NAVIGATION RAPIDE : » Index » MANAGEMENT » ENTERPRISE MANAGEMENT » Les metamorphoses du patronat Le patronage industrielLa France du xixe siècle était-elle de ce point de vue dans une position très différente de celle de l'Angleterre? A première vue, la situation n'y était pas du tout able. Mais A la fin du compte, dans ce pays qui avait de toute faA§on manqué le départ de la première révolution industrielle, l'édence est que la classe des entrepreneurs fut ici encore bien moins qu'outre-Manche en état de provoquer des ruptures radicales dans la société. En sens inverse, la France était le pays de la Révolution de 1789. Mais cette grande rupture avait d'abord été une rupture politique. Dans l'ordre économique, il en avait résulté surtout les effets non désirés qu'on a déjA partiellement décrits. L'esprit de l'aristocratie avait resurgi et avec lui, un dédain plus grand qu'ailleurs A l'égard du profit capitaliste. Le statut social attaché A la propriété de la terre, aux rentes et aux offices était resté la position-étalon, bien plus prisée que tout ce qui s'attachait A la capacité d'entreprendre et d'accumuler. Parallèlement, le partage des biens nationaux et l'abolition des prilèges naguère concédés aux corporations avaient mis en difficulté les artisans et les ouvriers de métier : en effet, ceux-ci s'étaient retrouvés en concurrence avec le groupe montant des petits propriétaires paysans, poussés A agrandir leurs lopins de terre et encouragés pour cela A s'adjoindre des actités nouvelles. C'est ainsi que la France du XIXe siècle, par ailleurs dessere par une faible progression démographique et urbaine, emprunta la voie de la -proto-industrialisation- (Dewerpe, 1989). A contre-courant des capitalistes de Manchester qui, au mASme moment, concentraient les fabriques dans une immense cité industrielle, la tendance dominante fut ici la multiplication des ateliers A la camne. Dans le Nord, en Normandie, dans le Midi, le moindre bourg prit sa part du travail du lin, du coton et de la laine, non sans provoquer le gonflement d'un groupe multiforme d'-ouvriers-paysans- que personne ne prétendait arracher A leurs terres et A leur mode de e. Ce processus tardif et intensif d'industrialisation rurale n'en resta pas lA : il s'étendit progressivement A des actités telles que le travail du cuir, la verrerie, la serrurerie, la coutellerie, l'horlogerie, la clouterie, l'épinglerie. A l'édence, les mines, la sidérurgie et la grosse métallurgie ne se prAStaient pas A la mASme dispersion. Il n'empASche : jusqu'aux années 1880, on continua A travailler le métal dans près de la moitié des départements franA§ais. Les centres sidérurgiques étaient encore pour la plupart des agglomérats d'unités de production plus ou moins indépendantes les unes des autres : chacune avait ses logements et son arrière-pays d'où elle tirait tout A la fois son énergie (le bois) et sa main-d'ouvre. En 1870, aux mines de Carmaux, la majorité des ouvriers était toujours composée de paysans-propriétaires - qui possédaient assez de bien pour vre en le travaillant- (Dewerpe, ibid., p. 28). Le reste de la mosaïque était constitué des ouvriers urbains, issus de la lignée des artisans et installés pour la plupart non dans des lles -industrielles-, mais dans des lles anciennes et de longue tradition. Tout cela dessinait un monde ouvrier insle et multiforme, dont l'unité objective résidait surtout dans le fait qu'il puisait ses références dans les modes de e et les groupes d'appartenance traditionnels - ici ruraux, lA corporatifs. Mieux, ce monde ouvrier ne se reconnaissait pas encore dans le moule de l'entreprise capitaliste, au point qu'il n'y avait pas dans les esprits de forme standardisée de l'ordre usinier : en fonction des circonstances, on travaillait au temps, A la tache ou en commandite (selon un régime de salaire aux pièces collectif). Souvent, l'ouvrier n'était pas placé sous la tutelle directe de l'employeur : mASme dans l'industrie lourde, le système dit du marchandage permettait A un chef d'équipe de fixer un tarif avec un patron, pour faire ensuite son affaire du recrutement des gens et de la répartition des salaires. L'idéologie paternaliste est celle A laquelle on doit les concepts si révélateurs de patron et de patronat (patron : père protecteur). Elle conduit A confondre l'entreprise et les salariés qui en sont membres avec un -cercle familial élargi- (Bunel & Saglio, 1979). Les -patrons- franA§ais du xixe siècle en usèrent d'autant plus volontiers qu'un de leur constant souci fut A ce moment-lA de s'entourer d'une main-d'ouvre qualifiée, sûre et sle. L'esprit corporatif était très fiable du point de vue professionnel, mais suspect au contraire de véhiculer de l'indépendance A l'égard de l'employeur et un goût certain pour la mobilité : de telle sorte que le paternalisme consista jusqu'A un certain point A consolider la tradition domestique des communautés rurales au détriment de l'autre tradition, celle des -comnons-. L'impératif premier était de fixer l'ouvrier A l'entreprise. Pour cela, on l'aida A faire l'acquisition d'un logement, mais aussi d'un lopin de terre grace auquel se trouvait confirmée la norme de la pluri-actité. On pourvut aussi au développement et A la protection des familles ouvrières par le versement de suppléments familiaux, par le financement des écoles et par la création de toutes sortes d'institutions d'assistance mettant les gens A l'abri des plus gros soucis (économats, caisses de secours, caisses de retraite). Le système avait bien sûr un sous-bassement moral et religieux : il s'agissait d'obtenir non pas la soumission absolue de l'ouvrier, mais son consentement. En ordre général, celui-ci trouvait sa garantie dans l'adhésion commune des partenaires A la religion catholique ' au demeurant dépositaire naturel des valeurs de la famille. La doctrine du patronage idéalisait sans doute A bon compte le paternalisme ordinaire, et elle ne réussit jamais A l'acquitter totalement de ses ces. Elle était pourtant le contraire d'une utopie. A l'édence, l'idée selon laquelle il fallait restaurer dans l'entreprise un principe d'autorité calqué sur le modèle de la -famille souche- entrait en résonance avec la logique de la proto-industrie A la franA§aise. Elle disait la situation paradoxale de ces entrepreneurs occupés A combiner l'ordre industriel et l'ordre domestique, de telle sorte que soient préservés non seulement le rapport direct A la terre, mais aussi l'inscription de l'entreprise dans un espace social fini, donnant sa place A chaque partenaire. Le Play se méfiait des turpitudes de la lle et du déracinement; il voulait que l'entreprise fût une institution responsable et l'entrepreneur une -autorité sociale-. Sous ces deux rapports et en dépit de tous les abus auxquels cela put conduire, il est indiscule que le système franA§ais fut un modèle. On y usa jusqu'A la corde l'ancienne culture rurale pour l'adapter aux nouvelles exigences de la production; au point qu'en plein XXe siècle, Michel Verret pouvait encore mettre en avant le fascinant attachement des ouvriers franA§ais A leur espace domestique ' maison, jardin (Verret, 1979). Par ailleurs, nulle part plus qu'ici le patron ne s'identifia A cette image de l'autorité légitime, installée au cour de la communauté locale et garante de son intégrité. Avec le risque permanent que tout ne bascule, et que la confiance ne soit trompée. De ce point de vue, il ne serait pas excessif de dire qu'en France, le développement du conflit industriel fut d'abord synonyme d'une émancipation -par rapport au père-. Une forme d'émancipation qui, on le sait, fut loin de mettre les relations entre ouvriers et patrons A l'abri de la olence. |
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