De manière schématique, nous allons dire ici que les réseaux de
communication se structurent en fonction des nécessités de formation et de partage de connaissances, et relient des personnes censées AStre en position d'apporteurs A des personnes en position de recherche. Et notre propos est de répondre A la question de leur efficacité -intrinsèque-.
Pour ce faire nous suggérons de partir d'une norme idéale de communication et de raisonner en différentiel par rapport A cet idéal : c'est-A -dire d'isoler les principaux facteurs de -dysfonctionnements- et suggérer les
moyens d'y faire face. Il s'agit lA d'une attitude modeste et qui tient A la difficulté d'un vrai trail de quantification. Rappelons en effet qu'en dehors de l'analyse des coûts, qui reste ici implicite, il n'est pas de mesure objective possible dans l'univers que nous abordons et toute approche
économique ne pourra s'effectuer que de faA§on globale, en relation avec l'activité de l'entreprise.
Mais on le verra, les facteurs d'inefficacité d'un processus de communication sont nombreux et certains, surtout, sont inhérents A la structure de l'entreprise.
Classer les écarts par rapport A une communication idéale
Dans le cas idéal, la situation d'échange de
connaissances peut se décrire A partir de ce que nous observons de deux personnes physiquement proches : l'émetteur émet vers un récepteur identifié et connu, en pratique celui qui signale un besoin par une question. L'échange est alors satisfaisant si le récepteur obtient une réponse qu'il comprend et qui lui permet de résoudre le problème A l'origine de la question. L'interaction permet de résoudre - du moins en théorie - toutes les difficultés et de lever les ambiguïtés éventuelles. L'émetteur peut aussi émettre vers une catégorie ou un groupe de personnes, ce qui a lieu lorsque les
connaissances sont mises en forme dans un document ou communiquées lors de formations. Dans ce cas, l'émetteur imagine connaitre les récepteurs, mASme si cela n'est pas toujours le cas, et prépare son message en fonction des profils des personnes A qui il s'adresser.
Cet idéal est bien sûr extérieur A la vie réelle et nombre d'écarts apparaissent dans la pratique. Toutefois, et c'est sans doute lA l'intérASt du modèle de communication, il est possible de classer ces dysfonctionnements selon leur origine -générique-, c'est-A -dire en les classant en types lexical, sémantique, syntaxique et pragmatique. Ce repérage est souvent un pas essentiel dans leur résorption, car la prise de conscience par les acteurs de l'origine des écarts conduit fréquemment A des processus rapides d'auto-correction. Charge alors au
manager de faciliter cette prise de conscience, ce qui peut se faire par des démarches d'auto-questionnement et d'auto-éluation. Le principe en est donné dans l'encadré en fin de paragraphe.
Cependant, souvent ne veut pas dire toujours et c'est pourquoi il nous faut insister sur le dernier item de la typologie. Non pas pour des questions de nombre, car l'
entreprise est bien souvent le lieu de l'ésotérisme des néologismes et des sigles, souvent cultivé pour des raisons frisant le corporatisme. On ne compte donc pas les dysfonctionnements dus A l'incompréhension de textes transmis, souvent mASme entre bureaux voisins, ou A la non-connaissance des appellations propres A tel ou tel service.
Choses lues en entreprise
La phrase suinte est extraite de la spécification d'un artefact. -Chacune des deux ULS réalise les traitements de vote 2/4 sur les signaux issus des UF et les traitements logiques sur les signaux logiques acquis sur les réseaux de signalisation et sur les entrées TOR-.
On notera qu 'il s'agissait de réaliser un dispositif de sécurité dans un équipement susceptible de causer des
risques graves A l'environnement en cas de non-fonctionnement satisfaisant. Sur un autre on peut rapporter l'histoire de ce donneur d'ordre dont le cahier des charges spécifiait que -la connexion des sous-systèmes doit AStre réalisée par 'département '-. L'exécutant a logiquement pensé que le terme -département- correspondait A l'unité géographique et a donc pensé les connexions en fonction de cette présupposition. Or, il s'est avéré que le donneur d'ordre ait une toute autre idée du -département-, terme qui renvoyait pour lui au découe fonctionnel de l'entreprise. Mais il ait omis de le préciser dans son document. Coût total de cette méprise : 20 millions de francs ! Obsertions personnelles.
