On le sait, l'univers naturel de la communication professionnelle n'est pas celui de la pénurie mais du trop plein, de l'impossibilité de traiter l'ensemble des
données mises A sa disposition. Et les Intranets ont été et sont encore le miroir de cette réalité qui n'est pas loin de prendre la forme d'une crise5.
Si on en fait l'audit, en effet, les Intranets présentent aujourd'hui presque tous les mASmes caractéristiques. Du point de vue de leur apparence extérieure, ils se caractérisent avant tout par une multiplication considérable du nombre de sites. Ce phénomène a vérilement surpris et touche toutes les entreprises. Il se manifeste par une sorte de
développement -sauvage- des sites Intranets, souvent sans cohérence ni homogénéité pour les utilisateurs. Ainsi telle
entreprise de taille raisonnable comptera plus de cent sites internes, telle autre verra deux services d'un mASme département créer deux sites différents faiblement structurés autour d'une e d'accès (typiquement le site mécanique ou le site électricité). Et les exemples sont légion. Ces sites, de plus, ne connaissent pour la plupart ni règles d'utilisation, ni règles de mise A jour. Liberté et spontanéité ont clairement été la norme en matière de création, ce qui les a souvent fait er aux -cent fleurs- du président Mao.
Beaucoup d'informations mais peu d'usages élaborés
Cependant, au-delA de ces phénomènes spectaculaires mais, après tout, gérables, l'observation fait ressortir deux points majeurs, qui semblent résumer cinq années environ d'expérience en entreprise :
- Côté positif, un certain nombre d'usages collectifs se structurent de faA§on sans doute pérenne vue la régularité de leurs usages.
- Il s'agit toutefois le plus souvent de mises A disposition d'informations d'intérASt général, comme les fameux -trombinoscopes-, de processus de gestion communs - les règles R.H. notamment - de bases d'intérASt général comme les référentiels qualité ou d'informations factuelles dont la fiabilité fait l'essentiel de la valeur, comme les référentiels de prix. L'encadré ci-après est très révélateur sur ces points.
Intranets et besoins d'informations
La suite de l'enquASte que l'on rapporte dans l'encadré -prémisses du groupware-, a posé la question du type d'informations que les acteurs souhaitaient ir sur Internet. Le classement ci-après des -l0 informations les plus demandées sur Intranet- est déjA sans ambiguïté, mASme s'il ne date que de 1997 :
- Annuaire fonctionnel du groupe ;
- Lites des partenaires commerciaux et textes des conventions ;
- Fiches produits et présentations ;
- Qui fait quoi ?
- Organigramme général et filiales ;
- Prévisions de lancement de produits ;
- Catalogue des prix ;
- Flash infos ;
- Texte des procédures ;
- Règles R.H.
Observations personnelles.
Sur de tels usages, on peut dire déjA que l'Intranet est devenu indispensable.
Mais, côté négatif, on a assisté A une forme de régression des usages élaborés sur tous les sites.
C'est A notre sens le constat le plus important, mASme s'il est décevant. Car après des débuts encourageants, l'Intranet est peu A peu devenu un simple outil d'information, une immense base de
données collective. Ainsi, les forums n'ont quasiment jamais -pris- ou se résument A un jeu de questions/réponses sur des opérations circonstanciées. Il en est de mASme de toutes les fonctionnalités de
travail collectif, qui ne s'organisent que sur des espaces dédiés et protégés.
Au-delA , la facilité de publication et le coût des structures de mise A jour ont produit une inflation croissante de données mises A disposition des lecteurs, dont la valeur est de plus en plus discule. Le cycle est bien souvent, lA aussi, le mASme : un site au début publie des documents essentiels ; l'exemple aidant, de très nombreux salariés s'appuient sur l'outil pour faire part de leurs travaux, mASme ceux dont l'usage n'est pas immédiat. Et de proche en proche la publication sur Intranet devient un substitut A toute évaluation de l'intérASt d'un document. Ainsi, chez tel équipementier, plus de quatre cents bases de capitalisation des
connaissances ont été recensées. Chez tel autre, qui estimait ne disposer d'aucune démarche de gestion de connaissances, plus de cinquante applications de ce type, pour une part -cachées au fond d'Intranets- locaux ont été débusquées. Ailleurs, on crée des -bibles de conception- sans aucune justification stratégique ou managériale
Mais trop d'informations, c'est bien connu, tue l'information. Aussi assiste-t-on aujourd'hui A un très net repli des utilisateurs pour qui le temps de recherche et d'acquisition d'informations devient rédhibitoire, en dehors des quelques sites qui leur sont familiers. On parle mASme de -ras-le-bol des utilisateurs-. Pour le dire crûment, l'usage des Intranets révèle A tout un chacun la réalité opaque d'une communication transparente, et partant, la faible
efficacité du partage des connaissances dans l'entreprise lorsqu'il n'est pas organisé. Ce phénomène ne nous étonnera pas, nous l'ans déjA vu, sur un plus théorique au chapitre 7 et sur le pratique A propos du groupware. Mais il se développe ici A une échelle supérieure, celle de l'ensemble de l'entreprise et pose de ce fait des questions de toute autre portée. En fait, on peut préir - on observe déjA - deux grandes directions dans lesquelles la recherche d'efficacité dans l'utilisation des Intranets va se diriger.
