D'après l'école de Palo Alto, et pourvu qu'elle soit sans freins,
la communication entre individus est un facteur de consensus entre ses partenaires. Elle présente en outre ce double avantage :
- d'AStre créatrice, du fait de l'interaction entre les personnes ;
- d'AStre facteur de
démocratie puisqu'elle rend peu utiles les logiques hiérarchiques.
Les affinités de cette école avec l'informatique en réseau sont manifestes et c'est pourquoi les théories de Palo Alto rencontreront presque naturellement le
développement de ce type d'informatique dont la technologie va mûrir fortement dans la décennie 80.
L'utopie de Palo Alto et sa traduction en ternie de marché
La possibilité - qui apparait vers la fin des années 80 - de placer de nombreux ordinateurs en réseau est en effet A l'origine du Knowledge Management. L'informatique en réseau faisait d'abord apparaitre un fort besoin pour des outils centrés sur l'échange de textes, mais réciproquement, en tant que base d'échange, elle commenA§ait A matérialiser - au moins en apparence3 - le modèle de communication transparente dont rASvait Palo Alto. 'C'est ce qui explique l'engouement pour cette forme de communication A partir de 1990, notamment aux Etats Unis, l'exemple le plus célèbre étant la société Lotus qui construira le futur logiciel standard du
marché deux ans plus tard (Lotus a été racheté depuis par IBM). Cela explique aussi la forme très classique que va prendre, A partir de ces années, la diffusion du Knowledge Management dans les entreprises. A partir du moment, en effet, où un tel courant de pensée se liait A des outils aussi opératoires, il formait un courant doctrinal puissant, capable d'influencer fortement les grandes sociétés de consultants et par lA de pénétrer efficacement les entreprises : ce qu'il fera autour du nom, justement, de -Knowledge Management-. Le phénomène sera mASme extrASmement rapide : on peut situer aux années 95-96 la diffusion en masse de ces outils en France.
Ses principales préoccupations s'en ressentiront. Au-delA des discours de présentation, qui reprenaient les thèmes précités, la préoccupation dominante des praticiens a été de rechercher des solutions pratiques A des problèmes élémentaires de
travail intellectuel collectif. On a donc assisté A une intense activité de création d'outils dédiés aux équipes de travail, le modèle étant souvent mais pas seulement ' les équipes projet et les équipes éclatées, A l'international notamment. En fait, on peut distinguer deux périodes qui correspondent en dernière analyse A la montée et A l'apogée de la thématique des outils de communication en réseau.
Le groupware ou l'age d'or du Knowledge Management
La première période correspond A l'intervention auprès d'équipes restreintes ou de
départements de taille assez réduite, dans des secteurs concernés par les questions de connaissance. On sait les difficultés que rencontraient ces secteurs il y a encore quelques années. Soumises A des besoins croissants d'explicitation et de partage de connaissances, les équipes y souffraient de réelles pénuries en matière d'outils de communication efficaces. Qui plus est, elles vivaient ce besoin comme tel, ce qui en montrait l'acuité.
Le projet inaugural du KM en
entreprise a donc été de trouver une réponse A ces questions en prônant des méthodes de structuration de cette communication. Ce qui a été fait en s'appuyant en priorité sur des outils génériques de type groupware, mais aussi sur des workflows ou des outils plus spécifiques comme les -packages-, souvent puissants, de -réunions assistées par ordinateur-. Toutefois, une chose est d'installer des outils, autre chose est de les utiliser A bon escient. Or ces outils misaient sur un fonctionnement collectif qui, seul, leur donnait de la valeur. Et il fallait convaincre une population souvent individualiste, qui plus est, pas toujours acculturée aux outils élaborés. C'est pourquoi ces projets se sont, pour l'essentiel, concentrés sur des démarches d'utilisation effective de ces outils. Ce qui a été réalisé le plus souvent :
» par une acculturation aux outils, qualifiés A l'époque de -bureautique communicante-, d'où le travail de communication intense que l'on a connu dans les années 96 et 97 ;
» par la mise en place de fonctions particulières dont celle d'animateur, personne dont la fonction est A la fois de structurer les bases documentaires et de relancer la discussion (tache souvent commune avec celle d'administrateur du réseau) ;
» et par la mise en place d'outils annexes comme les bases de données, les outils de reporting et les agendas partagés.
