NAVIGATION RAPIDE : » Index » ECONOMIE » POLITIQUE éCONOMIQUE » Politique et philosophie de l histoire Des taches de la philosophie a partir de l'idéalisme allemand
Afin de restituer cette pluralité des pensées de l'histoire qui justement émerge au sein de l'idéalisme allemand ' pluralité qui, encore une fois, risque d'AStre occultée sous les anathèmes globalisant de - métaphysique - ou de - philosophie de l'histoire - ' je voudrais esquisser une démarche inverse de celle que j'ai décrite comme paradigmatique des déconstructions du totalitarisme : au lieu d'aller du politique A - la - philosophie de l'histoire, et de celle-ci A la philosophie pure, je partirai de cette dernière pour tenter d'en - déduire - cette pluralité possible des pensées de l'historicité. Or il est indispensable, afin de percevoir la vérile racine de la pluralité des philosophies possibles de l'histoire, que nous soyons en possession d'une définition, minimale mais précise, des taches de la philosophie pure, telles qu'elles se peuvent repérer A partir de l'idéalisme allemand et de ses critiques phénoménologiques. Indispensable en effet, puisqu'on a vu, mASme brièvement, en quoi toute philosophie de l'histoire était inséparable d'une philosophie A laquelle elle s'adossait. Pour nous limiter A l'essentiel ' A ce qui est rigoureusement nécessaire pour vérilement comprendre les fondements philosophiques de l'histoire ' je dirai que la philosophie, au moins A partir de l'idéalisme allemand, comporte quatre moments principaux, se définit, si l'on veut, par quatre taches fondamentales. Il de soi que je me bornerai ici A indiquer de faA§on seulement formelle ces quatre moments, sans chercher A démontrer ni mASme A justifier ce que peut avoir d'encore abrupt ou arbitraire tel ou tel aspect de cette - définition -. Je prie le lecteur d'attendre la suite de l'ouvrage pour porter un jugement sur ce qui n'est, dans cet ant-propos, indiqué qu'avec le souci de poser des hypothèses et de clarifier des enjeux sans lesquels le projet mASme de ce trail ne pourrait s'énoncer. 1 / A la différence des sciences, la philosophie ne porte sur aucun objet particulier réellement existant. Dans les termes qui sont ceux de la phénoménologie heideggerienne, on pourrait dire qu'elle ne porte sur aucun - étant -, mais qu'elle s'interroge - seulement - sur les caractéristiques communes A tous les - étants -, A tous les objets particuliers, et ce, ant mASme que nous en ayons une expérience concrète (cet - ant - ayant une signification logique et non chronologique : il de soi que nous commenA§ons, heureusement, A voir des objets ant de faire de la philosophie) : cela signifie qu'ant mASme d'avoir vu ou touché tel ou tel objet particulier je puis savoir, entièrement a priori, qu'il doit posséder un certain nombre de propriétés sans lesquelles il ne saurait AStre tenu pour un objet. Je puis savoir, par exemple ant d'avoir vu une le, une chaise ou un arbre, qu'ils auront en commun de se situer dans un espace et dans un temps, d'occuper une certaine portion de cet espace, d'AStre dans une certaine mesure identiques A eux-mASmes (c'est-A -dire d'avoir une certaine permanence A travers les différentes modifications qu'ils subissent au fil du temps), de posséder, en un sens qu'il nous faudra préciser au niveau de la philosophie de l'histoire, une raison d'existence ou si l'on veut, une cause, etc. A ce premier point de vue, donc, la philosophie se peut définir comme une ontologie, si l'on donne du moins A ce terme le sens très précis et, il est vrai assez inhabituel, que lui donnent parfois Kant, et, A sa suite, Heidegger, de définition a priori de l'objectivité de l'objet, de ce qui constitue l'essence de l'objectivité en général (ce que Heidegger désigne encore, dans son ouvrage sur Kant, sous l'expression suggestive de - pré-compréhension ontologique - = ce que je sais de l'objet ant de l'avoir présent dent moi). On peut, en se référant A la théorie des ensembles, donner un exemple qui rendra plus intelligible le sens en lequel est pris ici le terme d'ontologie. On sait en effet que pour définir un ensemble en mathématique, il suffit d'énoncer une propriété A laquelle correspondre un certain nombre d'éléments (ceux précisément, qui se classent sous cette propriété). Or si je veux définir a priori un ensemble vide, c'est-A -dire un ensemble auquel aucune réalité ne correspond, il suffit que j'énonce une propriété qui nie explicitement un des critères indiqués par l'ontologie comme constitutifs de la définition de toute objectivité. Ainsi par exemple, si j'ai admis au niveau de l'ontologie qu'un objet, pour AStre un objet, deit AStre identique A lui-mASme, il suffit que je nie le principe d'identité, que je pose donc comme propriété définissant mon ensemble la propriété x # x, et j'aurai avec certitude défini a priori un ensemble dans lequel aucun élément ne peut venir se ranger. Qui comprend cet exemple comprend nécessairement aussi ce que l'on entend ici par ontologie. Si l'on réfléchit en effet A l'opération par laquelle cette définition de l'ensemble vide a été obtenue, on verra qu'elle suppose, fût-ce implicitement, que