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MANAGEMENT

Le management ou la gestion est au premier chef : l'ensemble des techniques d'organisation des ressources mises en œuvre dans le cadre de l'administration d'une entité, dont l'art de diriger des hommes, afin d'obtenir une performance satisfaisante. Dans un souci d'optimisation, le périmètre de référence s'est constamment élargi. La problématique du management s'efforce - dans un souci d'optimisation et d'harmonisation- d'intègrer l'impact de dimensions nouvelles sur les prises de décision de gestion.


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La part de l'indétermination technique

La parcellisation des taches qui résultait de la mécanisation du travail avait-elle une fois pour toutes fait de la machine une adrsaire de l'homme? Aux lendemains de la guerre, Georges Friedmann était de ceux qui faisait montre A  ce sujet d'un très grand pessimisme. Dans tous les pays industrialisés qu'il visitait, et dans les secteurs d'activité les plus dirs (automobile, confection, fabrication plastique, produits alimentaires), il voyait que l'introduction des chaines ou des machines semi-automatiques avait eu pour effet de refouler des ateliers les savoir-faire des ouvriers pour y substituer -un travail en miettes-, effectué selon les directis et sous le contrôle permanent des bureaux des méthodes. L'éclatement des taches n'était pas seulement désastreux en lui-mASme, pour la simplification extrASme A  laquelle il conduisait, la brièté des opérations effectuées (moins d'une minute) ou la rapidité des cadences : il avait aussi pour effet de réduire A  presque rien l'apprentissage (quelques jours) et d'en changer la nature, la -qualification- ayant tendance A  se déporter rs une simple aptitude A  tenir le rythme et A  faire preu de dextérité. Il éliminait la valeur attachée A  la connaissance du matériau travaillé (un ouvrier spécialisé du caoutchouc n'avait plus besoin de -comprendre- le caoutchouc); il annulait les perspectis de promotion; il tendait A  transformer les ouvriers en -bouche-trous- de la chaine, déplacés en fonction des besoins sans que l'on attende d'eux une vision globale du procédé (Friedmann, 1956, éd. 1964, pp. 31-57).
Il est vrai qu'au milieu des années cinquante, la situation avait déjA  changé. -L'automation- était A  l'ordre du jour et apparaissait déjA  A  certains comme l'amorce d'une noulle révolution industrielle. On citait en exemple l'introduction A  la Régie Renault des -machines transfert- nues de Détroit, et qui permettaient d'enchainer sans interntion humaine plusieurs opérations mécaniques successis. De mASme, on s'intéressait aux entreprises qui installaient sur leurs lignes des dispositifs électroniques de rétroaction capables de corriger des écarts entre les résultats effectifs et les résultats attendus. On observait enfin l'apparition des calculateurs électroniques capables de stocker et de traiter des masses d'informations de plus en plus considérables. Mais A  ce moment-lA , Friedmann resta au nombre des observateurs les plus prudents : l'automation dessinait A  son avis un anir possible, mais elle ne permettait pas d'oublier que les réalités de la parcellisation risquaient -d'AStre encore celles du prochain siècle sur une bonne partie de la ète- (Friedmann, ibid., p. 16).