Il ne s'agit cependant pas d'un phénomène propre A l'entreprise et, pour tout dire, la plupart des acteurs sont prévenus A leur sujet. Les Intranets publient d'ailleurs de plus en plus régulièrement des glossaires ou des nomenclatures qui sont le signe d'une telle prise de conscience. Par contre, les deux niveaux ci-après, qui renvoient tous A la dimension pragmatique de
la communication, méritent notre attention car ils sont vérilement inhérents A la division fonctionnelle de l'entreprise.
La problématique enfermante du métier : le conflit expert/ utilisateur
La première source de dysfonctionnements - la plus difficile A -trailler- en tout cas - est la différence de problématique des partenaires de la communication. Nous entendons par-lA que le type de métier A l'origine de très nombreux messages émis en entreprise - les questions auxquelles on cherche A répondre pour aller vite -détermine une logique particulière de formalisation, ce qui conduit A des incompréhensions récurrentes et coûteuses.
Pour appuyer notre propos, nous nous référons aux relations entre l'expert et l'utilisateur d'un produit, qui nous semblent typiques de cette situation. Ces deux personnes ne regardent pas un mASme objet de la mASme manière : le premier le fait A partir de la faA§on dont le produit fonctionne et aura tendance A privilégier les explications sur ce comment (c'est la logique technique classique). Le second au contraire s'intéresse A la manière dont il peut AStre utilisé. Or l'expérience quotidienne le montre - et l'histoire de la
philosophie l'a souvent expliqué4 - ces deux manières de voir conduisent A des logiques de compréhension, A des modes de conceptualisation qui leur sont propres et souvent opposés.
Un exemple de rapport entre expert et utilisateur
Pour faire face aux besoins de ses équipes commerciales, une grande entreprise ait le choix entre deux types de service A distance permettant de joindre des experts afin d'obtenir des précisions sur l'offre commerciale : le premier basé sur le principe du numéro unique avec une équipe d'interface ; le second, sur le principe des numéros par domaines d'expertise.
Compte tenu de la technicité de son offre, l'entreprise a d'abord fait le deuxième choix. Mais au bout d'une période significative, il est apparu deux types de -déviations-. Tout d'abord la liberté d'organisation laissée aux équipes d'experts conduisait A des écarts de traitement significatifs, et A des phénomènes de non-qualité manifestes (retards, oublis etc.). Mais, au-delA , on s'est aperA§u de nombreuses incompréhensions dans les transactions, les experts ayant tendance A répondre sur un terrain technique alors que les questions posées étaient liées A l'usage commercial du produit.
Un cas révélateur est celui de la compatibilité entre appareils électroniques : les commerciaux -remontant- souvent des problèmes dus A / 'installation des clients, alors que les experts ne répondaient que les protocoles de dialogue entre appareils. Compte tenu de ces problèmes l'entreprise décida alors de s'orienter vers la première solution autour de trois principes de mise en ouvre : - l'équipe d'interface deit orienter les questions vers les experts A l'aide de dossiers écrits (par e-mails), ou y répondre directement dans le maximum de cas ;
- un process de réponse unique était écrit qui conduisait les experts A contacter les demandeurs dans un délai court et sur la base du dossier ;
- enfin, les réponses étaient tracées par domaines et diffusées dans l'entreprise.
L'expérience s'est révélée très positive et le service vivra de longues années (on repartira de cet exemple dans l'encadré ci-après).
Nous appelons ces écarts -écarts d'origine conceptuelle-, car on peut assimiler ces logiques A de vériles disciplines au sens quasi-universitaire du terme et dont la spécificité crée des incompréhensions récurrentes : on parle d'ailleurs du langage des informaticiens (les mauises langues diront mASme : -volapûk-). Nous en donnons un exemple générique dans l'encadré ci-dessus. Or ce genre de divergences nous semble non seulement problématique, mais surtout intrinsèque A l'entreprise qui se nourrit de la différence des métiers. Il s'agit donc d'un problème rémanent, qui se renforce de la technicité croissante des métiers : chaque corps de métiers se trount par rapport A l'autre dans la position de l'utilisateur par rapport A l'expert, avec tous les problèmes que cela pose. Toutes nos obsertions montrent qu'il croissant avec le temps.
