CommenA§ons par l'intelligence artificielle qui est née du projet informatique et de la vieille utopie selon laquelle la technique pourrait un jour remplacer le cerau humain. Cette utopie était aussi constituti de l'informatique et très vite, on a cherché A simuler le raisonnement humain sur ordinateur ; mais ces tentatis ont touché des limites que l'on évoque dans l'encadré. Face A ces limites, l'intelligence artificielle s'est tournée rs une approche pratique, l'élaboration de
systèmes experts destinés A automatiser en partie les
connaissances des professionnels (médecins, avocats, spécialistes de tous types).
C'est la confrontation de ces systèmes ac les problèmes concrets de l'
entreprise qui va donner le premier courant du Knowledge Management.
Principes de fonctionnement des systèmes experts
Dans son principe de fonctionnement, un système expert est assez simple A comprendre. En tant qu'outil technique, il est destiné A stocker certaines connaissances d'expertise dans des bases de connaissances, qui sont des systèmes de liaison entre des noms d'objets et des qualités qu'on leur reconnait (dire qu'un corps est pesant est reconnaitre une qualité - la pesanteur - aux corps). Ces bases sont mises en moument par des -moteurs d'inférence- censés reproduire un raisonnement humain.
C'est sans doute grace A leur apparente simplicité que les systèmes experts ont donné des résultats dans les cas de raisonnements élémentaires (voir par exemple les services rendus par les serurs vocaux interactifs). Toutefois, on l'a vu dans notre chapitre 6, le savoir humain est largement plus complexe que les prémisses sur lesquelles on se fondait. Il se compose en grande partie de connaissances tacites, de connaissances contextualisées surtout, d'un niau conceptuel généralement faible et de ce fait difficile A -couler- dans les cadres formels des systèmes experts.
Aussi l'histoire de ces outils va-t-elle se confondre ac la prise de conscience de ces difficultés. Au début de leur histoire, A la fin des années soixante-dix et au cours des années quatre-vingt, les systèmes experts ont en effet privilégié le raisonnement logique fondé sur une succession de déductions de type -si alors- (si A alors B, si B alors C ) et ont cherché A l'automatiser. Mais plusieurs difficultés significatis vont voir le jour : des difficultés techniques tout d'abord, qui tenaient autant aux faiblesses de l'hypothèse logistique - c'est-A -dire du pari de traiter la
connaissance A partir de la logique formelle - qu'aux faiblesses de la technique elle-mASme, informatique ou logicielle. Elles vont donner lieu A d'importants approfondissements, rappelés dans l'encadré ci-après, mais qui vont rapidement dépasser le champ des systèmes experts.
Déloppement issu de l'expérience des systèmes experts
La mise en place des premiers systèmes experts n 'a pas été sans conséquences en termes techniques. Tout d'abord, il s'est rapidement révélé que le raisonnement logique ne permettait pas de reconstruire l'ensemble des raisonnements humains (pour les raisons que nous avons sount exposées). Un champ de recherche spécifique est alors apparu, dédié A la formalisation des logiques non classiques permettant de reconstruire la complexité des raisonnements et centré sur ce qu 'on a appelé les -logiques floues-, sans rencontrer toutefois de succès vraiment spectaculaires.
Mais, par ailleurs, les outils informatiques de programmation sont apparus beaucoup trop pauvres pour répondre aux besoins tant des déloppeurs que des utilisateurs (des machines, en passant par les langages et ce jusqu'aux environnement de déloppement et de consultations).
Les travaux suscités en informatique autour de ces besoins ont débouché sur des noulles technologies (langages objets, environnements graphiques, langages spécifiques comme par exemple les langages de programmation par contraintes ou encore les réseaux de neurones) lesquelles ont enrichi l'outillage de tous les informaticiens et essaimé largement au-delA de l'intelligence artificielle elle-mASme. Le langage objet, par exemple, est utilisé pour modéliser des fractions de processus et faciliter de ce fait les mutations d'organisations fortement structurées par leur système d'information.
Cependant, au-delA de cette dimension, c'est la
constitution des bases de connaissances en tant que telles qui a rencontré d'énormes difficultés, A telle enseigne que le recueil et la formalisation des connaissances des experts ont été qualifiés de -goulet d'étranglement- des systèmes experts.