je possède une idée, un critère des propriétés sans lesquelles un objet ne pourrait AStre représenté comme existant. Et ce critère, on l'accordera, je le possède tout A fait a priori : nul besoin en effet, pour savoir qu'A la propriété x ^ x aucun élément ne correspond, de prendre un par un les objets empiriques pour voir si, d'aventure, il s'en trouverait un qui correspondrait A cette exigence. Cette définition générale de l'objectivité de l'objet (de - l'étantité de l'étant -, dira Heidegger) est donc, si l'on ose dire, le premier et principal objet de toute philosophie. Sa première tache est en effet de décrire et d'énumérer l'ensemble de ces critères sans lesquels un objet ne saurait AStre pensé comme tel. C'est ce trail qu'entreprend déjA Platon lorsqu'il distingue l'Idée (ce qui est sle, identique A soi) du sensible (sans cesse riable et changeant), ou Aristote lorsqu'il énonce sa le des - catégories -. Mais c'est inconteslement avec l'idéalisme allemand, et sans doute avec Kant, que cette énumération prétend prendre une forme vérilement systématique. Sans entrer ici dans le détail des résultats de ce trail ontologique, on peut dire que les deux critères fondamentaux retenus par l'ensemble des penseurs de l'idéalisme allemand (mais non seulement par eux) comme essentiels A toute définition de la réalité du réel sont le principe d'identité et le principe de raison (le lecteur perA§oit sans doute déjA les difficultés que rencontrera, dans ces conditions, la tentative de limiter le principe de raison dans son application A l'histoire. Je reviendrai sur ce point dans les es qui suivent). 2 / Une fois décrite cette ontologie ' ce qui, encore une fois, est effectué d'une faA§on apparemment définitive, tout au moins au sein de la philosophie, dans la Critique de la raison pure de Kant (on cherchera certes A déduire autrement ou A nier certaines catégories kantiennes, mais non, que je sache, A en ajouter de nouvelles), il est encore possible de s'interroger sur son origine, c'est-A -dire sur les raisons pour lesquelles nous pensons l'objectivité en général précisément de telle faA§on et non de telle autre, selon ces critères (identité, raison) et non pas selon d'autres; sur les raisons aussi qui font, semble-t-il, que ces critères soient communs A l'humanité (communauté qu'atteste par exemple, si l'on en demandait un indice, la capacité des sciences qui utilisent ou ont utilisé ces principes A AStre universellement communiquées et discutées), et fondent ainsi une perspective éthique, celle de la communication intersubjective. On peut dire qu'A cette question de l'origine des structures ontologiques, deux types de réponses ont été apportés. A / Le premier consiste A chercher une raison, un fondement A cette structure, donc, en quelque sorte, A la redoubler en faisant fonctionner sur elle un de ses éléments constitutifs (le principe de raison). Ce fondement a habituellement été trouvé en Dieu, créateur des - vérités éternelles - de l'ontologie. De lA le terme que Kant, puis Heidegger, ont utilisé pour désigner ce type de réponse : - onto-théo-logie -, puisque c'est sur une certaine théologie, sur une pensée de Dieu comme fondement des vérités philosophiques, que repose l'explication de cette communauté de structure manifestée par l'ontologie. En ce sens, la tentative - matérialiste - de déduire les catégories ontologiques d'un fondement matériel, par exemple d'expliquer l'apparition du principe d'identité A partir d'un - rapport social - tel que le troc, entre bien dans le mécanisme de l'onto-théologie, mASme si elle en offre une version sécularisée. Ce mode de fonctionnement de l'onto-théologie a été dénoncé pour la première fois par Kant puis, d'une faA§on assez analogue, par Heidegger. Il m'est bien évidemment impossible de restituer ici le détail de cette critique (sur laquelle je reviendrai plus longuement dans la première section de ce trail). Son principe, cependant, peut AStre énoncé assez simplement : il consiste A dénoncer l'onto-théologie comme circulaire en montrant comment, pour fonder l'ontologie, elle est contrainte d'utiliser déjA des principes qui sont ceux de l'ontologie, de sorte que la fondation reste purement subjective et paradoxale. B / De lA la seconde - réponse - apportée A la question de l'origine de l'ontologie, réponse qui, chez Kant, puis chez Heidegger (on ne soulignera jamais assez combien Heidegger a lu et relu Kant !), consiste A déconstruire la question elle-mASme, A expliciter sa circularité et A conclure, au terme de cette déconstruction, A l'impossibilité mASme de trouver un vérile fondement de l'ontologie et d'apporter ainsi une réponse définitive A la question de l'origine ultime de nos structures philosophiques de pensée1. 