La fonction de médiation et le point de vue de l'utilisateur
Face A de tels écarts, et mASme si elle est nécessaire, la seule prise de conscience de la part des acteurs est loin d'AStre suffisante. Nous sommes d'ailleurs très souvent A tour de rôle cet expert et cet utilisateur, et reconnaissons-le, la pratique de l'un se nourrit rarement de l'expérience de l'autre. Aussi
le management ne peut-il pas se contenter de l'attitude de
neutralité que l'on observe fréquemment quand il s'agit d'aborder la question du contenu de la
communication professionnelle. Au contraire, nous pensons qu'il doit privilégier le point de vue de l'utilisateur : c'est-A -dire agir pour infléchir les jeux de communication A partir de sa manière de voir le problème, en fonction de ce qu'il est A mASme de comprendre.
Certes, il ne s'agit pas ici de nier la vision de l'expert, comme on commence A l'entendre désormais, au prétexte que la connaissance serait ce qu'en fait celui qui la reA§oit. Le besoin d'expertise est tout sauf en décroissance dans les entreprises, et il faut rappeler que l'expertise ne peut s'épanouir que dans le cadre de son univers, de son langage propre. Mais il s'agit de poser le problème de l'efficacité de la communication des connaissances que l'expert aura produites, et de noter qu'elle dépend en grande partie de sa capacité A les rendre accessibles A l'utilisateur.
Cette capacité nous l'appelons, A la suite de quelques obserteurs, fonction de médiation entre expert et utilisateur, pour signaler qu'il s'agit lA d'un vrai trail de formulation de connaissances, voire de leur reformulation. Plus encore, et mASme si les exemples de ce type sont assez rares, nous pensons que c'est le rôle du manager que de s'assurer que les processus de communication comprennent bien cette médiation. Ce qui peut prendre d'ailleurs des formes très diverses pount aller :
- d'une action directe auprès des experts, pour les problèmes relativement simples, ce qui renvoie A l'action du management auprès des acteurs ;
- A la mise en place de structures spécifiques, comme en témoigne l'exemple rapporté dans l'encadré.
Un exemple de rapport médiatisé entre experts et utilisateurs (suite de l'encadré précédent)
A la suite du succès de son service de soutien, l'entreprise a commandé un audit pour en comprendre les raisons. Il est apparu quatre points qui renvoient A la fonction de médiation jouée par ce service :
1. L'équipe placée en interface - et du fait mASme de son positionnement - a rapidement adopté le point de vue cognitifdes demandeurs et l'écriture des dossiers s'en est ressentie ;
2. Le fait de rappeler sur la base d'un dossier conduisait les experts A un exercice préalable de reformulation des besoins réellement orientés selon le point de vue du demandeur. Ce mécanisme ait en outre l'intérASt de sécuriser le demandeur.
Le rapport qualifia de -posture de service- l'attitude de l'équipe d'interface et celle, nouvelle, des experts ;
3. Le traA§age des transactions, et leur classement par type de domaines dans un -référentiel- - i.e. par type de questions - ait l'intérASt de transformer toute une connaissance d'expertise A partir de l'usage et de fournir une base utilisable directement par les opérationnels. Il favorisait en outre la
compétence de l'équipe d'interface qui pouit de ce fait répondre aux questionnements simples ;
4. Le dernier point du rapport concerne le management, dont l'apport est apparu essentiel : aussi bien pour souder l'équipe d'interface et la faire monter en compétence que pour -encourager- des experts évidemment réticents A observer la discipline demandée. Le caractère atypique des managers concernés fut alors remarqué.
Nous voyons dans l'ensemble de ces points un exemple très complet de
mise en place d'une fonction de médiation.
Exemple reconstruit d'après nos obsertions personnelles.
La plupart du temps, cependant, cela se traduira par la mise en place de fonctions éditoriales spécifiques dont la mission sera d'assurer le partage des connaissances nécessaires A l'activité quotidienne souvent en liaison avec l'apparition des nouveaux outils NTIC : c'est le référentiel de notre encadré. Un problème majeur sera alors d'ajuster le fonctionnement de ces structures aux besoins des lecteurs, mais aussi aux rythmes des structures d'expertise et aux modes de capitalisation de connaissances qui pourront s'y développer. C'est pourquoi nous évoquerons ce point en détail dans notre chapitre 9.
