Inconciliables ou seulement différents
Une deuxième question qui peut se poser est de savoir sur quelles hypothèses fondamentales repose l'élissement de ces instruments de travail. Ces hypothèses, en effet, ne sont pas toujours explicitées au cours des exercices pratiques proposés en séminaires. Ce qui opère une séparation entre les diverses écoles de pensée est l'attitude face A la possibilité de cumul, ou au contraire A la radicale opposition de certains comportements managériaux. Cette question porte surtout sur les deux comportements suivants qui constituent l'armature de toutes les théories sur les styles de management :
les comportements centrés sur l'organisation et les comportements centrés sur les relations. Pour une école de pensée, en l'occurrence celle mise au point par l'université de Michigan, la journée d'un
manager n'a que 810 heures et tout le temps employé pour des comportements centrés sur l'organisation par exemple, est autant de temps que le
manager ne peut consacrer A d'autres activités. Dans cette hypothèse, toute tendance prononcée vers un pôle est une
marque de tendance faible pour l'autre. Pour une autre école de pensée, en l'occurrence celle qui porte le nom de l'université de l'Ohio, ces deux types de comportements ne sont pas exclusifs, et donc on peut rencontrer des
managers qui, soit par plus grande vigilance ou par plus grande intensité de vie, soit par plus grand savoir-faire, excellent sur les deux leaux.
Les théories auxquelles vous avez été ou serez exposés sont toutes parties de ces études initiales qui, après tout, rejoignent les observations de la psychologie des petits groupes, telle qu'elle est répandue en France (petits groupes dont l'objectif premier est la réalisation d'un projet ; petits groupes dont l'objectif premier est le perfectionnement des personnes). Leur progression s'est faite, ensuite, dans le sens d'une complexifïcation croissante. Je voudrais seulement survoler cette progression pour atteindre les deux objectifs énoncés au début de ce chapitre.
Blake et Mouton2
Le corps de concepts le plus connu, le plus utilisé, celui qui s'en tient A l'hypothèse de l'université de l'Ohio, est la grille Blake et Mouton. En observant en quelles proportions un manager peut combiner des comportements centrés sur l'organisation et des comportements centrés sur les relations, les deux auteurs découent cinq styles principaux de managers.
Les critiques qu'on peut adresser A cet instrument de
travail ne manquent pas. La plus importante est qu'il se présente comme normatif. Blake et Mouton ne se font pas faute de suggérer que le style souhaile est 9.9 et que les autres ne sont pas très porteurs d'efficacité. Du moins c'est ce qu'ils disaient A leurs débuts. Au cours des années, devant d'une part les critiques, d'autre part les créations du jour, ils ont constamment manié, modifié, enrichi leur manière de voir en gardant comme coeur de leur théorie la grille qui a fait leur notoriété.
Une seconde critique adressée A cet outil, est que, du moins sous sa forme primitive, avant que Blake et Mouton ne deviennent consultants, il était difficile de savoir ce qu'il mesurait : l'idéal du manager ? La vision de son action ? Plus tard, il est ai, ils ont élaboré des procédures permettant A des observateurs extérieurs de donner l'image qu'ils avaient de l'action du manager.
Quoi qu'il en soit, de nombreuses expériences ont montré que cette norme du bon manager, aboutissait A des échecs. Dans certaines circonstances, tel style tenu pour excellent n'obtenait aucun résultat, alors que tel style qu'il était plutôt recommandé d'éviter était couronné de succès. Le bon sens des participants A des séminaires ne manque pas d'ailleurs fréquemment de soulever cette question : - Comment expliquer, si le style Xest si peu recommandable, que mon responsable soit X et qu 'il réussisse parfaitement ? -
Le management en trois dimensions
C'est pourquoi certains auteurs ont essayé d'ajouter une troisième dimension. En premier lieu Zaleznick a essayé de montrer que le style 1.1. de Blake et Mouton, n'était pas aussi dénué de qualités que cela, en particulier parce qu'il estime qu'il n'existe pas seulement deux comportements fondamentaux mais bien trois. Au comportement centré sur l'organisation et A celui centré sur les relations, il ajoute les comportements centrés sur les médiations, les réalités intermédiaires : chiffres, statistiques, bordereaux, terminal d'ordinateur Les
managers qui excellent dans cette troisième classe de comportements ne traitent ni avec les personnes, ni avec les choses (d'où leur relégation dans la classe 1.1. de Blake et Mouton) mais seulement avec les symboles de personnes et de choses. Et leur efficacité peut AStre grande en leur ordre.