Le plus important est cependant ce qui suit. Malgré ce qui lui apparaissait comme une absence de toute issue technologique A  court terme, Friedmann voulait faire comprendre qu'il n'y avait pas lieu pour autant de baisser les bras devant quelque loi d'airain du -progrès-. Sa conviction fondamentale était que les responsabilités ultimes se trouvaient entre les mains des employeurs : selon lui en effet, A  technologie et A  productivité constantes, c'était de leur capacité d'initiati que dépendait en dernier ressort une partie substantielle des effets sociaux de la mécanisation. Pour en arrir A  cette affirmation, Friedmann avait notamment tiré parti du lot d'expériences qui s'était accumulé dans les entreprises américaines et anglaises au cours de la Deuxième Guerre mondiale ou immédiatement après. A ce moment-lA , sous la pression de contraintes économiques encore plus fortes qu'en temps ordinaire, au lieu que la tendance ait ete
de toujours renforcer la parcellisation, elle avait parfois consisté au contraire a l'atténuer, si ce n'est, dans tel ou tel cas, A  la remettre en question. Dès cette époque, on avait ainsi parlé de job enlargement, d'-élargissement du travail- :
-Aux usines Cadillac de Détroit, des ouvrières noires, entièrement dépourvues de qualification et d'expérience industrielles, étaient chargées de fabriquer un élément d'avion en aluminium, exigeant une haute précision. Chacune d'elles terminait entièrement une pièce, travaillant d'après une fiche portant trois séries d'instructions : la prochaine opération A  effectuer, les précautions nécessaires avant de l'entreprendre et celles, après l'avoir achevée. Ces femmes n'avaient A  accomplir que des gestes simples et faciles A  apprendre (). Les inconvénients d'une activité restreinte et répétée se trouvaient évités, un rythme de travail personnel et changeant pouvait s'instaurer, accomné de la satisfaction d'acher soi-mASme quelque chose. Les résultats, considérés aussi bien sous l'angle du moral que du rendement, étaient nettement supérieurs A  ceux qu'on aurait obtenus des mASmes ouvrières sur une chaine conntionnelle- (Friedmann, ibid., pp. 91-92).
Au regard des phénomènes de rejet ou de démobilisation que suscitait la parcellisation A  outrance, le succès des expériences d'élargissement du travail constituait la preu que l'état de la technique ne commandait pas aussi nettement qu'on ne le supposait généralement l'organisation du travail et de l'entreprise. D'où le plaidoyer d'alors de Friedmann en faur d'une évolution volontariste de la répartition du travail qui ne devait pas attendre les effets futurs et hypothétiques de l'automatisation : selon sa formule paradoxale, il connait d'étudier -les perspectis que la spécialisation des taches offrait A  l'humanisation du travail-. A y bien regarder, l'élargissement du travail n'était qu'une des formules grace auxquelles les ouvriers travaillant sur les chaines pouvaient espérer recouvrer une plus grande maitrise du processus productif : A  titre d'exemples (toujours actuels), il y avait aussi les opportunités que représentaient le système de la rotation de poste A  poste, ou la constitution d'-équipes volantes- composées d'ouvriers polyvalents capables d'effectuer des remplacements sur les chaines aussi bien que des taches de contrôle et d'entretien. Plus sûrement encore, A  la périphérie de la production proprement dite, il fallait profiter au maximum des occasions que la mécanisation offrait de promouvoir de vériles métiers nouaux : les régleurs, outilleurs, ouvriers d'entretien et de maintenance nés de la chaine devaient contribuer A  -humaniser le travail parcellaire-.
Georges Friedmann n'eut-il pas tendance, malgré tout, A  sous-estimer l'ampleur de l'évolution technique des années cinquante et celle des changements sociaux qu'elle commenA§ait A  susciter? C'est probable, A  n'en juger que par l'intérASt plus direct qu'accorda au mASme moment son collègue Pierre Naville aux processus d'automatisation en cours dans l'industrie (Naville. 1961), mais aussi par la brassée d'études qu'y consacrèrent alors les chercheurs plus jeunes, et dont rendit compte le Traité de 1961. Parmi elles, celle d'Alain Touraine consacrée A  l'évolution du travail ouvrier aux usines Renault, et qui prit notamment pour repère l'introduction des -machines transfert- (Touraine, 1955 [a]); ou encore l'important travail collectif réalisé sur la modernisation de la tôlerie de Mont-Saint-Martin dans le bassin sidérurgique de Longwy (Dofny, Durand, Reynaud & Touraine, 1957). Ici, l'observation consista notamment A  analyser les effets de l'installation d'un laminoir semi-automatique qui boulersait la répartition traditionnelle du travail entre le lamineur, chef de production très qualifié, et les ouvriers machinistes placés sous ses ordres : les ouvriers, denus moins dépendants du lamineur, se retrouvaient dans la situation noulle d'opérateurs commandant A  distance A  l'aide de pédales et de manettes le fonctionnement du train.