La référence au management, A un vérile
management des connaissances est donc loin d'AStre exagérée dans ces cas lA , d'autant qu'elle se double d'un trail tout aussi indispensable sur les dysfonctionnements d'origine contextuelle.
Le niveau contextuel : une problématique inhérente A la division fonctionnelle
Derrière ce terme, nous désignons les écarts de communication liés A la différence des contextes de trail de l'émetteur et du récepteur, et A leur non prise en compte par l'émetteur. On peut prendre ici l'exemple -classique- des relations tendues entre les services
marketing et les forces commerciales qui proviennent le plus souvent de décalages structurels dans la manière de voir le
marché : les premiers l'appréhendent en termes -statistiques- et parlent en termes de
clients types quand les seconds ne se réfèrent qu'A leurs clients individuels et réels (cf. l'encadré pour des exemples dans l'industrie).
Communication déficiente dans l'industrie
Prenons une situation récurrente de mauise communication. L'équipe qui conA§oit un artefact s'adresse A l'usine, pour demander s'il est possible de le produire en utilisant deux lignes de production distinctes. Réponse de l'usine : -Non-. Du coup, l'équipe projet revoit entièrement sa conception ce qui conduit A un surcoût du temps de l'étude. L'analyse a posteriori a montré que l'usine n'ait pas bien compris la question et que faute de connaissances plus précises, l'équipe technique n'a pas su comment argumenter auprès de l'usine sur l'importance des deux lignes de production initialement conA§ues. Le dysfonctionnement est donc dû A la méconnaissance des contraintes des services, les uns par rapport aux autres : c 'est ce que nous appelons la méconnaissance du contexte du métier des uns et des autres. H faut y voir un problème managèrial. Face A de telles questions il est en effet fréquent de banaliser la situation en suggérant -qu 'il n 'y ait qu'A - pousser le dialogue plus loin. Ce genre d'appel aux bonnes volontés - s'il n 'est pas négatif en soi - revient quand mASme A méconnaitre les causes du phénomène rencontré, qui se situent ici dans l'incompréhension des missions de chacun. Et, naturellement, il y a fort A parier que le phénomène se reproduira sur un autre cas. A partir de nombreuses obsertions personnelles.
Il ne s'agit d'ailleurs pas tant ici d'ignorance ou de mépris comme on l'a soutenu - et comme on le ressent bien souvent - mais d'un problème inhérent A la situation différenciée des acteurs qui les oblige A se plonger dans leur propre activité, A raisonner A travers elle. C'est pourquoi ces dysfonctionnements sont propres A l'entreprise et sont aussi divers que les relations entre services. Citons par exemple :
- la non prise en compte des rythmes propres d'un service, A l'image des formations commerciales organisées en période de -pointe-,
- ou, de faA§on plus générale, la non prise en compte des contraintes spécifiques A un service, comme dans le cas assez connu de l'opposition entre commerciaux et techniciens,
- l'impossibilité, chronique, d'échanger entre concepteurs producteurs dès qu'un projet est fortement cadencé,
- la difficulté de créer une synchronisation inter-projets de faA§on A permettre aux uns de réutiliser le trail des autres,
- et, de faA§on plus générale, l'organisation de la communication, au sein des projets relent de l'ingénierie concourante, de sorte que chacun, in fine, cherche A imposer les contraintes de son métier A l'ensemble du projet.
Pour la plupart, ces exemples renvoient A une action mana-gériale : il s'agit souvent d'harmoniser des rythmes de trail et surtout d'organiser la mise en relation entre services A partir de la finalité de l'entreprise. Il est clair, par exemple, que les relations entre des services techniques et commerciaux devraient privilégier le point de vue du
marché (par opposition au point de vue interne) ; et que le management doit veiller A ce que ce principe soit intégré dans la pratique. De mASme, les relations entre services de conception et de réalisation ne peuvent AStre pensées qu'en privilégiant l'adaptation des premiers aux contraintes des seconds. Au-delA de la simple action sur les comportements, ceci renvoie A la nécessité d'organiser de faA§on jointe la coordination des équipes et la forme de la communication qui apparaitra nécessaire ; on s'inspirera alors des démarches d'auto-éluation.