Les limites des systèmes experts face A la connaissance organisée
Il est apparu rapidement que l'essentiel de l'élaboration d'un système expert consistait dans l'analyse des savoirs des experts destinés A AStre mis en forme, ce que l'on a appelé de faA§on significati : -l'extraction des connaissances-. Mais les spécialistes de cette formalisation - appelés aussi -cogniticiens- - se sont confrontés A des phénomènes bien connus en sociologie des entreprises et A des difficultés que nous avons nous-mASmes pointées dans cet ouvrage : la réticence des humains A fournir leur savoir, leur difficulté A se mettre d'accord sur la signification des notions (car un système expert doit manipuler des informations -consistantes-, c'est-A -dire ne comportant pas de contradictions internes), la difficulté A s'assurer que l'on a bien recueilli toute la connaissance nécessaire
Il y avait lA une difficulté majeure qui a croisé celle, beaucoup plus imprévue, des difficultés d'usage. En effet, dans certains cas, des systèmes experts ont pu AStre déloppés et déployés. Cependant, lorsqu'on a réussi A les faire fonctionner ' on pourrait penser que les objectifs étaient alors remplis - il s'est avéré qu'ils provoquaient une baisse des connaissances de ses utilisateurs : le plus sount, ceux-ci ne pouvaient que se borner A faire le lien entre la cause observée et l'effet (remède) proposé par l'outil mais sans comprendre pourquoi ni comment l'outil parnait A ces conclusions. Et l'on s'est rapidement rendu compte qu'une éntuelle utilisation A grande échelle des systèmes experts aurait provoqué une baisse générale du niau des connaissances dans l'entreprise (cf. A ce propos l'encadré sur le suivi du soutien en ligne, chapitre 7).
Il y avait donc un écart structurel, épistémologique mASme, entre le projet des systèmes expert et des réalisations qui ne pouvaient se limiter qu'A une certaine forme de savoir. Aussi, dès la fin des années 80, la réflexion s'est-elle organisée autour de deux questions d'approfondissement que l'on pourrait résumer ainsi :
» Comment recueillir, mettre en forme, valider des connaissances complexes issues des sources hétérogènes ?
Cette question a donné lieu A de très nombreux travaux dans un champ appelé -ingénierie des connaissances- et qui se sont matérialisés par des méthodes de recueil et de restitution des connaissances.
» Comment favoriser les apprentissages et diffuser une connaissance qui, lorsqu'elle est -encapsulée- dans un outil, ne permet pas un vérile accès par les personnes concernées ?
Cette question a produit des travaux sur l'explication du raisonnement que le système expert était censé fournir aux utilisateurs. En dehors d'un outil de résolution de problèmes - ce qui était sa fonction première - il denait alors, ipso facto, un outil de formation et de diffusion des connaissances (mais les limites de cette réflexion allaient AStre rapidement atteintes).
Néanmoins, encore une fois, on doit noter que ces champs d'interrogation restaient sur le mASme terrainque le projet des systèmes experts, technique et surtout a-contextuel, et de ce fait restaient cantonnés dans un champ plutôt unirsitaire. De faA§on presque mécanique, ils ne pouvaient que négliger la complexité inhérente aux connaissances et la spécificité de leur mode d'insertion dans l'entreprise. De ce fait, on peut dire qu'ils étaient voués A l'échec et c'est A partir de ce constat ' voire mASme de son anticipation - que vont émerger certains courants de pensée qui prendront conscience de la nécessité d'une approche plus sociale ou plus économique de la connaissance en entreprise.
Et de faA§on schématique, on peut distinguer deux sous-courants qui se cristalliseront dans les premières années de la décennie 90 et se réclameront peu ou prou du management des connaissances.
Des systèmes experts A la décourte des enjeux managériaux
Le premier, fortement présent chez les chercheurs unirsitaires, va prendre le parti de rechercher une explication sociologique aux difficultés rencontrées dans les systèmes experts, difficultés qu'il situera dans le caractère finalisé et organisé de la connaissance en entreprise. Ces auteurs considèrent en effet - et nous les suivons sur ce point - que la connaissance d'expert n'est pas un savoir désincarné, qu'elle s'insère dans une organisation du
travail donnée et qu'on ne peut la -travailler- (l'expliciter) sans la transformer et transformer ipso facto le contexte
organisationnel de celui qui la porte, par le fait, par exemple, que ces connaissances seront plus facilement partagées.
