Styles et caractères
Devant la complexité des taches telle qu'elle est apparue dans le chapitre précédent, il a semblé important depuis longtemps, en fait surtout depuis la Seconde Guerre mondiale voici cinquante ans, de voir quels étaient les styles possibles que pouvait adopter un manager.
Cette question du style du
manager est différente des questions de personnalité abordées au Ier chapitre. D'une part, il s'agit ici de manières d'agir et non d'héritage génétique, ce qui laisse à penser que le
manager peut adopter des attitudes qui ne soient pas inspirées uniquement par son tempérament. En d'autres termes, cette manière de voir laisse la porte ouverte aux notions de changement et de formation.
D'autre part, quand on parle de style de manager, il s'agit d'actes réels du manager et non de spéculation sur ce qu'il fera, étant donné tel ou tel aspect de sa personnalité. Ces remarques sont importantes ; il faut le souligner dans un pays comme le nôtre qui n'a pas une longue tradition de psychologie behavioriste1.
Certains
managers qui, à un moment donné, essaient de se faire une idée de leur style, le croient inné, et font des déclarations de ce genre : «je suis fait comme cela, je n 'y puis rien » ; « c 'est ma nature, on ne me changera pas ». Ce sont les mêmes qui une heure après se plaignent que leur propre responsable n'essaie pas d'acquérir tel ou tel savoir-faire qui rendrait les communications plus faciles. On croit rêver devant un tel illogisme de la part d'esprits qui ont souvent fait aux environs de dix-huit années d'études, sinon plus, sanctionnées par des examens, des concours d'entrée et qui exercent d'importantes responsabilités.
C'est un exemple typique d'aveuglement ou au moins de myopie qu'il s'agit de corriger si on veut accomplir quelque progrès.
Donc un style est fait de comportements et ne coïncide pas nécessairement avec des traits innés de caractère. Le style décrit ce que la personne fait à un moment déterminé ; les traits de caractère, les typologies essaient de cerner ce que cette personne est par nature et inclination.
Que mesure-t-on ?
Encore faut-il être au clair sur ce qu'indiquent les instruments d'analyse, les questionnaires, les grilles qui essaient de repérer des styles. On peut distinguer trois réalités différentes qui sont loin d'avoir la même signification.
1. Si on n'y prend pas garde, le questionnaire peut mesurer l'idéal que souhaite atteindre le manager. C'est même le plus fréquemment ce qui se passe. Le manager ne décrit pas ce qu'il fait, mais ce qu'il pense qu'il faudrait faire. Sans s'en apercevoir, il remplace l'auto-observation par une répétition de leçon. Et sans doute n'est-il pas inutile de faire échanger les gens sur leur idéal et de les aider à se positionner par rapport aux divers repères possibles. Mais cela a un double inconnient :
a) Tout d'abord, on prend ses désirs pour la réalité ; comme on sent ce qu'il faudrait faire, on croit petit à petit qu'on est arri à le faire. La contemplation du bel idéal dispense de voir la réalité parfois sordide.
Je pense mais ne fais pas
b) Ensuite cet idéal comme une leçon habite plus la tête que le coeur et ne peut agir comme une motivation. Je puis connaitre par coeur les six conditions essentielles de l'écoute sans que cela change en rien mon comportement. Cela peut sembler curieux à nos esprits hexagonaux, imbus, même si nous ne l'avons pas lu en entier, du rationalisme de Dessectiunes et pour qui la condition de l'action est le savoir. Mais c'est pourtant la réalité. La
connaissance précise des règles de grammaire anglaise à la fin de la classe de lte n'a jamais garanti à quelqu'un la capacité de parler anglais.
Entre l'acquisition cognitive et l'action, il y a l'acquisition du savoir-faire. Il est donc important de toujours avoir à l'esprit la question de savoir si tel instrument d'analyse focalise l'attention sur l'idéal ou même permet facilement la déviation vers la mesure de l'idéal.
