Le modèle de communication a été élaboré pour combattre l'idée - pourtant largement répandue il y a peu - selon laquelle
la communication était un processus naturel, presque insible. Ce modèle, largement étudié par les spécialistes de la communication et des sciences politiques, rappelle tout d'abord que la communication consiste en un échange et surtout en une interaction entre un émetteur et un récepteur.
Principes de communication
Dans l'énoncé élémentaire du fonctionnement du modèle de communication, l'émetteur émet un message sur un support vers un récepteur, comme par exemple quand je vous dis : -il fait chaud-. L'émetteur, tout comme le récepteur peuvent AStre des indidus ou des collectifs regroupant plusieurs indidus. Le support est ce qui permet techniquement la transmission du message : l'air dans ce cas. Quant au message, il se réduit A son contenu, A son sens.
Cette forme première du modèle est donc avant tout centrée sur l'émission et, comme on l'a dit, elle a été fortement influencée par les études sur les mass média et la communication instimtionnelle.
Or, une étude plus poussée montre que le rôle du récepteur dans ce schéma est central, car le message deent ce que le récepteur en fait. Si vous me dites qu'il fait chaud, je le comprendrai selon ma propre perception de la chaleur, différente de la vôtre. Par conséquent, si le récepteur n'est pas en mesure, pour une raison quelconque, de s'approprier le message, la communication échoue. Accepter le rôle central du récepteur dans le modèle de communication, c'est accepter de s'adapter au profil du récepteur - lorsque l'on se trouve en situation d'émission - tout en jouant et maitrisant les conditions d'émission.
De l'importance de la qualité du message
Benjamin Franklin croyait A l'utilité des conseils d'un éditeur et ne s'offensait jamais de ce qu 'on corrige ou coupe son texte. Il rappelait que, dans sa jeunesse, il avait un ami qui voulait ouvrir un magasin de chapeaux et s'était composé une enseigne sur laquelle on pouvait lire : -John Thompson, chapelier, fabrique et vend des chapeaux au comp-Jant- et qu'illustrait l'image d'un chapeau. Quand ses amis rent l'enseigne, ils l'approuvèrent mais suggérèrent qu 'il y avait un moyen de l'améliorer. L'un d'entre eux fit observer que -chapelier- sui de -fabrique des chapeaux- était superflu. On le supprima. Un autre fit remarquer qu 'on pouvait supprimer -fabrique- parce que cela n 'intéressait pas les
clients de savoir qui fabriquait les chapeaux. On le supprima. Un autre estimait qu'il fallait supprimer -au comptant- car cela semblait impliquer la possibilité de vente A crédit. On le supprima. Il leur restait désormais : -John Thompson vend des chapeaux-. -Vends des chapeaux ? reprit un quatrième ami. Personne ne s'attendroit A ce que tu les donnes !-. L'enseigne qui fut placée en définitive était simple : le nom -John Thompson- et l'image d'un chapeau. Elle eut énormément de succès.
Alberto Manguel, Petites histoires de la littérature américaine. Actes Sud, 1999.
Pour rendre compte de ce point, on considère alors que rémetteur se situe dans la sphère d'émission, qui comprend tous les niveaux du référentiel lui permettant de construire son message : les niveaux lexical, syntaxique, sémantique et pragmatique.
- Le niveau lexical renvoie A la
connaissance du lexique, autrement dit du vocabulaire employé. Remarquons que cette connaissance, ici, ne va déjA pas de soi, tant l'entreprise déforme les termes courants A son usage propre et crée des néologismes dont tout le monde ne connait pas forcément la signification ;
- Le niveau syntaxique concerne la maitrise de la syntaxe, c'est-A -dire de la grammaire. Encore une fois, le langage technique ne respecte pas forcément les principes de la langue littéraire et des confusions nombreuses peuvent en résulter ;
- Le niveau sémantique nous renseigne sur le sens ; au-delA du sens des mots, il décrit le sens de la phrase ou du texte ;
- Le niveau dit pragmatique, lié au niveau sémantique, comprend l'ensemble des
connaissances extérieures au message qui nous permettent de comprendre celui-ci, A savoir les règles souvent implicites de fonctionnement et d'interprétation ainsi que les accords sur tel ou tel aspect culturel (on parle aussi ici, mais dans une acception plus étroite, du niveau contextuel).
Ce référentiel comprend aussi une -image- du récepteur, c'est-A -dire une sion de l'action que l'émetteur aimerait que le récepteur fasse (l'intention du message), et une sion de la sphère de réception. Le message est donc formulé en fonction de toute une série de présupposés qui ne sont pas forcément exacts et qui ne sont pas toujours clairement explicités. On comprend ces présupposés sous le terme de -référentiel d'émission- par opposition A celui, fréquent, de -schémas mentaux- afin d'exclure toute référence A l'indidu, dans ce qu'il a de plus personnel et de plus intime.