Partant de lA , ces auteurs ont noté une contradiction interne aux (principaux ) projets de systèmes experts puisqu'il était évident que leur
efficacité résidait beaucoup plus dans l'animation managériale qui pouvait se délopper autour de la création d'un système expert que dans l'outil en tant que tel (mASme si on lui reconnaissait une pertinence de soutien). D'où la conclusion selon laquelle les problématiques d'apprentissage et/ou de partage des connaissances étaient de mASme nature que les enjeux d'organisation du travail et par lA mASme de management ; certains mASme ont tendance aujourd'hui A confondre ces termes.
Ce courant de pensée est assez bien représenté par un auteur comme A Hatchuel dont on lira un extrait de l'ouvrage dans l'encadré ci-après.
L'expérience des systèmes experts
L'expérience des systèmes experts a été traduite par A. Hatchuel et B Weil autour de deux constats :
1. L'hypothèse propre A la théorie des systèmes experts, et selon laquelle on peut faire une séparation entre représentation des connaissances et représentation du raisonnement, n 'est pas tenable pour la plupart des types de savoirs. FI n'y a de ce fait aucune possibilité d'évolution générique pour les systèmes experts en entreprise.
2. Les systèmes experts ont un effet de restructuration sur la connaissance des experts, qui rejoint les processus classiques d'automatisation. Le terme renvoie de ce fait A un processus historique qui montre que la mise en place d'un système expert ne se réduit pas A un simple processus d'imitation. S'il n 'estpas toujours synonyme d'efficacité, il entraine d'importantes transformations des conditions collectis de l'action. Automatiser les savoirs, c 'est d'abord tenter de les connaitre, mais c'est aussi les changer. C'est enfin comprendre comment ces deux actions sont susceptibles d'AStre acceples pour les acteurs. De faA§on tout A fait logique, ces auteurs en ont déduit qu'un système expert s'apparentait A un projet de changement et ne pouvait s'appréhender qu 'au niau managérial. Le constat est assez juste, mais partiel comme il est rappelé dans le cœur du texte. On pourrait d'ailleurs montrer que l'épistémologie implicite de ces courants, influencés par le 'constructivisme ', leur interdit d'appréhender l'autonomie relati de la connaissance collecti et de ce fait sa fonction économique de capital.
Citation reconstruite A partir de : Hatchuel- Weil. L'expert et le système. Economica 92.
Mais il est desservi par une approche sount technicienne, voire sociologisante de la connaissance liée A d'assez faibles références A sa dimension économique et A son statut de capital. En fait, la critique d'Hatchuel n'est pas fausse, mais elle ignore qu'en entreprise la connaissance doit denir collecti et par-lA s'expliciter sous une forme autonome, comme on l'a vu dans les chapitres précédents. De ce fait, sa pertinence se limite A certaines équipes de travail où l'analyse peut s'abstraire de telles contraintes. Et d'ailleurs, en dehors des questions relatis A la gestion de projet, elle n'a produit que peu de recommandations pratiques sur le terrain du management des connaissances.
Des systèmes experts A la capitalisation de la connaissance
Le deuxième sous-courant est moins ambitieux théoriquement que celui précédemment cité mais a gagné une influence non négligeable dans les entreprises. Partant des mASmes constats sur les limites des systèmes experts, ces acteurs ont remarqué que le travail d'analyse mené par les cogniticiens permettait sount de faciliter l'accès de la connaissance des experts A des collègues de travail. Beaucoup d'ailleurs se sont reconnus dans un auteur comme Nonaka que nous avons présenté dans notre chapitre 6. Conscients de l'intérASt, pour l'entreprise, des efforts d'explicitation des connaissances, ces auteurs ont alors cherché des solutions alternatis aux systèmes experts, en pointant l'intérASt d'un -simple stockage- des connaissances. L'idée étant que si l'on ne pouvait efficacement -rentrer- les connaissances d'expert -en machine-, on pouvait chercher A les conserr sous une forme élaborée et les rendre disponibles aux autres générations. C'est-A -dire sous forme lisible et partageable.
La méthode MASK
La méthode d'analyse des systèmes de connaissances MASK, créée et déloppée par Jean-Louis Ermine depuis 1989, propose des modèles génériques qui se fondent sur des éléments théoriques fournis, en particulier, par la systémique et la sémiotique. Jean-Louis Ermine défend l'idée selon laquelle le patrimoine de connaissances constitue un système indépendant A part entière.