2. À défaut de mesurer l'idéal, les grilles de réponse des styles des
managers peuvent mettre à jour la perception que le manager a de ses actes, de son comportement. Nous nous rapprochons ici du domaine des faits. Le seul inconnient de cette mesure est la possibilité de l'équation personnelle.
Une vision filtrée
Est-ce que nous nous voyons comme nous agissons ? Sans doute pas. D'abord, nous voyons nos actions en même temps que nos intentions ; et la pureté de celles-ci nous empêche de voir l'inadaptation des
moyens employés pour les mettre en oeuvre. Les actions correspondant à de bonnes intentions sont parfois, inconsciemment, très blessantes pour autrui. Ensuite, il n'est pas dit qu'un système inconscient de filtrage ne gomme pas en nous, ce dont il nous serait pénible de nous souvenir et ne mette pas au premier telle ou telle attitude dont nous sommes fiers même si nous ne lui donnons pas de nombreuses occasions de se manifester. La mesure du style de
management par le manager lui-même n'est donc pas exempte de limitations et de distorsions possibles.
Intentions et actions
J'étais à l'époque inspecteur d'écoles. Dans une classe je m'ennuyais à mourir observant les travaux que le professeur avait donnés aux élèves pour ne pas trop se compromettre devant moi.
Tout à coup, de ma place, je vois un élève appliqué à quelque chose sortant de l'ordinaire. Il illustrait son cahier par un dessin coloré et astucieux. Intéressé, et pour tuer le temps, je voulus voir cela de plus près. Qu'est-ce que j'ai fait exactement ? Je ne saurai jamais. J'ai cru me mettre en route d'une démarche vive, motie par l'intérêt. Après cinq mètres environ, j'arrivai devant l'enfant. Pendant mes deux ou trois derniers pas, il avait le les bras pour se protéger de la gifle que d'après lui j'allais lui donner !
Allez y comprendre quelque chose !
3. Une troisième réalité peut être visée, à savoir la perception que les autres ont de votre style de management. Certaines grilles permettent cette mesure ; ce qui est délicat, c'est de savoir qui vont être les autres qui vous connaissent assez bien dans la vie quotidienne pour pouvoir exprimer comment ils vous perçoivent. Ce peut être le responsable au cours de l'entretien annuel ; mais il utilise des questionnaires bien plus tournés vers la gestion du personnel que vers l'analyse désintéressée de votre style. Ce pourrait être des pairs. L'expérience montre qu'ils se récusent le plus souvent. Ce peut être les collaborateurs. Dans un certain nombre d'entreprises, certains séminaires de formation prévoient des temps durant lesquels des collaborateurs, à l'aide d'instruments d'analyse, renvoient à leur chef l'image de son style tel qu'il leur apparait. Mais cette pratique, très utile en elle-même, n'est pas vraiment concluante, car la procédure n'est pas sans risque. Aussi est-elle seulement proposée, jamais imposée. N'acceptent que ceux qui sentent que l'image qu'on va leur donner, tout en étant ternie par endroits, ne sera pas caricaturale. Une certaine fraction de la population n'est donc jamais atteinte par ces procédures.
Images et réalité
Ceci dit, les autres reproches qu'on pourrait faire à ce troisième niveau ne tiennent pas. Sans doute, il peut y avoir là aussi, une équation personnelle. Mais quand six personnes voient, ressentent, éprouvent la même chose, il y a là nature à réflexion. Certains disent qu'il ne s'agit que d'une image et que la réalité est différente. Cette objection n'a pas de sens, car en ce domaine les images sont une réalité dont il faut tenir compte ; elles sont soit motrices, soit inhibitrices. Il faut si on veut les changer, non pas arguer de sa bonne foi, mais se demander ce qui a pu donner naissance à ces images. La seule manière d'arriver à un résultat satisfaisant est donc de multiplier les voies d'accès à la réalité, pour arriver par superposition à une image-robot qui donne de précieuses indications sur la réalité du style de tel ou tel manager. Il est indiqué de se montrer réser sur toute pratique qui ne repose que sur une seule grille, un seul type de questionnaire.