On peut dire que ces premiers pas ont été un succès. Le fait que le terme -groupware- soit devenu d'usage courant en est un témoignage patent. Plusieurs fois, de plus, ces outils ont donné corps A de réels débats sur les enjeux managériaux de la connaissance, A l'image de ce département de recherche appliquée, dont on s'interrogeait sur l'évolution de l'organisation. L'analyse des transactions effectuées grace A l'outil montra qu'au lieu d'une structuration par les clients, les débats s'organisaient beaucoup plus sur une logique de fonction (comme la peinturabilité, la sécurité etc.), laquelle formera l'axe de la réorganisation4.
Les limites du groupware et les faiblesses du KM
Cependant, ces succès ont trop souvent masqué les limites auxquelles on allait se heurter. Le plus souvent, en effet, et malgré un succès apparent, l'imtation du groupware s'est soldée par des résultats décevants quant A l'utilisation des fonctionnalités élaborées.
Le schéma était d'ailleurs assez souvent le mASme. Passée une première période d'engouement, pendant laquelle les outils étaient -plébiscités-, les acteurs ne s'intéressaient plus qu'aux fonctionnalités de base comme la messagerie ou l'usage des bases de
données collectives. Et rapidement, l'outil conA§u pour le partage de
connaissances s'est rélé n'AStre qu'un outil de bureautique en réseau, certes élaboré, mais largement en deA§A des attentes. Ce processus s'est si souvent reproduit qu'on l'a synthétisé dans le schéma ci-après qui représente les différentes phases d'imtation d'un outil de groupware.
Un tel phénomène ne nous étonnera bien sûr pas, car le propre du KM a été de miser sur la logique créatrice d'une communication transparente et libre. Or nous savons que cette idée est utopique, que le travail de la
connaissance en entreprise doit s'animer, se structurer, s'organiser - nous avons vu comment tout au long des chapitres précédents. Nous savons surtout que le rôle du
management est indispensable. Il y avait donc dans le
développement du groupware de très sérieuses limites, sensibles, d'ailleurs, dès les premières années d'utilisation.
De plus, et sur ce point certains échecs étaient lourds d'enseignements, la non-utilisation des groupwares renvoyait A des aspects importants de la relation entre individu et collectif en univers professionnel. L'exemple de la société de consultants que l'on résume dans l'encadré ci-après est très rélateur sur ce point. Il montre que la communication s'inscrit dans le cœur mASme du travail et qu'elle doit AStre managée comme telle, c'est-A -dire en prenant en compte toutes les dimensions du contrat de travail. Ainsi la faible contribution des consultants de cette société de service s'explique-t-elle avant tout par l'absence d'incitations matérielles - ou managériales - au partage d'informations sensibles, problématique très réelle dans un univers commercial (on reprendra ce point dans la conclusion du chapitre 13).