La diversité des cas rencontrés interdit cependant d'en dire beaucoup plus. Cette action, ici encore, ne peut AStre pensée que globalement, en fonction des enjeux stratégiques de l'entreprise. C'est pourquoi on présentera une illustration de ce problème chapitre 11 (cf. la
stratégie de la leur pour les clients). Mention spéciale doit cependant AStre faite ici concernant les deux problématiques spécifiques que sont les enjeux culturels et les problématiques de communication différée.
Le niveau culturel et l'internationalisation
Il faut rappeler que la communication dans l'entreprise ne peut AStre dissociée de certains aspects psychologiques, symboliques ou culturels. De ce point de vue, l'idéal de transparence qui traverse souvent les discussions sur ce sujet nous apparait une utopie - si tant est qu'elle soit souhaile - tant les aspects personnels, non liés A la vie professionnelle interfèrent constamment avec le processus de communication. Il faut insister notamment sur le contexte culturel au sens large, celui des codes implicites de comportement et des schémas de pensée nationaux.
Certains facteurs, impossibles A maitriser en entreprise, pèsent sur la qualité de la communication. On a tendance A oublier que les individus ont une vie en dehors de l'entreprise et qu'ils sont fortement marqués par ce qui se passe en dehors d'elle. Or, la culture de la communication hors entreprise est dominée par la dispersion, le -zapping-, le -court-, la prédominance de l'image et par le peu de confiance accordé aux émetteurs publics (hommes politiques, journalistes). Cet état d'esprit ne peut qu'entrer en conflit avec celui qui préside A la communication A l'intérieur de l'entreprise, centrée sur l'écrit (qu'elles qu'en soient les formes), le long, l'explicatif, le formel, le textuel quasi dépourvu d'icônes, la nécessité d'accorder la confiance A ce qui est émis par les autres, faute de quoi on en serait éternellement réduit A refaire ce qui a déjA été fait.
Dimension psychologique et symbolique de la communication
Le mythe de la communication transparente, également accessible A tous, unanimement partagée, est devenu particulièrement prégnant dans certaines entreprises, surtout industrielles, où, pense-t-on, l'opacité ne doit pas avoir droit de cité. Niées, les évidentes difficultés de communication reviennent sous la forme d'outils non utilisés, d'informations non lues ou ignorées.
Nous renvoyons ici encore au trail de D. Wolton : -L'idéal de la transparence a une autre conséquence, celle de créer l'idée, fausse, selon laquelle il peut y avoir une société sans distances symboliques. De lA A croire que la communication généralisée augmentera la transparence et atténuera la hiérarchie, il n'y a qu'un pas, franchi par beaucoup. Cette réduction des distances symboliques rencontre rapidement une limite. Tout le monde ne peut pas vivre au mASme niveau de compréhension des problèmes d'une société. Toute collectivité a besoin des distances symboliques5-.
La réflexion permanente sur les conditions de communication dans une entreprise et ce qui s'en suit sur les modes relationnels dominant sert A créer un cadre de référence dans lequel s'inscriront toutes les analyses postérieures.
Au-delA de ce point, le problème le plus important sera posé par le
développement international. La spécificité culturelle et le référentiel national ont en effet une influence très forte sur la communication et l'appropriation du message par le récepteur. Des traux tels que ceux de P. Iribarne ont montré que le déterminisme communicationnel n'existe pas notamment parce que dans une multinationale le poids du référentiel national peut aller jusqu'A dénaturer complètement le message.
L'exemple de cette multinationale pharmaceutique franco-européenne confrontée A une demande émanant de médecins-chercheurs franA§ais nous semble très illustratif. Ces derniers se plaignaient de mal communiquer avec leurs collègues américains et aient demandé une formation A la communication par e-mails. Or, après rapide analyse, il est apparu que le vrai problème ne résidait pas dans l'utilisation de la messagerie mais dans la différence entre la stratégie communicationnelle des FranA§ais et des Américains. Et l'analyse a montré que les Américains manifestaient leur rejet du -pouvoir étranger- par l'utilisation dans les messages de trail d'un vocabulaire se référant aux réalités quotidiennes américaines (en particulier baseball ou football américain), rendant de ce fait difficile leur compréhension par les collègues étrangers : les enjeux de pouvoir étaient ainsi transférés sur la communication par messagerie, contact quotidien entre les équipes (obsertions personnelles).