3 / S'interrogeant en amont sur l'origine des structures ontologiques, la philosophie peut encore, en al, questionner le rapport qu'entretiennent ces modes de pensée définissant l'objectivité, avec le réel lui-mASme. N'y a-t-il pas en effet quelque aberration, voire quelque absurdité, A définir a priori des structures de l'objectivité alors que, de son côté, le réel lui-mASme (les objets concrets) pourrait fort bien refuser de se soumettre A ces structures ? C'est sur ce dernier point que nos traux sur l'idéalisme allemand nous ont conduits A proposer de la philosophie trois - modèles -2 ou, si l'on veut, trois paradigmes de réponse A cette question centrale. On peut tout d'abord considérer, et telle est globalement la position de ceux que Kant et Heidegger nomment - métaphysiciens -, que le réel est de part en part et en soi soumis A cette structure ontologique, qu'en ce sens, par conséquent, il est intégralement identifiable et explicable, bref, selon la formule hégélienne, exhaustivement - rationnel -. On désignera cette position sous l'expression de - modèle hégélien - dans la mesure où, A l'évidence, c'est Hegel qui, au sein de la métaphysique moderne, s'est efforcé avec la plus grande systématicité de développer les cadres philosophiques et les implications de l'affirmation de la rationalité du réel. On peut en deuxième lieu, et telle est en son fond l'attitude phénoménologique de Heidegger, considérer que l'existence est au contraire par essence non conforme aux principes d'identité et de raison, qu'elle est en vérité, comme le souligne encore Arendt, caractérisée par la - différence - et le - mystère -. Il est enfin possible, et tel est le troisième modèle, celui qui est mis en place, A mes yeux avec le plus de vigueur, chez Kant, dans la Critique de la faculté de juger, de penser que le réel, sans AStre en soi et donc par ance exhaustivement rationnel, identique A la structure ontologique, n'en reste pas moins rationali-sable, la structure ontologique étant alors utilisée comme une méthode pour expliquer ou comprendre le réel, sans que cette compréhension ou cette explication soient par ance garanties (comme elles le seraient, par définition, dans le modèle hégélien). Toute la première section de cet essai sera consacrée A l'analyse détaillée de ces trois modes de réponse A la question des rapports de l'ontologie, comme structure vide, au réel historique. 4 / Enfin, la philosophie peut, toujours en tant qu'ontologie, s'interroger sur la question de l'éthique, c'est-A -dire, pour ne considérer que la philosophie pratique moderne, sur les fins que l'homme peut et doit se proposer par rapport aux autres hommes. Dans la modernité, et singulièrement dans la Critique de la raison pratique de Kant, la question de l'éthique prend la forme d'une ontologie au sens indiqué, c'est-A -dire d'une tentative de définition de l'objectivité : on pourra aisément s'en persuader par une brève analyse de ce qui, aux yeux de Kant, constitue la finalité morale de toute action humaine. Kant distingue en effet trois types de fins possibles, qui s'élèvent progressivement vers le domaine de ce qui est proprement éthique, c'est-A -dire vers le domaine des fins qui sont objectives ou universelles. Telle est bien, en effet, la vérile signification de la célèbre distinction que Kant effectue entre l'habileté (qui consiste uniquement dans la considération des moyens permettant d'atteindre des fins purement particulières A un sujet donné), la prudence (qui vise déjA des fins plus générales, telles que la santé, qui peuvent AStre considérées comme communes A l'espèce humaine en tant qu'espèce biologique), et la moralité proprement dite qui réside dans le fait de se proposer des fins universellement et inconditionnellement lables (par exemple : ne jamais traiter autrui purement comme moyen). La philosophie décrit ainsi, au seuil de l'idéalisme allemand, dans la Critique de la raison pratique, puis dans les ouvrages du jeune Fichte, ce que l'on pourrait nommer une - ontologie pratique - ou une théorie de l'objectivité pratique (le terme de pratique désignant ici ce qui, au sens large, relève de l'éthique ou, si l'on veut, de la question des fins de l'homme), puisqu'elle tente d'indiquer en général quelles sont les fins que l'on doit nécessairement tenir pour objectivement lables et, par suite, tenter de réaliser. Par suite, l'ontologie pratique suppose au minimum deux conditions de possibilité : tout d'abord, elle implique que l'idéal et le réel ne soient pas de toute éternité identiques, sans quoi les notions mASmes de fin ou de devoir-AStre perdraient par définition toute signification : pour que je me propose de réaliser une fin que je considère comme bonne, il faut bien ' on me pardonnera ce truisme ' que cette fin ne soit pas encore réalisée, voire qu'elle puisse ne jamais l'AStre : le point, malgré son apparente trivialité, est d'une extrASme importance pour la compréhension de la pluralité des philosophies de l'histoire puisqu'il implique, on le perA§oit déjA , une remise en question du rationalisme hégélien au sein duquel réel et idéal coïncident au contraire de toute éternité (au moins en soi ou du point de vue de Dieu). La seconde condition requise par la philosophie pratique est donc la liberté comprise comme possibilité pour le sujet humain de réaliser, autant que les circonstances matérielles le lui permettent, les fins que l'ontologie pratique lui représente comme objectivement (= universellement) lables. |
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