Le rôle du récepteur dans la communication
Le récepteur décode le message en fonction de ce qu'il comprend et connait ainsi que de ses propres intentions et attentes : c'est le -référentiel de réception-. Toute la difficulté de la communication consiste alors en une gestion souple et appropriée des écarts potentiels entre ces deux référentiels, lesquels a priori ne se recouvrent pas. Que le récepteur ne partage pas avec l'émetteur tout ou partie des éléments qui permettent A ce dernier de construire le message et la communication sera dévoyée.
A propos de la pragmatique
Un exemple extrait d'un manuel d'utilisateur d'un logiciel montre l'étendue du problème. Dans le manuel, on lit -Indice première e : l'indice de la lère e n'est pas toujours explicitement indiqué (!) dans les paramètres de la ligne de commande. Dans ce cas, ce chiffre correspond A l'indice de la 2éme e moins l'incrément (e suivante).
Incrément par e : ce champ indique combien il faut ajouter A l'indice actuel pour arriver A la e suivante. En effet, il arrive que l'on passe en incrémentant de e en e ou alors par nombre de liens dans la e. Pour certains, l'incrément sera de 1 pour dire qu'on passe A la e suivante, pour d'autres ( !) ce sera 100 pour dire que l'on se déplace de 100 liens et ainsi de suite-. Les phrases semblent davantage s'adresser aux ingénieurs de conception qu 'A l'utilisateur Observations personnelles.
Or ces éléments sont nombreux ; nous les connaissons déjA : le lexique, la syntaxe et la sémantique, la pragmatique (c'est A dire la connaissance du monde qui gouverne la construction du message), ainsi que l'intention qui influe sur la manière dont le message est construit. Les conditions d'émission peuvent ainsi entrer en conflit avec les conditions de réception ; l'histoire des sciences politiques est d'ailleurs remplie de messages qui ont atteint l'effet inverse de l'effet escompté, parce que le référentiel de réception était construit - par des événements extérieurs - de manière A biaiser et A parasiter la réception du message.
Plus l'écart entre les sphères d'émission et de réception est important, moins le résultat du décodage correspondra A celui attendu par l'émetteur. Lorsque l'interaction est possible entre l'émetteur et le récepteur, elle va permettre de lever progressivement les ambiguïtés et d'arriver A un décodage dont le résultat correspond A celui qui était attendu. Le décodage peut alors AStre sui par l'action qui constituait, au départ, l'objectif de la communication. Lorsque l'interaction n'est pas possible, des difficultés surgissent car une nouvelle variable apparait : c'est le temps du décodage que l'on pourrait appeler le temps de l'interprétation. Plus ce temps est long, plus le message est difficile A décoder, plus la probabilité d'un écart important entre l'action obtenue et l'action attendue est élevée.
Il apparait donc que l'analyse du processus de communication ne peut pas AStre centrée uniquement sur l'émetteur, ce qui est pourtant une attitude spontanée. Elle ne peut non plus se satisfaire d'une sion binaire (couple émetteur/récepteur), car derrière chaque élément intervenant dans la communication, il y a des réalités multiples et non réductibles aux parties qui les composent. En fait, le message de l'émetteur atteint son but si le récepteur fait de ce message ce que l'émetteur en attend, du moins dans le contexte d'une communication A fin opératoire.
Pour que la communication aboutisse, il est donc impératif de connaitre le contexte dans lequel évolue le récepteur, ce qu'il est A mASme de comprendre, la faA§on dont il a l'habitude de se comporter. Et il s'agit lA de la principale conclusion A laquelle mène le modèle de communication.
Communication normative et fonctionnelle
On remarquera que la compréhension du modèle de communication a nettement évolué au cours des dernières décennies. Dans les années cinquante, la réflexion le concernant était centrée sur l'émetteur et le message était ce que l'émetteur voulait qu'il fût. Aujourd'hui, on considère que le message deent ce que le récepteur est capable d'en faire. Cette évolution ne doit pas néanmoins AStre perA§ue comme univoque. Elle n'a pu s'opérer que sur la base d'une distinction très stricte entre deux types de communication : la communication fonctionnelle et normative.
» La communication normative correspond A ce qu'on appelle l'Espace Public, c'est-A -dire ici l'ensemble des transactions touchant aux enjeux essentiels d'une société : la science, la politique et par extension, ce qui touche A l'univers du droit (c'est-A -dire ce que l'entreprise prend pour acquis, cf. chapitre 6).
Cette communication est appelée ainsi car les échanges y sont toujours effectués en référence A des valeurs propres au débat objectif, mASme si elles s'en éloignent en pratique : -normatif- signifiant ici qu'il ne s'agit que d'un idéal, mais suffisamment fort dans notre culture pour particulariser cet espace.