L'introduction du groupware dans une entreprise de service
Cette entreprise moyenne de conseil a cherché A imter un outil de groupware au sein de ses équipes commerciales. L'idée était double. - il s'agissait d'abord de démultiplier la capacité d'analyse des commerciaux. On pensait que l'outil allait fournir un instrument d'information sur les affaires gérées par chacun. C'est pourquoi l'on s'est d'abord fixé comme objectif de rendre compte par écrit des contacts avec les clients. Ce qui est loin d'AStre négligeable lorsqu'on sait l'impact de l'avant-vente dans le métier du conseil ; - mais il s'agissait aussi - du moins dans l'esprit de la Direction -de faciliter les taches de reporting et de gestion de la base
clients que l'on considérait souvent comme abordées de faA§on trop administrative. L'outil de groupware était donc complété par un leur intégré permettant le reporting automatique. Après un début prometteur, dû A l'attrait de l'outil, l'expérience a tourné court, malgré l'intérASt porté par la Direction générale. L'examen des raisons pour lesquelles l'outil n 'a pas été correctement utilisé a fait ressortir les points suivants :
- l'outil n 'a pas vaincu les comportements des acteurs marqués par des phénomènes de rétention d'information. L'intérASt que l'on aurait pu trouver dans l'outil ne pouvait compenser ce risque ; et nombre de commerciaux se sont contentés de renseigner l'outil par des informations neutres ;
- les effets de contrôle - et d'un contrôle technocratique - se voyaient renforcés sans raison apparente ;
- enfin, les acteurs se voyaient demander un effort non négligeable -le reporting par écrit de relations assez longues A expliciter - sans que leur évaluation n 'en soit touchée.
Ce dernier point recoupe d'ailleurs nombre de constats effectués sur le mASme sujet : l'utilisation efficace d'outils collectifs exige que l'évaluation des acteurs valorise elle-aussi les contributions -au collectif-. Ce qui est rarement le cas, d'autant qu 'unepratique d'incitation de ce genre est confrontée au difficile problème de l'objectivité (comment mesurer l'apport de tel ou tel acteur A un forum, par exemple, quand le volume de la contribution n 'est pas un gage de sa pertinence ?). Il est probable que nombre d'entreprises se heurteront A cette question, car il s'agit d'un problème nouveau pour lesquelles elles ne possèdent que très peu d'expérience. A terme, cependant, on peut imaginer que des formes d'évaluation plus proches des pratiques scientifiques verront le jour dans les entreprises, comme on le précisera dans les derniers chapitres. A partir d'entretiens personnels.
Malheureusement, ces limites ont été souvent masquées aux yeux du public par les réels succès de l'utilisation des outils.
Des groupwares A l'explosion des Intranets
Ces outils se présentaient en effet comme un ensemble complet, mASlant des fonctionnalités élaborées - comme les forums - A des outils plus simples de communication en réseau (bases de données, outils de pilotage, voire mASme des messageries de qualité). Dans un univers encore mal équipé, nourrissant qui plus est de forts besoins, ces fonctionnalités apportaient de riles soutiens aux équipes de travail, A l'image des agendas partagés dont l'usage a convaincu la direction générale de ce grand groupe d'adopter le groupware (observations personnelles, année 1996). C'est pourquoi la thématique du KM a pu continuer A se développer en référence aux outils de groupware, disons jusqu'aux années 1996/97.
Généralement, de telles ambiguïtés ne durent jamais longtemps en entreprise. Dans ce cas, cependant, elles l'ont fait suffisamment pour AStre relayées par les Intranets qui se sont développés de faA§on -foudroyante- A partir de 1997. Ainsi, alors que les offres ne se seront fiabilisées que fin 1996, l'ensemble des grands groupes sera équipé dès la fin 1998, connaissant presque toujours les mASmes phénomènes : multiplication très rapide des sites internes et engouement des salariés. Et sur un certain laps de temps, la thématique du Knowledge Management a donné l'impression d'accomner cette -poussée-.
Mais un tel succès est aussi synonyme de visibilité et le développement des Intranets
marque A la fois l'apogée et le déclin du knowledge management. En fait, comme on l'a dit A propos du groupware, le succès des outils de communication en réseau venait de la situation de pénurie dans laquelle se trouvaient nombre d'équipes de travail. Partant de lA , l'apparition d'outils efficaces, mASme sous-utilisés, a libéré les besoins et les initiatives mASlant l'utile, le moins utile, l'agréable et le moins agréable.
Cependant, dans le cas des Intranets, l'outil traversait l'ensemble de l'entreprise et reliait au minimum l'ensemble de ses cadres. Il a joué de ce fait un rôle de démultiplication considérable, suscitant parfois l'enthousiasme mais rélant aussi la rile nature de la communication professionnelle et du KM.