Dans les deux cas, l'automatisation transformait profondément l'organisation et la structure professionnelle des entreprises. L'enfer de la chaine s'éloignait, la parcellisation du travail perdait du terrain. Et pourtant, les chercheurs confrontés A  ces évolutions étaient très loin de céder A  l'euphorie. Plus exactement, leurs conclusions mettaient en balance deux résultats de sens opposé et dont nous rendrons compte successiment. Le premier ' rsant négatif ' indiquait que la phase de changement qui s'engageait devait A  certains égards s'analyser non pas comme une rupture mais comme un point d'aboutissement : le reflux de la parcellisation ne devait pas masquer certaines tendances plus fondamentales et dont il pouvait résulter ni plus ni moins que la poursuite du processus de déshumanisation du travail engagé dans la phase antérieure. Le second résultat tempérait ce sombre diagnostic : A  la manière de Friedmann, il concédait que l'hypothèse de la -détermination technique- n'était pas la bonne; que l'automatisation pouvait mASme aboutir A  restituer A  l'homme l'essentiel de ses prérogatis pour tout ce qui touchait A  l'organisation des rapports de l'homme A  son travail.
A propos du premier résultat, il apparut que le travail A  la chaine ne représentait A  tout prendre qu'une étape intermédiaire dans un moument linéaire de plus grande ampleur. Selon la formule d'Alain Touraine, celui-ci conduisait du -système professionnel- (nu du temps de l'artisanat) A  un -système technique-, déjA  pressenti par Karl Marx lorsqu'il évoquait la situation qui disposerait les hommes A  la périphérie de la fabrique pour installer la machine au centre. L'un des effets du système technique était de durcir encore un peu plus la séparation entre la conception du travail et son exécution : les opérateurs du nouau laminoir de Mont-Saint-Martin n'avaient plus qu'A  mettre en œuvre des procédures élaborées très loin d'eux; ils agissaient A  partir de signaux nant de leaux ou cadrans sans rapport ac leur expérience concrète du travail productif. Quelle qu'ait été la valeur des noulles taches -cognitis- de surillance et de contrôle qui leur étaient confiées, ils perdaient ce qui les reliait encore auparavant au matériau et A  l'activité créatrice des artisans, pour ne plus avoir aucune activité personnelle de production proprement dite. De mASme que les ouvriers de la chaine classique avaient pu AStre considérés comme les -bouche-trous- d'une mécanisation inachevée, les opérateurs des années cinquante risquaient ainsi de denir les bouche-trous d'une automatisation lacunaire. Pierre Naville écrivit que la tache d'entretien tendait A  denir -la seule forme directe du rapport de l'homme ac la machine en fonctionnement-.
Autre donnée caractéristique de ces progrès paradoxaux de l'automatisation : le déclin des -métiers- de l'industrie, au sens traditionnel du terme, c'est-A -dire fondés sur des formes de qualification acquises par la formation et l'expérience personnelle dans une spécialité donnée. Qu'adnait-il de la qualification d'un opérateur surillant des cadrans et exécutant des consignes rigoureusement asservies A  un processus automatisé? Elle se mesurait maintenant essentiellement A  son aptitude A  hiérarchiser les informations qui lui parnaient pour internir A  bon escient. De plus, la mise en œuvre du système technique de travail soumettait l'exécution individuelle de la tache A  son organisation collecti. Pour emprunter de nouau A  Touraine, cela avait pour résultat - le passage de la qualification de l'homme A  la qualification du poste de travail, puisque l'homme [était! soumis aux exigences de l'interdépendance des rôles professionnels- (Touraine, in Friedmann & Naville, 1961-62, tome 1, p. 404). A preu : le procédé,de Y évaluation des postes qui se diffusait A  ce moment-lA , et qui consistait A  définir le salaire de base de l'ouvrier non pas en fonction de sa qualification ni de son expérience personnelles mais en fonction de son activité effecti et des exigences du poste occupé (connaissances et expérience requises, mais aussi responsabilités objectis, sujétions, risques encourus).