» La communication fonctionnelle renvoie A l'univers du quotidien, du pratique et de l'utile ou du divertissement. Sa référence est d'abord le champ économique, comme indiqué dans l'encadré, il s'agit d'un champ produisant ses propres règles de faA§on semi-spontanée.
Il ne faut pas se tromper cependant sur l'apparition de cette dualité. Elle ne correspond qu'A la reconnaissance de l'importance de la sphère fonctionnelle, alors que la communication normative était historiquement le modèle de référence de notre culture. Il est clair, notamment, que la communication normative reste centrée sur l'émetteur - celui qui propose une thèse, pour parler la langue de l'épistémologie - ce qui n'était pas acceple A partir du moment où l'on se penchait sur la réception.
Distinction de D.Wolton entre communication normative et fonctionnelle
D.Wolton est l'auteur A qui l'on doit la distinction entre -communication normative- et -communication fonctionnelle-. Par communication normative, il entend : -l'idéal de communication, c 'est-A -dire la volonté d'échanger pour partager quelque chose en commun et comprendre. Le mot "norme " ne renvoie pas A un impératif mais plutôt A un idéal poursui par chacun. La volonté de compréhension mutuelle est ici l'horizon de cette communication. Et qui dit compréhension mutuelle suppose l'existence de règles, de codes et de symboles-.
Par communication fonctionnelle -il faut entendre les besoins de communication des économies et des sociétés ouvertes, tant pour les échanges de biens et de serces que pour les flux économiques, financiers ou administratifs. Les règles jouent ici un rôle encore plus important que dans le cadre de la communication interpersonnelle, non dans une perspective d'intercompréhension ou d'intersubjectité, mais plutôt dans celle d'efficacité liée aux nécessités ou aux intérASts-2. La distinction entre communication normative et fonctionnelle nous éclaire également sur les limites théoriques des théories du -récit- qui proposent d'introduire le récit dans l'entreprise comme outil de communication des connaissances (techniques dites du -storytelling-). Cette tendance est assez récente, mais bénéficie d'une certaine aura en entreprise, notamment parmi certains hauts managers. Elle est cependant assimilée A tort au
management des connaissances : en fait cette théorie du récit ne voit pas la différence qui existe entre les deux modes de communication précités. Et il semble bien que le récit, tel qu 'il est entendu, relève de la communication normative plutôt que de la communication fonctionnelle ; il ne peut donc avoir d'applications que limitées A la sphère managériale, mais très marginales dans l'univers professionnel.
Le paradoxe de la communication fonctionnelle
Or, et bien que l'entreprise soit l'univers économique par excellence, force est de constater que cette dualité ne se retrouve pas dans son univers ; ou, pour AStre plus précis, dans l'image que les professionnels s'en font. En dehors des serces spécialisés - que nous écartons de notre étude - toutes nos observations montrent en effet que ce qui correspond A la communication fonctionnelle est très peu pensé, notamment de ceux qui en ont ou en auraient la charge. Cette absence, au demeurant, n'est pas le seul fait du haut management, mASme si, on le verra, des signes d'évolution sont perceptibles. Pour les opérationnels, et notamment dans les métiers et les projets, communiquer ce n'est soit -qu'échanger avec des collègues-, soit -rédiger des documents d'entreprise-, cette dernière actité étant généralement vue comme une -corvée A accomplir-. De plus, l'émission des messages n'est pas contrôlée, elle est considérée comme -naturelle-, les émetteurs attribuant aux récepteurs des connaissances analogues aux leurs. On émet, mais la manière dont le message sera reA§u, compris et mis en action fait rarement souci.
Pour l'encadrement intermédiaire, les taches d'émission ou de réception des documents - lecture, gestion - sont -transparentes- et ne doivent pas apparaitre comme une actité en soi, car dans ce cas, elles grèveraient les charges. Elles sont de facto vues comme un coût, on en verra d'ailleurs une application A propos des -coûts cachés-, chapitre 13. Quant A l'encadrement supérieur, qui déclare souvent s'intéresser A ces questions, il ne lui accorde pas le statut stratégique qui leur assurerait une réelle prise en charge.
Un tel comportement est A coup sûr paradoxal, car il franche avec l'inflation de discours que l'on a connue ces quinze dernières années concernant la communication. Il peut cependant trouver une explication : il tient, d'après nous A la polarisation que ces années ont créée sur la personne du
manager et la communication le concernant directement. De ce fait, et de faA§on presque naturelle, on en est venu A s'aveugler sur les enjeux de la communication entre professionnels, assurément moins noble et dont l'enjeu économique n'apparait massivement qu'aujourd'hui. Le point est important, il conent de s'y arrASter.
Remarque : Nous qualifierons par la suite de -professionnel- ce mode de communication, le terme de -fonctionnel- prAStant trop A confusion en entreprise.