Facteurs culturels et parasitage de la communication
La communication en France est souvent -informelle-, dans la mesure où au sein de la population dite -cadre-, les individus se sentent profondément égaux. C'est ainsi qu 'on dira A son subordonné -tu devrais voir s'il n'y a pas un problème A tel endroit-, ce que celui-ci interpréter comme un ordre intimant de résoudre le problème dont il ne fait aucun doute qu'il est réel et qu'il existe. En Allemagne, la mASme phrase est considérée comme une indication informelle suggérant une éventualité A traiter sans urgence, voire pas du tout. Si le problème n 'a pas été pris en compte, le FranA§ais dira -mais je vous ai dit d'aller voir-, ce A quoi l'Allemand répondra -non, vous ne me l'avez pas explicitement ordonné- ! On retrouve au travers de cet exemple, toute la question des actes de langage interprétés ici en fonction des
données du référentiel culturel national de chacun des acteurs.
De tels problèmes sont encore mal pris en compte par le management, car celui-ci n'aime pas la communication -spécifique- construite en fonction du profil culturel et national du récepteur. Toutefois, il suffit de se souvenir des difficultés rencontrées par les entreprises franA§aises, et non des moindres, dans la construction d'une démarche managériale cohérente au sein d'entreprises acquises A l'étranger, en particulier en Allemagne ou aux Etats-Unis : les éviter suppose que le management des connaissances prenne en compte les différences interculturelles qui impactent très fortement le processus de communication, en rajoutant une strate complémentaire de complexité.
L'espace et le temps
Jusqu'A présent, nous avons analysé le processus de communication des connaissances sans y introduire les deux riables qui en sont indissociables : l'espace et le temps. Ces riables ne jouent pas de rôle déterminant dans nombre de situations de communication, surtout lorsque la réception du message est concomitante de son émission. Néanmoins, cela n'est plus vrai lorsqu'il y a un écart de plusieurs années entre le moment d'émission des connaissances et le moment de leur réception, surtout lorsqu'il s'agit de connaissances scientifiques et techniques, qui se périment très peu avec le temps. Dans ce cas, le récepteur reste largement inconnu, les questions qu'il pouvoir formuler le sont tout autant que l'est la manière avec laquelle il le faire. Ce décalage temporel introduit donc une difficulté structurelle majeure, que le management doit prendre en compte. Or, les ouvrages consacrés A ce thème restent muets sur ce sujet, tant la préoccupation de l'immédiat y apparait dominante.
A ce décalage temporel, il convient d'ajouter le décalage dans l'espace qui multiplie encore les difficultés. Ce décalage est, certes, assez souvent pris en compte par les grands groupes industriels dont les équipes sont dispersées sur tout le territoire national, voire dans le monde, mais il est traité de faA§on isolée, le plus souvent par le biais des technologies de l'information de type messagerie, Intranet ou trail coopératif. Or une telle démarche est loin d'AStre suffisante, car rien ne permet de classer les informations, de rythmer leur transmission. Si le décalage temporel impose la sauvegarde et la présertion, le décalage spatial, quant A lui, impose une mise en forme différenciée des informations en fonction des profils, cultures et métiers des récepteurs. La prise en compte commune de ces deux décalages devrait donc obliger A une analyse fine de ce qui est important du point de vue des récepteurs et A une définition précise des critères d'analyse de l'information qui sera préservée. En absence d'une telle analyse, les outils informatiques de stockage, auxquels les entreprises ont recours la plupart du temps, se trouvent submergés par l'information, laquelle ne sera que rarement exploitée correctement. Ces informations ne sont, en réalité, émises vers personne.
Les coûts de mise en forme étant élevés, on se trouve dans un cas typique d'un processus où les solutions apportées créent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent.