Le retour de l'utopie technologique
La première direction, qui est déjA présente depuis deux ou trois années, est le retour A l'usage individuel de la technologie.
L'idée est simple et, dans un sens, elle s'inspire du succès des moteurs de recherche dont on sait l'usage qui en est fait sur Internet. Elle considère qu'un outillage informatique adapté permet aux différents utilisateurs de dépasser les difficultés nées de l'encombrement des Intranets (ou de l'Internet, car le principe est le mASme). Et elle se développe autour de trois grands axes d'usages dont on précise les fonctionnalités techniques en annexe :
- le profilage d'informations. Il s'agit d'outils de tri-amont ou de filtrage automatique qui sont A mASme de sélectionner les informations susceptibles d'intéresser une personne.
- les outils d'analyse statistico-sémantique ou -textmining-. Le
textmining est un ensemble de méthodes qui analysent des textes en fonction des occurrences de mots ou de séries de mots.
- les outils d'analyse de données ou -datamining-. Le datami-ning est un processus permettant de découvrir des corrélations, c'est-A -dire des proximités statistiques douées de sens par le traitement de très grandes quantités de données.
Les domaines couverts sont vastes, on le it, d'autant qu'ils ont été
aidés par l'explosion de l'offre issue de la récente vague des -start-up-. Néanmoins, l'intérASt de ces outils nous semble limité. Certes, il est possible de les utiliser dans une logique de soutien : les logiciels de profilage, par exemple, peuvent assurer une fonction de veille élémentaire pour tel ou tel dirigeant (A condition de ne pas se passer d'une veille plus professionnelle). De mASme en est-il des outils d'analyse de données : ceux-ci peuvent aider A dégrossir un problème commercial, A découvrir des comportements
client émergents - notamment -sur le Net- - alors que les concepts habituels ne permettent pas de les anticiper.
A propos du e-learning
Le
développement d'outils de travail A distance a révélé un besoin latent pour des dispositifs déformation -A distance-. Généralement, il s'agit de besoins en formations courtes, ponctuelles et surtout complémentaires A la formation in situ qui caractérise désormais nombre d'équipes de travail (cf. notre chapitre 7). Et les outils qui apparaissent sur le
marché semblent aujourd'hui assez bien adaptés. C'est ce qui explique l'apparition de ce thème ces deux dernières années dans les préoccupations des entreprises. Mais ce phénomène a fait naitre aussi une nouvelle utopie : la formation A distance, sans peine et -masquée- par rapport au travail quotidien, ire mASme se déroulant au domicile du salarié. Et nombre de fournisseurs des plate-formes dites d'e-learning, se sont fait les hérauts de ce type de thématiques. Il est cependant assez facile de préir que ce genre de -solutions- se heurtera A de nombreuses difficultés : techniques, tout d'abord, puisqu'il faut préir d'entrée l'installation sur tous les postes de travail, l'administration des connexions, la gestion de la -salle de classe virtuelle-, la formation A l'outil déformation lui-mASme, la qualité ergonomique de la présentation des contenus.
Mais, au-delA , des difficultés d'ordre managérial nt apparaitre A coup sûr. L'idée d'un temps déformation transparent ou pire, celle selon laquelle les utilisateurs sont spontanément motivés pour se former seuls et A distance ne tenant pas l'épreuve des faits. Les expériences les plus avancées montrent alors que l'on retrouve toutes les questions managériales équées dans les chapitres précédents : l'organisation, l'articulation nécessaire et pensée avec les autres pratiques, la transmission des connaissances (notamment le tutorat, le comnonnage et le coaching) La mise en place du e-learning impose donc une réflexion globale sur le statut, l'organisation, le suivi et le pilotage global de l'ensemble des démarches déformation. On en verra d'ailleurs des exemples dans notre chapitre 12.
Accorder A ces outils une fonction substitutive nous semble néanmoins largement utopique. On pourrait mASme parler de danger, A l'instar de ces entreprises qui prônent le datamining comme un moyen d'automatiser la relation commerciale, puisque toute l'intelligence du commercial semble -se situer dans les données-. En fait, A leur principe se trouve l'idée que la
connaissance n'est que synthèse d'un certain lume d'informations et qu'elle s'accroitra -naturellement-, si croit la quantité d'informations traitées. Mais il s'agit lA , on le sait, d'une vue fortement réductrice de la connaissance, pour ne pas parler d'illusion technologique.