MASK doit permettre de réaliser une -encyclopédie métier-, appelée livre de connaissance, constituée d'un ensemble de modèles (génériques) formalisant la connaissance, ac des pointeurs adéquats rs les sources d'information détaillées s'y rattachant. L'analyse d'un système de connaissances ac MASK passe par l'identification de quatre phases de modélisation ou modèles, les deux premiers se situant au niau contextuel et les deux autres au niau sémantique :
- Le modèle d'activité et le modèle du domaine proposent une mise en contexte des connaissances, au niau de l'activité et du domaine (point de vue contextuel) ;
- Les deux autres modèles, le modèle des concepts et le modèle des taches, reflètent le sens pouvant AStre donné A un ensemble de connaissances et décrint pour cela les savoirs et les savoir-faire mis en œuvre (point de vue sémantique).
Les recherches en cours sur MASK visent A délopper des modèles d'évolution des connaissances.
Le livre de connaissance ainsi constitué se ut le point de départ d'un vrai projet de gestion des connaissances, qui consistera alors ' au minimum ' A faire partager et A faire évoluer ce livre au sein de l'entreprise.
Néanmoins, le modèle MASK ne prend pas réellement en compte la dynamique des connaissances puisqu 'il se fonde sur une conception A la fois statique et générique du système de connaissances d'une entreprise. D'après Ermine, J-L.2
L'idée est simple, on le voit. Sur le pratique, elle revient A trour des méthodes et élaborer des procédures permettant ou contraignant les experts A expliciter eux-mASmes leur savoir de faA§on systématique, puis A classer ces connaissances de faA§on ergonomique (ce qui renvoie pour le coup A une problématique classique de documentation). Ces méthodes se sont par la suite autonomisées sous forme d'offres de sociétés de conseil et ont été testées en entreprise. Citons les plus importantes d'entre elles :
- les démarches de retour d'expérience autour du logiciel -Rex- qui consistent A stocker de faA§on systématique les rapports d'incidents sur des systèmes techniques complexes et, surtout, A en organiser le traitement par les directions -métier- (Rex sera notamment utilisé dans l'industrie nucléaire) ;
- les livres de connaissances qui consistent A stocker les connaissances réputées communes A un métier dans un référentiel propre A un service, ce travail ayant sount l'avantage de renforcer l'esprit collectif dans des équipes mieux, au fait des savoirs de chacun (il existe de nombreux exemples dans l'industrie classique, notamment automobile) ;
- ou les démarches de capitalisation, qui reposent sur un principe similaire mais sont centrées sur des dispositifs managériaux de création de connaissances collectis. Ces démarches ont sount une vocation transrse, car elles sont l'occasion d'ajustement entre équipes dispersées (les meilleurs exemples nous semblent certaines revues d'affaires, ou l'analyse des affaires perdues dans des équipes commerciales).
Mention spéciale doit cependant AStre accordée ici aux modèles de connaissances qui se présentent actuellement sous forme de méthodes globalisantes. Dans ce cas, l'enjeu est de proposer une méthode générique pour toute l'entreprise, qui vise A donner une forme homogène A l'ensemble des connaissances explicitées, puis A traiter cette connaissance de faA§on globale, A l'image d'un capital connaissance -enfin- socialisé.
L'absence de prise en compte de la dynamique de connaissance
L'apport de ces courants n'est pas A négliger et nous en mobiliserons nous-mASmes certains aspects. Dans un unirs encore sceptique, réticent qui plus est au déloppement de l'écrit, ce courant a pointé et vulgarisé l'intérASt pour une entreprise d'expliciter et de partager la connaissance de ses experts. Les limites sont toutefois évidentes et nous les avons déjA notées. Par construction, en effet, ces démarches en restent A la dimension statique de la connaissance, ac une tendance très forte A -l'inflation de l'écrit-, mais sans lien cohérent ac les
enjeux économiques et managériaux. Or, ceux-ci se posent rapidement, par exemple lorsqu'il s'agit d'organiser des dispositifs de -maintenance- des connaissances explicitées. Ces processus se caractérisent alors par une certaine lourdeur.
En fait, et de manière générale, les méthodes d'ingénierie cogniti restent centrées sur le recueil des connaissances et leur transformation en un modèle et laissent de côté les aspects managériaux et stratégiques.
C'est pourquoi ce courant de pensée a été rapidement dépassé par un autre courant, plus lié A la problématique réelle de l'entreprise et qui va s'appuyer sur les progrès de l'informatique en réseau. Ce courant est sans doute le plus répandu et c'est lui que l'on désigne lorsque l'on parle au sens restreint de -Knowledge Management-. Paradoxalement, il est lui aussi issu d'un unirs extérieur A l'entreprise : l'utopie de
la communication transparente, portée par certains auteurs de l'école de Palo Alto.