temps de validation devient long.
Questions de confidentialité et de sécurité
Lorsque l'information est faiblement gérée, elle est faiblement centralisée. Lorsqu'elle est mise A disposition au travers d'un point d'accès unique, elle peut - en théorie - devenir plus vulnérable et faire plus facilement objet d'actes de malveillance. De nombreuses solutions logicielles de protection de l'information existent : l'enjeu réside dans l'élaboration d'un compromis opérationnel entre un surcroit de protection ( finalement l'information existe mais personne ne le sait) et une ouverture A tous vents. Des logiciels tels que Lotus Notes ont bati leur réputation sur la richesse des outils qu'ils proposent pour protéger les données et les informations. Plus généralement, la protection de l'information impose une réflexion globale sur les moyens de protéger et surtout sur ce qu 'il faut protéger. La sécurité militaire estime, pour les champs qui la concernent, que seulement 20% de l'information d'une organisation est réellement stratégique et doit faire objet d'une réelle protection : le tout est de bien connaitre ces 20 % et de les identifier, tout en sachant que cela peut varier rapidement.
Les portails d'entreprise (ou de service)
Le portail d'entreprise est une notion empruntée A l'univers Internet. Un portail est un point d'accès unique A un ensemble hétérogène de données, informations et connaissances. Une entreprise peut mettre en place un seul portail pour l'ensemble de ses salariés, tout comme elle peut définir plusieurs portails en fonction des métiers et des rôles. Dans ce second cas, ceux-ci peuvent proposer des passerelles entre eux ou AStre étanches.
Néanmoins, quel que soit le portail, celui-ci doit pouvoir AStre -particularisable- en fonction des besoins et des profils des utilisateurs. Formellement, en effet, le portail représente la e d'accueil par laquelle chaque personne peut pénétrer dans l'ensemble des sites qui lui seront proposés (d'où l'analogie avec le portail physique). Pour qu'il devienne un outil de travail de tous les jours, il doit donc AStre intégré dans l'environnement de travail bureautique, AStre la première chose qu'un utilisateur consulte en arrivant, AStre intégré avec la messagerie (que tout le monde consulte plusieurs fois par jour). Cependant, sa fonction va au-delA , puisqu'il s'agit de permettre A un lecteur d'accéder facilement A un ensemble de sites avec lesquels - a priori - il n'est pas familier. Il doit de plus offrir une palette de services indispensables A l'acte de travail. L'enjeu du portail d'entreprise est donc de proposer une vue suffisamment ergonomique des services proposés par le site pour que le lecteur puisse se retrouver facilement ; et tout l'art de la construction des portails sera de mobiliser les fonctionnalités que nous venons de décrire A cet effet.
Partant de lA , se posent deux problèmes qui conduisent A des structurations différentes :
- La problématique de la synthèse, qui pose le problème de la capacité d'accès A l'ensemble des services de l'entreprise A partir d'un site.
Dans ce premier cas, l'enjeu est de chercher une approche synthétique des sites de l'entreprise et tout l'art des portails sera de mobiliser les fonctionnalités que nous venons de décrire dans une approche suffisamment ergonomique pour convenir au lecteur. Un bon exemple en est donné par les portails des FAI (Yahoo, Wanadoo, etc.) qui marient des services élaborés en accès directs (informations pré-structurées), les moteurs de recherche, etc.
- La problématique de l'individualisation, qui cherche au contraire A différencier les portails en fonction des centres d'intérASt des lecteurs.
Sur le des principes, cette problématique ne se distingue pas de la précédente, puisqu'il s'agit encore de présenter les services de l'entreprise de faA§on synthétique. Cependant, on se donne une marge de manoue supplémentaire puisqu'on donne au futur lecteur (au moins théoriquement) le choix de sa e d'accueil. C'est une telle démarche que mobilisent les éditeurs d'ERP élaborés lorsqu'ils cherchent A adapter leurs progiciels aux univers Intranet (cf. les outils Intranets de Sap ou Sibel).
Techniquement, il s'agira de différencier les modes de construction des es d'accueil selon des centres d'intérASt potentiels définis a priori mais ajustés au fil du temps au travers des comportements des acteurs.
Remarque : On notera que la réalisation d'un portail d'entreprise contient plus de difficultés ergonomiques que de difficultés techniques spécifiques. En fait, le problème A résoudre est très proche de celui posé aux entreprises de service qui sont confrontées A la nécessité d'argumenter sur une offre de plus en plus complexe, face A un marché -travaillé- par l'individualisation des
besoins des clients.
C'est d'ailleurs par ce point que nous achèverons cette troisième partie (chapitre 11). On verra que ces entreprises se trouvent de ce fait confrontées A la nécessité d'élaborer des stratégies d'organisation de la
relation client. Et l'on verra que les deux stratégies possibles recouent sur le de la méthode les deux problématiques de construction des portails d'accueils présentées ci-dessus.