Nous pensons au contraire, et c'est la deuxième direction que nous yons apparaitre, que l'on peut considérer autrement l'efficacité des Intranets et l'appréhender surtout en termes de management des connaissances.
La nécessité d'aborder globalement le management des connaissances
Nous ans essayé de l'expliquer tout au long de ce travail, la structuration de la connaissance en entreprise est complexe, et pour une large part encore opaque aux managers. Toutefois, les faiblesses que l'on a notées pour les Intranets - et les outils de communication en général - ont cet intérASt-lA de révéler cette situation au grand jour. Elles soulignent d'abord le poids que le travail de la connaissance a pris, de nos jours, dans les pratiques professionnelles et, vraisemblablement, beaucoup de
managers auront été surpris de le constater. Mais elles révèlent surtout la nature cognitive des problèmes qui se posent au management en entendant cette -révélation- dans un sens proche de -découverte- ou de -surprise-. Car si les managers n'ignorent plus la dimension intellectuelle du travail de nombre de leurs agents, ils ont du mal A en comprendre les conséquences managériales, c'est-A -dire, pour AStre précis, A comprendre ce que cela change pour eux.
Or, de ce point de vue, les difficultés que les entreprises vivent avec leurs Intranets nous semblent jouer comme un facteur de clarification. Nous pensons mASme qu'elles peuvent accélérer la prise de conscience de la nécessité d'un management global orienté sur ces questions. Nous nous appuyons pour porter un tel jugement sur la nature des demandes de soutien qui viennent des entreprises, et plus encore sur la manière dont elles sont formulées. A titre d'exemple, nous présentons dans l'encadré ci-dessous le cas de l'équipementier automobile Valéo.
Information de qualité
La démarche Kinesys du groupe Valeo trouve une partie de son origine dans une réflexion approfondie sur la qualité de l'information présente sur les Intranets de l'entreprise et dans les multiples bases documentaires de partage d'informations et des connaissances. Citons la revue interne du Groupe, -Valeo Info- qui explique A tous les salariés de la société les raisons de la démarche.
-Chez Valeo, on a longtemps pratiqué la "gestion des connaissances" sans le sair. () Mais cette forme spontanée d'échange et départage des connaissances présentait deux inconvénients majeurs. Tout d'abord, l'absence de contrôle de la qualité de l'information et l'accumulation, au sein de l'entreprise, d'une multitude d'applications. () Deuxième inconvénient : sans lien entre elles, toutes ces applications n 'étaient pas utilisées de manière optimale. Où trouver la bonne information ? Qui a accès A quoi ? Quelle part de l'information est-elle recueillie ou perdue ? () Grace A Kinesys, l'entreprise peut désormais garantir la qualité et contrôler le contenu des documents publiés et s'assurer de leur consultation et de leur mise A jour.- On se reportera au chapitre 14 pour une présentation plus détaillée. Valeo Info, journal interne, n" 40, juin 2001.
Le lecteur qui nous a suivi jusque-lA n'aura aucun mal A reconnaitre la portée des réflexions rapportées dans cet encadré. Certes, on ne peut dire que la majorité des entreprises en soit arrivée aujourd'hui A un tel niveau de globalisation, mais l'important est ailleurs : il est dans ce que les questions qui se sont posées A cette entreprise sont devenues communes A beaucoup d'autres ces deux dernières années et ce que cela suppose, désormais, dans la logique qui sera suivie par la majorité d'entre elles. En effet, tout consultant sait la difficulté, -sur le terrain-, d'élaborer un questionnement -concep-tuellement- pertinent et cohérent au niveau d'une entreprise dans son ensemble : généralement les problèmes sont posés A partir de cas pratiques, vécus, et c'est le traitement qui en est donné - le travail du consultant parfois - qui permet d'aller au-delA , qui permet de progresser et de généraliser. Or il nous semble que les questions qui se posent aux entreprises au travers des Intranets se situent désormais de plain-pied sur le terrain du management des connaissances ; plus encore, qu'elles y soulèvent des questions très avancées très loin en tout cas des tentations techniques de l'intelligence artificielle ou du Knowledge Management.
D'après nous, il faut alors y ir un signe fort, incontournable : le signe que la question de l'efficacité des connaissances est en train de pénétrer aujourd'hui le management des entreprises et de le faire au point de concerner l'ensemble de ses dimensions. De faA§on encore partielle sans doute, mal formulée, certainement. Mais de faA§on suffisamment élaborée pour ne laisser aucun doute sur la logique des enjeux, aucun doute sur ce que la question connaissance touche désormais les aspects les plus élevés du management des entreprises. Et la question la plus élevée est celle de la stratégie que nous dens aborder maintenant.