Restait le second résultat, qui était bien davantage qu'une compensation en face de ces mécanismes inexorables. Pas plus sur les chaines de Renault qu'aux abords du laminoir de Mont-Saint-Martin, la technique ne dictait intégralement la place des hommes. Dans la conduite des laminoirs par exemple, il renait aux dirigeants de décider du niau réel des responsabilités qui seraient attribuées aux ouvriers. La valeur des équipements techniques était très élevée, et le bon fonctionnement du process un enjeu économique considérable : les dirigeants pouvaient ou non faire des opérateurs les vériles conducteurs de la machine, en aménageant en conséquence les fonctions de contrôle hiérarchique direct. Ils pouvaient ou non sanctionner ces responsabilités noulles par des ajustements de statut et de rémunération. L'équipe des sociologues mit en évidence que sur ces points, les solutions retenues, jamais données d'avance, avaient un impact énorme. Plus précisément, il apparut sur le terrain qu'il y avait une condition centrale qui permettait au progrès technique d'AStre vécu aussi comme un progrès social : l'ourture des carrières ouvrières. Pour que l'innovation technique fût considérée par les ouvriers comme une innovation pour l'homme et non contre l'homme, il fallait qu'elle leur permette de progresser et d'entrevoir des possibilités de promotion. La clé du problème n'était pas au bureau des méthodes, mais dans les instances -politiques- de l'entreprise.
Après ses travaux sur les usines Renault, Alain Touraine emprunta la mASme voie en suggérant d'aller plus loin. Il fallait décrire toutes les implications d'une évolution qui créait toujours plus de distance entre le travail des machines et le travail des hommes. Selon lui, cette distance aboutissait inéluclement A  une situation où les formes de l'organisation industrielle seraient de moins en moins directement commandées par l'état du système technique. Ac le temps, le -déterminisme technique- ne pouvait donc que se desserrer : -A partir du moment où le travail ouvrier se définit en termes de statut et de rôle dans un système de communications, il n'est plus possible de déduire directement les réalités professionnelles des réalités techniques. On peut seulement déterminer les types de solutions que celles-ci rendent possibles-. De telle sorte que finalement, -la nature et la valeur du travail ouvrier deviennent étroitement dépendantes de la politique sociale qui oriente ce système () et plus largement de la politique sociale de la nation considérée- (Touraine, 1955 [b], pp. 110-l12).
Il ne pouvait pas AStre dit plus clairement que désormais, les progrès de l'entreprise ne pourraient plus AStre seulement l'affaire des ingénieurs et que l'heure était nue d'un guidage politique du problème. Thèse simplificatrice? Thèse prémonitoire? On en a beaucoup discuté parmi les sociologues. L'important demeure : si l'école franA§aise de sociologie du travail a contribué en quoi que ce soit A  renouler le regard des spécialistes sur les problèmes industriels, c'est A  des propositions comme celle-ci qu'elle le doit. Au demeurant, de nos jours, l'idée mASme de l'indétermination croissante des structures professionnelles dans les firmes en voie d'automatisation n'est plus guère contestée par personne. A titre d'exemple, les spécialistes des organisations ont suffisamment montré depuis le début des années soixante-dix que la technique informatique était le contraire d'une technique -structurante- : dans sa rapide ascension, n'a-t-elle pas en effet produit alternatiment la centralisation et la décentralisation, la déqualification et la requalification du personnel ?
Au cours des années cinquante et soixante, l'hypothèse du -déterminisme technique- perdit donc la partie, A  ceci près que ce fut en quelque sorte a l'évolution technologique qu'elle le dut! Dans les faits, dans les esprits, l'entreprise commenA§a A  réapparaitre comme un système social. Il faut y insister :
compte tenu de l'ampleur des changements qui l'affectaient effectiment, c'est une noulle e de son histoire qui s'ouvrait, pour les analystes aussi bien que pour les praticiens. Cela ne mettait A  l'abri ni des excès, ni des erreurs, sans insister sur le fait que la leA§on fut en elle-mASme très sount oubliée. Mais une noulle donne était lA , qui ne serait plus jamais formellement remise en cause.



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