Par ailleurs, d'autres auteurs (Reddin au Canada, Chalvin en France) ont introduit une autre troisième dimension aux deux déjA citées : la dimension de l'efficacité. Prise en elle-mASme, sans référence, cette dimension est une aimable tautologie. Elle consiste A retrouver dans le chapeau le lapin qu'on y avait mis au préalable. Mais elle introduit A une
nouvelle vision des choses qui constitue un pas considérable dans la découverte de la réalité : cette vision est que - le succès du manager ne dépend pas uniquement du fait qu 'il ait, naturellement ou par acquisition, un style reconnu comme bien ; mais il vient aussi de la situation dans laquelle se trouve le manager -.
On quitte le discours normatif de Blake et Mouton pour entrer dans un discours descriptif. Une autre manière d'exprimer la mASme chose est que tous les styles peuvent avoir du bon en telle ou telle circonstance ; il s'agit donc désormais de trouver des structures adaptées de comportement, non pas de vendre tel ou tel style. En conséquence, le manager doit passer autant de temps A analyser, comprendre la situation qu'A s'analyser lui-mASme. Ou encore, comme les situations ne sont pas sles, comme les éléments qui les composent sont souvent conflictuels, ce changement dans la théorie annonce la mort des styles : le manager doit savoir en changer une dizaine de fois dans la journée. Nous rejoignons par lA la métaphore du coureur automobile présentée au cours du chapitre précédent.
Je vais revenir dans quelques instants sur ces perspectives. Auparavant, je me dois de répondre A la question qui se pose désormais A nous tous. Quels sont les éléments de la situation qu'il faut prendre en compte pour manager avec efficacité ?
Ici toutes les réponses sont possibles. Mais il faut bien distinguer entre les réponses qui ne sont que des hypothèses et qui peuvent tout introduire, et les réponses qui ont été validées par des observations, voire des expériences.
Je vais citer sans les développer quatre de ces théories d'analyse de situation.
Une situation taillée A la mesure du manager
La première est celle de Fiedler4. Il distingue trois composantes d'une situation
donnée : les relations entre le manager et ses collaborateurs (la plus importante), la structure de la tache effectuée par les collaborateurs, le pouvoir officiel dont dispose le responsable. Selon les diverses combinaisons possibles de ces ingrédients, tel ou tel style de management est recommandé.
Par exemple, un commandement centré sur la tache a plus de chance d'AStre efficace quand l'environnement est très porteur ou antagoniste. Par contre, quand l'environnement est moyennement porteur (et la réflexion nous montre que cela peut se produire soit quand les relations avec les collaborateurs sont très détériorées, soit qu'étant moyennement détériorées, la tache est fort peu structurée ou le pouvoir que donne la fonction très peu étayé) un style centré sur les relations est plus efficace.
Fiedler s'est lié pendant plus de vingt ans A des vérifications et des expériences, la plus célèbre étant celle qu'il a menée A l'école des cadets de West Point. Les résultats penchent en faveur de la justesse de ses analyses sans AStre absolument convaincants. Les conclusions qu'il propose aux entreprises ont par contre le mérite de renouveler les idées reA§ues sur le recrutement,
le management, etc. Elles peuvent rendre service tant aux entreprises qu'aux individus.
Fiedler souligne ainsi que, dans une situation difficile de management, l'entreprise a le choix entre cinq possibilités :
» Elle peut uniquement choisir des
managers dont le style convient A la situation de l'entreprise : attitude traditionnelle qui porte A se priver des services de personnes très compétentes.
» Elle peut essayer de changer la personnalité des managers pour qu'elle corresponde A la situation : un rASve digne du - Meilleur des Mondes -.
» Elle peut répartir les responsables d'une manière plus fine au sein des divers services en harmonisant le style et la situation. Cela est certes souhaile, mais pas toujours possible.
» Elle peut donner une sorte d'entrainement pour acquérir des comportements répondant A la situation. Solution possible, qui demande du temps, et qui malheureusement est rarement poussée assez loin pour AStre efficace. Quand on pense qu'il est généralement admis qu'il faut 800 A 1 300 heures pour apprendre une langue vivante, on deait rentrer sous terre d'espérer, par exemple, développer de faA§on significative la capacité d'écoute d'un manager de quarante ans en 25 heures.