En forme de synthèse : pour une vraie politique éditoriale
Le panorama que nous venons de dresser ici n'a aucune prétention A l'exhaustivité. Il s'agit d'un sujet encore peu traillé, le plus souvent laissé A l'initiative des professionnels, et nos obsertions ne sauraient prétendre A l'épuiser. Cependant, mASme avec ces limites, elles permettent de suggérer ce que pourrait signifier une politique managériale en matière de communication. Celle-ci pourrait reposer sur trois aspects :
1. La sensibilisation des acteurs aux enjeux croissants d'efficacité de la communication quotidienne.
Ce trail de sensibilisation peut s'appuyer sur les techniques d'auto-éluation que nous avons déjA évoquées A propos de l'EFQM, dans le chapitre 5. Nous en précisons le principe ci-dessous :
A propos des pratiques d'auto-éluation.
Les démarches d'auto-éluation sont des techniques d'animation qui visent A sensibiliser des équipes (de trail ou managériales) sur certains enjeux d'efficacité difficiles A maitriser. L'idée directrice est d'effectuer un trail collectif d'identification et d'éluation collectives. Ce qui se fait fréquemment autour de questionnaires préstructurés qui permettent de se poser les questions pertinentes par rapport A ces thématiques, et de se doter de critères d'éluation opératoires. Dans de telles démarches, le terme -auto- renvoie au caractère -privé- de la démarche, qui ne doit pas servir d'outil de pilotage pour la hiérarchie supérieure mais simplement aider une équipe A mesurer ses propres progrès. C'est dans ce sens, notamment, que nous avions présenté le questionnaire dit EFQM utilisé assez fréquemment par les équipes managériales.
Cette technique d'animation suppose cependant un certain nombre de prérequis pour AStre utilisée avec profit : au-delA de la maturité de l'activité, il est clair que le sujet élué doit AStre consensuel au sein de l'équipe, A l'image notamment de la thématique de la qualité. C'est pourquoi elle nous semble tout A fait adaptée A la problématique de la qualité de la communication. Les deux chapitres que nous venons d'aborder fournissent d'après nous la trame de fond de telles démarches (cf. aussi ci-après, chapitre 8).
2. L'action sur la fonction éditoriale, pour la rendre cohérente avec les enjeux d'efficacité de l'entreprise.
C'est un peu le paradoxe de cette discussion, qu'en partant de la nécessité de privilégier l'usage de la connaissance, nous en déduisions l'attention que ce manager doit porter sur la fonction d'émission. Toutefois, ce paradoxe se comprend de l'existence d'un niveau autonome de la connaissance et de la nécessité d'en assurer A la fois la cohérence interne et l'utilisation collective par l'entreprise. Agir sur le mode de structuration de cette connaissance, c'est-A -dire sur la construction de référentiels communs, organiser la diffusion des connaissances utiles dans l'entreprise, s'interroger sur leur accessibilité par l'utilisateur et naturellement leur lisibilité : tout cela mérite d'AStre pensé, organisé, rationalisé mASme. Et c'est une responsabilité nouvelle du management.
Cette action, nous l'appelons politique éditoriale, en généralisant A son propos ce que nous avons dit, ci-dessus, de la fonction de médiation. On pourra la définir par la nécessité d'assurer l'efficacité de la circulation des connaissances dans l'entreprise, -efficacité- étant A prendre autant dans un sens cognitif - un partage optimal de la connaissance collective - qu'économique - car ce partage a un coût. Nous approfondirons ce point au chapitre 9.
3. Naturellement, et c'est le troisième point, une telle fonction ne se satisfait pas de cette seule dimension abstraite, voire, par certains côtés, technique. Elle n'a de sens que si elle est accomnée d'une action parallèle sur les équipes qui se trouvent au cour de ces circuits d'échange de connaissances, qu'elles soient -émettrices-, utilisatrices ou mASme médiatrices.
Il s'agit cependant d'un niveau particulier de l'action managé-riale qui possède sa propre cohérence, car il renvoie plutôt A la question de la dynamique de connaissances dans une équipe qu'A la fonction de communication en tant que telle. Nous devons donc l'aborder de faA§on autonome, comme une conclusion A nos obsertions sur la connaissance et la communication.