» Elle peut changer la structure pour que le manager soit plus en accord avec la situation (tache plus ou moins structurée ; pouvoir officiel plus ou moins grand ; changement de quelques collaborateurs). C'est un peu l'oeuf de Colomb ! Il fallait y penser.
La faA§on d'entrer en poste
Une considération très intéressante des travaux de Fiedler a trait A la différence entre fonctionnement harmonieux A court terme ou A moyen terme, différence due A la dialectique qui s'opère entre un style, un environnement et le fonctionnement qui en résulte.
Les relations entre un style et un environnement, en effet, ne sont pas sles ; petit A petit, des glissements s'opèrent et des recettes fort utiles peuvent se dégager des travaux de Fiedler.
Donnons un exemple. Voici un manager qui est muté. Il a laissé un service qui constitue un environnement très favorable : les relations en particulier (coefficient 4) sont excellentes.
Petit A petit, il avait conquis un pouvoir institutionnel fort dont il faisait usage avec beaucoup d'équité. Tout ceci faisait qu'il était exigeant, correct mais sans excès d'attention. Son successeur entre dans un environnement qui, de toute faA§on, va AStre seulement pour lui, moyennement favorable. Il introduit un élément nouveau dans les relations et les limites de son pouvoir sont encore floues.
Chacun va essayer d'en grignoter les frontières. Il aura donc intérASt A se centrer sur les relations, A ne pas se focaliser strictement et uniquement sur les résultats, au moins A moyen terme. Par la suite, quand la situation sera favorable, il pourra rappeler davantage les impératifs de la croissance, se montrer plus vigilant sur la qualité, les économies, etc.
En contrepartie, si un nouveau manager prend un poste dans un service dont l'environnement peut AStre qualifié de moyen (relations interpersonnelles peu confiantes, taches sans structure), cet environnement devient franchement défavorable au moment de son entrée en fonction. Il aura donc intérASt A se montrer directif et centré sur la tache, au moins dans le court terme.
Ces exemples indiquent ce que peut AStre le fonctionnement d'un manager lucide qui a suffisamment de souplesse pour s'adapter A l'environnement.
Un management dosé
Une seconde théorie d'analyse de la situation est celle de Hersey et Blanchard5 ; la situation dans leur théorie se réduit A une seule variable : la plus ou moins grande autonomie des collaborateurs, considérés soit individuellement soit en groupe. Ils ont une suggestion de mesure de cette autonomie qui tient plus du bon sens que d'une science exacte et aboutissent A une échelle de
croissance A 4 barreaux. Selon le barreau sur lequel se trouve le collaborateur pour telle tache, tel style est recommandé.
Cette théorie a l'avantage de ce centrer sur la dimension sans doute essentielle de la situation managériale : les relations du chef avec les collaborateurs (voir chapitre suivant).
Elle a l'avantage aussi en ce domaine d'AStre situationnelle au maximum puisque tel collaborateur peut faire preuve d'autonomie dans tel aspect de sa tache et nullement dans tel autre. Elle a l'inconvénient de négliger les autres ingrédients de la situation et ainsi de faire du manager un potentat qui n'est limité ni par l'organisation ni par les syndicats, ni par les
données technologiques, ni mASme finalement par ses collaborateurs puisqu'il joue une sorte de judo avec eux les traitant comme - ils méritent d'AStre traités ! -.
Dans le chapitre suivant, l'occasion nous sera
donnée de percevoir les applications pratiques que la prise au sérieux de cette théorie pourrait entrainer (Cf. p. 88).
Des instruments rustiques
Une troisième théorie d'analyse de la situation est celle de Reddin6. Il distingue cinq éléments dans une situation managériale : les attentes du responsable du manager, les attentes des pairs du manager, les attentes des collaborateurs, la culture ambiante de l'organisation et la nature de la technologie utilisée dans le travail. Chacun de ces éléments influence le style du manager si celui-ci veut AStre efficace. Les instruments que Reddin emploie pour mesurer ces variables sont d'une rusticité proche de l'indigence7. Cela leur donne l'avantage d'AStre utilisables facilement, mASme sans formation, par tout manager. Il s'agit au fond de questionnaires de bon sens, qui rappellent au manager, qu'il doit prendre en compte tel ou tel élément qu'il pourrait oublier et que sa marge de manoeue se situe entre tel et tel repère qu'il prend soin de définir.